Rare sont les peintres des siècles passés qui ont connu la notoriété de leur vivant. Botticelli est de ceux-là. Fallait-il que son génie fût évident pour que ses compatriotes expriment un tel engouement pour son art.
Rare sont les peintres des siècles passés qui ont connu la notoriété de leur vivant. Botticelli est de ceux-là. Fallait-il que son génie fût évident pour que ses compatriotes expriment un tel engouement pour son art.
C'est ouvrage est une merveille à deux titres. Par le choix de son thème et la façon de le traiter dans un premier temps. Par sa mise en forme ensuite, avec ce style prodigieux qui n'appartient qu'à Yasmina Khadra.
Un demi-siècle après la conclusion des accords d'Evian qui scellent l'indépendance de l'Algérie, le sujet est toujours explosif. Alors que nombre de protagonistes des deux partis sont encore de ce monde, il faut du courage pour s'attaquer au thème, de l'habileté pour ne pas relancer la polémique. L'exercice est sans doute plus aisé pour un Algérien de souche qui pourrait s'enorgueillir de cette page de l'histoire de son pays. Mais là n'est pas le propos de Yasmina Khadra. Il prône l'apaisement.
Il relate les faits sans parti pris et les opinions avec impartialité. Bien entendu il évoque aussi quelque part – il le fallait bien - les sources du mal, avec ce racisme latent qu'il rapporte par la bouche d'Isabelle : « Je suis une Rucillio, as-tu oublié ?… Tu m'imagines mariée avec un arabe ?... Plutôt crever ! ». Ce mal contre lequel Younès, alias Jonas, n'imaginera même pas se révolter, même s'il lui vole son bonheur. Mais Yasmina Khadra veut dépasser les clivages pour donner la parole au coeur. Il veut exprimer la somme de souffrances que les contemporains de cette époque en ce pays ont pu endurer, au cours de ce qu'on appelait pudiquement en métropole « les événements ».
Aussi toute généralisation étant forcément abusive, l'humanisme de l'auteur veut nous mettre en garde contre les assimilations. Emilie en sera le symbole. Elle s'insurgera de voir Younes ne pas répondre à son amour déclaré au mépris de toute ségrégation : « as-tu jamais osé une seule fois dans ta vie ?».
Younes est un spectateur indolent des soubresauts de ce pays qui s'ouvre au nationalisme. Il passe à côté de cette guerre, même si le malheur le rattrape souvent. Il voudrait tant que les choses soient plus simples, que le coeur parle plus fort que la raison.
Métaphores, allégories, font de cet ouvrage une merveille de style imagé, à l'alternance bien dosée entre les dialogues, les portraits et la narration.
« L'hiver se retira un soir sur la pointe des pieds pour faire place nette au printemps. Au matin, les hirondelles dentelèrent les fils électriques et les rues de Rio Salado fleurèrent de milles senteurs. »
Un romantisme un peu désuet contrebalance la dureté des événements : « Elle
n'était plus de chair et de sang. Elle était une éclaboussure de soleil. » Les
éléments naturels sont autant de personnages qui animent le récit : « La
fournaise des dernières semaines s'était calmée. Dans le ciel épuisé par la
canicule, un gros nuage filait sa laine, le soleil en guise de rouet. »
Le vocabulaire est familier sans être populaire, riche sans être pédant, imagé
sans être fumeux, toujours juste. « Ils élevaient autour de leur bonheur des
remparts imprenables en s'interdisant d'y creuser des fenêtres. »
Ce que le jour doit à la nuit est un très beau roman, ses enjeux sont nobles, sa lecture est un régal.
« Laisse-la crever. Je t'assure qu'elle est à sa place là où
elle est. Après tout, ce n'est qu'une femme. » Dans la bouche du milicien
taliban Qassim Abul Jabbar, cette phrase résume le livre. C'est un ouvrage
court et cinglant, comme un coup de cravache. Tels ceux avec lesquels ces fous
de Dieu, dans Kaboul, rabattent les fidèles vers la mosquée.
C'est un ouvrage sur la disparition de la femme du paysage
humain. Reléguée au rang de vecteur de procréation, à la seule fin de perpétuer
les adorateurs de Dieu. La femme chosifiée, ainsi que se qualifie Zunaira,
l'avocate condamnée à dissimuler sa beauté sous ce tchadri qu'elle exècre.
C'est un ouvrage sur l'effacement des cultures, sur le détournement des
écritures saintes à des fins d'appropriation du pouvoir.
C'est un ouvrage dans lequel des créatures sanguinaires,
avec pour toute culture celle de la Kalachnikov, y parachèvent un obscurantisme
nauséabond. C'est l'ouvrage du désespoir fait homme.
