Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mardi 27 juin 2023

La main de Dieu ~~~~ Valerio Varesi

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J’ai fait cette belle découverte dans une boite à livres. Aussi pour me faire pardonner auprès de l’auteur de ne pas avoir apporté ma contribution au soutien de son talent, je me fais le devoir de déclarer ma satisfaction les pages de Babelio.

J’aime en effet ces polars dans lesquels le sang ne colle pas les pages, dans lesquels le flic se sert de sa jugeote plus que de son flingue. Pas de mise en scène sordide, de crime rituel, de fou cinglé qui fracasse des vies au hasard. Et pourtant on ne s’y ennuie pas le moins du monde. La preuve pour moi qu’on peut faire du polar moderne - car le contexte est actualisé - sans sombrer dans le glauque racoleur.

Lorsque le torrent impétueux qui dévale la montagne livre un cadavre sur ses berges, à l’approche de Parme, le commissaire Soneri comprend vite qu’il va devoir remonter à la source pour trouver l’origine de cette découverte morbide. Son auteur surtout, car le meurtre ne fait aucun doute.

Il n’a rien d’un super héros au pistolet greffé ce commissaire. Son style le fait qualifier de Maigret parmesan en quatrième de couverture par la critique littéraire du Point. Je la rejoins quant à ce ressenti. Valerio Varesi nous livre un polar d’ambiance dans lequel décor et psychologie des personnages sont restitués avec soin. 

L’omerta sévit aussi en milieu montagnard. Chaque vallée est un microcosme. Outre son expérience, il faut beaucoup de psychologie à ce flic de la ville pour conduire son enquête. De sang-froid aussi, pour ne pas se laisser impressionner par les taiseux au regard agressif ou les viandards exubérants qui rentrent de la chasse excités par leur course au gibier.

Quelques belles réflexions sur la condition humaine, son rapport à la religion, qui n’est jamais très loin en Italie, rehaussent les habituelles procédures du limier parmesan. Ce subtil dosage nous conduit vers un dénouement qui, bien qu’on le voie venir d’assez loin, ne perd rien de sa valeur grâce à la teneur de la joute verbale qui le couronne.

La main de Dieu est un très bon polar qui ne se sent pas obligé de sombrer dans le sensationnel pour entretenir l’attention de son lecteur. La réalité est assez méprisable comme ça.

Figurez-vous qu’il y en avait un autre polar du même auteur dans la boite à livres. Je ne vais donc pas me priver de faire plus amplement connaissance avec ce flic fréquentable. C’est vrai qu’il a un style bien à lui sous la plume de Valerio Varesi. 



vendredi 16 juin 2023

Les philosophes sur le divan ~~~~ Charles Pépin

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À se creuser la tête à force de raisonner les philosophes deviendraient-ils névrosés ?
La confrontation de la psychanalyse avec la philosophie est une situation que j'avais déjà expérimentée avec un auteur comme Irvin Yalom et ses excellents ouvrages tels que Et Nietzsche a pleuré, La méthode Schopenhauer ou encore le problème Spinoza.

Mais pour le coup avec cet ouvrage, Charles Pépin nous propose une mise en scène aussi inattendue qu'intéressante. Débarrassée de la notion de chronologie elle convoque sur le divan du pape de la psychanalyse, Sigmund Freud, les philosophes tout aussi éminents dans leur domaine que sont PlatonKant et Sartre.

Une façon d'éclairer les esprits livrés aux questions existentielles, et leur corallaire de la quête du salut obsèdant tout un chacun confronté la finitude de sa vie, avec les théories de trois grands philosophes aujourd'hui disparus. Ils s'épanchent tous trois bon gré mal gré sur le divan de celui, « qui réduit les grands délires à Papa Maman », théoricien d'un inconscient auquel il attribue les manifestations échappant à la rationalité. Inconscient que l'un et l'autre s'emploient à dénigrer sous le sceau de la morale ou de la contingence.

Platon et le « ciel des idées ». La vie est ailleurs. Philosopher c'est apprendre à mourir. Sartre catéchumène de l'existentialisme. Dieu n'existe pas. Nous ne sommes déterminés par rien. L'homme n'est que la somme de ses actes. Kant le moraliste, bien que misogyne, pour qui la raison offrira la liberté et énonce ses trois grandes questions de la philosophie : que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m'est-il permis d'espérer ?

