Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mardi 22 octobre 2019

La mort est mon métier ~~~~ Robert Merle


J'ai toujours eu un peu de mal avec le genre romanesque lorsqu'il aborde le thème de la Shoah. Je me demande si le sujet ne devrait pas être réservé aux seuls témoignages. D'aucuns diront qu'il n'est pas de sujet interdit à la liberté qui prévaut dans le genre. Reste à juger de la façon dont cette indépendance s'exprime.

Averti comme je le fus, en choisissant cet ouvrage, du genre adopté par son auteur après avoir lu la préface qu'il a rédigée 20 ans après sa parution, je me suis posé la question de savoir ce que ce choix, fait par Robert Merle pour écrire La mort est mon métier, apportait de plus à la connaissance de ce chapitre noir de l'histoire de l'humanité. S'agissant de relater des faits historiques avérés.

Pouvait-on suspecter la simple exploitation d'un thème éminemment douloureux à des fins mercantiles ou de satisfaction personnelle ? Si la quête d'un lectorat nombreux ne peut-être niée par un auteur, j'ai voulu savoir ce que pareil ouvrage présentait de sincérité.

Rudolph Hoess pouvait faire cohabiter sans confusion dans la même personne qu'il était sa vie de père de famille, certes peu démonstratif en termes d'affection auprès des siens, et son autre vie qu'on a du mal à qualifier de professionnelle lorsqu'il quittait le domicile familial, celle d'un des plus grands monstres de froideur inhumaine que la terre n’ait jamais porté.

C'est le procédé narratif adopté par l'auteur qui diffère de ce que peuvent apporter les témoignages. Ce "je", qui fait intervenir son personnage à la première personne pour nous faire la narration du parcours de ce dernier, participe à la compréhension de la complexion de celui-ci. Il était devenu le rouage d'une entreprise emballée dans la spirale de la haine, se gardant bien d'en juger les fondements. Position qui lui servira d'argument de défense lors de son procès. Sa déontologie à lui étant l'obéissance à une cause et une hiérarchie mise au service de cette dernière. Peu importe les théories qui en échafaudaient les principes.

Sans négliger les travestissements exigés par le genre choisi par son auteur, sa lecture m'a confirmé dans le bien-fondé de l'intention de cet ouvrage avec l'apport supplémentaire du mode narratif choisi. Cet ouvrage ne place plus le lecteur en spectateur extérieur aux faits relatés, mais lui fait endosser le costume et le mécanisme mental qui va avec. C'est un ouvrage qui vous glace le sang car on sait que les outrances, s'il y en comporte dans le registre de l'horreur, seront toujours en dessous de la réalité.

C'est une lecture pénible dans ce qu'elle impose au lecteur, qu'on ne peut recommander comme on le ferait de n'importe quel roman qui nous a séduit. Un ouvrage dont le récit par la force des choses s'arrête au pied de la potence. En sachant que cette fin ne résout rien. Mais un ouvrage qui a son intérêt, parce qu'il concerne la nature humaine dont on ne peut pas se désolidariser quand elle est abjecte et la rejoindre quand l'amour est au rendez-vous. Il faut savoir ne pas ignorer pour conserver sa vigilance.


dimanche 20 octobre 2019

L'âme brisée ~~~~ Akira Mizubayashi

 



la matière sonore
Un violon a une âme. Ce n'est pas seulement cette petite pièce d'épicéa qui, placée sous le chevalet, transfert les sons de la table d'harmonie vers le fond de l'instrument. L'âme du violon c'est aussi sa sonorité. Elle caractérise sa personnalité propre. Lorsque la mèche de l'archet évolue sur les cordes et fait naître ce qu'Akira Mizubayashi désigne comme "la matière sonore", l'instrument-objet s'éveille, s'anime, prend vie. Sa sonorité stimule la sensibilité humaine. Érigée en principe d'immortalité, l'âme de l'instrument entre alors en connivence avec celle de qui perçoit la magie des vibrations sublimes.

Kurokami doit se traduire par Dieu Noir. Choisi à dessein pour sublimer le personnage, c'était le nom de cet officier qui, dans le Japon d'avant-guerre, avait ramassé le violon piétiné par son subalterne, lequel exerçait son zèle à la chasse aux sorcières pacifistes. le lieutenant Kurokami avait alors confié l'instrument mutilé à l'enfant découvert dans sa cachette. Son père venait d'être arrêté par les siens en pleine répétition. Il n'a pu sauver le père. Il a épargné l'enfant.

