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dimanche 26 avril 2020

Voyage avec un âne dans les Cévennes ~~~~ Robert Louis Stevenson

 



Quant à la raison qui l'a poussé à partir par monts et par vaux sur les sentiers du Massif Central, Stevenson se contente de nous dire dans l'ouvrage qu'il avait d'abord intitulé Voyages avec un âne au travers des Highlands françaises : "Je ne voyage pas pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L'important est de bouger, d'éprouver de plus près les nécessités et les embarras de la vie, de quitter le lit douillet de la civilisation, de sentir sous mes pieds le granit terrestre et les silex épars avec leurs occupants." (page 93 Editions de Borée). Nombre de supputations tenteront d'y voir en réalité la manière de réprimer une peine de coeur, et la solitude choisie une condition nécessaire pour faire le point sur sa vie. Peut-être n'ont-ils pas tort car à la page 141, on peut lire cette rare confidence : "Et pourtant, alors même que je m'exaltais dans ma solitude, je pris conscience d'un manque singulier, je souhaitais une compagne qui s'allongerait près de moi au clair des étoiles, silencieuse et immobile, mais dont la main ne cesserait de toucher la mienne."

Protestant de foi, francophile de sensibilité, d'autres y verront pour le futur inventeur du Docteur Jekyll qu'il est en 1878 l'occasion de se plonger en une contrée qui a eu son lot de querelles de religion et y faire le constat in situ que si les guerres ne sont plus à l'ordre du jour, les tensions restent latentes dans les campagnes conservatrices. N'a-t-il pas force de symbole ce parcours dont le départ au Puy-en-Velay est aussi un de ceux des chemins de Compostelle et l'arrivée en Cévennes, pays camisard lequel conserve ancré dans sa mémoire le massacre de tant d'innocents perpétré par les troupes de Louis XIV animées de la folle illusion d'expurger les montagnes arides de l'hérésie protestante.

Dans un périple qui lui a fait revivre ces tensions entre confessions, l'officielle de Rome et la réformée, les questions de foi ne constituent-elles pas un second niveau de lecture à qui ne voudrait y voir qu'un récit d'excursion bucolique tant elles sont présentes d'un bout à l'autre de l'ouvrage. C'est peut-être la raison pour laquelle Stevenson a appliqué le pluriel au mot voyage, pour nous faire comprendre qu'il y avait aussi ces aspects historique et sociologie des religions dans sa conception de cette itinérance. A ce propos, l'étape à Notre-Dame-des-neiges est révélatrice de l'ancrage des croyances dans les gènes.

Et une conclusion de tout ça, que Stevenson connaissait d'avance mais dont il se rengorge, pour confirmer qu'après autant de sang versé au motif de divergence de convictions religieuses de par le monde, "l'Irlande est toujours catholique et les Cévennes toujours protestantes".

Maintenant que l'itinéraire est balisé aux couleurs des Sentiers de grande randonnée, il est fort heureusement moins question de ces manifestations d'intolérance sur ce qui est devenu pour nous-autres randonneurs du 21ème siècle le GR 70, le chemin de Stevenson. La première lecture de cet ouvrage reste donc possible et même enviable avec son ode à la nature et aux vertus de la méditation sous la voute étoilée. Superbe récit d'une équipée homme-animal, d'un coeur qui se livre non sans une certaine retenue et d'un esprit qui quant à lui nous dresse un compte rendu quasi journalistique de la France profonde en cette fin de XIXème siècle, dans laquelle le chemineau solitaire restait quand même sur ses gardes. La bête du Gévaudan avait-t-elle bien été tuée ?