Charles Pépin a trouvé avec cet artifice de la psychanalyse sur un divan bien contemporain de nous autres lecteurs du 21ème siècle l'espace-temps propice à développer sans autre justification forcément difficile à concevoir l'intemporalité et l'universalité de la philosophie. C'est une façon de rendre abordable au profane les grandes théories qui depuis Socrate battent en brèche la croyance pour trouver un sens à la vie et accessoirement ne faire de la mort qu'une étape de celle-ci.

Nul ne peut dire qu'il n'a pas réfléchi au sens de la vie. Tout un chacun est donc philosophe sans le savoir. A son niveau. Approfondir le sujet avec les grands penseurs est en revanche entreprise ardue qui rebute facilement. Charles Pépin nous ouvre une fenêtre sur quelques grands thèmes défendus par des éminents de la discipline en tentant cette libération de la parole salvatrice. Surement pas pour les sujets sur le divan. Ils ont tant dit et écrit. Et vécu. Mais peut-être pour le lecteur qui a quant à lui tant à s'entendre dire.

Charles Pépin nous suggère avec cet ouvrage à « entrer en philosophie pour mieux supporter sa situation en la peignant comme étant celle de tous les hommes. »

mardi 13 juin 2023

Mon enfant de Berlin ~~~~ Anne Wiazewsky

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La petite fille de François MauriacAnne Wiazemsky, y rend hommage à ses parents : Claire Mauriac et Yvan Wiazemsky, prince russe dont les parents se sont réfugiés en France au moment de la révolution bolchevique. Anne a été actrice, épousé Jean-Luc Godard, puis, le cinéma la délaissant, est devenue romancière.

Un ouvrage autobiographique d'avant naissance si l'on peut dire puisqu'il évoque l'histoire d'amour de ses parents. Une histoire somme toute assez banale. Et pauvrement restituée. Sauf à décréter que lorsqu'il s'agit d'amour banalité et pauvreté ne sont plus de mise. Surtout lorsque le contexte est celui de Berlin à la toute fin de la seconde guerre mondiale. Une ville en ruine ou errent des rescapés affamés, pétris de la peur incrustée en chaque cellule de leur corps par les bombardements alliés puis par l'entrée dans la ville d'une armée rouge bouffie de vengeance. Claire Mauriac y était alors membre De La Croix rouge particulièrement chargée du rapatriement des prisonniers des camps. Une mention spéciale y est faite au bénéfice des « malgré-nous », ces Alsaciens enrôlés de force dans la Wehrmacht, considérés comme allemands par les Russes et donc traités comme tels. Yvan Wiazemsky ayant beaucoup œuvré pour extirper quelques de ces malheureux des griffes de ses ex concitoyens.

Mon enfant de Berlin est en fait Anne, l'auteure de cet ouvrage. Le titre est trompeur, puisque Anne est la narratrice externe de cet ouvrage, ne se déclarant pas fille de sa mère qu'elle appelle par son prénom. Anne construit son ouvrage sur la base des correspondances de sa mère avec sa famille. Cela en fait une trame décousue que ne restructure pas le liant de la narration. Le style des lettres de sa mère, souvent altéré par les circonstances de leur rédaction et le caractère précipité et aléatoire du départ des courriers, n'est corrigé ni par la construction de l'ouvrage ni par le style personnel d'Anne Wiazemsky quelque peu indigent. L'ouvrage perd en plaisir de lecture.

Mais de toute lecture il faut tirer bénéfice. On le fera dans cet ouvrage avec la remise en mémoire du sort de tous ceux, les plus humbles comme souvent, qui ont pâti de l'appétit de pouvoir de leurs dirigeants. « le pouvoir est la consolation des ratés » nous dit Platon. Une consolation bien chère payée par les crédules qui se sont laissé ensorceler au discours nauséabond.


dimanche 11 juin 2023

Présentation de la philosophie ~~~~ André Comte Sponville

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Pour qui réfléchit un peu à sa raison d'être sur terre, au mystère de la vie, et donc sa finitude, et surtout à la quête du salut qui fait espérer une plénitude heureuse après la mort, s'offre à celui-là deux voies : la religion et ses dogmes, selon celle qu'il choisit, ou la raison qui dans ses développements s'exprime en philosophie. L'amour du savoir, l'amour de la sagesse.