Suprême communion qui fera revivre l'un et l'autre, l'instrument et l'être aimé

Une fois entré dans la compréhension du malheur qui venait de le frapper, ce dernier s'est fixé pour raison de vivre de reconstruire le violon de son père. Adopté par un couple de Français, il est devenu luthier. Reconstruire le violon c'était lui redonner son âme. C'était faire renaître celui qui avait fait vibrer ses cordes : son père. Suprême communion qui fera revivre l'un et l'autre, l'instrument et l'être aimé, dans des circonstances qu'il ne faut pas dévoiler dans ces lignes mais me font saluer une nouvelle fois cet auteur qui m'avait captivé avec Petit éloge de l'errance.

Akira Mizubayashi, l'auteur à la double culture nous adresse là encore un éloquent plaidoyer contre les dérives autoritaires et son corollaire, la haine. Sentiment aveugle et nauséabond, capable de commettre l'outrage suprême, anéantir des artisans de paix : le musicien et son instrument.

Âme brisée est ouvrage d'autant plus fort que, sur un thème artistique qui conduira les uns et les autres lecteurs à s'enquérir des références musicales qu'il comporte, le texte est doux et lent. C'est une mélodie nostalgique que le violon interprète à l'oreille du lecteur subjugué. C'est un superbe roman.


Akira Mizubayashi
Akira Mizubayashi est un écrivain japonais d'expression japonaise et française, né le 5 août 1951 à Sakata au Japon 

mercredi 16 octobre 2019

La fiancée des corbeaux ~~~~ René Frégni

 



Sa vie ce sont les mots. Choisir et arranger les mots. Écrire. Il n'a de cesse de le clamer. On imagine que l'écriture l'a sauvé de quelque chose. Quelque chose qui pourrait ressembler à l'oubli entre quatre murs de béton. Il a d'ailleurs découvert que l'on pouvait s'évader avec des mots. C'est Giono qui lui a ouvert la porte. Avec Colline.

Beaucoup d'autres ont suivi après. Des auteurs qui lui ont désigné des horizons nouveaux. Jusqu'à ce qu'il décide de les imiter, de devenir lui-même un passeur d'émotions. Ouverture sur l'espace et le temps infinis. A devenir arrangeur de mots, il autorise quiconque les lira à y trouver ce qu'il veut, pourvu qu'il s'arrache des griffes du quotidien.

Quotidien dont René Frégni nous parle dans La Fiancée des corbeaux. Avec ses mots qui deviennent les nôtres. L'important étant que l'on y retrouve les ocres et les bruns de Provence, qu'on y respire le pin, le thym et la lavande. Que l'on peigne nous-mêmes ces paysages auxquels il applique tant de poésie et d'amour, que l'on oublie l'âpreté du monde.

Une année de mots dispersés sur la garrigue

La Fiancée des corbeaux, c'est une année avec René Frégni. Une année de mots dispersés sur la garrigue et les chemins poudreux des collines, les toits de Manosque, les terrasses des bistrots. Dispersés comme une semence pour faire germer des émotions dans le sol fertile de l'imaginaire. Dans les errements des extrémités de la vie quand ils sont balbutiants ou deviennent indigents. L'enfance par les deux bouts. Douce folie et folie douce. Mais pourquoi donc tout le monde ne vit-il pas comme ça ? A aimer Isabelle, la fiancée des corbeaux, au regard si doux qui vous fait la vie si simple.

La Fiancée des corbeaux c'est un besoin d'écrire

On le ressent bien à sa lecture, La Fiancée des corbeaux c'est un besoin d'écrire. Un besoin irrépressible. Aussi, quand on a le talent de choisir et d'arranger les mots comme peut l'avoir René Frégni, pourquoi s'en priver. Il peut parler de la banalité du quotidien, en faire une intimité partagée avec la terre entière, peu importe. La trivialité, c'est aussi et surtout la vie des hommes. Ce qui compte c'est le partage des émotions. L'important est de rester en harmonie avec la terre et se fondre dans la vie des hommes. Avec René Frégni c'est faire oeuvre de sérénité, ériger la prose en poésie. Écrire pour être lu. Écrire pour soi-même aussi. Même l'esprit embrumé de nostalgie, ça fait du bien.