Loin d'être exempt de sensibilité et de poésie le voyageur et écrivain célèbre qu'il deviendra sait nous toucher au coeur et faire de ce texte un aiguillon de nostalgie à l'instar de celui avec lequel il piquait la croupe de Modestine pour la stimuler dans les apathies récalcitrantes propres à son espèce : "Il était délicieux d'arriver, après si longtemps, sur un théâtre de quelque charme pour le coeur humain. J'avoue aimer une forme précise là où mes regards se posent et si les paysages se vendaient comme les images de mon enfance, un penny en noir, et quatre sous en couleurs, je donnerais bien quatre sous chaque jour de ma vie." Et s'il fallait encore douter de la sensibilité du bonhomme, il n'est que de l'entendre nous dire les larmes lui descendre sur les joues lors de l'adieu à Modestine.


vendredi 6 décembre 2019

La femme de trente ans ~~~~ Honoré de Balzac

 



Ce fut bel et bien un coup de coeur. Julie était tombée sous le charme de l'officier portant beau dans son uniforme chamarré. La lune de miel n'aura pourtant pas duré longtemps. Les élans de celui qui sera devenu son mari feront dire à l'histoire que le coup de coeur ne fut qu'un coup de tête de la jeune écervelée, mais entêtée Julie, que son père n'aura su réprimer.

Cette entrée en matière donne à Balzac le champ pour se lancer dans une analyse sur les déboires et déconvenues de la vie matrimoniale, venus se substituer à tous les rêves insensés que peut nourrir le coeur tendre d'une jeune fille. Il nous dresse un tableau calamiteux de la noble institution du mariage sous le sceau de laquelle "l'homme a toutes les libertés et la femme tous les devoirs".

Un ouvrage qui fait s'étonner le lecteur quant au titre que Balzac a voulu lui donner, car il s'agit bien de suivre la malheureuse Julie d'Aiglemont sa vie durant, de sa prime jeunesse jusqu'à son dernier souffle. Mais il coupe court aux interrogations quand ce même lecteur découvre son engouement pour "ce bel âge de trente ans, sommité poétique de la vie des femmes" parvenues à ce stade où "elles connaissent tout le prix de l'amour et en jouissent avec la crainte de le perdre". Autour des trente ans, il n'est que frivolité inconséquente en amont, regret d'une jeunesse qui s'enfuit en aval. Comment ne pas y lire le secret fantasme d'un auteur prolixe pour ce qui est en ce siècle une majorité accomplie.

Et pour perdre Julie corps et bien dans son naufrage, sa déconvenue sur le mariage ne lui fera pas pour autant reporter son affection vers sa progéniture. A ses yeux les enfants qui naîtront de l'union avec son époux ne seront que des "enfants du devoir" et non ceux de l'amour, auxquels elle ne s'imposera pas en outre le devoir de leur consentir un amour maternel assidu. Ses échappatoires romanesques dans les bras de quelques amants touchés par sa beauté auront la même conclusion périssable. Femme, mère, épouse, la vie de Julie aura été un champ de ruines. C'est pourtant elle qui survécut à toute la famille.

Triste fresque que nous dépeint Balzac sur l'institution du mariage, contrainte par les codes moraux de la bonne société de l'époque. Ils ne laissaient que peu de latitude à la jeune épousée. On ne défait pas en ce temps un mariage qui n'a pas répondu aux aspirations légitimes. On le subit. Et la soumission étend son préjudice sur plusieurs générations quand les enfants n'y trouvent pas leur compte en termes d'affection. Les solitudes s'additionnent sans se compenser, les rancoeurs se multiplient sans s'abolir.

Si l'on n'est pas surpris dans un roman balzacien par les longueurs descriptives et l'interprétation des sentiments au travers de chaque geste ou attitude, on l'est plus par la structure de cet ouvrage qui agglomère ce qui aurait pu s'éditer en six nouvelles. On est encore plus déstabilisé par les alternances de rythme qu'il imprime à ce périple romanesque dans lequel certains passages nous versent sans transition des atermoiements du cœur à l'aventure la plus folle. Y compris quand il faut déchoir une fortune bien assise par des spéculations hasardeuses et jeter sa victime dans un exil américain. Le roman sentimental se fait roman d'aventure aux multiples rebondissements.