La religion nous invite à croire. En un dieu, et un seul de nos jours. Car celles qui ont cours désormais sont monothéistes. En un dieu qui est amour, même si tous les jours on a des démonstrations du contraire. En un paradis, même si aucun signe n'est de nature à le confirmer. En devenant croyant, on règle la question du salut. Il suffit d'écouter les prophètes et leurs porte-voix. Je crois en Dieu, au paradis. Mon esprit est soulagé de cette obsession de l'après-vie. Elle ne peut-être que merveilleuse. Dieu est amour et nous accueille auprès de Lui. Je peux donc vivre ma vie dans la certitude de la félicité après la mort. Alléluia.

Pour celui qui ne croit pas, la démarche est plus compliquée. Il faut réfléchir. Il faut raisonner. Il faut philosopher. Philosopher c'est apprendre à mourir nous dit Montaigne qui l'a repris de quelqu'un d'autre. Philosopher pour vivre sa vie pleinement, humainement.

Tout le monde philosophe sans le savoir. À son niveau. Avec ses moyens intellectuels et sa culture. Mais si l'on veut approfondir le sujet et accéder à la sagesse, qui seule peut permettre de vivre sa vie d'homme, il faudra s'investir personnellement. Travailler, lire les ouvrages de tous ces gens qui sont devenus des philosophes reconnus depuis que l'écriture nous en rapporte les réflexions. Même celles de ceux qui n'ont rien écrit, tel Socrate. Il avait pourtant pignon sur rue dans le domaine. Platon a fait ce travail de laisser la trace écrite de ce que Socrate confiait à l'oreille, à l'esprit de qui voulait lui prêter attention et crédit.

André Comte-Sponville qu'on ne présente plus en la matière nous adresse cet opuscule dans lequel il a rassemblé douze textes de son cru. Des sujets choisis par lui pour mettre le pied à l'étrier de la philosophie à qui voudrait s'ouvrir à cette discipline alternative à la croyance. Nous mettant en garde en disant que l'effort de vulgarisation qu'il fait n'est pas l'ouverture d'un chemin facile. Philosopher de manière avisée demande de s'atteler aux écrits des philosophes, les vrais, les anciens et les modernes, autant d'éminents penseurs qu'il appelle à son argumentation, et là c'est du sérieux.

Pour les autres, ceux qui ne croient pas et qui ne veulent pas s'investir à acquérir quelque sagesse, il y a la fête. le divertissement. Divertissement qu'il faut entendre au sens de détournement de l'esprit : oubli, ou plutôt mépris de sa condition de mortel. Tous les moyens leur sont bons depuis le grand huit de la Foire du trône jusqu'aux paradis artificiels de l'alcool et de la drogue en passant par la discothèque où les décibels martèlent à ce point les neurones qu'ils en chassent l'idée de la mort.

Alors, disons-le tout net, les temps sont durs pour la croyance et la raison. L'époque n'est plus à l'ascétisme ou à l'effort. Aussi pour appâter le chaland faut-il vulgariser. C'est un peu la raison d'être de pareil ouvrage de l'éminent philosophe. Car il en est, de plus en plus nombreux, pour croire en une troisième voie : la science. Elle sait déjà nous soulager de la douleur. Elle saura bien le faire de la mort. Sans compter sur l'intelligence artificielle. Elle va supplanter celle qui jusqu'à aujourd'hui a différencié l'homme de l'animal. Elle n'aura pas d'obsessions macabres. L'éternité est peut-être là ?


jeudi 1 juin 2023

L'appel de la tribu ~~~~ Mario Vargas Llosa

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"Le monde romanesque n'est que la correction de ce monde-ci" nous dit Albert Camus dans L'homme révolté. A explorer l'œuvre de Mario Vargas Llosa, voilà une assertion que l'on peut mettre au crédit de l'œuvre de ce dernier. de la même façon qu'avec cet ouvrage dans lequel le prix Nobel de littérature convoque sa tribu, ceux-là même qui ont concouru à la genèse de sa pensée politique, à l'instar d'un Albert Camus il sait revêtir le costume du philosophe. Philosophie qu'il applique ici à la politique avec cet ouvrage autobiographique dans lequel il nous décrit l'évolution de sa pensée en la matière. Comme pour beaucoup, la maturité formant l'homme, elle a évolué de l'utopique vers le pragmatisme libéral.

Libéralisme dont il nous détaille sa conception. Se défendant de le réduire à une recette économique des marchés libres, l'orientant vers une « doctrine fondée sur la tolérance et le respect devant la vie, d'amour de la culture, de volonté de coexistence avec l'autre et sur une ferme défense de la liberté comme valeur suprême. » Mais selon lui, le libéralisme ne fonctionnant qu'avec des convictions morales solides l'intervention de l'Etat peut s'avérer nécessaire selon un dosage subtil qui devra écarter toute tentative d'hégémonie du collectif sur l'individu. L'écueil étant cet étirement vers les extrêmes que le discours populiste tente de faire, à droite comme à gauche.