"C'est sans doute cela être écrivain, observer les autres de plus en plus intensément afin de voir plus clair en soi. Plus j'écris, plus je disparais, plus je ressemble à tout le monde."


mercredi 25 septembre 2019

Les vestiges du jour ~~~~ Kazuo Ishiguro




Cet ouvrage ne manquera pas de plaire aux amateurs du bien parler. Maîtrise de la grammaire et usage d'un vocabulaire choisi, mais pas seulement pour ce qui concerne le métier de Mr Stevens dans Les vestiges du jour. L'exercice auquel doit se livrer quotidiennement le majordome d'une maison prestigieuse est selon lui de faire preuve, en toutes circonstances, de la plus grande dignité. Vertu dont Mr Stevens tente de nous faire entrevoir les contours. Parmi lesquels la maîtrise de ses propres instincts pour exercer avec succès une profession somme toute très anglaise, et pour laquelle la dignité n'est bien souvent que le linceul de la trivialité d'autrui.

Après la disparition de son maître, Mr Stevens est parvenu à un stade de sa vie professionnelle où il peut faire quelques entorses à l'autre grande qualité du métier : la discrétion, la confidentialité. Dans le périple qui le conduit vers une de ses anciennes collaboratrices, il revient sur ces moments entre les deux guerres au cours desquels son maître, Lord Darlington, essayait de sauver la paix. Pressentant bien que l'humiliation, que l'Allemagne ne pouvait manquer de ressentir à l'issue du traité de Versailles, allait précipiter cette dernière dans les velléités revanchardes.

La maîtrise des émotions qui préside à chacune des circonstances du métier l'a en contre partie conduit à étouffer ses sentiments. On comprend alors que la visite qu'il s'apprête à faire à celle qu'il appelle encore Miss Kenton, bien que mariée, lui laisse comme un arrière goût d'échec dans une vie consacrée au service des autres. L'impression d'être passé à côté de quelque chose. Amertume qu'il s'efforce de dissimuler avec la même maîtrise que celle qui a prévalu tout au long de sa carrière.

Lecture onctueuse que celle de cet ouvrage. Plaisir de lire que ne gâche pas la traduction de Sophie Mayoux fort réussie pour restituer dans la langue de Molière quelques tournures bien senties à n'en pas douter dans celle de Shakespeare.


mardi 10 septembre 2019

Avec toutes mes sympathies ~~~~ Olivia de Lamberterie

 


Comme tous les lecteurs j'imagine, j'ai été bouleversé par ce récit dramatique. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Lorsque les trois sœurs frappent à la porte de leurs parents et qu'elles ne prononcent qu'un nom, Alex, seul mot qui franchit leurs lèvres tremblantes, il n'est besoin de rien d'autre pour dire le combat perdu. J'avoue à ce moment avoir eu des picotements autour de mes yeux d'étranger au drame.

Mais au-delà du récit de cette descente aux enfers d'un amour vivant, je m'interroge sur mon rôle, moi lecteur de ces lignes. Je me suis forgé la conviction que son auteure ne les avait pas écrites pour satisfaire mon voyeurisme. Alors en quoi en refermant cet ouvrage ai-je participé à une œuvre salvatrice ? Je l'ai peut-être trouvé à la page 225 de l'édition Livre de poche : "Et puis, de toute façon, parler avec qui ?"

Pas aux proches, ceux qui ont vécu le drame. Ce serait les entrainer dans le vortex de la perdition. Alors à qui ? A Moi ? Olivia de Lamberterie aurait donc choisi d'en parler avec moi. le plus parfait inconnu. Le réceptacle le plus innocent de toute l'histoire de cette famille unie. Moment d'intimité avec un quidam croisé au hasard des rayons d'une librairie. Lecteur anonyme, capable d'entendre ce cri vierge de tout écho. Cri à l'univers infini. Ultime révolte contre l'opiniâtreté d'un destin qui avait déclaré son intention. Emporter Alex. Où ? Olivia s'est longtemps posé la question. Avant de trouver la réponse, en fermant les yeux. Et le dénicher, lui son frère adoré, tapis au fond d'elle-même.

Plus que la disparition d'Alex, c'est son impuissance à contrecarrer le projet contre laquelle Olivia s'insurge. La préméditation. Alex, où le refus d'être ici et maintenant. Et demain. Refus d'être né. Quand bien même tout autour de lui n'est qu'amour. Femme, enfants, sœurs, père et mère, il n'est pourtant pas de cocon plus précieux, plus propice à faire prospérer la vie qu'une famille aimante. Harmonie, cohésion, solidarité, le destin a franchi les remparts les plus robustes.
Amour des autres mais détestation de la vie. Quelques décennies d'une vie en trompe l'œil et Alex a choisi de baisser le rideau en saluant les spectateurs médusés, impuissants, leur déclarant toutefois sa tendresse. A ceux qui ont accepté de poursuivre le chemin. A eux d'essayer de comprendre l'incompréhensible.

