Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

vendredi 14 janvier 2022

Les choses humaines ~~~~ Carine Tuil



De consentement il est encore question dans cet ouvrage de Karine Tuil. Je dis encore parce que je venais de terminer celui de Vanessa Springora qui porte ce titre. Sans le présager je suis resté dans le même registre. Où l’on se rend compte que la notion de consentement peut aussi porter à caution.

Mais de manipulation point dans Les choses humaines, puisque le crime, que d’aucun voudrait bien requalifier en délit, se produit lors de la rencontre fortuite de deux parcours de vie. Une soirée entre convives dérape. Un bizutage imbécile, comme souvent, et deux vies qui basculent. Ce que le père de l’accusé appellera fort maladroitement « vingt minutes d’action ». Ce que l’avocat de la plaignante requalifiera en « vingt minutes pour saccager une vie ». Y’a-t-il eu viol ou relation consentie ?

Notre société moderne a tendance à niveler la gravité des actes. L’inconséquence prévaut désormais. Les violences physique et sexuelle sont en libre-service sur tous les supports médiatiques, officiels ou sous le manteau. Dans le monde virtuel qui s’impose désormais les esprits s’accoutument à ce que violenter soit anodin. Le danger est dans le franchissement de cette frontière immatérielle qui ouvre sur la réalité, en particulier lorsqu’il est favorisé par le recours aux psychotropes. Aussi lorsque dans une soirée où alcool et drogues prennent possession des esprits, se « taper une nana » et rapporter sa culotte en forme de trophée, ce n’est jamais qu’une forfanterie. De toute façon elles savent où elles mettent les pieds.

Pour l’agresseur, elle n’a pas dit non, ne s’est pas enfuie. Elle a donc consenti. Pour la victime c’est l’envers du décor. Le choc psychologique a étouffé ses cris et paralysé ses membres.

Dans un système qui privilégie trop souvent la recherche du solvable au détriment du coupable, faudra-t-il désormais se retrouver sur le banc des accusés dans une salle d’audience pour réaliser la portée des actes ?

Je me suis retrouvé dans la salle d’audience pris dans les joutes oratoires superbement transcrites entre partie civile et défense. La restitution est étonnante de réalisme immersif.  Karine Tuil veut que la dimension humaine en matière de justice conserve ses prérogatives et ne rien céder ni à la mécanique judiciaire aveugle d’une société sur codifiée, ni au lynchage orchestré par les lâches qui déversent leur fiel sous couvert d’anonymat sur les réseaux sociaux. Elle veut rendre à la conscience humaine son droit régalien de peser le bien et le mal. Pour la victime comme pour l’accusé. Il s’agit de réattribuer des conséquences aux actes en un juste équilibre des responsabilités et ne pas se plier à la loi des intérêts.

Cet ouvrage m’a passionné de bout en bout. Il est remarquablement bien construit, documenté, et écrit. Résolument moderne. L’exposition médiatique conditionnent les comportements. La justice se rend sur les réseaux sociaux où la présomption d’innocence n’existe pas. L’épilogue est logique sans être prévisible. L’épilogue de l’épilogue est plus surprenant. Moins engageant. Mais surement inéluctable.

Je découvre cette autrice qui vient de publier son nouvel opus : La décision. Je sais déjà que je m’y intéresserai. Il y est encore question de la justice des hommes. Une justice que Karine Tuil ne veut décidément pas voir mise en algorithmes. La justice doit rester affaire de conscience humaine et penser à la vie après le jugement.

 

mardi 11 janvier 2022

Le consentement ~~~~ Vanessa Springora

 


J’avais un a priori défavorable vis-à-vis de cet ouvrage, au point de m’être promis de ne pas en faire l’acquisition. Convaincu que j’étais de succomber au grand déballage en vogue avec son déferlement d’accusations rétrospectives tous azimuts.

Puis j’ai eu l’occasion de voir la vidéo de l’émission d’Apostrophe (2 mars 1990 ; lien ci-dessous) au cours de laquelle Bernard Pivot recevait celui dont Vanessa Springora ne veut plus prononcer le nom et ne l’appeler que par ses initiales : GM. J’ai été tellement sidéré par la suffisance, la certitude affichée de son bon droit, le cynisme et l’abjection du personnage que je me suis reproché mon préjugé (une fois de plus, mais je me soigne, je lis) et n’ai plus hésité lorsqu’une amie m’a tendu l’ouvrage.

Dans cette vidéo de l’émission de Bernard Pivot j’avais été à la fois interloqué par la complaisance dont a été l’objet GM de la part du célèbre animateur et interpelé par le courage dont a fait preuve Denise Bombardier pour avoir été la seule à apporter la contradiction, à faire état de la nausée que lui inspirait non seulement le mode de vie du personnage, mais aussi et surtout la gloire qu’il en tirait et le blanc-seing qui lui était donné par la communauté littéraire.

Et que dire de mon effarement lorsqu’en fouillant un peu le sujet, j’ai appris que l’auteur prolifique en matière de récits autobiographiques inconvenants s’était vu attribuer le Prix Renaudot en 2013. La censure est un spectre effrayant. Mais entre laisser faire et primer il y a un pas à ne pas franchir.