Evoquant au passage le paysage politique français, qu'il connaît bien pour avoir séjourné en notre pays, Mario Vargas Llosa met en avant le fait que les belles intentions affichées au fronton de nos édifices publics peuvent comporter leur lot de contradiction. « Ainsi pour établir l'égalité, il n'y aurait d'autre remède que de sacrifier la liberté, d'imposer la contrainte, la surveillance et l'action toute puissante de l'Etat. Que l'injustice sociale soit le prix de la liberté et la dictature celui de l'égalité – et que fraternité ne puisse s'instaurer que de façon relative et transitoire, pour des causes plus négatives que positives, comme celui d'une guerre ou d'un cataclysme qui regrouperait la population en un mouvement solidaire – est quelque chose de regrettable et difficile à accepter. » Mais selon lui, ignorer ces contradictions serait plus grave que de les affronter et c'est sans doute la raison de son engagement en politique, non seulement dans son œuvre mais aussi dans ses actes. N'a-t-il pas été candidat, certes malheureux, à l'élection suprême en son pays en 1990.

Dans l'appel de la tribu, Mario Vargas Llosa invite les penseurs politiques qui ont concouru à forger sa conviction, depuis le précurseur de la pensée libérale au 18ème siècle, Adam Smith, jusqu'à des Raymond Aron et Jean-François Revel au 20ème siècle. Intellectuels qu'il situe parmi les derniers célèbres pour l'originalité de leurs idées et leur indépendance, nos contemporains du 21ème siècle étant quant à eux plus préoccupés de leur image et du spectacle qu'ils donnent en apparaissant dans les médias.

Romancier philosophe ou philosophe romancier, quelle que soit l'étiquette que l'on collera au personnage on ne peut être qu'emporté par l'érudition du personnage et le talent qu'il met au service d'un humanisme lucide, vertu en laquelle il voit la sauvegarde de toute société.

L'homme est un animal politique selon Aristote, Mario Vargas Llosa l'a bien entendu et n'est pas resté spectateur des choses de ce monde. Avec cet ouvrage il nous offre l'occasion de mieux comprendre l'univers dans lequel évolue beaucoup de ses personnages romanesques. Sachant qu'avec lui de chaque roman il faut tirer une philosophie.

L'ouvrage foisonnant de substantifs en « isme » demande un effort d'implication. Il est révélateur de la puissance conceptionnelle du personnage, de ses hauteurs de vue lui permettant dans ses romans de disserter sur la complexité de l'animal social qu'est l'homme. Sa force étant de garder un discours à la portée de son lecteur le plus humble, sans toutefois amoindrir la force du message.


vendredi 26 mai 2023

La société royale ~~~~ Robertt J. Lloyd

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L'amateur de roman historique que je suis a été appâté par ce qu'on nous présente comme la premier roman Robert J. Lloyd. Il s'appuie sur l'œuvre de Robert Hooke, un scientifique anglais du XVIIème siècle qui dans cet ouvrage se trouve être le recours du roi Charles II (dynastie Stuart) afin de tenter d'élucider le mystère suscité par la mort de plusieurs jeunes enfants. Ils ont été retrouvés vidés de leur sang dans divers lieux isolés de Londres. C'est donc une forme de polar historique auquel nous convie cet auteur. Robert Hooke de la Société Royale y tient son rôle, quelque part extrapolé pour y devenir à la fois détective et médecin légiste. Il se laisse toutefois voler la vedette par son jeune assistant Henry Hunt lequel s'approprie la conduite de l'enquête. C'est en fait ce dernier qui la sort de l'enlisement.

L'écueil à éviter avec ce genre d'exercice serait celui de sombrer dans l'anachronisme scientifique en déflorant des techniques d'analyse d'un temps qui n'était pas le leur. L'impressionnante bibliographie qui a servi de base à la construction de cet ouvrage nous prouve que Robert J. Llyod, si on ne l'avait compris à la lecture de l'ouvrage, a étudié son sujet avec une précision stupéfiante. La documentation est on ne peut plus fouillée.

