En utilisant la hiérarchie des
insignes de Babelio, je dirai que les chevronnés, inconditionnels de Romain
Gary, auront lu La nuit sera calme. Les adeptes, surement aussi. Dans la négative,
ils l'auront envisagé. Les amateurs quant à eux le découvriront peut-être après
avoir lu cette humble intervention. Et là, je les presse de le faire. C'est un
incontournable de la bibliographie de cet idéaliste sublime.
Sous la forme d'un entretien avec
son vieil ami François Bondy, lequel lui pose les questions brulant les lèvres
de ses admirateurs, comme de ses détracteurs, Romain Gary répond avec la
virtuosité et la spontanéité qu'on lui connaît. Avec un humour corrosif aussi,
qui vient en paravent d'une amertume toutefois assez mal dissimulée. Pour la
vérité, c'est autre chose. Car le drôle n'en est pas à ses premières facéties
éditoriales. Ce n'est pas au vieux singe, fût-il diplomate, que l'on va
apprendre à faire des grimaces et interloquer son auditoire. Mais quand même,
ça respire le vrai.
On apprend beaucoup de choses sur
le personnage dans ce livre, dont il est inutile d'essayer de faire
l'inventaire. Il faut plutôt chercher à convaincre l'amateur de se plonger dans
cette lecture au combien révélatrice tant des idées de l'auteur que des
stratagèmes qu'il mettra en oeuvre pour les faire valoir ou convoiter. Aussi,
si je devais extraire de cet ouvrage quelques impressions émergeantes, ce
serait d'abord la perception de cette hantise qu'a Romain Gary de l'enferment
en soi-même, une forme de "claustrophobie", tel qu'il le dit
lui-même, qui le fera à la fois se livrer dans tant d'ouvrages et sous divers
pseudonymes, dont un n'est d'ailleurs pas encore révélé au moment de
l'entretien avec son ami. Ce pseudonyme qui vaudra à son auteur son deuxième
prix Goncourt, Emile Ajar.
Je retiendrais aussi les
préoccupations qui lui feront reprocher ses déviances à la nature humaine et
nous dire que ce qu'il préfère dans l'Homme, c'est … la femme, plus exactement
la féminité. Seul trait de caractère selon lui capable de sauver l'humanité du
machisme dévastateur qui gouverne les esprits depuis que l'homme s'est octroyé
la gouvernance de la gente animale.
Et enfin lorsque François Bondy
demande à Romain Gary quel a été l'apport dominant de la mosaïque de sa vie, ce
dernier répond sans hésiter : "la France libre. C'est la seule communauté
humaine physique à laquelle j'ai appartenu à part entière". Sans doute
parce qu'elle était l'émanation d'un élan commun, d'un rêve, celui de la
liberté et que "l'homme sans le rêve ne serait que de la barbaque."
La nuit sera calme est un
éclairage indispensable sur l'homme et son oeuvre à qui veut progresser dans la
compréhension de la complexité du personnage. Une complexité qui se dévoile
toutefois d'autant plus qu'on l'assimile à la notion d'humanisme. Mais pas
l'humanisme mercantile en vogue. Un humanisme sincère, un humanisme qui croit
encore en l'homme en dépit de ce que la richesse de sa vie lui a fait
découvrir, et déplorer. Une forme de définition de l'humanisme au sens des
qualités humaines qui peuvent habiter un esprit prédisposé à la fraternité.
Sans le rêve, l'homme ne serait
que de la barbaque. Il s'empresse d'y adjoindre, sans la poésie aussi. Car rêve
et poésie vous élèvent et vous détachent d'une réalité qui porte plus à la
déprime. On comprend que lorsqu'un homme est habité par ce degré d'humanisme
idéalisé, il ait alors du mal à vivre parmi ses semblables.
Le 2 décembre 1980, son acte
funeste nous a privé de ce prospecteur de la part de féminité qu'il y a en
chacun de nous. L'inconvénient qu'il y a à connaître pareille échéance est
qu'on en scrute les prémices dans tous les écrits et paroles de celui qui
restera à jamais un virtuose de la vie.