En refermant cet ouvrage, j'ai l'impression d'en avoir
ingurgité d'innombrables. Les
yeux ouverts, c'est une bourrasque de culture. C'est surtout une formidable
leçon de sagesse.
Encore faut-il, en écrivant cela, bien prendre garde au choix des mots. Car le
terme de leçon comporte une notion de contrainte dont Marguerite
Yourcenar se serait, à n'en pas douter, défendue avec force de faire
usage. Recommandations de sagesse serait plus approprié. Mais il est vrai que
si je crains la réprobation quant à la sélection de mes tournures sémantiques,
c'est que je me sais observé depuis le "système sympathique" de
l'au-delà dont Marguerite Yourcenar fait désormais partie.
M'encouragerait-elle à poursuivre cette contribution sur Babelio ? A n'en pas
douter puisqu'il s'agit de parler des livres.
Marguerite Yourcenar nous a laissé au travers de cet ouvrage un recueil de
confidences étonnamment copieux pour quelqu'un qui rechigne à parler de soi.
J'ai pu y découvrir des facettes de sa personnalité insoupçonnées de ma part.
Une lecture plus attentive de ses œuvres aurait pu me les faire détecter, en
particulier par l'entremise de ces deux héros les plus évoqués dans cet
ouvrage, je veux parler de Zénon et Hadrien. L'érudition de l'académicienne
m'avait certes un peu étourdi, aussi n'y avais-je pas décelé la militante
écologiste, amoureuse de la nature, avocate de la cause animale et
dénonciatrice de bien d'autres phénomènes et comportements blâmables de notre
société moderne que le bon sens récuse. Mais tout cela ne participe-t-il pas
finalement de la même sagesse : celle de préserver un monde qui nous a ouvert
les bras en même que nous ouvrions les yeux. La lecture de cet ouvrage est un
grand bénéfice quant à la connaissance de la personnalité, de la vie et de l'œuvre
de cette auteure sublime.
Mon grand ressenti d'un tel ouvrage, c'est une impression de grande solitude de
son auteure. Une solitude certes entourée, mais solitude quand même. Comme
celle que notre vie moderne peut engendrer en nous faisant méconnaître notre
voisin de palier. Solitude de l'érudite dans un océan d'ignorance. Ne
l'a-t-elle pas éprouvée lorsqu'elle enseignait aux étudiants américains,
captifs de leur présent, d'un immédiat resserré sur des préoccupations
matérielles, quand tout aspire à dépasser le temps. C'est aussi la solitude de
la femme désintéressée, face à tant de cupidité. de celle-là même qui fait de
l'homme un pourfendeur de son environnement. La solitude encore de celle qui
embrasse toutes les religions sans discrimination, reprochant l'imposture de
ceux qui se réclament "de ligne directe de Dieu". La solitude
toujours de celle qui a conservé son âme d'enfant, se dit sans âge, quand trop
d'esprits plaintifs inféodés à leur narcissisme ne font que déplorer la
dégradation d'un corps qui subit les outrages du temps.
Mais la solitude est aussi une aubaine. Elle est propice à la contemplation, à
la création. Elle permet à Marguerite Yourcenar de s'extraire de
l'actualité, "cette couche superficielle des choses", et d'aimer
"le passé comme un présent qui a survécu dans sa mémoire". Elle lui
permet d'écouter les voix que le tumulte pourrait dissoudre dans la cacophonie
ambiante. Les voix de ses propres héros, Zénon et Hadrien, et tous les autres
qui ont trouvé au travers de ses ouvrages l'espace et le temps de faire
entendre leur vibration. Ce sont ces voix qui lui dictent ce qu'elle couchera
sur le papier. La solitude enfin autorise la communion avec ces écrivains
innombrables qu'elle a étudiés plus qu'elle ne les aurait seulement lus.
Marguerite Yourcenar ne donne aucun droit à ses semblables. Ils ne savent
que trop le mettre en avant. Elle ne leur parle que de devoirs. Au premier rang
desquels le devoir d'amour, mais dans l'acception orientale de ce sentiment.