Une lecture en forme de goutte d'eau dans l'océan qu'a été la production littéraire de Balzac. Immense bibliographie qui a le mérite de nous dépeindre par le détail les mœurs de son temps. Un ouvrage qui est arrivé à point dans mon parcours de lecture pour compléter un de ces cycles historiques auquel je m'adonne parfois avec appétit. Je venais de refermer le siècle des lumières et l'Été des quatre rois (Charles X et consort) que j'avais beaucoup apprécié, au-delà des références historiques précises, par la qualité de sons écriture.


samedi 12 janvier 2019

Loin de la foule déchaînée ~~~~ Thomas Hardy


Dans la rudesse du monde rural de la campagne anglaise au 19ème siècle, Bathsheba est une femme jeune, belle et résolue. Elle est la fleur qui égaie le paysage masculin dans lequel elle évolue et suscite la convoitise. Avisée en affaire, elle ne craint les hommes que lorsqu'ils deviennent soupirants et qu'il s'agit de parler sentiment. Elle comprend bien dans ces circonstances qu'elle perd son statut de personne morale pour devenir une valeur marchande dans le grand commerce des alliances.

Avec les codes sociaux qui prévalent en ce lieu et cette époque, en perdant le seul soutien familial que lui procurait l'oncle qui vient de disparaître et lui laisser son exploitation, Bathsheba a bien compris qu'elle ne pourrait se refuser éternellement aux avances des hommes dont le rang social leur autorise l'ambition de l'épouser.

Au jeu de la séduction, Gabriel Oak le trop sage intendant, William Boldwood le voisin taciturne, ont perdu la partie face au fringant sergent Troy. "Mais toutes les romances s'achèvent avec le mariage" et la déception conjugale fragilise sa victime qui perd alors en témérité et en assurance.

Loin de la foule déchaînée, ouvrage pictural d'une campagne anglaise bucolique, est l'archétype de l'oeuvre romanesque où l'on confirme que la beauté des corps n'est pas forcément celle du coeur. Servie par un style direct et limpide elle est nourrie de nombreux dialogues policés, parfois un peu trop, forcément désuets. Mais à lire du classique il faut s'attendre à la phrase longue et ciselée, au vocabulaire riche et à l'incursion de références érudites. En ces temps anciens, seuls les lettrés écrivaient. Nous plonger dans leurs oeuvres redonne goût à la belle ouvrage lorsque la grammaire était confite au subjonctif.

Dans cette fresque des atermoiements du coeur, Thomas Hardy nous exonère du contexte misérable que l'on sait de la société rurale et ouvrière de cette époque. Véritable oeuvre d'art littéraire, ce genre d'ouvrage l'est aussi par le tableau qu'il dresse des moeurs de son temps, en les édulcorant quelque peu toutefois. L'adaptation cinématographique toute récente de Vinterberg a mis l'accent sur cet aspect aussi bien que sur le décor bucolique dans lequel se déroule la romance.


mercredi 24 janvier 2018

Martin Eden ~~~~ Jack London


"C'est une tâche grandiose que d'exprimer des sentiments et des sensations par des mots écrits ou parlés, qui donneront à celui qui écoute ou qui lit la même impression qu'à son créateur". Toute la difficulté de la traduction de pensées en mots est dans cette phrase que Jack London met dans la bouche de son héros, Martin Eden. Ce que l'auteur appelle cette tâche grandiose n'est ni plus ni moins que le talent.

Si l'on en croit la quatrième de couverture de l'édition 10-18, avec Martin Eden, Jack London se serait défendu d'avoir produit un roman autobiographique. Mais comment imaginer qu'il puisse en être autrement avec pareil ouvrage qui, au factuel près, relate le parcours d'obstacles d'un écrivain en quête d'audience.

Comment se déclenche le mécanisme de la reconnaissance du talent à laquelle aspire tout créateur ? Qui le révèle ce talent, ou plutôt qui le décrète devrait-on dire. C'est le fil conducteur de cet ouvrage. Un auteur convaincu de son art se heurte au crible de ceux qui ont mainmise sur l'édition pour faire éclater son talent à la face du monde. Et quand le succès sera là, de s'interroger : je suis le même à qui vous avez tout refusé hier. Je n'ai pas changé. Ces manuscrits, hier méprisés, sont aujourd'hui réclamés. Je n'y ai rien changé. Mais aujourd'hui que je suis connu, reconnu devrais-je dire, vous ne regardez même plus ce que je vous présente avant de le livrer aux presses des imprimeries. Quelle sombre alchimie fait un jour du fruit de la création une œuvre quand hier elle le livrait au rebut ?