Reste que la connaissance ne fait pas l'ouvrage, l'écriture doit être à la hauteur. le style mis en œuvre par l'auteur est descriptif et pédagogique. L'ouvrage souffre à mon sens pour le coup de quelques longueurs. Elles pourront blaser les amateurs de rythme plus enlevé, habitués qu'ils sont désormais par les productions modernes à la surenchère d'artifices, lesquels pallient souvent un manque de créativité. La contrepartie étant la prise de distance avec la vraisemblance des faits. Mais y attachons-nous beaucoup de crédit de nos jours alors que le fantastique et le surréaliste accaparent les suffrages.

On se rend compte à l'avancée dans la lecture que l'atonie de style relève justement a contrario de la tendance actuelle d'un souci de crédibilité. Elle se veut le reflet des tâtonnements et atermoiements d'un personnage lui-même dépassé par l'originalité de la mission qu'il s'est vu confier au seul motif qu'il était un scientifique reconnu en son époque.

D'aucuns plus ouverts à la fresque historique salueront le souci de la précision qui anime l'auteur dans la description tant des décors de l'intrigue que de la psychologie des protagonistes foisonnant dans cet ouvrage. Autant de personnages historiques qui rattachent l'intrigue à son contexte du moment. Une intrigue qui est par elle-même bien imaginée et conduite avec justesse vers le dénouement, lequel s'ébauche par petites touches.

Ce que le souci de vérité historique retire au captivant, les mœurs de l'époque à l'humanisme aride le lui rendent bien. L'épouvante n'est pas loin quand il s'agit d'évoquer la mort des enfants, surtout lorsqu'on en découvre le mode opératoire et la justification.

C'est autant un roman d'imprégnation qu'un thriller qui cherche sa voie. J'ai apprécié la justesse dans la restitution du contexte des péripéties : l'indigence de la connaissance scientifique des contemporains de l'époque choisie, l'influence prépondérante de la religion, les cloisons étanches entre les couches sociales, le caractère expéditif de la justice dans la main des puissants. Autant de données historiques fort bien rendues qui soulignent le souci de l'auteur de ne pas échouer dans son transport dans le temps. Tout cela fait que le résultat est une forme de polar historique supporté par une intrigue intéressante mais dont le style manque quelque peu de saveur.

mardi 2 mai 2023

Le seigneur de Lochraven ~~~~ Shannon Drake

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Dans l'histoire du Royaume-Uni il est une époque où il ne l'était pas du tout, uni. Et s'il est un épisode de cette histoire qui est singulier c'est bien celui qui opposa Marie Stuart, reine d'Ecosse après avoir été quelques mois reine de France, à sa cousine Elisabeth 1ère d'Angleterre. Ce cousinage ne sera pas gage d'entente familiale puisque cette dernière fit décapiter sa cousine, l'accusant de trahison. Laquelle trahison n'était en fait que la revendication de l'héritage de la couronne d'Angleterre, qui revenait en fait à Marie Stuart dans l'ordre de succession.

C'est dans ce contexte pour le moins fort en péripéties que Shannon Drake a décidé de glisser son intrigue amoureuse, puisqu'il s'agit bien de cela, entre deux personnages évoluant dans le cercle intime de la reine d'Ecosse. C'est plutôt réussi à mon goût. On n'échappe pas bien entendu à quelques raccourcis simplificateurs et autres hasards salvateurs mais la romance est habilement construite et insérée dans cette histoire mouvementée et dramatique sans la dénaturer outre mesure.

C'est crédible et bien écrit. S'agissant d'une publication en anglais, on sait que le traducteur a sa part dans cette qualité d'écriture. C'est pour moi un roman historique de bonne facture. Il respecte les faits en y appliquant une intrigue recevable, sans anachronisme flagrant tant dans le langage que dans les modes de vie.


jeudi 20 avril 2023

Le mas Théotime ~~~~ Henri Bosco

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J'ai bien peur que notre rapport à la nature ne nous autorise plus aujourd'hui la pleine compréhension de l'état d'esprit de ces gens dont la vie en dépendait directement. Ils vouaient alors à la terre un attachement respectueux dans une relation presque charnelle. Elle monopolisait la quasi exclusivité de leurs préoccupations, usait la force de leur corps. Ils en espéraient de quoi subsister.

Dans le Mas Théotime, Henri Bosco nous convie chez ces gens, sur leurs terres. Défendant bec et ongles chaque arpent de leur propriété ou de leur fermage. La force de son verbe nous dit l'âpreté d'une vie de labeur à endurer la rigueur des saisons, à surveiller le temps, à craindre pour la récolte.