Elle seule élève ce transport sensuel au niveau du sacré quand l'éducation
chrétienne culpabilise et juge la sensualité grossière. Sa hauteur inspirée lui
permet de désigner les calamités dont souffrent ceux de son temps et s'autorise
à les mettre en garde : "On n'a pas le droit de combiner les maux de l'âge
atomique avec la sauvagerie de l'âge de la pierre."
Avec son humilité légendaire et pour s'exonérer de tout mérite dont d'aucun
pourrait la gratifier, Marguerite Yourcenar prend les devants. Elle
s'affiche dans son rôle d'écrivain comme un "instrument à travers lequel
des courants, des vibrations sont passés…Tout vient de plus loin et va plus
loin que nous… tout nous dépasse et on se sent humble d'avoir été ainsi
traversé et dépassé."
Et puis comme toute fin qui n'est pas la mort n'est que provisoire, Marguerite
Yourcenar voudra clore ces entretiens retranscrits en évoquant cette
échéance ultime et inéluctable. Elle seule restitue l'égalité que la naissance
a désaccordée. L'état de vie n'étant qu'une parenthèse accidentelle, elle
affirme vouloir disposer de sa pleine conscience au moment où la parenthèse se
refermera pour ne rien rater de sa sortie. Fût-ce dans la douleur. Elle évoque
alors ces mots qu'elle a mis dans la bouche de Zénon et fait en sorte qu'ils
soient inscrits en épitaphe sur sa tombe : " Plaise à celui qui est
peut-être de dilater le cœur de l'homme à la mesure de toute la vie."
Avec les ouvrages qu'elle nous a légués son esprit sublime plane ainsi encore
au-dessus des nôtres, ses lecteurs, grandement moins inspirés, grandement moins
instruits de l'héritage des penseurs et philosophes de tous temps. Mais
n'est-ce pas le rôle des écrivains que « d'exprimer ce que d'autres ressentent
sans pouvoir lui donner forme. »
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Ouvrages par genre
vendredi 6 janvier 2017
Les yeux ouverts ~~~~ Marguerite Yourcenar
lundi 26 décembre 2016
Le sens de ma vie : entretien ~~~~ Romain Gary
Ce recueil tiré d'un entretien
réalisé pour la télévision canadienne, quelques mois avant la mort de Romain Gary, est un
formidable éclairage sur la vie et l'ouvre de cet auteur fabuleux. Bien que
beaucoup trop court. Comme le flash de celui qui revisite son existence avant
de basculer dans l'au-delà.
Il suffit de lire cette subtile conception, pour l'agnostique qu'il a été,
entre la parole du Christ et la féminité pour reconnaître l'aura qui gouverne
sa pensée intime dans tous ses ouvrages.
Indispensable pour qui se
passionne pour cet auteur.
dimanche 25 décembre 2016
Mishima ou la vision du vide ~~~~ Marguerite Yourcenar
La raison d'être de pareil ouvrage : Mishima ou La vision du vide ? Inutile de paraphraser MargueriteYourcenar, laissons-la nous en faire la confidence à la page 81 - Editions folio : "Ce qui nous importe c'est de voir par quels cheminements le Mishima brillant, adulé, ou, ce qui revient au même, détesté pour ses provocations et ses succès, est devenu peu à peu l'homme déterminé à mourir".
L'intention de cet essai aurait pu être de faire l'apologie du talent de son
sujet, Yukio Mishima, auteur japonais reconnu de la première moitié du
vingtième siècle. Mais cette intention n'est qu'accessoire dans l'esprit de
Marguerite Yourcenar. Des auteurs de talent l'histoire en compte plus d'un,
fort heureusement. Des auteurs qui ont mis fin à leurs jours aussi. Ces derniers
exercent forcément une forme de fascination qui incite à explorer leur
motivation. On en tire souvent la conclusion d'une inspiration qui s'est brûlé
les ailes aux confins du génie.
