Les férus d'histoire sauront que la succession de Louis
XIV, si elle revenait à un autre Louis, quinzième du nom, a franchi plusieurs
générations pour incrémenter le nom d'une unité. Louis XV était en effet
l'arrière-petit-fils de celui qui détiendra pour toujours le record de
longévité sur le trône de France. Cette longévité, si elle a été une
bénédiction pour le roi que l'histoire a attaché à l'astre solaire l'a aussi affublé
de la malédiction de voir disparaître avant lui ses fils et petits-fils. Autant
de prétendants à sa succession selon la règle de légitimité se réclamant de
droit divin.
Le Très-Haut accordant ce droit n'ayant cure de bon ordre et de logique en matière
de succession, l'arrière-petit-fils en question n'ayant pas atteint la majorité
requise de 13 ans, le sort du royaume fut remis entre les mains d'un régent,
Philippe d'Orléans, neveu de Louis XIV. Intérim disputé par des convoitises
arguant de plus directe lignée. Il y avait donc matière à ourdir quelque
complot pour contester le testament du grand roi. C'est de cette période de
trouble dont nous entretient Camille Pascal dans cet ouvrage. L'artisan de la
conjuration étant le prince de Cellamare, l'ambassadeur en France du roi
d'Espagne Philippe V, lequel n'était autre que petit-fils de Louis XIV.
On peut avoir en détestation l'idée que le seul hasard de la naissance soit
source de privilèges, qui plus est se réclamant de droit divin, et pour autant
apprécier la relation qui en est faite par cet auteur à la plume si subtile.
Une chose à ne pas retirer à cette classe auto proclamée de droit divin, est la
qualité de la langue qu'elle met en oeuvre pour faire valoir ses arguments,
certes fallacieux, d'appropriation du pouvoir. Se réclamant d'un dieu que
l'église, grande bénéficiaire des avantages et privilèges de l'obscurantisme
prévalant, se garde bien de contester.
Le grand profit de pareil ouvrage se trouve dans la qualité de la langue mise
en oeuvre par son auteur. Restituant avec le plus grand bonheur la préciosité
et souvent aussi la causticité de ce langage de cour qu'affectionnait la classe
se réclamant de la plus haute naissance, de sang royal. Fût-il corrompu par les
alliances consanguines. La qualité de la grammaire mise au service du discours
diplomatique, surtout lorsque ce dernier est rehaussé des précautions du
contexte de la conjuration, laisse la bride sur le coup à un auteur tel que
Camille Pascal, avec l'habileté qui est la sienne dans les subtilités de ce
langage, pour nous soumettre un chef d'oeuvre de sophistication stylistique
bien au fait de l'étiquette.L'auteur nous fait par ailleurs la brillante démonstration de la conviction de
son bon droit de cette élite auto proclamée. Sa maîtrise des faits historiques
et de la langue pour les restituer est une formidable projection dans ce cercle
restreint convaincu de légitimité au point de ne pas voir venir la lame de
fonds qui l'emportera quelques décennies plus tard. C'est une transposition historique,
certains diront en langage plus moderne une téléportation, que nous offre ce
talent d'auteur avec la restitution des péripéties de cette succession qui,
comme souvent, a aiguisé les appétits voraces des prétendants au festin royal.
L'écriture de Camille Pascal est un régal à qui apprécie l'histoire quand elle
est rapportée avec toutes les tournures, nuances, subtilités et sonorités
qu'autorise notre belle langue.
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Ouvrages par genre
dimanche 3 juillet 2022
L'air était tout en feu ~~~~ Camille Pascal
jeudi 23 juin 2022
Le soldat Ulysse ~~~~ Antoine Billot
🌕 🌕 🌚 🌚 🌚
J'ai une forme de fascination d'horreur pour celle qui
restera dans les mémoires comme la grande guerre, la der des der, la fleur au
fusil. Elle a présidé à mon choix pour cet ouvrage.
Encore eut-il fallu que l'homme ait tiré les enseignements de ce cataclysme
pour purger la part inhumaine de sa nature. Mais las, l'histoire et l'actualité
nous montrent qu'il s'ingénie à descendre toujours plus bas dans les abîmes de
l'horreur.