Il fait partie de cette génération d'écrivains qui à l'inspiration allie maîtrise de la langue, fonds d'érudition authentique, références littéraires sous-jacentes et font de chaque phrase de leur texte une ambassadrice de leur ressenti. Ils produisent une écriture qui analyse les caractères jusqu'à l'indiscrétion, dépeint les décors avec la précision du figuratif. Parfois même un peu trop quand elle s'appesantit sur le détail à longueur de page. On a perdu l'habitude de ces exercices dont le fond est sublimé par la forme.

Henri Bosco est de ceux-là. Au mutisme des taiseux il sait puiser les états d'âme. Au regard répandu sur la parcelle ensemencée il sait faire dire la prière silencieuse d'une moisson généreuse. Prière adressée à ce dieu devant qui ils courbent l'échine, qu'ils visitent en son église le dimanche, en ruminant une sourde rancœur tant il est avare de ses faveurs, mais prudente tant son courroux est craint.

Chez les gens de la terre le sentiment a peu de place dans la journée de travail. L'amour est accessoire. Il ne fait pas le poids dans la balance quand les intérêts sont en jeu, les alliances imposées. Aussi ne s'exprime-t-il que part regard à la dérobée et rougeur au visage.

Le mas Théotime est le théâtre d'un amour qui ne s'exprime pas. Un amour chaste, qui se contente de la présence de l'autre. Dans l'écrin de la nature sauvage de Provence le mas Théotime est un ilot de pierre qui voudrait s'emplir du bruit de la vie des hommes. Mais les cœurs plus arides que les collines environnantes ne disent pas leur espoir. La terre, cette amante ombrageuse ne partage pas les attentions. Elle boit la sueur des hommes jusqu'à ce que vidés de force et d'espoir elle les ensevelisse dans le souvenir des vivants.

Le mas Théotime c'est une écriture précise qui saisit son lecteur, l'imprègne, en fait un témoin de la vie des hommes d'un autre temps. Celui où l'homme honorait cette nature qui bruissaient des chants et battements d'ailes de milliers d'oiseaux et la campagne embaumait d'autant de senteurs. Une écriture qui dit la courbature des corps à la peine, la satisfaction du travail accompli quand le soleil descend sur l'horizon. Mais aussi la frustration des cœurs.

samedi 15 avril 2023

Marguerite-Marie et moi ~~~~ Clémentine Beauvais

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C'est fortuitement que Clémentine Beauvais apprend avoir eu une lointaine aïeule religieuse, au XVIIème siècle. Cette dernière a été sanctifiée sur le tard sous le nom de sainte Marguerite-Marie. Elle avait écrit le journal de sa vie et c'est contre sa volonté que ce texte fut conservé. Elle avait en effet demandé sur son lit de mort à son infirmière de procéder à la destruction du manuscrit. Elle fut désobéie sur ce point.

Au XVIIème siècle on le sait les femmes n'écrivent pas, ou si peu. Encore moins des romans, genre qui n'existe pas encore. Et encore moins imaginent-t-elles être éditées. Il leur manque cette chambre à soi chère à Virginia Woolf dans un monde gouverné par les hommes qui seuls avaient l’espoir d’être édités. Mais peut-être ces intimité et solitude nécessaires à l’écriture, Marguerite-Marie les avait-elle quand même réunies en son couvent des visitandines à Paray-le-Monial, car son journal vit le jour. Alors sommes-nous portés à nous interroger sur son intention dans l’acte d’écrire ce qui relève de l’intime. Peut-être pour se mettre elle-même à l’épreuve de sa foi. Ou bien destinait-elle cet ouvrage à des yeux très hauts. A moins que, comme nous le confie Clémentine Beauvais, écrire c’est peut-être aussi détourner le regard de ce que l’on veut cacher. Y compris et surtout dans l’exercice du journal intime.

Clémentine Beauvais est quant à elle agnostique. Peut-être serait-elle même plus que cela si quelque chose, ou plutôt quelqu'un, ne la retenait au bord du gouffre de l'athéisme. Gouffre qui n'en est d'ailleurs surement pas un pour elle, mais seulement un sujet de réflexion. De ceux qui font basculer de la foi vers la philosophie. De la croyance vers la raison.

