Il fut une époque de notre histoire judéo chrétienne où il y eut simultanément trois papes en exercice. C'est ce qu'on appelle le grand schisme, à la fin du 14ème siècle début du 15ème. Un de ces papes était assis sur le trône de Pierre à Rome, un autre en Avignon et le troisième dans l'ordre chronologique d'élection à Pise où s'était tenu le conclave qui devait destituer les deux premiers. Et tous trois de rester en place et de proclamer le Saint-Siège là où chacun était. Quel était le vrai, quels étaient les faux ? Jean Raspail se garde bien de se prononcer. Même avec le recul, inutile de souffler sur les braises.
Il faut dire que la place était bonne. Ils convoitaient pouvoir, richesse et …
concubines ! Pourtant n'avaient-ils pas fait voeu de pauvreté, de chasteté ?
Ils pourchassaient les fois concurrentes ! Pourtant n'avaient-ils pas pour
crédo tolérance et charité ? Ils condamnaient au bûcher ceux qu'ils avaient
désignés comme hérétiques ! Pourtant ne devaient-ils pas appliquer les dix
Commandements, dont le cinquième, Tu ne tueras pas, et le dixième, Tu ne
convoiteras rien de ce qui est à ton prochain ?
Oui mais voilà, fût-il représentant de Dieu sur terre, le pape n'en était pas
moins homme. Et donc cupide, esclave de son corps, vaniteux, jaloux de ses
prérogatives, et cætera. Cette dernière locution englobant tout ce que la
nature humaine peut comporter de mauvais penchants.
Je suis voisin du palais des papes en Avignon. Je m'étais ouvert à cette
histoire fascinante qui voyait des hommes prêcher une chose et faire son
contraire. Mais il est une chose qui m'avait échappée, c'est que la lignée des
papes d'Avignon s'est perpétuée dans la clandestinité jusqu'à nos jours. Poil à
gratter de la curie romaine, une lignée restée fidèle au dernier d'entre eux
officiait envers et contre tout, surtout dans la contradiction de l'officielle
de Rome, sous le nom reconduit de Benoît, en souvenir du XIIIème du nom dans
l'ordre d'intronisation et premier à entrer en dissidence. A moins que ce ne
furent les autres qui étaient en dissidence.
Ce Benoît mourut presque centenaire en 1423 et quelques soudards incultes des
troupes de Napoléon en retraite de la calamiteuse campagne d'Espagne,
retrouvant son cercueil en 1813, se lancèrent tour à tour son crâne comme dans
un jeu de balle, méprisant de la profanation qu'ils commettaient.
« La plupart des chroniqueurs du temps s'accordent pour le considérer comme
l'un des plus grands hommes de son siècle, d'une totale intégrité de vie, d'une
droiture sans pareille, avec toutes les qualités de coeur et d'esprit que
nécessitait sa charge. » Nous dit Jean Raspail.
Autant de qualités témoignant de la grandeur d'un homme et faisaient qu'il ne
pouvait avoir le soutien des grands de ce monde. Il eut fallu pour cela qu'il
soit cupide, vaniteux, et cætera …
Jean Raspail a
fait cette recherche des traces ténues, enfouies dans les mémoires locales, que
ces Benoît ont laissées dans le flou de leur existence de parias, l'ombre de
leur refuge itinérant dans le grand sud de la France entre Rouergue et
Provence, fuyant la vindicte de l'officielle de Rome. La mort de l'un
provoquant la tenue d'un modeste conclave discret de la poignée de fidèles
gravitant dans son sillage et élisant son successeur. Ils avaient tous en
commun d'être reconnaissables par une aura, un magnétisme du regard qui
trahissait la présence en eux de Celui qu'ils représentaient sur terre. Dans
l'errance et le dénuement, seuls compatibles avec le prêche de pauvreté et
d'amour du prochain.
Dans les années 90, le gendarme qui entendit le dernier d'entre eux en audition
fut troublé par le rayonnement de sérénité qui émanait de sa personne. Il ne le
mentionna pas dans son rapport.
Magnifique ouvrage de Jean Raspail auquel
mon goût pour l'histoire, son écriture riche sans être pompeuse et cette quête
de vraies valeurs humaines au secret dans la mémoire des humbles lui font
accorder mon complet satisfecit. On y perçoit en filigrane la récusation non
dite de la perversion qui en ce temps engluait la fonction suprême de L'Eglise,
laquelle revendiquait la majuscule. Alors qu'en parfaite contradiction entre
leur discours et leurs actes ses plus hauts dignitaires se vautraient dans le
luxe, la corruption, la concupiscence, et cætera.