Le cas singulier de Mishima vient de la planification de longue date, le
mûrissement, la préparation dans le moindre détail, plusieurs années avant, la
mise en scène de l'acte fatal dans la plus pure tradition des Samouraïs
japonais : le seppuku, forme rituelle de suicide par éventration, plus connu
sous le nom de Hara-Kiri. Alors que telle pratique avait été interdite par les
autorités japonaises un siècle plus tôt.
Et Marguerite Yourcenar de poursuivre dans le même chapitre : L'important est
surtout de cerner le moment ou il a envisagé … son chef-d'œuvre."
Il y a donc dans cet acte morbide et spectaculaire une démarche spirituelle qui
fascine et que cherche à décoder Marguerite Yourcenar. Elle se livre pour cela
à une étude documentée de l'œuvre de Mishima, auteur au talent reconnu de son
vivant, et tente d'y détecter les prémices d'une justification, les étapes
d'une montée en puissance. Avec l'outrecuidance de l'homo ignorantis que je
suis, je n'en attendais pas moins d'elle, même si l'Everest d'érudition qui
nous sépare – et c'est encore un euphémisme que de l'avouer – m'a rendu cette
lecture parfois laborieuse. Non par son vocabulaire ou ses tournures
syntaxiques qui restent abordables, Marguerite Yourcenar ne cherche jamais à
jeter de la poudre aux yeux, mais par les références littéraires mises en
œuvre qui me renvoient au grand vide sidéral de ma culture comparée.
Il s'agissait donc bien là de faire la démonstration du fait que cette fin
terrible était aussi rationnelle qu'inspirée dans l'esprit de son auteur et
constituait en outre l'apothéose de son œuvre. Son chef d'œuvre. Elle laisse
à la mère du supplicié par lui-même le soin de tirer la morale de cette fin
tragique et sublime à la fois : "Ne le plaignez pas. Pour la première fois
de sa vie il a fait ce qu'il désirait faire."
ll fallait bien tout le talent de la célèbre académicienne pour me convaincre
de la logique de cette fin. Je n'ai pu que me ranger à ses arguments. Je
poursuis mon ouverture à son talent en me délectant, dans la continuité de cet
ouvrage singulier que je viens de refermer, du recueil des entretiens que
l'illustre académicienne a accordés à Mathieu Galey et retranscrits dans Les
Yeux ouverts. Édifiant, surtout de la part de d'une auteure si avare de
confidences !
vendredi 2 décembre 2016
Chien blanc ~~~~ Romain Gary
"Quand je me heurte à quelque chose que je ne puis changer, …, je l'élimine. Je l'évacue dans un livre." Et s'il est bien une chose qui ne changera pas, c'est "la plus grande force spirituelle de tous les temps : la bêtise". Car pour Romain Gary, le racisme c'est de la bêtise, affirme-t-il par euphémisme, et "la bêtise, c'est grand, c'est sacré, c'est notre mère à tous".
Son ouvrage, Chien Blanc, est un
cri d'une colère à peine voilé, une colère bien pesée, une colère froide,
contre cette bêtise.
Romain Gary nous a habitués à des
ouvrages auto biographiques. Celui-ci est très personnel, très intime. Après sa
mère dans La Promesse de l'aube, il y implique une autre femme de sa vie, Jean
Seberg, son épouse. On y découvre leur convergence de point de vue contre la
discrimination, à la fin des années soixante aux Etats-Unis, même s'ils ne
partagent pas les moyens de se faire entendre. Martin Luther King vient d'être
assassiné, le pays est à feu et à sang dans les luttes raciales que cet
événement a suscitées.
Chien blanc est un berger
allemand qui a trouvé refuge chez Romain Gary, en son domicile familial de Los
Angeles. Particulièrement affectueux avec les Blancs, il est féroce avec les
Noirs. Il a été dressé pour l'attaque de ces derniers. Quand tout le monde
préconise de faire euthanasier cet animal tordu, irrécupérable, contre vents et
marées, Romain et Jean se refusent à s'y résoudre. Ils s'accordent sur l'espoir
de prouver que les tares peuvent être corrigées, même les plus détestables.
