Ce qui surprend à la lecture de cet ouvrage c'est le décalage
entre la légèreté de l'écriture et la gravité du sujet traité. Le style mis en œuvre
par Dai
Sijie pour écrire cet ouvrage, en évocation de l'histoire de son grand
père, est souvent assimilé à celui d'un conte. Cet aïeul a pourtant connu un
sort aux antipodes de ce que relate habituellement le genre. Le nouveau régime
fort montant en Chine en ce milieu du 20ème siècle, se légitimant comme
émanation du peuple, a réservé à ceux qu'il avait classés parmi les ennemis de
la révolution humiliation, torture physique et mentale en forme de lavage de
cerveau. C'était rentrer dans le rang ou mourir. le rang étant celui d'un
peuple sorti vainqueur de la longue marche conduite par Mao Ze Dong.
Le grand timonier n'admettait d'autre culte que celui orienté vers sa personne. Pas étonnant donc que Yong Sheng, représentant d'une minorité religieuse, chrétienne en l'occurrence, devenu de ce fait ennemi public numéro un soit livré en pâture à un petit peuple revanchard, nourri aux promesses d'une prospérité inédite par le nouvel homme fort de la Chine. La révolution culturelle était en marche et comme dans tout régime autoritaire "chaque mot pouvait être une balle tirée dans la tête de l'ennemi, un poignard à lui planter dans le cœur". Les mots : la seule arme du prêche, des sermons que Yong Sheng s'ingéniait à écrire pour guider ses ouailles sur le bon chemin qu'il leur désignait, celui de la foi chrétienne.
Ce grand père de Dai
Sijie devenu pasteur par la volonté de son propre père a vécu son
calvaire des années durant comme le Christ sa passion, avec la conviction
obstinée que ce sort misérable lui était réservé par Dieu pour le rachat des
péchés de ce bas monde. Il a accepté souffrances et trahisons des siens sans
formuler la moindre plainte, le moindre esprit de revanche, en rédemption des
fautes de ses congénères. Le style sobre et affable employé par l'auteur venant
en confirmation de la volonté de Yong Sheng de pardonner à ses tortionnaires.
L'épilogue nous confirme dans le pacifisme, la générosité et le sens du
sacrifice du pasteur. Sans rejoindre les idées de ses tortionnaires, il n'émet
jamais aucune parole de malédiction à leur encontre.
Ce conte triste comporte ses symboles. Tel cet arbre sacré en chine,
l'aguillaire. Il en devient un personnage à part entière de l'ouvrage. Planté à
la naissance de Yong Sheng, il est devenu l'arbre du pasteur et manifeste sa
présence sur l'ensemble du récit. Brûlé lors de l'incendie de la maison du
pasteur, tel le Phénix il renaît de ses cendres en allégorie de survivance
d'une foi qui commande à l'esprit. A cet arbre sont prêtées des vertus non pas
magiques, cette notion ayant une connotation par trop païenne, mais
miraculeuses, propres à tempérer les ardeurs vindicatives. Comme un apaisement
provoqué par l'ombre de sa ramure. Il était devenu aux yeux de Yong Sheng le
symbole de la religion chrétienne.
Un autre symbole est celui des sifflets que fabriquait le père de Yong Sheng,
et ce dernier aussi sur le tard. Accrochés au plumage des oiseaux ils jouaient
une forme de symphonie aérienne rythmée par le battement de leurs ailes.
Harmonie de l'homme et de la nature que la révolution culturelle a un temps
étouffée sous la chape de plomb qu'elle avait répandue sur le pays. Symphonie
qui a timidement fait entendre à nouveau ses mélodies à la mort du grand
timonier.
Belle écriture aux élans délicats que celle de Dai
Sijie pour nous conter, on en convient au terme de cette lecture, une
histoire douloureuse, inspirée de la vie de son ascendant. Au-delà du dogme, de
la croyance c'est le courage, l'abnégation, la force de la foi et pourquoi pas
aussi une solidarité filiale qu'il a voulu souligner à l'égard de ce personnage
englouti par le ressentiment de ses congénères, eux-mêmes aveuglés par
l'endoctrinement, en un temps où la personne humaine ne valait pas la balle qui
lui ôterait la vie.