Dans Au
revoir là-haut, Pierre Lemaître a
magistralement traité du drame des gueules cassées. Antoine Billot reste sur ce
registre avec cet ouvrage. Mais si le soldat
Ulysse a conservé figure humaine, le mal qui l'habite est tout autre :
il est devenu amnésique. Au point de ne plus rien connaître de sa propre
personne.
Le médecin qui le soigne, en peine de tirer le moindre indice de son passé, se
met en demeure de retrouver sa famille. En publiant son cas dans la France
entière, il fait naître l'espoir chez nombre de parents, épouses, enfants
anxieux de retrouver l'être cher déclaré disparu. A force de sélection,
élimination, déception, il finit par retenir deux familles lesquelles affirment
reconnaître leur cher disparu.
Si le thème est intéressant la lecture de cet ouvrage m'a été pénible. Je l'ai
regretté. le style résolument moderne se veut métaphorique au point que le
lecteur que j'en ai été ne savait plus parfois ce qu'il lisait. Les méandres de
la mémoire sont certes labyrinthiques et obscurs à son propre sujet mais le
chapitre deuxième qui articule le récit, on le comprend plus tard, qui sera
sans doute qualifié de chapitre phare, de chef-d'oeuvre par les pourfendeurs du
style narratif classique, est un supplice de digression, élucubration oiseuse,
un chapitre à la limite du compréhensible tant dans la lettre que dans
l'esprit. Une chasse à la chimère devenue roman homérique provincial nous
laisse accroire à la fin du chapitre que la bête traquée serait au final le
soldat amnésique. Les yeux font des va-et-vient sur des phrases qu'ils ne
rattachent pas à l'intrigue. C'est d'autant plus insupportable que ce chapitre
dénote avec le reste du roman. Cette envolée lyrique pseudo fantastique est une
incongruité dans cet ouvrage qui pour le reste aborde un sujet lourd quant aux
dommages humains de la grande boucherie du début du siècle précédent.
Plaisir mitigé donc pour ce qui me concerne avec cette lecture dont les autres
chapitres n'ont pas racheté à mes yeux les errances de ce début. Point
d'empathie pour les personnages, y compris ceux qui restent dans la détresse de
ne pas savoir ce qu'est devenu leur être cher, le corps sans doute amalgamé aux
boues de l'Artois, de la Somme ou d'ailleurs. D'autres auront apprécié et
apprécieront fort heureusement ce style qui commande tout. Ce n'est que mon
ressenti de lecteur au goût peut-être un peu trop convenu.
dimanche 5 juin 2022
Bretzel & beurre salé ~~~~ Margot et Jean Le Moal
Cathie Wald n'est pas seulement une étrangère venue s'installer dans le village, elle a acquis la belle demeure de la pointe de Kerbrat au nez et à la barbe d'un notable local qui la briguait. Voilà deux bonnes raisons de lui déclarer une guerre qui comme toutes divisera acteurs et spectateurs et ajoutera aux querelles de clocher d'un Locmaria, fictif celui-là, en pays de Cornouaille.
La flammekueche vient faire concurrence à la galette au sarrazin avec l'arrivée
de cette continentale décidée à ouvrir un restaurant. Les rancœurs y verront un
théâtre tout désigné pour faire plier celle qui a osé s'implanter de la manière
la plus convaincante, avec ses moyens financiers. Un client parmi les plus en
vue du village trouvera la mort par empoisonnement lors d'une soirée
choucroute.
Les enquêteurs les plus perspicaces ne seront pas les officiels bien connus. Ce
qui paraît-il est une caractéristique de ce sous-genre du polar que je découvre
: le cosy crime. Dont on nous dit dans la célèbre encyclopédie en ligne que «
le sexe et la violence se produisent hors scène, le détective est un détective
amateur, et le crime et la détection ont lieu dans une petite communauté
socialement intime. »
Ouvrage qui fait du bien pour distraire son lecteur. Une lecture légère qui le
fait se prendre d'empathie pour le héros d'autant plus facilement qu'il ne se
fait pas trop de souci quant à son sort à l'épilogue. Lecture détente pour la
torpeur de l'été, quand on veut faire une pause dans la morosité ambiante
qu'entretiennent avec opiniâtreté nos médias désormais omniprésents dans notre
vie.