Aussi lorsqu'une éditrice lui suggère d'écrire un ouvrage sur son aïeule, c'est sans doute par défi à sa foi absente que Clémentine Beauvais, autrice aux multiples ouvrages à succès, se livre à l'exercice. Elle qui ne connaît de l'amour que la version terrestre du sentiment – elle nous le confie - décide de se confronter à sa version céleste. Celle éprouvée par son aïeule pour le Christ, Lequel lui serait apparu à plusieurs reprises, au point de faire d’elle une exaltée. N’avait-elle pas brûlé ses mains au Sacré-Cœur. Et de se mortifier de sévices jusqu’à se voir reprocher, par Celui-là même vers qui était dirigé son adoration, d'une rigueur excessive.

J’ai trouvé la démarche passionnante : la rencontre par ouvrage interposé au-delà des siècles d’une agnostique avec une exaltée de Jésus-Christ. Ce qui a parachevé mon intérêt pour me rendre cette lecture captivante, c’est évidemment le style adopté par son autrice. Le style résolument moderne, rehaussé d’un humour un brin caustique, un brin « provoc » mais pas trop. Un style taillé sur mesure pour plaire au lectorat de notre temps dont on sait qu'il n'est pas non plus très porté sur le mystique. Un style qui donne à cette écriture sa fluidité et coupe court à tout ce que le sujet pourrait comporter de rébarbatif. Il se police toutefois quelque peu au fur et à mesure que la connaissance avec la lointaine aïeule s’approfondit. En même temps que l'une et l'autre, par-delà les siècles se fassent connaître l'une à l'autre. Sans intention de prosélytisme, entendons-nous bien. Juste pour faire admettre que la tolérance réciproque dans sa conception tant religieuse que civile passe par la connaissance mutuelle et le respect des consciences de chacun.

Un style donc, pour insister sur le sujet tant il est influent quant au message à faire passer, qui soutient l’ouvrage dans sa totalité pour en faire une lecture vivante, attrayante. Il me fait au passage me demander, puisque c’est le premier ouvrage que je lis de cette autrice, s’il est une marque de fabrique chez Clémentine Beauvais ou bien s’il est volontairement adapté au sujet traité, pour servir d’accroche à un lectorat volatile.

Cet ouvrage m'a séduit tant il m'a paru particulièrement judicieux, courageux dans son intention et sa démarche aussi quand on apprend de la main de Clémentine Beauvais le contexte familial dans lequel elle décide de se livrer à pareille aventure éditoriale. Un ouvrage qui peut-on dire est une biographie croisée de deux personnes, l’autrice et son aïeule, avec la confrontation de leurs opinions respectives sur le sujet de la croyance. Même si le genre de la biographie n’est pas le plus approprié, au point que les éditions J’ai Lu lui affecte l’étiquette de récit. Les chausse-trappes ne manquaient pas et c'est avec brio que Clémentine Beauvais a réussi cet exercice à mes yeux. Même si elle n'est déjà plus une novice en matière littéraire autant par son érudition que par ses succès d’édition, je le découvre en faisant sa connaissance avec cet ouvrage. Il me reste désormais qu'à confirmer mon goût pour pareille écriture décomplexée avec un autre ouvrage de sa main.


Les mémoires de Zeus ~~~~Maurice Druon

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Nom de Zeus, quelle famille !

Je n'en suis à vrai dire pas vraiment surpris. J'avais connu une ouverture à cette fantasmagorie qu'est la mythologie avec l'excellent ouvrage d'Edith Hamilton : La mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes. Une conviction s'ancre désormais en moi à la lecture des Mémoires de Zeus de Maurice Druon. Elle me fait regretter que le monothéisme nous ait fait perdre tant de volupté dans nos rapports avec Qui préside désormais à nos destinées. Car disons-le tout net, au regard de ce qu'ont pu connaître nos ascendants des première jusqu'à la quatrième race de mortels, puisque nous autres sapiens du XXIème siècle sommes les descendants de la cinquième race, Celui qui s'est arrogé l'exclusivité de nos dévotions, toutes confessions confondues, est bougrement rébarbatif. D'autant que Ses manifestations à notre attention sont pour le moins discrètes et nous obligent à la croyance.