Refus d'être né qu'Alex répand à la face du monde, avec cet ouvrage réclamé, qui s'est finalement imposé à sa sœur. L'écriture est œuvre de solitude. Elle force à entrer en soi-même. A affronter les mots sans le secours de l'oreille compatissante ni le risque d'intervention de la volonté d'autrui. Seule façon de se gorger de sa souffrance sans indulgence. Sans remise de peine. Sans risquer de voir de petites joies quotidiennes sournoisement apaiser le chagrin. Accepter son chagrin, se l'imposer, c'est respecter. C'est aimer.

Il est des personnes chez qui l'instinct de mort est plus fort que l'instinct de vie. Comment le soupçonner dans ce petit bonhomme assis à côté de sa sœur sur la photo. Mais si elle fait passer ce message, son message, Olivia fait aussi comprendre sa colère à elle, sa révolte, sa détestation légitime de pareille évidence.

Lecteur tardif. Sympathies tardives. Mais n'est-ce pas ce tardif qui fait durer. Qui entretient le chagrin qu'on revendique, une façon de le préserver de la dilution dans l'insouciance des jours. J'aurais donc participé modestement à entretenir cette preuve d'amour.


mercredi 14 août 2019

Les particules élémentaires ~~~~ Michel Houellebecq



La vie, pensait Michel, devrait être quelque chose de simple ; quelque chose que l'on pourrait vivre comme un assemblage de petits rites, indéfiniment répétés. Des rites éventuellement un peu niais, mais auxquels, cependant, on pourrait croire. Une vie sans enjeux, et sans drames. Mais la vie des hommes n'était pas organisée ainsi. Parfois il sortait, observant les adolescents et les immeubles. Une chose était certaine : plus personne ne savait comment vivre.

 

Une petite bouffée d'optimisme version Houellebecq pour commencer ?
"Dans les cimetières du monde entier, les humains récemment décédés continuèrent à pourrir dans leurs tombes, à se transformer peu à peu en squelette." Page 244 édition Folio.
Le ton est donné. Bonne lecture à vous.

Mais, hauts les cœurs, il faut rebondir comme on dit de nos jours. Regonfler les troupes et tenter avec notre sémillant auteur frigorifié d'identifier quels remèdes peuvent être prescrits contre l'angoisse de la mort. Puisqu'il s'agit encore et toujours de cela. On n'en connaissait traditionnellement que deux : la religion et la philosophie. Michel Houellebecq nous en fera-t-il découvrir d'autres ?

La première a prévu tous les scénarios pour expliquer à la créature intelligente d'où elle vient et où elle va. Lui garantissant en prime l'éternité. Le problème c'est que sa version de l'éternité passe par le trépas. Mais son service communication est très efficace. La conviction c'est son rayon, la félicité est à la clé. Malgré cela on imagine bien qu'il puisse subsister quelques sceptiques. Les indécrottables athées et autres agnostiques pour qui la religion n'est d'aucun secours puisque force est de constater que les preuves font défaut. Même s'ils reconnaissent avec Houellebecq que le monde ne saurait être sans religion. Il n'en reste pas moins qu'il y a de la concurrence sur le créneau et qu'en pareille circonstance la démarche commerciale pour appâter le chaland aura pu se faire à grands coups de bûcher, lapidation et autre autodafé. Celles qui prônent l'amour de son prochain, les trois grandes monothéistes se revendiquant du Livre, ont des pratiques concurrentielles agressives et ne sont en effet pas tendres avec les brebis égarées. En observateur éclairé, Michel Houellebecq serait plus porté vers une ferveur alternative réputée plus douce : le bouddhisme. Elle est peut-être de nature à apaiser le pénitent mais à toutefois des chances de rebuter le jouisseur des temps modernes pour qui le bol de riz gluant est un tantinet frugal.