C'est crédible et respire l'authentique régional. Il paraît qu'il y aura une
suite. C'est comme ça que naissent les séries. Après le succès d'un coup
d'essai.
mercredi 1 juin 2022
Les oubliés ~~~~ John Grisham
Dans les couloirs de la mort aux USA, il est des
condamnés qui sont victimes d'erreur judiciaire. Cullen Post, avocat et ancien
pasteur de l'église épiscopale, a décidé de vouer sa vie à ces oubliés. Oubliés
parce que la justice n'aime pas se renier. Une fois le verdict rendu, il est
plus confortable pour l'institution d'attendre que les recours s'épuisent et
que la
sentence s'exécute. Lui faire reconnaître ses fourvoiements est un
chemin semé d'embuches, souvent lourd de menace.
Lorsque Cullen Post s'est convaincu de l'innocence de Quincy Miller condamné
pour le meurtre d'un avocat en vue. Avec la petite association qu'il dirige il
déploiera toute son énergie à faire admettre l'erreur judiciaire. Dût-il se
mettre en danger face à ceux qu'il dérangera tant dans la police corrompue que
dans les cartels de la drogue.
Avec l'excellente traduction de Dominique Defert,
grâce à qui les idiômes américains ont trouvé leur juste transposition dans
notre langue, je découvre l'écriture de John Grisham. Elle
est accessible et agréable pour traiter de ce sujet si lourd. Un roman aux
confins du polar qui nous fait découvrir les arcanes du système judiciaire
américain, les écueils de la corruption et le chemin chaotique et incertain
qu'est la sauvegarde d'un innocent. Ce roman est passionnant. Je n'hésiterai
pas à lire un autre Grisham.
mardi 31 mai 2022
L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux ~~~~ Nicholas Evans
J'ai longtemps hésité à lire cet ouvrage. J'avais trop
peur de me rendre spectateur de séances de thérapie douce entre l'homme et
l'animal. Mais je me suis rendu compte à la lecture de cet ouvrage qu'il est
aussi et surtout une histoire d'amour et que l'homme qui murmure à l'oreille
des chevaux sait aussi le faire à celle des dames. Et que la sauvegarde de
l'animal blessé pourrait bien mettre en péril celle d'un ménage jusque-là
harmonieux.
La morale de l'Amérique puritaine saura-t-elle faire valoir ses droits ? Je
connais désormais le dénouement de ce roman que j'ai apprécié dans toutes ses
pages. J'ai désormais hâte de rattraper mon retard et voir ce que le cinéma a
fait de son adaptation avec Robert Redford, séducteur s'il en est.
L'amour au temps du choléra ~~~~ Gabriel Garcia Marquez
L'amour au temps du choléra aurait pu s'intituler l'amour
à l'épreuve du temps. Car c'est bien longueur de temps que nous fait
vivre Gabriel
Garcia Marquez avec ce roman d'une incroyable densité romanesque.
L'amour serait-il lui aussi une maladie, comme le choléra, une menace sur la
vie des gens.
Amour à l'épreuve du temps, mais aussi du qu'en-dira-t-on. Quand d'aucuns
voudraient prétendre qu'à partir d'un certain âge l'amour devient indécent.
Amour à l'épreuve de l'assiduité du lecteur aussi, de la part d'un auteur qui
veut le faire s'imprégner de l'alanguissement du soupirant éconduit. Il faudra
au lecteur à la fois affronter la vie d'un couple légitime livré à son
quotidien dont on sait combien il est un tue-l'amour et endurer l'attente
résignée d'un amoureux qui ronge son frein.
Mais le style est là pour soutenir l'intérêt quand les événements se font
désirer pour relancer l'intrigue. L'écriture de l'auteur nobelisé est là avec
toute sa puissance au service de l'oeuvre romanesque. Une écriture sûre de son
fait, érudite tout en restant accessible. Une écriture d'une remarquable
précision qui dissèque les caractères, analyse les émotions et livre au lecteur
l'intimité de ses personnages ainsi mise à nue. Véritable effeuillage psychique
qui dévoile leur palette sentimentale à l'épreuve des codes moraux d'une
société dans son époque. Comme un écorché de psychologie humaine pour nous
faire endurer une vie d'asservissement à la passion.