Je reste sur la conviction qu’il est fallacieux de juger une époque avec les codes moraux d’une autre, forcément postérieure. Mais les années Matzneff, celles de sa gloire éditoriale, ne sont pas si lointaines que cela et suis encore abasourdi par le fait qu’en 1990, un homme affiche, écrive, se glorifie de pédophilie, puissent l’assumer au grand jour et, cerise sur le gâteau, se voit couronné d’un prix littéraire. C’était nier que le talent qu’on voulait récompenser avait été mis, avec le même succès, au service de la manipulation d’esprits immatures à des fins condamnables.

Ma réticence à lire l’ouvrage de Vanessa Springora était en partie due à ma certitude que cette dernière sacrifiait à la tendance actuelle qui défraye la chronique avec les #metoo, #balancetonporc  et autre slogans racoleurs des réseaux sociaux, histoire d’endosser le costume du moment et ne pas rester sur le bord du chemin de celles et ceux qui avaient jusqu’alors tu leur mal-être d’avoir été abusés, en s’en attribuant la culpabilité, comme c’est toujours le cas.

Abusés parce qu’insuffisamment armés pour affronter ceux dont la sexualité n’est pas l’aboutissement d’une démarche sentimentale, une preuve d’amour, mais un exutoire à pulsions égoïstes. Méprisant la personne, l’être sensible, le cœur qui bat dans ce corps dont il se servent comme d’un objet vivant pour satisfaire leurs bas instincts. Même et surtout si le discours qu’ils tiennent argumente de sentiments authentiques. Comment peut-on justifier d’authentiques sentiments pour une personne quand on est un « amoureux » vagabond qui multiplie les conquêtes à l’infini.

Le début de cette lecture m’a fait penser à la crise d’une adolescente qui veut faire un pied de nez à l’autorité parentale, quand elle ne sait que contraindre et non guider. Quels parents d’ailleurs ? Un père démissionnaire de son rôle du fait de l’entrave à sa liberté qu’est la paternité. Une mère post soixante-huitarde démissionnaire elle aussi, pour une autre raison, parce qu’adepte de l’interdit-d’interdire. Plus de jalon, de repère, de guide, de préparation aux contraintes d’une vie qui en comporte beaucoup. Résultat : une jeune fille à la dérive, qui se raccrochera à ce qu’elle croit être une bouée de sauvetage. Parce qu’elle entend le discours, trouve l’attention qui lui ont fait défaut. Une attention qui s’avérera être l’obsession de s’abreuver aux charmes d’un corps juvénile. Sous couvert de délicate initiation, il va de soi, puisque les partenaires de l’âge de la victime ne peuvent être que de piètres éducateurs.

Et patatras : amour égale sexe. A quatorze ans. Rêves, imaginaire, espoir, tout cela sombre dans le marigot glauque d’un écrivain au talent dévoyé lequel ne pense qu’à une chose : satisfaire ses envies dans un corps qui sert de déversoir à son trop-plein de testostérone. En le justifiant à la face du monde avec tous les arguments que son talent de manipulateur lui porte à la bouche. Un homme qui ne cache pas se « payer » des petits garçons à l’autre bout du monde. Rêve d’amour, de protection, de sécurité, d’avenir, tout cela à la poubelle des désillusions pour une jeune fille abandonnée par des géniteurs qui ont oublié d’être des parents, qu’un enfant c’est le plus noble des devoirs : c’est une personne à construire.

Au fil de l’ouvrage, le transfert s’est fait dans mon esprit. Le tort que j’attribuai a priori à l’insouciance de la jeunesse s’est converti en blâme au manipulateur pervers. C’est la victoire de cet ouvrage. Vanessa Springora a su me convaincre de la sincérité de ses propos, de la franchise avec laquelle elle raconte son histoire sans s’exonérer de torts, d’erreurs qu’elle confesse et dont on comprend qu’elles sont celles d’une enfant solitaire, en errance affective. Belle proie pour le monde de la perversion.

Ce n’est pas le genre d’ouvrage qui fait plaisir à lire, mais il mérite d’être lu. Vanessa Springora a su le construire pour faire comprendre ce que peut être la manipulation, l’abus de faiblesse. Car si pour beaucoup l’innocence est une bénédiction, pour Matzneff elle est une faille à exploiter. Pour sa jouissance égoïste. Peu importe qu’il y ait une personne porteuse de cette innocence.

https://www.youtube.com/watch?v=TjZmJkLdwN8&ab_channel=InaClashTV


lundi 10 janvier 2022

Rose ~~~~ Tatiana de Rosnay


 

Paris est une fête écrit Hemingway. Un ouvrage qui déborde d'amour pour celle qui est qualifiée de ville lumière. Même si ce noble sentiment pour cette ville n'est pas dépourvu de la nostalgie de sa jeunesse, de sa première épouse avec laquelle il avait emménagé en notre capitale au lendemain de la première guerre mondiale.

Paris a-t-elle été sauvée de l'obscurité par le plus grand chantier qu'elle ait connu à l'initiative de Napoléon III ? Ayant vécu à Londres, ce dernier regrettait de voir notre capitale distancée dans la modernisation par celle de la perfide Albion. Un leitmotiv scandé en forme de justification : tout doit circuler : l'air, les gens, l'argent. Un programme : aérer, unifier, embellir.

Il lui fallait un homme fort, un roc que n'ébranleraient ni les plaintes ni les récriminations pour transformer la capitale, la moderniser. La rehausser au rang des capitales européennes. Haussmann a été celui-là. Une brute insensible diront ses détracteurs. Un visionnaire, certes inaccessible à la nostalgie puisque la propre maison de son enfance a été sacrifiée à la cure de rajeunissement, diront les autres.