Superbe découverte pour moi que cet ouvrage de l'auteur de Croc-Blanc, de L'appel de la forêt. Il restait en mon souvenir comme inspirateur d'aventures dans le grand nord canadien. Ne percevant pas encore, ébloui que j'étais par ces rêves d'évasion, que ces contes ont une seconde lecture, philosophique celle-là. Sous le manteau neigeux, dans les températures glaciales, la solitude de la forêt, la nature humaine se révèle à qui sait scruter ses intentions. La lecture de Martin Eden sera certainement une clé pour relire et décoder les ouvrages écrits par Jack London lors de ses périples dans les extrémités du monde.

Il part de très loin aussi Martin Eden lorsqu'il fait la connaissance de Ruth Morse. Tout les sépare. Elle, est fille de la grande bourgeoisie américaine de la fin du XIXème siècle. Lui n'est rien. Pas d'éducation, de fortune, encore moins de culture. Et pourtant, il croit pouvoir la séduire. Avec la conviction naïve que pour gagner la main de son aimée, il lui suffira d'enrichir sa culture embryonnaire. Installée dans le confort de sa naissance privilégiée, avec la seule préoccupation d'être aimée, sans même la résolution d'aimer en retour, la culture est pour elle une fin. Quand lui, dans sa sincérité crédule, y voit un moyen. Le moyen de gagner un cœur. C'est compter sans les préjugés, la prédestination de la naissance, sans imaginer que le désir d'être aimé puisse être qu'une forme suprême de narcissisme.

Martin Eden aura du mal à occulter Jack London quand il se livre à une critique acerbe de la gent éditoriale. Des "êtres sans pensée" dont la plupart sont des "ratés de la littérature". Ce sont ceux-là même qui décident ce qui doit être édité ou non. Ils voudraient le pousser à descendre de son piédestal philosophique, à avilir son style pour se livrer à la littérature commerciale. Peine perdue, car Martin préfère persister en créateur du beau, même ignoré, plutôt que trahir la lettre et l'esprit pour devenir célèbre. Et lorsque Ruth lui demande ce qu'il deviendra s'il ne réussit pas à faire reconnaître son talent, il répond qu'il deviendra éditeur. Mais avant d'en arriver là, il préfère endurer la faim tout au long de chapitres interminables. Des chapitres qui creusent le ventre du lecteur que l'on est.

Critique tout aussi incisive de la société américaine à la veille du XXème siècle. Individualiste et vénale, une société cloisonnée qui cultive l'indifférence et ne connaît de solidarité qu'entre gens qui n'en ont nul besoin. Une société qui ne reconnait de quartier de noblesse qu'aux comptes en banque bien pourvus.

Jack London explore le monde de la littérature, c'est son domaine. Mais son goût du beau pourrait le verser dans toute autre forme de création. Il refuse d'avilir un talent quel qu'il soit pour le livrer aux instincts friands de vulgarité. Il refuse de voir la vie déterminée par la seule naissance. Il veut franchir le mur du mépris sans vouer son âme au diable, dût-il n'espérer qu'une gloire posthume, voire aucune. A la faim du corps, il ne sacrifiera pas celles de l'esprit et du coeur.

Dans un style parfois un peu sentencieux, surprenant dans la bouche d'un héros loqueteux, Jack London nous livre une superbe fresque de la société américaine, du monde de l'édition. Il fait une analyse déconcertante de ce mécanisme déclencheur du succès. Filtre dans ces pages la vraisemblance criante d'un auteur qui a, à n'en pas douter, eu beaucoup de mal à se hisser au-dessus de sa condition première pour laisser à notre gourmandise de lecteur des ouvrages qui donnent à méditer, lorsqu'on a dépassé le stade du plaisir de lire.


lundi 8 mai 2017

Paul Verlaine ~~~~ Stefan Zweig

 



Après Fouché, Marie Stuart et Magellan, toutes trois biographies de ce peintre des tempéraments qu'est Stefan Zweig, je viens de refermer celle de Paul Verlaine. Ce ne sera pas la dernière que je lirai de cet auteur, tant il sait faire oublier la chronologie des dates pour instruire son lecteur du patrimoine intellectuel et émotionnel de ceux qui l'ont séduit, au point de le faire se pencher sur leur vécu. Et lorsque le sujet est un poète, le biographe fait sienne cette douleur de vivre qui habite celui-ci, propice à faire exploser son génie.