Avec L'amour au temps du choléra on n'est pas aux confins du fantastique comme
dans Cent
ans de solitude, on est au plus profond de l'être, à tenter de palper ce
secret qui fait qu'une personne s'éprend d'une autre. Amour indifférent à
l'érosion du temps. Attendant son heure, même si dans la bonne société en ce
début de XXème siècle il fait détourner le regard lorsqu'il s'expose dans la
grande maturité. L'alanguissement ne décourage pas son lecteur lorsqu'il est
soutenu par la formidable écriture de Gabriel
Garcia Marquez.
mercredi 11 mai 2022
Apprendre à vivre ~~~~ Luc Ferry
Pour sans doute prendre le contre-pied de Montaigne lequel professait que « philosopher c’est apprendre à mourir », Luc Ferry a intitulé son ouvrage d’initiation à la philosophie Apprendre à vivre. S’adressant de préférence aux jeunes générations et pour dédramatiser la raison d’être de la philosophie, laquelle veut en réalité consoler l’homme de sa finitude, il a décidé de l’aborder par son côté réconfortant et n’évoquer celle-ci qu’après une préparation pédagogique qualifiée. Avant donc de confronter l’apprenti philosophe à sa propre fin, il s’agit de lui faire apprivoiser le temps présent.
Parvenu à un âge qui, s’il n’est pas encore canonique, n’est plus de prime jeunesse, j’ai aimé m’entendre tutoyer par l’éminent professeur. Je me suis glissé à nouveau sans embarras dans le costume de l’élève. Si les années m’ont fait accéder à la maturité physique, en matière de philosophie il me reste ni plus ni moins qu’à naître. Cet ouvrage était donc aussi fait pour moi.
Il n’en reste pas moins qu’aussi promoteur que se veuille pareil ouvrage, convenons que les sujets abordés lui redonnent la complexité qu’il voudrait éluder, la profondeur que voudrait atténuer la familiarité du propos. Le recours successif inévitable aux références stoïciennes, chrétienne, puis modernes et post modernes, et finalement contemporaines fait forcément appel à une littérature dont l’abord est quelque peu difficile d’accès au profane. Reconnaissons donc que la lecture des grands philosophes dans leur œuvre nécessite, s’il est difficile de parler de vulgarisation en la matière, plutôt une dédramatisation préalable. C’est ce à quoi Luc Ferry s’attache dans cet ouvrage, glissant au gré de sa démonstration à l’adresse du néophyte les références des textes les plus accessibles à qui voudra approfondir sa connaissance et forger sa propre réflexion.
Le thème essentiel est celui du salut, ce devenir consolateur après la mort qui entre croyance et raison fait débat. Néant ou félicité, ou autre chose encore, la réponse ne sortira pas de l’esprit humain qui devra se contenter de conviction délibérée ou suggérée. Car comment vivre avec des questions aussi fondamentales puisqu’aucune vérité prônée par la doctrine chrétienne, le salut par un autre, ou la philosophie, le salut par soi-même, ne pourra s’imposer comme exactitude.
Les modèles proposés au fil des siècles par la raison et la croyance ayant été successivement battus en brèche en partie grâce à l’éclairage de la science, l’homme moderne devenu imbu de sa personne, doit désormais trouver en lui-même les ressources pour sortir de l’impasse qu’il a fermée devant lui. Les ressources pour apprendre à vivre, pour aimer la vie, sa vie, fût-elle vouée à une fin, en se libérant du regret du passé et de l’espérance en demain, sempiternelle fuite en avant qui n’est que mort par anticipation.
C’est donc à l’homme auquel il appartient d’introduire du
sens à la vie. La philosophie moderne serait donc orientée vers l’humanisme. Le
salut serait donc dans l’amour. De soi ici et maintenant. Du moi des autres, un
moi déconnecté de toutes les caractéristiques physiques et psychologiques par
lesquelles on a l’habitude de décrire les autres. Un moi désincarné. Le salut
serait dans l’amour absolu, sans attachement, seule source de vie bonne.
Ainsi donc, même s’il me reste à naître à la philosophie, celle enseignée par tous les éminents depuis que l’intelligence a investi le corps du mammifère, lui faisant du même coup prendre conscience de sa finitude, ayant comme tout un chacun réfléchi à ce thème source d’angoisse, je me suis forgé à la conviction que la mort serait somme toute accéder à ce que la vie ne permet pas : appréhender enfin et indéfiniment l’instant présent. Il est donc capital que cet instantané qui deviendra immuable soit un instantané d’amour.
mardi 3 mai 2022
Alexandre le Grand ~~~~ Joël Schmitt
Douze ans de règne seulement. Et pourtant une trace
indélébile dans l'histoire. Au point d'inspirer tout ce que la terre a compté
d'affamés de pouvoir après lui, à vouloir eux-aussi graver leur nom dans
l'histoire.