La philosophie, dont Montaigne nous ressasse qu'elle est recette pour apprendre à mourir, serait donc aussi un remède, non contre la mort, mais contre l'angoisse qui va avec. Là aussi, depuis que l'écriture a laissé des traces de leurs travaux, on constate que les précepteurs en la matière sont légion. Mais force est de convenir que les chemins de l'apprentissage sont obscurs et tortueux et on va bien l'avouer peu accessibles à la multitude ignorante. Toutes les théories en "isme" cheminant parfois aux confins du mystique, en se gardant bien de franchir la ligne, concoctées et relayées par ce qu'il convient bien d'appeler des penseurs à nous convaincre de l'absurdité de la vie, condescendent fort peu à la vulgarisation et ont de fortes chances de laisser sur le bord du chemin beaucoup d'âmes en peine avec leur lot d'angoisse sur les bras.

se distraire de la mort par le sexe

Quelle échappatoire alors à ces remèdes qui ont, il faut en convenir un fort taux d'échecs ? Houellebecq nous en propose deux autres : le sexe et la science.
Sexothérapie donc pour le premier. Discipline qui pour le coup ne traiterait pas des maladies sexuelles, mais soulagerait de l'angoisse de la mort par le sexe. Cette thérapie présente toutefois l'inconvénient de nécessiter d'une part l'intervention d'un ou plusieurs partenaires consentants de préférence, identiquement angoissés ou non. Sauf à tomber dans le satanisme pervers dont Houellebecq nous offre de bonnes tranches dans son ouvrage. Thérapie qui a en sa défaveur le grand inconvénient de perdre en efficacité au moment où on en a le plus besoin puisque les capacités à se distraire de la mort par le sexe s'amenuisent au fur et à mesure qu'on s'en approche (de la mort, pas du sexe). C'est une hantise chez notre auteur à la prose sans allégorie. le grand travers de cette pratique étant que les praticiens les plus efficaces, les corps jeunes, se désintéressent des patients les plus à la demande, les corps sur le déclin. Au final, ça tourne à l'obsession chez ces derniers et a de grande chance de les conduire vers des établissements spécialisés pour calmer les fiévreux. C'est ce qui arrive à Bruno, l'un des deux protagonistes des Particules élémentaires. Il faut dire qu'il avait des circonstances atténuantes, à rechercher comme souvent dans une enfance quelque peu violentée.

Reste la science. Elle nous a jusqu'alors pas habitués à être le remède ultime. Mais avec un soupçon d'anticipation, nous arrivons en des temps où l'espoir pointe à l'horizon. Michel, le frère de Bruno, fonde beaucoup d'espoir dans cette voie. En particulier dans ce qu'elle serait à même d'identifier les causes du vieillissement et d'en venir à bout. Philosophie, religion, sexe, tout cela le laisse de marbre. A force de mettre les spirales d'ADN en algorithmes, il s'est auto auréolé du nimbe de clarté qui témoigne de la jonction des deux infinis. Il en arrive à imaginer une forme d'idéal dans lequel la sexualité serait déconnectée de la procréation. Pas de risque d'encombrement par une progéniture rebelle ou par trop dissipée. Et cerise sur le gâteau, excusez du peu, l'être nouveau serait doté de cellules de Krauze, - dont on nous dit qu'elles sont les récepteurs sensibles des organes sexuels tant masculins que féminins - sur l'ensemble de la surface de la peau. Autrement dit notre corps ne serait plus qu'orgasme au moindre effleurement, de la moindre poignée de main du matin par exemple. Elle ne serait pas belle la vie ?

Science sans jouissance n'est que ruine de l'homme. A moins que l'homme ait une âme, ce qui reste à prouver, et une relation avec le monde ce qui semble séparer Houellebecq de Pantagruel.


vendredi 9 août 2019

Soumission ~~~~ Michel Houellebecq


 
Si l'on convient avec Houellebecq que "seule la littérature peut vous donner la sensation de contact avec un autre esprit humain", le voici qui dans Soumission prend les commandes de celui de son lecteur pour en faire un récepteur docile du développement qu'il lui concocte. de la même façon que, selon l'exercice d'anticipation auquel il se livre, l'islam s'installe le plus légalement du monde aux manettes de notre pays, à l'occasion des élections présidentielles de 2022. Comme un certain Adolf en 1933 en le sien. Hypothèse qui en vaut une autre. Ce n'est peut-être qu'une affaire de calendrier.

C'est mon quatrième Houellebecq. Je retrouve sans peine cette faculté qu'il a d'hypnotiser son sujet avec un discours fluide et enveloppant. Pour ne pas échapper à la triviale réalité, il prend soin toutefois de ramener de temps à autre son lecteur au ras des pâquerettes en l'invitant par exemple à faire les courses au supermarché du coin et choisir les produits qu'il mettra dans son caddie.