Expropriation. La lettre qui tue le souvenir. La lettre qui efface de la surface de la terre des lieux de vie. La lettre qu'ont reçue tous les propriétaires des bâtiments situés sur le tracé des grands boulevards dessinés par les urbanistes missionnés par le préfet Haussmann. Condamnés qu'ils étaient à voir disparaître les lieux qui avaient abrité leur enfance, leurs amours, la mémoire de leurs ascendants. Ils étaient nés, avaient grandi et étaient morts entre ces murs. Tués une deuxième fois par la folie d'un être déterminé à remplir la mission que lui avait confiée Napoléon III. Avec peut-être quand même l'intention de faire une grande chose pour la postérité de la capitale et pourquoi pas pour la sienne par la même occasion. En faire ce qui fait l'admiration de tous ceux qui se ruent sur les grands boulevards dits désormais haussmannien et la première destination touristique au monde dépassant Londres. Pari gagné.

Expropriation, c'est le mot qui meurtrit Rose. Dans son cœur, dans sa chair, dans sa mémoire. Au point de refuser de quitter ces murs qui ont connu son mari, défunt au jour de la réception de la terrible missive, son fils, mort aussi dans ces murs qu'on veut lui prendre, à coups de pioche. Autant de coups de pioche dans son cœur. Rose s'entête. Elle résistera à l'ogre qu'elle abhorre. Elle ira lui clamer sa peine, réclamer sa clémence au cours d'un entretien en l'Hôtel de Ville. Peine perdue.

Elle écrit à son mari défunt tout son ressentiment de l'assassinat que l'ogre veut perpétrer contre sa mémoire. Elle ne supportera pas de voir disparaître ce coin de cheminée contre lequel lui, son Armand chéri, s'asseyait pour lire son journal. de voir disparaître la chambre dans laquelle son fils s'est éteint, victime du choléra dans sa dixième année. le choléra justement. Rose ne veut pas admettre que l'insalubrité de Paris lui a pris son enfant.

Tatiana de Rosnay a pris de le parti d'exploiter un fait divers paru dans le Petit Journal du 28 janvier 1869 pour évoquer le drame qu'ont vécu les propriétaires des vieux bâtiments situés sur le tracé des nouveaux grands boulevards. Pour sortir Paris du moyen-âge. Un roman que l'on pourrait qualifier d'épistolaire puisque le procédé choisi par l'autrice est de lui faire rédiger une lettre destinée à son cher Armand. Sachant très bien qu'elle restera lettre morte. Mais qui peut être dira à la postérité son amertume et sa rancœur, la souffrance de ces petites gens lorsqu'ils ont reçu la fameuse lettre engageant le grand chantier décrété d'utilité public et d'hygiène pour la renommée de la capitale. Décrété assassin de ses souvenirs par Rose.

Le procédé est quelque peu artificiel, mais il a le mérite de rappeler à celui qui s'ébahirait devant les perspectives de la capitale, qui ouvrent toutes sur des monuments prestigieux en les dégageant à leur vue des badauds, ces grandes façades agrémentées de riches modénatures, que leur admiration a comporté son lot de larmes.


jeudi 6 janvier 2022

Les graciées ~~~~ Kiran Millwood Hargrave


 

On pourrait dire que ce roman historique de Kiran Millwood Hargrave nous conte une histoire de sorcières. Mais ce serait prendre le parti de ceux qui, en qualifiant ainsi les femmes qu’ils voulaient éliminer, exerçaient l’abus de pouvoir que leur autorisait leurs position et statut.

Au XVIIème siècle la puissance était apanage d’une église qui n’admettait ni concurrence ni contradiction. Qualifier de sorcellerie et condamner pour ce motif était le moyen le plus sûr et le plus expéditif pour se débarrasser de celles et ceux qui ne se rangeaient pas sur ses bancs. L’église ayant pris la précaution de gagner le pouvoir temporel à sa cause pour en faire son bras armé. Une manière aussi de se disculper de la violence induite par sa volonté de conquérir le monopole de la gouvernance des consciences.

Cet ouvrage tient son intrigue à l’extrême nord de la Norvège, en pays lapon. En une contrée où un peuple rude vit de l’élevage du renne et n’a que faire d’un dieu voulant s’imposer dans son environnement inhospitalier. Mais c’est oublier la pugnacité des prêcheurs de ce dieu. Un dieu qui n’admet pas que des êtres, ne se connaissant pas d’âme, puissent diriger leurs dévotions vers les esprits d’une Nature qui commande à leur vie. C’est ainsi qu’Abaslom Cornet, venu de la lointaine écosse où son roi Jacques IV a rédigé un traité de démonologie, se mets en demeure de faire rejoindre le troupeau du Seigneur à ces brebis égarées. Les récalcitrants auront tôt fait d’être éradiqués. Il suffit de les taxer de sorcellerie, avec le sort qui s’attache à pareil engeance.

La technique est rodée. Il n’y a rien à prouver. Les dénonciations suffisent. Les rancœurs et jalousie fleurissent aussi bien dans les steppes glaciaires que partout sur cette vieille terre. Une chose et son contraire feront ensuite très bien l’affaire pour convaincre l’accusé du tort dont on veut l’affubler. Il n’est que de lire l’une des méthodes de persuasion pour le confirmer : l’accusé est précipité dans la mer glacée. S’il se noie il est innocent. S’il en réchappe, c’est que le diable est venu à son secours, il est donc coupable. Il se réchauffera sur le bûcher. L’alternative est engageante.