Certes, il n'y est pas allé de main morte. Douze ans de règne qui ont été douze
ans de conquêtes. Loin vers l'orient qu'aucune carte ne répertoriait alors.
Connaissant pourtant l'existence de l'Inde qu'il convoitait, avec sa côte sur
l'Océan indien et l'ouverture sur un autre monde. Mais une certaine forme
d'intelligence stratégique lui a fait comprendre que c'était trop. En tout cas
trop tôt. Son sens supérieur de maîtrise des peuples lui a fait entendre qu'il
fallait consolider son pouvoir sur les contrées conquises à marche forcée et
rabattre les prétentions de ceux laissés derrière lui à la gouvernance de
provinces et montrant déjà quelques signes d'indépendance.
Alexandre (356 - 323 av. J.-C), fils de Philippe II de Macédoine est
devenu Alexandre
le grand et le restera tant que l’Histoire colportera
aux hommes les épopées de leurs ancêtres. Tant qu'il y aura des historiens
tel Joël Schmidt pour
nous en faire bénéficier. Avec la précision avec laquelle il le fait. C'est ce
qui m'a interpelé dans cet ouvrage.
J'ai le souvenir récent de la biographie de Théodora par Virginie Girod laquelle
ne comptait pratiquement que sur un auteur contemporain, Procope de
Césarée, pour témoigner de la vie de cette femme politique devenue à cause
de ce manque de témoins fiables autant légendaire qu'historiquement attestée.
Elle vécut pourtant quelques huit siècles après Alexandre de Macédoine. Et
comparativement, la vie d'Alexandre
le grand est relatée dans un détail foisonnant par pléthore de
témoignages que Joël
Schmidt a rassemblés dans cet ouvrage des plus complet.
Encore que, en parlant de témoignages, faut-il préciser que les originaux ayant
disparu pour la plupart, ceux-ci sont relatés par des propos et rapports
décalés, de ceux-là même qui sont de nature à forger des mythes. Il n'en reste
pas moins que nombre de contemporains d'Alexandre – Ptolémée 1er, l'un de ses
principaux généraux, Aristobule de Cassandreias, historien, Callisthène son
historiographe officiel, Clitarque d'Alexandrie, historien et rhéteur – pour ne
citer qu'eux, ont écrit sur celui qu'ils portaient aux nues. On peut donc
affirmer que s'agissant d'un conquérant exceptionnel, non seulement de bravoure
guerrière mais aussi d'intelligence politique, Alexandre
le Grand a certainement été mieux servi par ses contemporains en
termes de réputation que Théodora. Elle avait en effet le double tort d'être de
basse extraction et femme se mêlant de politique en une époque où son sexe ne
l'eut prédestiné qu'à la perpétuation d'une lignée monarchique et au plaisir
des yeux, si ce n'est aux plaisirs tout courts.
C'est un ouvrage étonnamment précis et complet que nous adresse Joël Schmidt sur
la vie de ce monarque qui n'aura pas usé sa culotte sur son trône macédonien,
tant il fut à poursuivre et finalement déchoir Darius III, le dernier roi de
l'empire perse, et à maîtriser ses peuplades affiliées. Alexandre
le grand doit son qualificatif mythique aussi bien à son érudition,
son sens stratégique et politique qu'à sa grandeur d'âme et sa qualité de
meneur d'hommes et parfois aussi sa cruauté de despote. Bien convaincu qu'il
était que toute bonne gestion des affaires humaines sait faire usage de la
carotte autant que du bâton. C'est ce que nous laisse bien comprendre Joël Schmidt. La
question étant de savoir quelle longévité eut pu être celle d'un empire aussi
vaste sous la férule d'un homme à l'ambition hypertrophiée si la maladie ne
l'avait emporté à trente trois ans. Une biographie qui est une véritable
cavalcade dans le grand orient dont on à peine à imaginer qu'elle pût se faire
au pas du fantassin.