Houellebecq sait entretenir son lecteur alternativement dans une forme d'ivresse des sens ou un brouillard de solitude et de frustration en lequel pourtant, en cherchant bien, un soupçon de sentiment doit bien exister malgré tout quelque part. Ce quelque part, lueur vacillante dans la brume, étant certainement dans la proximité du corps féminin. La femme fait certes aussi partie de ce paysage d'une humanité qu'il exècre, mais elle "apporte un parfum d'exotisme" lui permettant d'affirmer que la perte de l'envie de vivre n'est à ses yeux pas une raison suffisante pour mourir.

Le héros de cette anticipation c'est François, universitaire au talent reconnu, la quarantaine désabusée, âge charnière où tout bascule sur l'autre versant de la vie. C'est le grand toboggan vers la fin. Cette dernière n'étant pas dans son esprit l'échéance ultime qui libère de tout définitivement, mais plutôt la perte de la capacité à séduire celles qui justement sont seules à même d'offrir quelques instants d'éternité. Lesquels instants régénèrent le corps pendant, et l'esprit entre deux.

En athée convaincu, ardent pourfendeur du monothéisme, il assiste pourtant avec plus de circonspection que de peur à l'arrivée au pouvoir du parti de la fraternité musulmane. Ledit parti installant sa marionnette à l'Élysée en la personne du chef d'un parti composé que de lui-même : le très consensuel François Bayrou.

Les nouvelles autorités l'écartent du corps enseignant pour incompatibilité dogmatique. Ce recul imposé lui donne par la même occasion le loisir de remarquer que finalement ce que d'aucun présente comme le fléau qui s'est abattu sur la France pourrait en fait bien présenter des arguments de séduction suffisamment convainquant pour remettre en question certains préjugés.

Un ancien collègue à lui, vieux célibataire endurci pour cause de disgrâce visuelle et olfactive, ayant déjà franchi le pas, s'est en effet vu attribuer une épouse en gratification de sa conversion. Une épouse présentée comme la première et ayant à peine l'âge de passer le permis de conduire. A tout bien considérer donc, et voici le fil blanc avec lequel notre prix Goncourt coud habilement cette chasuble littéraire qu'on endosse sans rechigner – je parle pour les inconditionnels - à tout bien considérer donc, notre professeur de littérature sur la touche, athée de conviction, désabusé de raison et délaissé par la passion pourrait bien retrouver les bancs de l'université et les jeunes étudiantes qui y prennent place. Fussent-elles voilées, elles n'en restent pas moins candidates aux cours particuliers à domicile. Où le retrait du voile est autorisé.

A soumission, soumission et demie. Lui à un dogme qui aurait su faire valoir ses arguments, elles à un nouveau maître, choisi pour elles, qui n'avait quant à lui plus beaucoup d'arguments pour les choisir lui-même. Cela tombe bien. Précision grammaticale au passage : "elles" étant un pronom personnel dont le pluriel qui, dans le cas présent et eu égard à la notoriété de notre universitaire, peut aller jusqu'à trois.

Conviction contre passion, drame cornélien à la sauce Houellebecq. Franchira-t-il le pas ? C'est dans Soumission. Le raisonnement est bien échafaudé, le style sans métaphore comme d'habitude.





mardi 6 août 2019

Le temps des orphelins ~~~~ Laurent Sagalovitsch

 


Cet ouvrage place son intrigue dans le contexte d'une page de déshonneur de l'histoire de l'humanité, celui de la shoah. Un thème dont il faut à mon sens faire usage avec tant de précaution que je me demande s'il peut donner lieu à y appliquer une fiction.

Daniel, jeune rabbin venu d'Amérique, a ressenti la nécessité de s'engager dans les forces de libération de l'Europe en 1944. Sa découverte des camps de la mort fera vaciller sa foi. Quand il prendra la mesure de l'anéantissement de la personne qui a résulté de la funeste entreprise nazie, le recours aux textes bibliques lui sera de piètre secours pour réconforter ses coreligionnaires. Comment Celui qui préside aux destinées de ce monde a-t-Il pu laisser faire ça ?

L'intrigue, c'est celle d'un tout jeune garçon famélique au regard figé d'incompréhension, perdu dans la tourmente de la libération des camps. Il est incidemment recueilli par Daniel qui se met en quête de retrouver sa famille.
Faut-il voir dans cet ouvrage écrit par quelqu'un qui ne peut connaître cette période noire que par ce qu'il en a appris, le besoin de raviver une mémoire qui lui semblait s'essouffler. Pour arriver à ses fins, il n'a de toute évidence d'autre choix que de donner dans la surenchère compassionnelle et le ressentiment, en quête de vocabulaire et métaphores apocalyptiques.