Cet inquisiteur des terres septentrionales a convolé en justes noces quelques jours avant de prendre son poste en ces terres inhospitalières. Son épouse ne tarde pas à découvrir le monstre qui partage sa couche et pour lequel elle éprouve vite de la répulsion. Celle-ci prend fait et cause pour une villageoise du cru, qui de servante est devenue sa confidente et avec laquelle elle bâtit une relation dont la spontanéité et la sincérité lui font connaître un sentiment absent de sa vie conjugale. Avec toute la prudence que le contexte historique et sociologique imposait aux femmes en particulier en ces temps d’obscurantisme.

L’intrigue monte très progressivement en intensité dramatique et impose aux sentiments une longue maturation avant de se déclarer dans leur complète ferveur. Kiran a su restituer l’austérité du siècle et du milieu au point de gagner son lecteur à l’atmosphère d’indigence et de peur qui pouvait régner sous ces latitudes et sous la férule d’une église conquérante. L’ouvrage peut même parfois en devenir rebutant, présenter des longueurs notamment en ses premières parties. Mais cela reste un bon roman dont le contexte historique est rehaussé par cette relation singulière et touchante qui s’établit entre deux femmes dans une atmosphère glaciale et tendue. J’ai trouvé toutefois que le style souffrait d’une traduction trop moderne, ôtant de la patine au texte, sauf à ce que la version originale l’impose bien entendu. Les dialogues sont intégrés au texte et manque d’évidence à la lecture, il faut être attentifs aux guillemets pour ne rien manquer des échanges.

Un ouvrage qui met aussi l’accent sur la condition féminine quand le mâle dominant veillait au grain pour ne rien perdre de ses prérogatives. Un roman que j’ai rapproché d’une lecture précédente, Les sorcières de Pendle de Stacey Hall qui abordait le même thème dans l’Angleterre de Jacques 1er. (Jacques IV d’Ecosse était devenu roi d’Angleterre sous le nom de Jacques 1er).


vendredi 31 décembre 2021

Un long chemin vers la liberté ~~~~ Nelson Mandela

 



Je termine mon année de lecture en beauté avec un poids lourd de l'édition, moins du fait de ses 750 pages que de la qualité de son auteur : Nelson Mandela. Un homme qu'on ne présente plus à l'échelle de la planète. Nul n'ignore qu'il a consacré sa vie à lutter pour la liberté de son peuple. Pour faire valoir que la couleur de la peau ne devait être un critère de sélection pour quoi que ce soit. Bien persuadé que je suis que cette sentence ne dit rien des souffrances endurées par les peuples qui ont eu vécu l'apartheid du mauvais côté de la ligne tracée physiquement et assumée par ceux qui en étaient les auteurs.

27 années de prison, cela pèse lourd dans une vie quand on n'a voulu que défendre ses opinions, prenant pour modèle le mahatma Gandhi et répondre à la violence par la non-violence.

Un ouvrage qui nous fait envisager qu'il est dans l'espèce humaine des individus d'une dimension supérieure, et que celle-ci n'a que faire de la force ni de la couleur de peau. Mandela a surpassé, du fait de son engagement auprès de son peuple, de la pugnacité et l'endurance qui ont été les siennes, tous ceux qui ont cherché à le dénigrer si ce n'est l'anéantir. Ceux-là même qui se targuaient d'appartenir à une race auto proclamée supérieure et dont le seul mérite était celui de la naissance.

Il a dû développer des prouesses d'ingéniosité pour dissimuler ses écrits. Il les avait entamés dès sa captivité, habité qu'il était de la conviction que les temps futurs lui donneraient raison. Sans savoir si cette perspective lui aurait permis de connaître quelques jours de liberté avant de quitter ce monde si dur pour son peuple.

Son engagement auprès de ce dernier a été si accaparant que sa vie familiale a été sacrifiée au profit de ses frères de couleur. Il en avait pleine conscience mais s'était imposé la dévotion à ces derniers, primo occupants du pays, opprimés par des colons venus d'ailleurs, drapés d'une supériorité que leur conférait le développement de leur civilisation d'origine.

Où l'on se rend donc compte que le développement des valeurs humaines ne va pas de pair avec le développement technologique et industriel, encore moins avec la couleur de peau. Il faut lire pareil ouvrage pour se faire une idée de ce que pouvaient être les conditions de vie des sud-africains noirs sous le régime de la ségrégation mise en oeuvre et assumée par la minorité blanche.

L'ouvrage se termine à la veille de son accession à la présidence de la toute jeune république sud-africaine. Nelson Mandela nous relate 70 années de souvenirs avec une précision stupéfiante. le plus étonnant restant son absence de rancune à l'égard des anciens oppresseurs, les garantissant de toute revanche. Il avait aussi la lucidité et l'humilité de reconnaître que le nouveau départ de ce pays ne pouvait se faire sans eux.