Rien n'est irrémédiable chez qui n'est pas responsable de son état.
Avec ce subterfuge de l'animal
dressé pour tuer, Romain Gary choisit de développer le thème de l'innocence
pervertie. Frappé d'impuissance devant un contexte qui le bouleverse, il
manifeste son aversion pour la bassesse des comportements humains. À cette fin
il façonne un ouvrage très personnel dans sa forme narrative. La sensibilité à
fleur de peau, il interpelle son lecteur, vient cueillir son oreille attentive
en créant une forme de huis clos pour condamner le crime : le racisme. Mais pas
son auteur. Il conserve en effet en l'homme tout sa confiance, car "il est
moins important de laisser pendant des siècles encore des bêtes haineuses venir
s'abreuver à vos dépens à cette source sacrée que de la voir tarie". L'homme
n'est que le jouet d'un grand tout qui porte si mal son nom : la civilisation.
Le racisme est une chose. Son
exploitation en est une autre. En avocat de tout ce qui vit et croît sur terre,
Romain Gary ressent une grande solitude dans son combat.
"Minoritaire-né", il ne prend partie ni pour ou contre l'un ou
l'autre. Il ne cache en revanche pas son antipathie pour tous ceux qui font
commerce de la compassion, s'auto proclament bon samaritains, au premier rang
desquels se précipitent tout ce que le show-biz comporte de vedettes en vue.
Époux de Jean Seberg alors au sommet de sa gloire, il est bien placé pour
observer ce monde qui s'auréole de sainteté. Il ne se trompe pas sur les
intentions réelles de ces « égomaniaques » régentés par leur narcissisme. La
hantise de l'homme de spectacle, c'est la salle vide.
Mais là où le discours de Romain
Gary sonne juste c'est quand il affirme que ni couleur, ni condition, ni statut
ne sauraient être motif d'indulgence. Lui ne reconnaît de grâce que dans
l'amour de son prochain. Ou en tout cas dans l'absence de haine. Et il n'a pas
besoin d'un dieu pour se faire dicter cette conduite.
Pourtant sa "colère ne vise
personne", même si elle écorne l'un ou l'autre au passage qu'il ne se
prive pas de citer : Marlon Brando, "éternel enfant gâté" qui fait de
la charité un business, Hemingway, "créateur d'un mythe ridicule et
dangereux : celui de l'arme à feu et de la beauté virile de l'acte de
tuer", Barbara Streisand, et d'autres encore, membres d'une société du
paraître. Avec leur discours de générosité pré fabriqué, ils imaginent
s'absoudre de leur culpabilité de participer à construire cette "société
de provocation" en donnant des leçons de philanthropie. Les choses n'ont
pas vraiment changé.
Selon Javier Cercas, "la
littérature est une défense contre les offenses de la vie". C'est à n'en
pas douter ce qui anime Romain Gary lorsqu'il écrit Chien Blanc. Cet écorché
vif nous invite une fois de plus à ses humanités, au spectacle d'une
civilisation qui n'a de cesse de cultiver les inégalités. Mais, avec la même
constance, il se garde bien de juger. Point de condamnation à l'égard de celui
dont "l'intelligence est au service d'une aberration congénitale qui
s'ignore". de ces humanités on ne se lasse pas. On en connaît la
sincérité, le désintéressement.
Persuadé qu'il était de me savoir
lire son ouvrage en des temps qui lui survivraient, il prend la précaution de
me mettre en garde : "Rien de plus aberrant que de vouloir juger le passé
avec les yeux d'aujourd'hui". Il est vrai que lorsque je regarde autour de
moi, je sens bien que de ces concepts vertueux gravés sur le fronton de nos
édifices publics on n'a retenu que le premier : la liberté. Les choses n'ont
pas beaucoup évolué depuis que Romain Gary nous a livré sa colère dans Chien
blanc.