Kaboul n'est plus qu'un épiderme squameux où les tumulus des
tombes comblées à la hâte, au gré des exécutions, sont autant de bubons qui
témoignent de sa maladie.
Et pourtant, quelques sentiments émergent avec prudence de
l'océan noir qui a englouti la joie de vivre dans ses abysses de haine. Des
relents d'humanité se raniment alors, comme la flamme d'une bougie dans
l'obscurité des catacombes. C'est ce qui arrive à Atiq, le geôlier malgré lui,
qui laisse dépérir sa femme malade, sans le moindre secours. Il découvre un
jour la grandeur d'âme de celle-ci, lorsqu'elle lui propose de prendre la place
de Zunaira, condamnée à mort, à la faveur du tchadri, le voleur d'identité, qui
pourra tromper les bourreaux.
Yasmina
Khadra n'a pas son pareil pour traduire les ressentis, les infiltrer
dans l'esprit de son lecteur et le convertir aux états d'âme de ses
personnages.
Et au final le message qui passe. Prends garde ! Toi qui vis
dans l'insouciance du confort. le sournois est dans ton dos. Jaloux de ton
succès, il sera d'autant plus cruel qu'il aura forgé son ignorance et trompé
son discernement au discours du prêcheur.
A lire absolument, d'un seul trait, comme un coup de cravache en travers de la figure.
Comment se faire une idée de ce que pouvait être la vie des petites gens dans le sud espagnol, à la fin de la Reconquista, si ce n'est en lisant Les révoltés de Cordoue.
Des êtres sur le qui-vive perpétuel, dans un monde où règne la loi du plus fort. Des animaux traqués en quête de leur subsistance quotidienne, dans une société régie par les coutumes et la foi. La hiérarchie était celle de la naissance, la légitimité de toute position sociale celle de Dieu et la loi dictée par la religion. Bien piètre perspective pour le mal-né, le manant. Il n'avait alors de salut que dans le choix d'une mort fidèle à sa foi religieuse.
S'il est une constante en ce monde ce sont bien les conflits inter religieux. Notre actualité nous le prouve tous les jours. En cette fin de XVIème siècle en Espagne, après les juifs, un siècle plus tôt, les musulmans d'Andalousie à leur tour n'ont d'autre choix que se convertir ou s'expatrier, après sept siècles de coexistence confessionnelle.
C'est l'atmosphère dans laquelle évolue Ibn Hamid, alias Hernando Ruiz, maure espagnol traqué par une inquisition triomphante à l'heure où le christianisme reprend le monopole des consciences. Et pourtant, en dépit du double handicap d'être né maure et au bas de l'échelle sociale, notre héros va naviguer en eaux troubles, rejeté par les siens, mal accueillis par les chrétiens, et curieusement monter dans l'échelle sociale grâce aux sauvetages que sa philanthropie lui dicte aux hasard de ses revers de fortune.
Né d'une femme violée par un prêtre, il consacrera sa vie à tenter de mettre en
évidence les traces dans la genèse de chaque religion qui pourraient les
rapprocher et les faire vivre en harmonie. Il gardera au coeur l'amertume de
voir ces deux mondes restés irréconciliables
Les cruautés sont le lot quotidien de ces êtres enchaînés par leur foi. On
s'étonne de la froide détermination des tortionnaires à tailler dans les
chairs, briser les membres, faire couler le sang, arracher les enfants à leur
mère. On s'étonne encore plus à voir les suppliciés chevillés à leur foi, lui
rester fidèles sous le calvaire de la question. Doux euphémisme qui ne traduit
pas son lot d'horreur et de souffrance. Les sentiments, les convictions sont
d'autant plus forts que le contexte dans lequel il s'exprime est féroce.
C'est un ouvrage qui montre la force de l'ancrage de la religion transmise à la naissance, perpétuée par l'éducation, la force des femmes qui, plus que les hommes, endurent les conséquences des conflits, la force des sentiments de cette époque régie par des valeurs dont notre monde d'aujourd'hui se démunit.
Toutefois, l'écueil potentiel avec ce genre de gros volume est de provoquer des
longueurs dans l'intrigue. La plume facile d'un auteur capable de produire une
telle fresque historique romancée peut fort bien être trahie par son souci du
détail et se trouver à la peine pour conserver l'attention de son lecteur au
long de certains chapitres. C'est un peu ce qui se produit avec cet ouvrage
d'Ildefonso Falconnes. Il n'aurait pas démérité avec une réduction d'un bon
tiers de son nombre de pages. A l'instar de la
cathédrale de la mer qui m'avait incité à m'attaquer à ce nouveau
roman de son auteur.