Ceux qui l'ont voulu pour modèle ont pu se rendre compte que n'est pas
Alexandre qui veut. A jouer sur la partition qui va de la plus grande rigueur à
la plus intelligente magnanimité. Chef de guerre incarné, à se battre au
premier rang et galvaniser ses troupes puis régenter les pays conquis et fonder
nombre de cités dont la plus célèbre, Alexandrie, abritera la grande
bibliothèque de l'Antiquité à l'initiative de son fidèle Ptolémée, récompensé
et devenu roi d'Egypte. Belle façon de rendre hommage à conquérant mentor qui
était aussi un érudit.
dimanche 24 avril 2022
Lettres a Lucilius ~~~~ Sénèque
« Que d'objets nous achetons parce que d'autres les ont achetés, parce qu'on les voit chez tout le monde ou presque ! L'une des causes de nos malheurs est que nous vivons en prenant exemple sur autrui : nous ne nous réglons pas sur la Raison, mais nous laissons détourner par les usages. »
A lire cette citation on se dit qu'il s'agit d'une réflexion de quelque
observateur bien contemporain de nos coutumes consuméristes. Il faut alors que
je détrompe le lecteur de ces lignes en lui dévoiler que cette citation est
tirée de la lettre CXXIII, que Sénèque adressa à
son ami Lucilius dans les années 60 (tout court) de notre ère. Peu de temps
avant que son élève pour le moins turbulent, le bien Nommé Néron, empereur de
Rome de 54 à 68 après JC, ne lui suggère de se suicider.
Cette citation, que deux millénaires nous séparent de son auteur, nous fait
dire que peu de choses ont changé en ce bas monde depuis qu'il est peuplé de
bipèdes investis par l'intelligence. Intelligents peut-être, mais quand même
pas suffisamment accessibles à la Raison, qui pour le coup sous le stylet
de Sénèque prend
la majuscule tant elle est haussée au pinacle du comportement intellectuel.
Faculté de l'Être pensant prônée par le philosophe pour faire contrepoids à
celle prônée par le dévot : la Croyance.
Raison contre Croyance, pour une finalité toutefois identique : venir au
secours de l'Être pensant contre l'obsession de sa finitude. Apprivoiser l'idée
de la mort. L'idée, nous dit Sénèque, étant plus
assassine que la mort elle-même. Figurez-vous, nous dit-il, qu'il en est qui se
donnent la mort pour se libérer de l'idée de la mort. Un comble.
A lire des textes de philosophes antiques, les éminents qui ont pignons sur rue
en la matière tel Sénèque,
il faut s'attendre à aborder ces questions essentielles telles que, outre la
plus fondamentale de toutes qu'est la vie et son issue, le bonheur, les
plaisirs terrestres, le rationnel et l'irrationnel, le vice et la vertu,
l'amitié, la sagesse, la maladie, la douleur, et tant d'autres réflexions
que Sénèque adressa
à son ami Lucilius dans ses lettres dont
les copies sont miraculeusement parvenues jusqu'à nous, et certaines
retranscrites dans cet ouvrage de la collection Agora chez Pocket.
Même si « la philosophie n'est point un art fait pour plaire à la foule »
selon Sénèque dans
sa lettre XVI, son discours est empreint de simplicité dans le langage et
accessible au vulgaire, dont je suis un digne représentant, grâce la traduction
qui nous est offerte par cette collection. Il est bien clair que sans ce
travail de latiniste patenté, mes universités dissipées me rendraient la parole
du célèbre rhéteur inabordable. Il est bien clair aussi que pour les disciples
d'Epicure que
nous sommes devenus par facilité de préférence au discours du sage lequel veut
nous éloigner des plaisirs du corps, le discours d'un Sénèque peut
sembler rébarbatif. Mais l'âge venant et l'idée de la fin obsédant conduisent
les uns à se rapprocher de l'autel du mystique, les autres à avoir recours à la
Raison.
Il est quand même un sujet sur lequel on ne le suivra pas le grand Sénèque, lequel a joint
le geste à la parole, quand il nous dit qu'il vaut mieux se donner une fin
honorable plutôt que de vivre dans la mésestime de soi. Une chose que l'on doit
ajouter au crédit de notre époque, outre les crèmes anti rides pour satisfaire
notre narcissisme, est le recours aux psychologue et anti dépresseurs, à défaut
du philosophe plus culpabilisant à notre goût, pour nous aider à supporter nos
humeurs chagrines. Autre temps autre mœurs même si « que d'objets nous
achetons parce que d'autres les ont achetés. » etc… etc…
dimanche 17 avril 2022
Théodora ~~~~ Virginie Girod
« Les hommes redoutent toujours le pouvoir féminin qu’ils
pressentent si supérieur au leur ». C’est une des rares citations de cet
ouvrage dans laquelle on peut dénicher une note de compensation en faveur des
femmes après des millénaires de domination par son congénère masculin. Car là
n’est pas le propos de Virginie Girod. Même s’il s’agit de faire le recentrage
de la réputation d’une femme colportée par tant de voix discordantes.