S'il faut lire le récit de ce cauchemar, je préfère le faire dans les ouvrages de ceux qui ont vécu cette ignominie, quand ils ont eu force de rompre le silence. Ils savaient très bien quant à eux qu'aucune langue humaine ne comporte de mots assez proches de ce qu'ils avaient enduré, que leur tentative de témoignage ne restera jamais qu'une approximation de l'horreur. Comme si le mépris du monde qui les avait piétinés s'acharnait encore sur eux quand le temps était enfin venu de le crier à la face de ce même monde. C'est alors dans leur silence entre les mots qu'on prend la mesure de leur traumatisme, qu'aucune fiction ne pourra restituer.

Surtout lorsqu'elle force le trait avec quelques clichés impliquant les enfants. Cela ne manquera pas d'attendrir le sceptique du 21ème siècle auquel aurait échappé l'ampleur du cataclysme parce qu'assoupi dans son confort aveugle. La chute est assez maladroite, mais comment clore pareil ouvrage quand l'espoir n'est plus de ce monde.


jeudi 1 août 2019

Plateforme ~~~~ Michel Houellebecq



Éminent chroniqueur des faits et gestes de ses contemporains, Houellebecq s'est intéressé au spécimen de la classe moyenne tout juste doté pour aller se consoler de sa misère affective dans les lieux de plaisir au travers de la planète. Les besoins de première nécessité ont évolué depuis qu'on se préoccupait avant tout de se nourrir et se loger.

Chemise à fleurs, tongs et bermuda, élégances spirituelle et comportementale assorties, valent à ce spécimen le sobriquet de « beauf ». le tourisme sexuel, puisqu'il s'agit de cela, est un sujet de chronique qu'on ne s'étonne pas vraiment de trouver sous la plume du futur Goncourt 2010, n'est-il pas ? (Plateforme paraît en 2001)

Il fallait donc s'attendre à ce que l'étude de marketing conduite par le tour opérateur, à laquelle son héros va se retrouver incidemment associé, soit ponctuée d'exercices pratiques détaillés par le menu. C'est confirmé. Tout y est : ingrédients, temps de cuisson, température du four et tournemain du maître-queux. Qu'en pareille contexte on peut sans vergogne travestir en maître-queue. Elle était facile, je vous l'accorde, je n'ai pas pu résister.

Bref, un instant de honte étant quand même vite passé, pour dire ce que m'inspire cet ouvrage, je formulerai seulement le vœu, à l'adresse de notre truculent prosateur national, que sa vie amoureuse soit aussi intense et harmonieuse que celle de son héros, lequel intervient à la première personne dans cet ouvrage. A moins que les écrits ne viennent en consolation de quelques frustrations opiniâtres, assorties d'angoisses existentielles dont on sait, il nous en a convaincu, que ces dernières sont largement atténuées par une pratique assidue de l'exercice physique qui fait se concilier les contraires le temps d'une trêve, toujours trop courte il nous l'enseigne aussi.

C'est mon troisième Houellebecq. J'arrive certes un peu tardivement dans cet univers de cacophonie des sens, mais il faut varier les genres, et j'ai donc confirmé avec celui-ci la maîtrise du verbe que je lui avais découvert dans les deux autres. Maîtrise du verbe donc, plutôt cru, et qui vaut à notre goncourisé son lot d'inconditionnels, justement équilibré par le nombre de ses détracteurs. le bilan étant quand même positif puisque les inconditionnels achètent alors qu'on n'est pas obligé de dédommager les détracteurs. Cette maestria dans la pratique de la langue (française), qui sied aux inconditionnels et leur sert à justifier leur penchant, est à la hauteur de celle de la grammaire du Kama sutra avantageusement imagée dans la production littéraire de notre auteur à la tant convoitée jaquette rouge.

J'ai retrouvé avec intérêt – alors inconditionnel ou détracteur ? - un auteur désabusé, qui se complait à se dépeindre sous les traits d'un contemporain obstinément médiocre, en panne de raison de vivre, avec en prime une critique acerbe de notre bonne vieille société européenne. Même si c'est toujours émoustillant à souhait, l'intérêt n'est pas que là. Il faut savoir hausser le débat avec Houellebecq. Il y a malgré tout une morale à cette histoire, le sujet est quand même grave. A trop se vautrer dans la luxure, on se prépare des lendemains incertains et plus dure sera la chute. Et avec Plateforme, elle est sévère, et rédhibitoire. Il ne faut pas non plus effrayer les inconditionnels et leur laisser quand même des arguments pour défendre l'indéfendable. Ils peuvent eux-aussi avoir des scrupules à la bacchanale impunie.