vendredi 28 octobre 2016
Anima ~~~~ Wajdi Mouawad
vendredi 21 octobre 2016
Sur les chemins noirs ~~~~ Sylvain Tesson
En écoutant Sylvain Tesson dans
son intervention lors de l'émission de la Grande librairie, je me suis fait une
fête d'apprendre la parution de son dernier ouvrage : Sur
les chemins noirs. D'une part il y évoquait, une fois n'est pas coutume de
sa part, un périple en notre hexagone. D'autre part, et plus attendu par moi,
il nous promettait un ouvrage d'exploration tant de ce qui subsiste de sentiers
pittoresques en notre campagne profonde - à son grand regret revue et corrigée
par le remembrement et l'urbanisation débridée - que l'exploration de ses
chemins intérieurs. J'escomptais alors quelque introspection philosophique
intimiste de la part de qui, après un accident dont les séquelles visibles ne
sont certainement pas les plus traumatisantes, avait entraperçu l'éblouissement
de la nuit éternelle.
Mais les chemins noirs sont restés obscurs. Ô pudeur quand tu nous tiens !
L'homme est resté aussi impénétrable que les ronciers qui lui ont barré la
route. Vivre est-il une joie ou une souffrance pour ce boulimique du temps et
de l'espace, je ne saurai le dire. Il ne sait que trop bien se dissimuler
derrière son formidable sens de la formule et les confidences attendues le sont
restées. le périple intérieur s'est transformé en un inventaire des balafres
infligées au temple sacré de la Nature. Une profanation pour qui ne cherche pas
son dieu dans la voute céleste mais dans les replis de la terre. Car lorsqu'on
parle de nature avec Sylvain Tesson,
il faut y mettre un N majuscule. "Il avait Dieu, je me contentais du
monde". Fallait-il qu'il aille le saluer ce dieu végétal et minéral,
audible et respirable, le remercier du sursis consenti après cette chute qui
aurait dû le tuer.
La France en diagonale ne vaut que 150 pages. Et la qualité n'a pas compensé la
quantité. Après un stress hydrique de plusieurs mois pour ce cep suceur de
cailloux, on espérait une concentration en sucres, littéraires ceux-là. Mais il
a fallu recourir à la chaptalisation, et là ça été l'overdose. Cela donne un
ouvrage sans chaleur, le distillat d'un esprit ensauvagé contraint à une course
grimaçante dans des espaces domestiqués. Une convalescence de rouleau
compresseur opiniâtre qui refuse de se laisser dicter sa conduite par une
colonne vertébrale brochée.
L'instinct de conservation est quand même là. Il écoute les recommandations de
la faculté de médecine au point de préférer le viandox à la bière ou à la
vodka. La frustration est palpable. Cela présage de l'attente fébrile d'un
autre départ dans les épaisseurs de la taÏga ou autre aridité à dos de chameau.
du sérieux que diable !
Voilà un ouvrage hexagonal qui témoigne aux yeux de son auteur de la place de
notre vieux pays, lifté comme une vieille actrice de cinéma, dans le concert
des nations. Cela reste quand même une formidable répartie de bout de plume
dans lequel les rencontres humaines ne servent malheureusement qu'à la relance
de l'inspiration pour la chaîne de montage des bons-mots.
La convalescence, certes active, du corps a été à mes yeux aussi celle de
l'inspiration pour cet auteur qui m'avait séduit sur les traces des grognards
de Napoléon ou dans la cabane au bord du lac Baïkal. A moins que ce ne soit
notre pays qui n'inspire plus ?
jeudi 13 octobre 2016
S'abandonner à vivre ~~~~ Sylvain Tesson
Les nouvelles auraient-elles été créées pour qui n'a pas le
temps de lire ? Les nouvelles auraient–elles été inventées par qui n'a pas le
temps d'écrire ?
Sylvain
Tesson nous livre quelques tranches de vie, quelques pérégrinations
philosophiques à l'emporte-pièce, de celles qui peuvent germer dans son esprit
de voyageur infatigable. L'occasion pour lui de tailler à grand coup de serpe
de son humour incisif dans l'intimité de héros choisis au hasard et livrés en
pâture à un lecteur qu'il veut aussi impatient que lui.