Avec l’érosion des sources historiques il y a deux autres raisons de mal connaître
la valeur et l’impact des femmes en politique. C’est qu’elles étaient femmes
justement d’une part. Que leur action politique ne pouvait se concrétiser que
par l’entremise d’un homme. Et que d’autre part, jusqu’à encore très récemment,
écrire était resté privilège masculin. Ce n’est pas Virginia Wolf qui le
contredira. Elle s’en expliquait dans Une chambre à soi. Il est donc évident
que dans pareils contexte et circonstances la voix des femmes ne pouvait être
que rapportée par celui qui n’avait aucun intérêt à déchoir de son piédestal.
Théodora ayant eu en son siècle un destin de femme, et même un destin tout
court pourrais-je dire pour ôter la notion de genre à cette allégation, un
destin donc hors du commun qui ne pouvait laisser personne insensible. Surtout
pas les hommes qui eurent à la connaître. Ils pouvaient l’aimer ou la détester
avec la subjectivité qui s’attache à chaque attitude, jamais rester
indifférents. Mais femme des tréfonds de l’histoire, sa vie, son œuvre ne sont
connues que de propos rapportés par des hommes. Au premier rang desquels son
contemporain Procope de Césarée (1), lequel ne lui vouait aucune admiration
bien au contraire. Se complaisant à supplanter l’intelligence politique qui fut
la sienne au profit de son passé moins reluisant, ne concédant à son avantage
que le charme de ses traits. Encore en faisait-il un atout pour servir son
appétit de pouvoir.
Dans cet ouvrage Virginie Girod fait le point sur les sources orientales mises
au jour depuis ce temps lointain contemporain de Théodora et de Procope. Elle
concède dans un chapitre en fin d’ouvrage « qu’écrire la biographie de Théodora
est une gageure. L’historien navigue entre les sources et les ouvrages qui lui
sont favorables ou hostiles. » Elle vient pourtant nuancer cette vision
manichéenne du personnage. La tentation de la solidarité féminine est absente
du portrait qu’elle essaie de peindre de la fille d’un dresseur d’ours devenue
impératrice. Même si la restitution d’une sensibilité féminine qui a longtemps
fait défaut à tous ceux qui ont évoqué le personnage jusqu’alors est un
éclairage appréciable de la part de cette spécialiste de l’antiquité. Comme
dans les deux précédents ouvrages que j’ai lus de sa main, je retrouve cette
volonté de rééquilibrage légitime et bien mené de la réputation d’un personnage
trop longtemps polluée par des sentiments opposés et exacerbés. Son tort n’a
après tout été que d’accéder au pouvoir en un temps où les femmes devaient s’en
tenir à leurs travaux d’aiguille.
Mais derrière toute cette histoire d’une « femme fatale, puissante, dont l’aura
n’a pas encore disparu mille cinq cents ans après sa mort », il y a une
histoire d’amour dont Virginie Girod se convainc de la sincérité. Celle qui a
uni cette femme « belle, intelligente, manipulatrice, dominatrice, déterminée »
à Justinien. Ils formèrent un couple fidèle et solidaire. L’empire byzantin
n’eut pas à souffrir de leur union, bien au contraire. A eux deux ils le
conduisirent à son apogée par la fortune de leur complémentarité. Et peut-être
même Justinien a-t-il duré au pouvoir que parce qu’il avait cette souscrit à
cette alliance tant décriée.
Bel ouvrage de Virgine Girod fort bien construit autour de cette « femme libre,
intelligente et insoumise [qui] pourrait être érigée en modèle. »
(1) Procope de Césarée né vers 500 et mort vers 565, est un rhéteur (avocat) et
historien byzantin dont l'œuvre est consacrée au règne de l'empereur Justinien.
(Source Wikipédia)











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