La raison d'être de pareil ouvrage : Mishima ou La vision du vide ? Inutile de paraphraser MargueriteYourcenar, laissons-la nous en faire la confidence à la page 81 - Editions folio : "Ce qui nous importe c'est de voir par quels cheminements le Mishima brillant, adulé, ou, ce qui revient au même, détesté pour ses provocations et ses succès, est devenu peu à peu l'homme déterminé à mourir".
L'intention de cet essai aurait pu être de faire l'apologie du talent de son
sujet, Yukio Mishima, auteur japonais reconnu de la première moitié du
vingtième siècle. Mais cette intention n'est qu'accessoire dans l'esprit de
Marguerite Yourcenar. Des auteurs de talent l'histoire en compte plus d'un,
fort heureusement. Des auteurs qui ont mis fin à leurs jours aussi. Ces derniers
exercent forcément une forme de fascination qui incite à explorer leur
motivation. On en tire souvent la conclusion d'une inspiration qui s'est brûlé
les ailes aux confins du génie.
Le cas singulier de Mishima vient de la planification de longue date, le
mûrissement, la préparation dans le moindre détail, plusieurs années avant, la
mise en scène de l'acte fatal dans la plus pure tradition des Samouraïs
japonais : le seppuku, forme rituelle de suicide par éventration, plus connu
sous le nom de Hara-Kiri. Alors que telle pratique avait été interdite par les
autorités japonaises un siècle plus tôt.
Et Marguerite Yourcenar de poursuivre dans le même chapitre : L'important est
surtout de cerner le moment ou il a envisagé … son chef-d'œuvre."
Il y a donc dans cet acte morbide et spectaculaire une démarche spirituelle qui
fascine et que cherche à décoder Marguerite Yourcenar. Elle se livre pour cela
à une étude documentée de l'œuvre de Mishima, auteur au talent reconnu de son
vivant, et tente d'y détecter les prémices d'une justification, les étapes
d'une montée en puissance. Avec l'outrecuidance de l'homo ignorantis que je
suis, je n'en attendais pas moins d'elle, même si l'Everest d'érudition qui
nous sépare – et c'est encore un euphémisme que de l'avouer – m'a rendu cette
lecture parfois laborieuse. Non par son vocabulaire ou ses tournures
syntaxiques qui restent abordables, Marguerite Yourcenar ne cherche jamais à
jeter de la poudre aux yeux, mais par les références littéraires mises en
œuvre qui me renvoient au grand vide sidéral de ma culture comparée.
Il s'agissait donc bien là de faire la démonstration du fait que cette fin
terrible était aussi rationnelle qu'inspirée dans l'esprit de son auteur et
constituait en outre l'apothéose de son œuvre. Son chef d'œuvre. Elle laisse
à la mère du supplicié par lui-même le soin de tirer la morale de cette fin
tragique et sublime à la fois : "Ne le plaignez pas. Pour la première fois
de sa vie il a fait ce qu'il désirait faire."
ll fallait bien tout le talent de la célèbre académicienne pour me convaincre
de la logique de cette fin. Je n'ai pu que me ranger à ses arguments. Je
poursuis mon ouverture à son talent en me délectant, dans la continuité de cet
ouvrage singulier que je viens de refermer, du recueil des entretiens que
l'illustre académicienne a accordés à Mathieu Galey et retranscrits dans Les
Yeux ouverts. Édifiant, surtout de la part de d'une auteure si avare de
confidences !