A la clôture de pareil ouvrage on se satisfait d'avoir vécu assez pour connaître la conclusion heureuse de cette période sombre de l'histoire de l'humanité. On ne peut que se confondre en admiration devant la grandeur d'un tel personnage. Il aura eu la force et la sagesse de sortir son peuple du gouffre la noirceur de l'âme humaine en évitant la guerre civile. Cette noirceur se dissimulant sous une peau blanche.

vendredi 17 décembre 2021

Les Lys pourpres ~~~~ Karin Hann



Véritable ouvrage d’histoire tant la romance est documentée et construite à partir de faits avérés, Les Lys pourpres est une forme de plaidoyer pour une reine souvent critiquée en partie pour son rôle dans le massacre de la Saint-Barthélemy. Il traite de la période où Catherine deMédicis était dauphine du royaume, puisque épouse du futur roi Henri II, puis reine avec l’accession de ce dernier au trône dans la succession de son père François 1er. L’ouvrage s’arrête lors de la disparition d’Henri II, mortellement blessé lors d’un tournoi en 1559. Décédé en dépit des « soins » d’Ambroise Paré dont l’évocation dans cet ouvrage donne quelques frissons dans le dos. Il est vrai que nous sommes devenus délicats en notre temps de refus de la douleur.

Jusqu’à la mort de son royal époux, Catherine de Médicis n’a pu jouer qu’un rôle de figurante dans la vie de la cour, reléguée qu’elle fut dans les pensées de celui-ci qui lui préférait Diane de Poitiers, pourtant de vingt ans son aînée. C’est cette période de la vie de Catherine de Médicis que Karin Hann a choisi d’évoquer dans ce roman très bien mené à mon goût, citant en bas de page ou en annexe toutes les références historiques. 23 ans à avaler des couleuvres pour cette femme intelligente et fort cultivée avec ce mari qui négligeait, voire la rabaissait y compris publiquement, au profit de celle qui le consola de sa captivité en otage de Charles Quint. Karin Hann met en exergue la sincérité de ses sentiments non seulement à l’égard d’un époux ingrat mais aussi de son pays d’accueil.

Karin Hann s’est attachée à démontrer le pouvoir qu’était celui des favorites, Anne de Pisseleu auprès de François 1er puis Diane de Poitiers auprès Henri II, sur leur souverain, le poids de leur influence politique et l’âpreté à préserver leur position au bénéfice de leur enrichissement personnel comme il se doit. Il faut dire que leur temps de grâce ne durait que ce que durait leur royal amant. La relégation était parfois brutale et sévère pour qui avait goûté aux ors des palais. Mais il ne nous viendra quand même pas à l’idée de plaindre ces courtisanes lors de leur « veuvage » tant leurs faveurs étaient commandées par l’intérêt au détriment la sincérité des sentiments.

L’héroïne de cet ouvrage reste cette reine effacée aux yeux de son époux, condamnée qu’elle était à pourvoir le royaume en héritiers et successeurs de leur père. Après une longue période d’infertilité elle eut dix enfants dont trois succédèrent à leur père sur le trône, les voyant disparaître tour à tour, et deux reines, une d’Espagne épousant Philippe II le fils de Charles Quint et l’autre en tant qu’épouse d’Henri IV, la reine Margot. Ce qui valut à Catherine de Médicis, après la mort de son époux de gouverner le pays en arrière-main, main de fer dans un gant de velours, tant elle était intelligente et au sens politique développé, et ce pendant trente ans en régence de rois juvéniles ou faibles de caractère.

Bel ouvrage qui se lit comme un roman puisqu’il en est un, avec lequel on perçoit sans ambages le parti pris de Karin Hann de rendre figure humaine à une reine dont on a trop retenu l’austérité au détriment de ses qualités d’épouse, de mère, de femme tout simplement. L’autrice rejoint le camp de ceux qui voient en cette reine une personne de compromis et non celle soufflant sur les braises qui couvaient entre catholiques et protestants. Ouvrage agréable à lire et propre à réconcilier ceux que l’histoire rebute pour son langage pompeux ou abscons et s’effraieraient de devoir maîtriser les arbres généalogiques des familles royales pour appréhender le contexte. Il se lit très bien par tout-un-chacun sans être féru d’histoire. Il paraît que cela existe.


Citations

"Au royaume de France, c'était les favorites qui portaient culotte." 

"Voyons François, ce n'est pas à toi que je vais dire que c'est dans les jupes des dames que se prennent les décisions les plus Importantes."

 

L'aube à Birkenau ~~~~ Simone Veil



Dans les camps, des barbelés les enfermaient à l’écart du reste du monde. Rescapés, une barrière est restée. Une séparation persiste entre ceux qui ont connu cette funeste expérience des camps de la mort et les autres. Il y avait ceux qui étaient dedans et les autres nous dit George Semprun dans Le grand voyage. Les premiers savent que nul ne peut envisager, imaginer et même croire à cette vie hors du temps, hors de l’humanité. Mais au-delà de ce souvenir de l’enfer, l’amertume qui assombrit renaissance à la vie des rescapés est de constater, de déplorer que leur expérience ne rend pas le monde meilleur.

Voilà un ouvrage auquel nul ne peut rester insensible. Emotion pure que les paroles retranscrites par David Teboul dans ce recueil d’entretiens en forme de témoignage de la part de cette grande dame dont la gravité nous troublait lorsqu’il nous arrivait de la voir à l’écran : Simone Veil.

Outre le texte, cet ouvrage comporte nombre de photos : les visages fermés de ceux qui ont échappés au sinistre destin auxquels ils étaient promis, les visages juvéniles de ceux qui le resteront parce que figés pour l’éternité. Des photos qui fendent le cœur quand on sait qu’elles nous disent l’innocence, l’espoir d’avenir qu’il y avait dans les yeux des enfants. Que leur sourire a été effacé par une volonté humaine, laquelle avait conçu et mis en œuvre une industrie de mort.