Quelques nouvelles pour dire qu'il est là, impatient de vivre et de nous le
dire, impatient de repartir. Quelle que soit la destination, avec quand même
une préférence pour les endroits les plus improbables où le touriste moderne ne
mettra jamais les pieds. Peut-être même à Paris. Une prédilection quand même
pour les confins asiatiques, la grande Russie. Pourvu qu'il y ait un vieil ours
qui n'aurait jamais imaginé qu'on parle de lui.
Quelques nouvelles, romans d'un quart d'heure, debout dans le train. Pas besoin
de marque page.
mercredi 21 septembre 2016
Dans les forêts de Sibérie ~~~~ Sylvain Tesson
Sylvain
Tesson était déjà venu au bord du lac Baïkal. Il s'était promis d'y
revenir. Il n'imaginait pas alors qu'il déciderait un jour d'y vivre en ermite.
Six mois seul, dans une cabane, face à la seule personne qui subsisterait dans
le paysage : lui-même. le besoin ressenti de briser la coquille de sédiments
culturels dans laquelle la civilisation enferme toute personne et exposer ainsi
sa nudité originelle aux "solitudes sacrées" du Baïkal dans son écrin
de montagne et de forêt.
Raphaël Personnaz qui interprète le rôle au cinéma - film sorti cette année -
n'a pas pu ressentir le même sentiment de plénitude sous l'oeil des caméras.
Pareil défi n'était pas seulement une quête de soi. Il y avait aussi la volonté
de se réconcilier avec le temps. Celui qui met tant d'obstination à fuir.
Quitter l'angoisse de le voir courir et consumer l'être peu à peu. Et puis ce
besoin d'accommodement avec une nature que l'homme met tant d'acharnement à
détruire.
Aventurier qui ne connaît ni frontière à son besoin de liberté ni entrave sa
soif de connaître, Sylvain Tesson est
le narrateur de ses propres pérégrinations planétaires. Berezina, son
épopée moderne à side-car sur les traces des grognards de Napoléon, m'avait
donné le goût de me frotter une nouvelle fois à son style trépidant. Il a un
formidable sens de la formule, soutenu par une culture livresque affichée. Ce
dernier aspect pourrait en revanche être de nature à vexer le lecteur
susceptible parce qu'en retrait de connaissances littéraires. Ce style est parfois
lapidaire, télégraphique, tout droit sorti du carnet de notes, mais il vous
bouscule, vous emporte sur les sommets surplombant le Baïkal, dans la
profondeur de la taïga, par tous les temps. Il sait être imagé, parfois
poétique, pour décrire celle au chevet de laquelle il s'enflamme à lui rendre
hommage : la nature. Mais ses tournures poétiques ne n'alanguissent pas
longtemps. Un humour piquant et spontané, qui n'appartient qu'à lui, cueille à
froid celui dont l'esprit se serait laissé griser aux vapeurs de la vodka qui
coule à flot ou étourdir à la fumée des cigares qui embrument la cabane.
Faut-il s'engourdir l'esprit pour tutoyer le sublime ?
Sylvain
Tesson a la conviction que les idées ne doivent pas être pensées, mais
vécues. Il est de ceux qui vont au bout de leurs idées. Quitte à mettre en
péril plus que sa propre vie, celle de son couple. Extase et amertume
seraient-elles deux soeurs inséparables ?
Mais au fait, était-il vraiment seul en son ermitage précaire ? N'était-il pas
déjà avec son lecteur ? Alors mystificateur Sylvain Tesson ?
Surement pas. La sincérité perle à tous les pores de la peau de celui qui consomme
la vie par toutes les extrémités et pour qui impossible n'existe pas au
vocabulaire. J'ai beaucoup aimé ce récit enflammé d'une expérience où il est
fait la preuve que la richesse peut venir du dénuement. "Être heureux,
c'est savoir qu'on l'est". Tout simplement.
samedi 17 septembre 2016
La condition humaine ~~~~ André Malraux
Shanghai 1927. A l'image du voisin soviétique, les idées marxistes font leur chemin en Chine. Le nouveau parti communiste tente de mener à bien la révolution qui émancipera le peuple chinois. Les nationalistes du Kuomintang conduits par Chang Kaï-Shek leur mènent la vie dure. C'est le contexte choisi par André Malraux pour développer sa réflexion sur la condition humaine. Ses personnages donnent leur voix à cette réflexion.