Choisissant Paul Verlaine, Stefan Zweig n'est pas tendre avec l'homme. "Laid comme un singe", faible de caractère, versatile, alcoolique, il n'a rien pour séduire. Il a pourtant trouvé faveur auprès de la gracieuse Mathilde avec laquelle il aura un fils. Amour qu'il foulera au pied peu après pour suivre Rimbaud, l'homme aux semelles de vent, autre instable s'il en est. Tous deux génies de la poésie, chacun à sa façon. Zweig refuse de se prononcer sur la nature de leur relation.

Autant Rimbaud est le trublion la poésie, qu'il violente à souhait en bousculant toutes les règles, autant la puissance lyrique Verlaine n'est jamais aussi forte que lorsqu'elle est contrainte : en prison, sur un lit d'hôpital, sous la férule de son nouvel ami l'écrasant de son énergie débridée, ou encore obligée par la passion fugace. Cet élan salvateur lui inspirera l'un de ses plus beaux chefs-d’œuvre, le recueil La Bonne chanson, dédié à celle qui, ne connaissant pas encore l'ivrogne colérique, avait été séduite par le poète.

Le sentiment est une émotion qui dure. Verlaine est homme de l'instant, de l'impulsion. le sentiment ne l'habitera donc pas plus longtemps à l'égard de Mathilde que de sa mère qui l'a pourtant recueilli au plus bas de sa déchéance, abandonné de tous, même du talent.

Fabuleux explorateur de subconscient, Stefan Zweig, a été contemporain de Verlaine pendant les quinze dernières années de la vie du poète déclinant. Il nous dresse avec le brio qu'on lui connaît, mais sans complaisance, le portrait du poète qu'il qualifie de primitif, dans le cœur de l'homme qu'il décrit compliqué et imprévisible, mélange de pureté et de dépravation.

L'organisation de l'ouvrage est originale. Un chapitre est consacré à Rimbaud. C'est dire l'importance que ce "Shakespeare enfant", tel que le baptisait Victor Hugo, a eu sur Verlaine en traversant sa vie comme une comète.

Le poète était sublime. Il est resté poète. L'homme était peu reluisant. Il est passé. Bel ouvrage de Stefan Zweig.


samedi 8 avril 2017

Alexis ou le traité du vain combat ~~~~ Marguerite Yourcenar

 


Etonnante cette facilité de Marguerite Yourcenar à se glisser dans la peau de ses personnages, surtout masculins : Hadrien, Zénon, Alexis dans cet ouvrage ou Éric von Lhomond encore dans le coup de grâce.

Etonnant aussi chez elle cette faculté d'autopsier le processus de pensée de l'homme, au sens de mâle de l'espèce humaine, dans sa relation au monde, dans sa relation à l'autre. L'autre étant souvent féminin naturellement, mais pas seulement, tel Antinoüs pour Hadrien.

Son approche des sentiments est très intellectualisée, un peu trop même. Elle lui confère une froideur presque scientifique. Cette maîtrise imposée ôte à mon sens à l'expression du sentiment sa spontanéité, sa sensualité qui donne de la chaleur à l'épanchement amoureux. Comme elle le dit elle-même : "Au lieu de parler d'amour, nous parlions sur l'amour".

Il est beaucoup question d'états d'âme de la part de ses héros dans l'évocation de ce combat qu'est la vie, en quête de plénitude plus que du bonheur, estampillé trop convenu. Ces personnages évoluent dans un univers écartelé entre les aspirations du corps, certes bien gouvernées, les convenances imposées par le milieu social et l'élévation intellectuelle, seule à pouvoir supprimer les barrières qui cloisonnent nos sociétés. On verse toutefois peu dans les croyances. Le spirituel est trop hasardeux.