Simone Veil nous raconte les camps. Et la vie après. Quand il a fallu vivre avec ce souvenir qui lui a volé son adolescence. David Teboul lui a suggéré des entretiens avec d’anciens déportés : sa sœur Denise, Marceline Loridan-Ivens, Paul Schaffer pour qu’ils échangent leurs souvenirs. Sachant qu’entre eux il n’y aurait pas cette barrière de l’incrédulité. Car même ceux qui ont visité Auschwitz-Birkenau ou autre sinistre lieu de mémoire ne peuvent se faire la moindre idée de ce que c’est d’avoir été déchu de son statut de personne humaine, et promis au sort des choses : l’incinération ou l’enfouissement sans autre forme de considération.

Les chapitres sont séparés de pages entièrement noires. Les mots sont lourds de souvenirs glaçants. Les visages sont beaux et graves. Les sourires appartiennent au passé, avant les camps. Après, c’est la maturité sévère. Le regard tourné vers l’intérieur, vers la mémoire. Voile noir tendu au travers d’un chemin de vie.

Ils resteront des personnages solitaires de ne pas être compris à hauteur du traumatisme subi par un monde oublieux et futile. Leur peur est désormais de voir à nouveau le voile noir fermer l’horizon. Tant que l’enfant n’est pas tombé, on peut lui dire que le sol est glissant. Il ne le croit pas.

Grande, grande restera cette dame qui a mis toute ses forces dans le combat pour que l’humaine nature n’oublie pas qu’elle porte aussi en elle le gène du mal, et que celui-là il ne faut le laisser prospérer. Pour que cela ne recommence pas. Jamais. 


Citations de Simone Veil

" Quand on vous a traitée comme de la viande, il est difficile de se convaincre qu'on est resté un être humain."

" Pourrions-nous à nouveau vivre normalement ? Une frontière séparait les humains, ceux qui revenaient des camps et les autres. Nous étions passés de l'autre côté. Je crois que nous ne sommes jamais redevenues Normales. En apparence nous avons vécu comme les autres, mais nos réactions intimes sont restées différentes..." 
"On peut accuser les Français de ne pas avoir accueilli plus grand monde, mais il faut restituer les événements dans leur contexte."

Citations de Paul Schaffer (entretien avec Simone Veil)

"Ce qui m'attriste, c'est de penser que notre expérience et le prix si élevé que nous avons payé n'ont pas réussi à rendre l'humanité un tant soit peu meilleure, plus pacifique, plus respectueuse d'autrui."

" Nous sommes devenus des personnes sans ombre. Nous n'avons pas vécu notre adolescence. A la place, il y a un trou béant. Ce vide a joué un rôle important dans notre comportement ultérieur." 

" Cette expérience-là est particulièrement intransmissible." 

samedi 11 décembre 2021

Mademoiselle Papillon ~~~~ Alia Cardyn

 


Voilà un ouvrage qui a percé la cuirasse derrière laquelle s’abrite mon émotivité. Parvenu au point final, il a fallu que je relise les passages évoquant la courte vie du petit Anatole pour l’un, le mutisme douloureux de la petite Madeleine pour l’autre. Un ouvrage qui rend hommage aux héros anonymes au travers du portrait de Mademoiselle Papillon. Elle a fait partie de ces personnes réellement désintéressées qui ne cherchent de gloire que dans le sourire des autres.

Lorsqu’elle décide de créer un préventorium pour accueillir les enfants démunis des suites de la première guerre mondiale et qu’on lui alloue l’ancienne abbaye désaffectée de Valloires dans la Somme, c’est par pur amour pour la petite personne qu’est l’enfant qu’elle s’engage dans cette prodigieuse entreprise.

Mademoiselle Papillon, un nom si beau pour si belle histoire. D’autant plus belle que celle-ci est vraie. Une histoire qui a touché Alia Cardyn à l’occasion de la visite de l’abbaye de Valloires au point de lui insuffler la volonté de faire connaître Mademoiselle Papillon pour très certainement réparer l’injustice de la savoir méconnue, sinon de façon confidentielle.

Mais Alia Cardyn a voulu aller au-delà d’une simple biographie de la courageuse demoiselle. C’est comme cela que je perçois son ouvrage. Elle a choisi le genre romanesque pour faire valoir l’abnégation de ces héros du quotidien, ceux et celles qui travaillent dans l’anonymat d’une profession et donnent leur temps, leur énergie et finalement leur cœur pour que la vie d’autres soit moins rude. Surtout s’il s’agit de préserver le capital d’innocence avec lequel naît la personne. C’est à mon avis pour cela qu’Alia Cardyn a conçu ce roman. Il érige une passerelle entre l’histoire vraie d’une héroïne la plus pure qui soit et ceux qui modestement œuvrent au bien commun en rehaussant leur action d’une vraie part d’humanité. Donnant ainsi un sens à leur vie

« Il faut vivre les mains ouvertes pour mourir les mains pleines. »

Un roman qui joue sur deux époques et fait vibrer la corde sensible sans sombrer dans la mièvrerie. Un subtil dosage entre l’hommage et le rappel à l’ordre de l’individualisme qui prévaut dans notre société contemporaine leurrée par le confort. Mais un roman optimiste malgré tout. Il comporte une aventure amoureuse, histoire de faire contrepoids aux mauvais penchants qui trop souvent ternissent l’image de la nature humaine.