Comment ne pas s'enfoncer à son tour soi-même - lecteur d'un autre temps, mais
peu importe, ce qui est dit est universel – dans une profonde introspection
existentielle après un ouvrage d'une telle densité. Un ouvrage qui juxtaposent
à quelques pages d'écart l'épouvantable fin de ceux que Chang Kaï-Shek fait
précipiter vivants dans la chaudière d'une locomotive, tandis que d'autres,
dans leur confort parisien, s'interrogent sur leur niveau d'engagement au
soutien du consortium français en Chine pour financer la construction du réseau
ferroviaire.
Que vaut la vie de l'un ou de l'autre selon l'imminence de l'échéance ultime,
selon le caractère banal ou monstrueux de cette échéance ?
"Ô résurrection" est le terme que Malraux place dans la bouche de
celui qui a retrouvé son ampoule de cyanure. Il va pouvoir se donner la mort
plutôt que subir celle que ses geôliers lui auraient infligée. Résurrection.
Pour celui qui va mourir ? Vivre ne serait donc que la faculté d'agir. Fut-ce
pour se donner la mort ? Quand la passivité serait la mort, avant la mort.
La guerre offre un contexte propice à la révélation de la condition humaine.
Malraux le choisit plutôt que toute autre circonstance pour développer ses
thèses. Car la guerre place les individus dans la confrontation directe,
prématurée, délibérée ou non, avec la souffrance et la mort. Elle donne
l'occasion à tout un chacun qui serait resté dans l'attente passive et
angoissée de sa propre mort, de devenir un homme. Enfin !
Car un homme n'est autre que la somme de ses actes. Et choisir de mourir, pour
ses idées, c'est encore agir, c'est forger cette personnalité qui fera de celui
qui aura vécu un homme. "Qu'eût valu une vie pour laquelle il n'eût
accepté de mourir ?"
Quoi qu'il en soit "tout homme est fou". Le communiste, le
nationaliste, qui se battent. Le français qui finance. Celui qui soutient l'un
ou l'autre. Tous. "Mais qu'est-ce qu'une destinée humaine sinon une vie
d'effort pour unir ce fou à l'univers".
Prix Goncourt 1933. On ne m'a pas attendu pour
reconnaître le chef-d’œuvre. Un ouvrage exigeant, d'une consistance rare, qui
demande une concentration soutenue pour ne serait-ce qu'approcher le sens de
chaque phrase. Un livre qui force à l'élévation et dont on ne ressort pas
indemne.
mercredi 14 septembre 2016
Des souris et des hommes ~~~~ John Steinbeck
Quelle curieuse manie que celle de Lennie d'aimer caresser le duveteux d'un pelage. Celui de la souris morte dans sa poche par exemple ou encore de ce chiot qui vient de naître. Fût-ce au péril de ce dernier. Mais il ne s'en rend pas compte. Lennie est un grand balourd simplet.
Et qu'en serait-il du soyeux de la chevelure d'une femme, un peu aguichante par
exemple…?
George le surveille de près. Il l'a pris en affection et lui dicte sa conduite,
même s'il l'énerve un peu. Parce que Lennie est un gentil, qui l'écoute et lui
obéit. Le problème avec Lennie est qu'il ne connaît pas sa force. George sait
surtout que Lennie ne mériterait de toute façon pas la sanction d'une de ses
bêtises.
Les souris sont à la fois malicieuses et agaçantes, mais si attendrissantes.
Les hommes quant à eux … on ne connaît que trop leurs vices. C'est pour cela
qu'il faut protéger Lennie.
Magnifique roman, très court, de Steinbeck dont le titre est si bien choisi.