Mais la maîtrise de la langue vient au secours de cette analyse quelque peu déprimante. Pas un mot superflu, chacun est lourd de signification. Pas une phrase creuse. Pas un paragraphe qui ne soit construit. La syntaxe de Marguerite Yourcenar, qu'elle façonne en orfèvre, est l'escabeau qu'elle place sous nos pieds pour accéder à la puissance de son univers sémantique.


jeudi 9 février 2017

L'éducation sentimentale ~~~~ Gustave Flaubert

 


Le style. Ah ! le beau style de monsieur Flaubert. Oui mais …

Je me suis donc risqué au style de ce ténor du langage, tout seul, comme un grand, avec la lecture de L'éducation sentimentale, que les initiés hissent très haut sur les rayons de la littérature classique. Moi qui n'ai à me reprocher d'autre étude littéraire que celle d'un bac scientifique. Moi qui me rangeais du côté des férus de trigonométrie pour brocarder nos congénères des classes littéraires.

Pour ma défense, et contre toute attente, j'avoue avoir toujours eu un a priori favorable pour cette époque, chère à Flaubert, où quelques perspectives parisiennes ouvraient encore sur des pans de campagne, où les rues de notre capitale n'étaient pas encore ceintes de l'anneau sonore et empuanti d'un boulevard périphérique. Bien que des encombrements elles en connaissaient déjà, les rues parisiennes de Flaubert. Mais les senteurs étaient plus fauves, les sonorités moins ronflantes, les voix humaines encore audibles au dessus du tumulte urbain. Et Dieu sait si Flaubert, en stakhanoviste du langage qu'il était, s'attachait, s'évertuait même, à les décrire avec une minutie obsessionnelle, avec tant de détails que l'action en est devenue anecdotique. Point de rêverie inspirée toutefois chez lui : du réel et du concret, de la précision dans le trait, les formes, les matières, les couleurs. De la précision à longueur de chapitres avant même que de cette exactitude n'émerge un geste, un événement, une intention, une vibration, une peur, une joie, enfin quelque chose qui nous fasse comprendre que le décor n'est qu'un écrin de la vie des hommes, que le langage n'est qu'un moyen de le traduire. Et non une finalité.

En plaidoyer à pareille incursion dans la littérature du 19ème siècle j'avoue en outre avoir adjoint à ce penchant nostalgique, un faible pour les convenances, surtout quand il s'agit d'arpenter le long chemin si périlleux qui mène au coeur des dames. Notre vocabulaire contemporain ponctué d'anglicismes, dont les locuteurs eux-mêmes ignorent jusqu'au sens, le culte de la médiocrité assumée, l'inconséquence et la vulgarité de notre temps me rebutent quand même parfois. Tout cela me fait regretter les tournures enflammées au verbe bien calibré, la sensualité des belles phrases que notre langage moderne d'onomatopées a désormais phagocytée.

Le penchant pour les sciences qui a gouverné ma vie avait quelque peu bâillonné ma sensibilité. Avec l'âge elle refait surface. Dois-je parler de romantisme, quand Flaubert qualifiait ces épanchements de "désespoir factice", réfutait " cette espèce d'échauffement qu'on appelle l'inspiration" et jugulait ces élans du coeur pour donner corps dans ses écrits à un pessimisme chevillé à l'âme.

Je me rappelle m'être alangui avec Madame Bovary, assoupi peut-être même. J'ambitionnais le retour en grâce du roman psychologique, le réveil de la passion. J'ai sombré avec l'Éducation sentimentale. J'ai découvert que lorsqu'un amour est impossible, avec Flaubert, il le demeure. Aussi, l'entêtement érodant la sensualité, je me suis enlisé dans les longues litanies descriptives du maître, plus figuratives que les toiles de ses contemporains paysagistes. Je me suis laissé obnubiler par les oscillations entre bienséance et illusion amoureuse, horripiler par les atermoiements infligés par fortune et rang social.

Peu d'événements, rien d'émoustillant dans la vie de Frédéric Moreau, pâle héros impuissant à conduire sa propre vie, empêtré qu'il est dans les contingences matérielles, les codes sociaux. Homme de toutes les faiblesses, il laisse couver son feu intérieur plutôt que lui donner l'oxygène qui le ferait devenir flamme et réduire en cendre ce décor dans lequel il se dilue. Dans lequel Flaubert le dilue. A force de le fignoler ce décor, de le ciseler, de le polir, de le retoucher. Pour qu'il soit parfait.