La performance littéraire n'allant pas de pair avec la performance physique, je ne pense pas que ce soit le meilleur Houellebecq. J'en ai deux autres qui arrivent pour consolider cette opinion de novice. Je subodore le thème choisi à dessein pour donner libre cours à une imagination libérée de toute convenance. Je n'irai pas jusqu'à dire que cet ouvrage devait être alimentaire, ce serait ramener le sujet à un besoin physiologique de première nécessité et cela risque de rester sur l'estomac de certains, mais soit, beauf s'écrira bof pour une fois. Notre Houellebecq national fera mieux, dix ans plus tard.


mardi 30 juillet 2019

Paysage perdu ~~~~ Joyce Carol Oates

 



"Je regrette, mais je suis incapable d'écrire sur Ray [son mari disparu] ici. J'ai essayé… mais c'est tout simplement trop douloureux, et trop difficile. Les mots sont comme des oiseaux sauvages – Ils viennent quand ils veulent, non quand on les appelle."

On imagine la lèvre tremblante d'émotion, les yeux qui retiennent des larmes, la main qui se fait hésitante sur le clavier à l'écriture de ces mots. Ce passage de Paysage perdu est un parmi d'autres qui m'ont fait avoir un coup de cœur pour cet ouvrage de Joyce Carol Oates. Ce qui est rare pour le genre auto biographique. On perçoit bien avec cet ouvrage que l'auteure à l'inspiration intarissable n'est plus dans la fiction. Elle est tout entière rentrée en sa mémoire. Elle cherche à recoller des souvenirs qui sont comme elle le déclare "un patchwork dont la majorité des pièces sont blanches" tant la mémoire est faillible.

Mais si le souvenir est infidèle, l'amour la possède toujours cœur et âme. Amour pour ses parents et grands-parents, pour son mari disparu, pour sa sœur atteinte d'autisme invalidant, incapable de communiquer avec son environnement. Et tant d'autres êtres adulés, comme cette amie d'adolescence qui a choisi de ne pas aller plus loin sur le chemin de la vie.

Chez les Oates, on ne parlait pas sentiments. On s'aimait sans le dire. Joyce Carol avoue à qui lui pose la question que c'est un livre qu'elle n'aurait pu écrire du vivant de ses parents. C'est un ouvrage dont le caractère intimiste est strictement contrôlé par la pudeur la plus intransigeante. Mais pas seulement, sa façon d'éluder certains sujets est pour elle une façon d'échapper à l'émotion qui ne manquerait pas de la submerger. Autre forme de pudeur chez une femme qui peut paraître plus intellectuelle que sentimentale.

Joyce Carol et son mari n'ont pas eu d'enfant. Cette analyste froide de la société a-t-elle trop exploré le mystère de l'expérience humaine pour ne pas vouloir l'infliger à une descendance. C'est là aussi un sujet qu'elle n'aborde pas dans son ouvrage. A trop écrire sur le mal, peut-être a-t-elle eu peur d'y livrer quelque innocence. La perception du monde des adultes par les enfants, une obsession chez elle ? Voilà un secret qu'elle gardera au fond d'elle.

Écrire pour Joyce Carol Oates, c'est sa respiration. Son œuvre est impressionnante. On identifie dans le récit de sa vie les sources d'inspiration qui ont été autant de points de départ de ses romans: la lutte des classes dans une société livrée au capitalisme intraitable, la pauvreté, la délinquance, le conflit des générations, le suicide des jeunes. Autant de fléaux dont elle avoue avoir été épargnée par l'amour qu'elle a reçu de la part des siens.

Sensibilité à fleur de peau dans cet ouvrage dont Heureux, le poulet de sa prime enfance, donne le la. Formidable éclairage sur l'œuvre gigantesque de Joyce Carol Oates, même si, bien qu'elle s'en défende, sa mémoire est plus sélective que faillible. La grande dame de la littérature américaine se livre, en gardant toutefois au fond de son cœur nombre de confidences attendues qui partiront avec elle. A moins qu'il faille les rechercher chez les personnages qu'elle a engendrés dans ses romans. Cet ouvrage est émouvant par le ton qu'elle lui donne dans un style parfaitement maîtrisé. C'est tout sauf un ouvrage à sensation.