Parce que les Dieux grecs pour ce qui les concerne, relayés par leurs alias romains, n'avançaient pas à visage masqué ; ils faisaient preuve auprès de leurs oyes de manifestations pour le moins démonstratives et avaient de bons gros défauts comme on les aime, de nature à affranchir les pauvres mortels de tout scrupule quant à leurs propres écarts de conduite. Car pour ce qui est du Seul que l'on révère en nos cathédrales, mosquées, synagogues et autres pagodes de nos jours, et revendique donc la majuscule, son appropriation monomaniaque et anti concurrentielle des consciences laisse planer le doute quant à notre filiation. On ne se reconnaît en réalité que peu d'affinité avec sa rigueur dogmatique tant nous avons de la fidélité une notion élargie et de la vertu un arrière-goût amer. Les défauts sont de notre nature. Mais n'est-ce pas Lui qui nous a faits ? Aussi, pourquoi voudrait-Il désormais nous en culpabiliser.

Le seul reproche que l'on pourrait faire aux Dieux de l'Olympe est le malin plaisir qu'ils se sont donné à nous compliquer la vie à nous autres pauvres mortels, à force de tarabiscoter l'arbre généalogique de leur fantaisie familiale, obsédés que nous sommes désormais à vouloir tout rationaliser, tout étiqueter et codifier. Et c'est grand mérite à Maurice Druon de tenter de nous effeuiller dans cet ouvrage l'arbre de Zeus dont les racines font de curieuses connexions en boucle avec les branches aux pouces les plus tendres. Il faut dire que le bougre ne craignait nullement la consanguinité pour faire commerce, comme on dit avec une pudeur toute littéraire, avec ascendance et descendance, pourvu que le plaisir soit à la clé. Bien qu'il connût quand même quelques manifestations de jalousie de sa légitime Héra. Sa justification d'honorer les mortels de la semence divine était argument fallacieux aux yeux de celle-ci. Allez comprendre pourquoi. Car figurez-vous que nos ancêtres de ces temps reculés pouvaient recevoir des dieux des preuves caressantes et culbutantes pourvu qu'ils fussent disposés à les accueillir en leur giron, et augmenter par là une ramure aux bourgeons déjà nombreux et ainsi mieux nous perdre en sa canopée.

Oui Zeus était volage. Maurice Druon n'omet aucune de ses nombreuses maîtresses, divines ou mortelles. Et bien que roi des dieux, il ne se sentait nullement une vocation d'exemple auprès de ses administrés. Car en cette époque bénie des dieux les comportements n'étaient ni louables ni blâmables, ils étaient tout simplement divins. Mais patience divine a ses limites et lorsque Héra, sa légitime, se fit trop intrusive pour surveiller ses errements, il n'hésita pas à la pendre par les cheveux, une enclume accrochée aux pieds. Quelle époque vivons-nous en ce siècle pour que notre code pénal trouve à redire à pareille manifestation d'autorité ?

"Si des esprits aussi chagrins que mal informés vous ont conté, chers mortels, que vous descendiez des singes, ne les croyez pas." C'est Ouranos, le grand-père de Zeus "qui créa l'homme qu'il tenait pour son chef-d’œuvre", à condition toutefois que sa vie ait une fin. Les Parques ayant mission de veiller à tous cela, en particulier Atropos chargée de couper le fil. Voilà donc un podium pour renforcer notre orgueil et un tombeau pour l'étouffer. Mais en toute occasion remercions Dionysos, plus connu sous son alias de Bacchus, le turbulent rejeton de Zeus, d'avoir couvert nos collines ensoleillées de la divine grappe afin de nous réjouir du succès et oublier le péril.

Quel bonheur en tout cas, dans l'attente du coup de ciseau fatal, de combler quelques heures entre les mains des Parques avec cet ouvrage de Maurice Druon dont je soulignerai respectueusement la qualité de la langue. Ouvrage ciselé, à la documentation exubérante, nous livrant à la compagnie de tant de noms célèbres mais inconnus de nous parce qu'interceptés trop furtivement au gré d'indiscrétions instruites, évoquant au passage les trois Grâces, les Muses, les Saisons, les Hespérides. Et tant d'autres dans le fourmillement d'une parentèle innombrable convoquée en ces pages par l'érudition de notre académicien.

Notre chronologie n'ayant rien de divine et désormais livrée en les mains d'Un seul, Lequel nous rend coupable dès la naissance puisque nous affublant du péché originel, coupable de naître donc, il me faut mettre un terme à ce propos et vous rendre à vos auteurs qui piaffent jalousement de savoir vos yeux rivés à ces lignes, lesquelles vous font l'éloge d'une biographie du roi des Dieux, qui pourrait donc durer ce que durent les dieux, éternellement.

Nom de Zeus, le temps nous est compté. Nous ne sommes plus au temps de l'Âge d'or.