Oui, mais voilà, la perfection, c'est peut-être aussi l'ennui. Il lui aurait peut-être bien fallu un petit grain de folie à ce Frédéric Moreau pour aller forcer la porte de son aimée et l'emporter, la ravir à son confort. Car certainement qu'elle aussi s'ennuyait dans sa vie bourgeoise bien rangée.

Décidément il manque encore quelque chose à mes affinités littéraires pour décoder la quintessence de ce style dont on vante la perfection, en isoler les constituants et goûter les subtilités, l'excellence d'un auteur perfectionniste à l'extrême autant que besogneux. Et oublier le besoin d'action. Je n'ai pas perçu le piquant de cette passion amoureuse irraisonnée que la morale de son siècle réprouvait. Il me reste à l'esprit qu'une sorte de fadeur de personnages sans lustre, la représentation d'une société bourgeoise que Flaubert exècre tant qu'il veut nous la dépeindre dans le plus infime détail, le plus pâle reflet. Il me colle au souvenir une forme de grisaille. Cela me laisse imaginer sans peine les murs et les ruelles sombres de notre capitale au crépuscule du romantisme. Peut-être que c'est ça le style de Flaubert. Peindre son temps au point de rebuter son lecteur avec tout ce qui le rebute lui-même. Flaubert eut été peintre, il aurait représenté la laideur avec maestria.

Deviendrai-je mystique avec le temps que je ne trouverai pas plus grâce aux yeux du maître. Avec lui la vie s'observe, se palpe, se respire, se dépeint. Elle s'écrit avec des phrases d'orfèvre. Elle ne s'inspire pas.

Alors le style de M. Flaubert, il est beau. C'est vrai. Mais la perfection ça manque de chaleur, de sensibilité, ça sent l'obsession maniaque. Ça ennuie. Et ça m'a fait perdre le goût des belles phrases. Dommage.


mercredi 10 août 2016

La Horla ~~~~ Guy de Maupassant

 



Nombre de couvertures des multiples éditions de cet ouvrage de Maupassant, le Horla, sont illustrées par le célèbre tableau de son ami Gustave Courbet : le Désespéré. Il saute aux yeux à sa lecture que cette mise en image est on ne peut plus appropriée au contenu de ce recueil. Surtout pour la nouvelle première qui lui vaut son titre.

Il est une autre évidence, en tout cas pour ce que j'ai ressenti à cette lecture, qui est que, dans cet ouvrage, Maupassant se joue de son lecteur. La maturité de sa renommée lui autorise cette liberté. Quitte à perdre de l'audience.

Chacune de ses nouvelles laisse son lecteur sur sa faim. Car elles n'ont pas de fin justement. Encore moins de morale. Maupassant laisse cette responsabilité à son lecteur. Mais au final celle qu'il pourra tirer ne saurait être immorale car les bonnes moeurs sont préservées. Il abandonne son lecteur au milieu du gué. Le laisse imaginer la suite. Voire même parfois construire le puzzle dans lequel chaque fragment de vie trouvera sa place.

Chaque nouvelle est comme un instantané pris dans la vie de ses personnages, un épisode extrait au hasard du roman feuilleton de leur existence. On regarde avec lui quelques photos, sans autre rapport elles que d'être enfermées dans le même album.

On sent bien que l'effet est recherché. C'est toutefois peu frustrant. N'est resté à mes yeux que le formidable style de son auteur pour sauver ce recueil de la perplexité, parfois de la langueur, dans laquelle il m'a plongé.


mercredi 29 juin 2016

Le Colonel Chabert ~~~~ Honoré de Balzac

 


Honoré de Balzac a trouvé le titre universel qui peut contenir tous les ouvrages de la création. Quels qu'ils soient, ils ne seront jamais que des actes de la Comédie humaine.

Je regardais mes compagnons de voyage dans le TGV qui me transportait vers Marseille. Qui à faire l'important en ouvrant son ordinateur, qui à faire l'importun en parlant fort, qui à lire son journal, et m'adressais à eux en moi-même : n'avez-vous pas le sentiment que ce qui vous occupe et vous distrait de l'essentiel n'est que futilité, qu'agitation dans la grande comédie humaine ? Jusqu'à ce que le grand rideau tombe sur cet acte qui vous donne la vedette.