Ce qui m’a séduit dans ce roman est évidemment et en premier lieu l’intention de faire connaître une héroïne discrète de notre histoire. Ce genre de personne qui déplace des montagnes grâce à leur seules volonté et force de caractère. Pour vaincre non seulement les difficultés mais aussi et surtout les peurs : mademoiselle Papillon n’a pas hésité à cacher des enfants juifs au nez et à la barbe des Allemands qui occupaient une partie de l’abbaye entre 1940 et 1944.

Ce roman a aussi une valeur universelle en matière de leçon de vie. C’est le but de cette passerelle entre l’histoire de Mademoiselle Papillon et celle de Gabrielle, la narratrice de l’époque contemporaine. Elle se bat dans son service de néonatalogie pour rendre moins techniques et plus chaleureux les soins apportés aux nouveau-nés prématurés impliquant tous les intervenants, qu’ils soient parents ou praticiens.

Un vrai beau moment de lecture qui parachève le parfait équilibre des émotions, couronné par un épilogue qu’on n’attend pas et clôt ce roman avec une belle intelligence d’auteure. 


Citations

Page 266 : "Nos heures silencieuses avaient tissé un lien dont je ne mesurais pas la force. Nos présences sans mots avaient suscité une intimité rare, celle de deux êtres qui attendent la fin de quelque chose."

Page 237 : "Rien n'est plus fort qu'un souffrance silencieuse."

Page 224 : "Le temps qui n'est pas consacré aux autres est du temps  perdu" 

Page 176 : "Est-ce immature d'espérer que le sublime demeure intact ?" 

mercredi 8 décembre 2021

Les sorcières de Pendle ~~~~ Stacey Halls



Ce roman m’a remis en mémoire l’excellent ouvrage de Yannick Grannec : Les simples. Tous deux ont inscrit leur intrigue en un 16ème siècle où la guérison d’un malade tenait du miracle. Miracle dont la religion officielle ne voulait surtout pas se faire voler le bénéfice par quelque savoir empirique concurrent de la croyance imposée. Un guérisseur par les plantes avait tôt fait d’être qualifié de sorcier si d’aventure sa science remettait sur pieds un malade dont la toute puissante institution avait déjà fait un client au jugement dernier. Et bien entendu, cette qualification avait d’autant plus de chance d’être retenue si le guérisseur était une guérisseuse. Haro sur la sorcière.

« Etes-vous comme le roi, à penser que toutes les guérisseuses et les sages-femmes exécutent l’œuvre du diable ? ». Le roi en question c’est Jacques 1er d’Angleterre- conjointement 4ème du nom en Ecosse. Il avait fait de la chasse aux sorcières une obsession, y compris en écrivant un traité de démonologie lequel laissait aux accusées bien peu de chance d’échapper à la vindicte royale, sous légitimation de volonté divine bien évidemment. Le drame étant que pour être accusée point n’était besoin de preuve. Une simple dénonciation suffisait et peu importe si celle-ci était dictée par quelque rancœur ou jalousie.

A l’instar de celui de Yannick Grannec, on retrouve dans cet ouvrage des femmes douées de la connaissance des plantes - l’écorce de saule notamment dont on sait qu’elle sera à la base de l’aspirine quelques siècles plus tard. Ce pouvoir donné à des femmes est aux yeux de la gent masculine une source de suspicion quant à une velléité d’émergence de la condition dans laquelle elles sont entretenues. Condition qui s’apparente à celle du bétail selon l’héroïne de cet ouvrage, faisant référence au rôle qui les cantonnait à la reproduction de l’espèce. Chaque naissance suscitant au passage l’espérance d’une descendance mâle, au point de faire dire à l’héroïne des Sorcières de Pendle : « Je ne souhaite de fille à personne ».

On aura compris que ce roman est aussi et surtout un roman féministe. Fleetwood Shuttleworth, l’héroïne de cet ouvrage se bat pour extirper des griffes d’une justice aux ordres, arbitraire et expéditive des femmes accusées de sorcellerie, dont sa propre sage-femme. Mais le propos est plus général quant à la condition de la femme. Stacey Halls se joint à sa compatriote Virginia Woolf (*) pour regretter, du fait de ce statut avilissant « d’objet décoratif » dont elles sont affublées dans la société contemporaine de Shakespeare, de savoir ses consœurs avoir été empêchées d’écrire. Stacey Halls participe au rattrapage avec bonheur avec cet ouvrage. 

Les sorcières de Pendle est ouvrage intéressant, fondé sur des faits historiques. J’ai regretté toutefois le vocabulaire et les tournures syntaxiques quelque peu anachroniques qui ôte à cet ouvrage une part de sa teinte séculaire. Stacy Halls a toutefois le mérite d’avoir défendu avec ferveur la mémoire de ces pauvres femmes sans produire une diatribe enflammée contre une misogynie institutionnalisée. On ne refait pas l’histoire avec des colères rétrospectives. Mais on peut en tirer des enseignements …

Même si l’eau qui a coulé sous les ponts depuis Jacques 1er n’a pas encore lavé toute l’avanie d’un rapport de force déséquilibré, les sorcières modernes ont aujourd’hui pignon sur rue. Mais un maléfice ne pouvant être annulé que par celui qui l’a infligé, il reste encore du travail pour que le mâle concède le rééquilibrage des genres. Si l’on en croit ce qu’on nous assène régulièrement à nous qui nous accrochons à notre piédestal.