Et moi donc ? Et bien figurez-vous qu'en ce moment même où vous êtes persuadé d'avoir le premier rôle, je suis en compagnie d'un certain Honoré de Balzac. Il me ravit de sa langue, de son imagination, de son humour parfois, de son humanisme toujours. Je suis avec le Colonel Chabert, vivant parmi les morts, mort parmi les vivants, et qui sacrifiera les importances de la vie terrestre à la tranquillité de son âme.

Marseille, déjà. Je n'ai pas vu le paysage.

vendredi 4 décembre 2015

Fouché ~~~~ Stefan Zweig

 


Fouché : une biographie comme un roman.

Stefan Zweig ne nous assomme pas avec l'enchaînement des dates d'une chronologie fastidieuse. Il dresse un magnifique portrait, une remarquable analyse psychologique de ce citoyen pour le moins singulier dans l'histoire de notre pays. Un personnage qui aura été capable de survivre politiquement, de survivre tout court, dans une époque aussi troublée, aussi riche en bouleversements, que celle qui va de la Révolution française à l'Empire. Une prouesse quand on sait à quelle facilité les têtes roulaient dans la sciure.

La preuve est faite avec un personnage comme Fouché que pour durer en politique, il faut être un calculateur froid, un intrigant de haut vol. Stefan Zweig nous donne tous les arguments pour à la fois détester et admirer ce personnage qui surnage en ces temps d'une rare intensité dramatique.

La preuve est faite avec Stefan Zweig que la relation de l'histoire peut ne pas être ennuyeuse. Très bel ouvrage. 

jeudi 17 septembre 2015

Dernier jur d'un condamné ~~~~ Victor Hugo

 



Cet ouvrage n'est évidemment pas de ceux propres à vous mettre du baume au cœur pour la journée. Il est nécessaire de l'intercaler entre d'autres qui aborderont des sujets plus légers si l'on ne veut pas assombrir définitivement son humeur.

Prenons garde aussi de ne pas non plus raviver la polémique du pour ou contre la peine de mort pour l'évoquer sur un site comme Babelio, mais abordons-le sous l'angle de la force suggestive de l'auteur et de sa capacité à insuffler à son lecteur l'état d'esprit d'un malheureux promis à la mort à brève échéance.

Victor Hugo est au début de son immense carrière littéraire – il a vingt-six ans - lorsqu'il ressent le besoin d'écrire sur ce thème douloureux. Il faut saluer là le courage de celui qui n'est pas encore l'auteur populaire qu'il deviendra de son vivant pour prendre une telle position, alors que la guillotine donne régulièrement le triste spectacle que l'on sait en place de grève.

On ne ressort pas indemne d'une telle lecture. Mais quand même dubitatif quant au procédé utilisé par l'écrivain sublime pour frapper les esprits. Avouons que c'est réussi. Il se refuse à aborder le motif qui a conduit le condamné dans les instants ultimes et programmés de sa vie, mais veut rester au niveau du principe qui autoriserait des hommes à disposer de la vie d'un de leur semblable. On demeure sur cette impression que c'est bien le décompte final plutôt que la mort en elle-même qui est fustigé, car finalement tout homme est promis à la mort.

Il y a en arrière-plan une forme de culpabilisation du lecteur dans la démarche de l'auteur. La culpabilité d'appartenir à une société qui autorise la peine de mort et de ne pas s'élever contre cette pratique barbare.

Mais le maître, aussi grand soit-il, a aussi sa forme de lâcheté. Il ne va pas au bout de sa démarche. Certes nul n'a le droit de prendre la vie d'autrui, fut-ce dans un cadre légal et collectif, mais que faut-il faire de ceux qui auront outrepassé ce principe en se rendant coupable d'assassinat ? Ne met-il lui-même pas dans la bouche de son condamné anonyme : plutôt la mort que le bagne. Alors quoi ?

Il n'en reste pas moins que la force de notre géant de la littérature atteint son objectif. Un tel ouvrage vous fait froid dans le dos et vous confirme dans le fait qu'être lecteur du XXIème siècle, alors que la peine de mort est abolie, est une situation plus confortable.