(*) Une chambre à soi – Virginia Woolf

jeudi 2 décembre 2021

Louis Jouvet ~~~~ Olivier Rony



« Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent. » Prenons acte de cette épigraphe que le docteur Knock attribue à Claude Bernard et adresse à son confrère Parpalaid dont il reprend la clientèle. Cela fait partie des répliques culte qui me ramènent à l’esprit le portrait de Louis Jouvet, ce géant par la taille et par le talent qui était « dévoré par le théâtre » au point dans la première moitié du 20ème siècle d’en être la figure symbolique. Olivier Rony nous en adresse une fort belle biographie aussi précise que vivante.

Sauf que cette précision ne s’applique pas de la même manière à sa vie privée. Jouvet avait certes femme et enfants, mais l’ouvrage d’Olivier Rony nous donne véritablement l’impression que la vie de famille ne pesait pas lourd en face de la vie professionnelle de celui que ses parents avaient orienté vers une carrière de pharmacien. Il en a certes obtenu le diplôme, mais ce dernier n’a pas pu rivaliser avec l’appel de la scène qu’il a préférée à l’officine.

Son épouse, qui l’a accompagné sa vie durant, est restée dans l’ombre du personnage au point de n’être mentionnée que de façon anecdotique dans l’ouvrage d’Olivier Rony. Le maître, il est vrai, n’eut pas seulement de double vie celle de ses personnages. Ses rencontres favorisées par le métier et ses pérégrinations à l’occasion de ses tournées en Europe et sur le continent américain ont laissé bien peu de place à la discrète Else Collin qu’il avait épousée en 1912. C’est en tout état de cause ce que nous laisse comprendre l’ouvrage d’Olivier Rony.

Beaucoup de sources documentaires citées dans cet ouvrage sont tirées de la correspondance foisonnante que Jouvet échangeait avec ses interlocuteurs du métier. Dans un milieu et à une époque où l’art épistolaire avait ses lettres de noblesse, cette correspondance laissée à la postérité en dit long sur la vie ses auteurs. Elle nous fait pénétrer l’intimité de ces personnages et leur redonne vie dans ces pages. On en arrive à se demander ce qu’il restera de nos échanges contemporains effectués à grand renfort de SMS, mail, téléphone dans un langage d’abréviations et acronymes qui assassine la grammaire et rend les échanges inaccessibles à la compréhension à qui n’est pas averti du contexte.

Olivier Rony restitue à merveille la forte personnalité de ce ténor des tréteaux qui dès son plus jeune âge a su s’imposer comme nul autre dans tous les métiers du théâtre : acteurs au premier chef bien entendu mais aussi, régisseur, metteur en scène et directeur de théâtre avant de prendre la direction du conservatoire et de porter ses rôles à l’écran dès la parole donnée au 7ème art. Car Louis Jouvet c‘était surtout une présence et une voix qui conféraient au personnage une ampleur inégalée.

Le personnage avait cette certitude de lui-même au point d’écrire à l’un de ses proches dans le métier : « Pour ce qui est de Molière, vois-tu, je ne reconnaîtrai à personne, à personne, tu m’entends ? le droit de me donner des leçons. Parce que – dussé-je te paraître présomptueux -, je ne crois pas qu’il existe au monde un moliériste plus averti que moi, plus objectif, plus consciencieux que moi. » A bon entendeur salut !

Knock ou le triomphe de la médecine de Jules romain, dont le rôle était taillé sur mesure pour Louis Jouvet, est avec plus de mille représentations rien qu’à Paris la pièce qui a assuré à son acteur fétiche pendant les périodes de vaches maigres le fonds de commerce qu’il avait méprisé de ses études de pharmacie. Bien qu’en son esprit le cinéma ne peut « concurrencer la pureté, la simplicité et la noblesse d’un art né du souffle dionysiaque pour offrir une parole poétique aux hommes de la cité », Jouvet a eu la bonne inspiration d’immortaliser son génie d’acteur sur la pellicule sous la direction de Guy Lefranc en 1951, l’année de son ultime salut au public.

Alors « Ne confondons pas, est-ce que ça vousgrattouille ou ça vous chatouille ? » Ni l’un ni l’autre cher maître parce qu’à la lecture de cette biographie, à la vision de ces classiques qui portent l’estampille de Louis Jouvet on n’a que l’envie tirer son chapeau à celui qui fut le théâtre et eut la bonne inspiration de faire imprimer sur la pellicule son jeu inimitable, pour notre plus grand plaisir à nous spectateur d’un autre temps.


Ses lieux de vie professionnelle les plus importants

Théâtre du Vieux Colombier - Paris 6ème

 Théâtre du Vieux Colombier - Paris 6ème

Théâtre de l'Athénée - Paris 9ème


Théâtre des Champs Elysées - Paris 8ème

Théâtre du Conservatoire National d'Art Dramatique - Paris 9ème

Citations de Louis Jouvet

« Je me suis trouvé un jour au théâtre, dans une salle, puis sur la scène : je m’en étonne encore moi-même. Cet étonnement ne me gêne pas, il me plaît et me satisfait. Le plus estimable, le plus heureux dans la vie est de s’étonner. »

" Ne l'oubliez pas c'est quand le rideau se lève que votre vie commence, il ne tient qu'à vous qu'elle continue le rideau baissé."