La traduction a-t-elle aussi peut-être modernisé certaines expressions au point de les rendre presque anachroniques ? Les révoltés de Cordoue, qui aurait pu conserver son titre original, La main de Fatima, n'en reste pas moins un excellent ouvrage remarquablement documenté sur une période douloureuse de l'histoire de l'Espagne. Je le recommande aux amateurs de beaux romans historiques.
En août 2014, nous connaissons une fois de plus une flambée
de violence au Moyen-Orient. Expression devenue banale dans le langage
journalistique de nos jours. Expression usée qui ne dépeint désormais plus son
lot de souffrance et de mort dans l'esprit des Européens blasés que nous
sommes. Des Européens qui ont soit oublié, soit jamais appris, leur part de
responsabilité dans cette tragédie sans issue, fruit de politiques
expansionnistes désastreuses.
L'armée israélienne réplique comme elle sait bien le faire à
des provocations de la part des Palestiniens de la bande de Gaza. le sang coule
encore, comme cela se fait depuis bientôt un siècle dans cette région, depuis
cette fameuse déclaration Balfour envisageant la création d'un foyer national
pour le peuple juif en Palestine.
Qui est légitime pour posséder cette terre sacrée et maudite
à la fois ? Gilbert
Sinoué nous introduit dans cette poudrière et a choisi de nous
rappeler à l'histoire en nous faisant vivre le quotidien de familles
palestinienne, irakienne, syrienne, et égyptienne. Il nous convainc que le
Moyen-Orient fera encore longtemps la une de l'actualité, non seulement pour
notre génération, mais aussi pour nombre de générations à venir.
.Natif de cette région, de cette époque qui a connu le
Souffle du jasmin et vu l'Egypte se sortir des griffes du lion britannique, qui
mieux que lui pouvait nous emporter dans ce tourbillon, avec la force du
romanesque qu'on lui connaît, pour nous imprégner des rancœurs, des colères, du
désarroi de ces peuples condamnés à se déchirer. J'aborde avec le plus grand
intérêt le tome 2 d'Inch Allah, cette épopée de notre temps.
Les pessimistes diront qu'un tel ouvrage est un coup d'épée dans l'eau. Les optimistes seront satisfaits d'y trouver un auteur qui ose encore prôner la sagesse. Est-ce bien raisonnable dans notre société de consommation pour laquelle le bonheur est fondé sur le pouvoir d'achat ?
Ce stade est même déjà dépassé. le toujours plus a trouvé ses limites. A peine
le bien désiré est-il acquis que la convoitise s'oriente vers un autre. Alors
cette fuite en avant cherche déjà ses dérivatifs et l'esprit matérialiste se
brûle les ailes dans la quête de paradis artificiels. Les drogues et autres
psychotropes inondent le monde, toutes classes confondues. On n'apprécie plus
rien sans effets spéciaux. Les médias suscitent le besoin, entretiennent la
frénésie consommatrice, font miroiter des nirvanas aux démunis, traquent et
harcèlent les plus réfractaires à l'achat. Comment imaginer qu'on puisse «
quitter cette logique de l'avoir pour passer à celle de l'être ». C'est
pourtant ce que suggère Frédéric
Lenoir avec cet ouvrage qui veut remettre en lumière les clés de la
sagesse.
L'auteur extirpe de leur quotidien huit personnages, religieux et laïcs, de
tous âges, y compris des enfants, et bâtit un conte moderne qui les conduira
dans la vraie quête, celle de la plénitude. le monde terrestre est au bord d'un
cataclysme majeur. L'espèce humaine est parvenue, essoufflée, au terme de sa
course dans l'erreur, au fond de l'impasse. Elle va prendre un nouveau départ.
Ces huit sages qui représentent l'ancienne voie, réunis à Toulanka, vont
tenter, forts de leur expérience malheureuse, de donner les bases saines d'un
nouveau départ à deux jeunes adolescents. Cette nouvelle voie ne peut donc plus
être celle de la satisfaction des instincts primaires. Elle n'est pas non plus
celle des religions. Elles ont prouvé leur inaptitude à réunir les hommes.
Elles prêchent toutes la tolérance et ont dans le même temps été à l'origine de
la plupart des conflits qui ont fait se déchirer les peuples. Cette nouvelle
voie ne peut donc être que celle de la sagesse.
C'est un conte des temps modernes auquel Frédéric
Lenoir nous convie, dans le sens où il se tient de nos jours. Mais
aussi un conte modernisé, car il a une valeur intemporelle et ne fait
finalement que remettre au goût du jour les préceptes des philosophes de
l'antiquité. A ceci près que de nos jours, la machine s'est emballée, tout va
trop vite, il faut lever le pied. Il faut prendre le temps de refaire
connaissance avec soi-même, se libérer de l'esclavage que nous imposent nos
instincts. Il s'agit pour chacun de retrouver un nouvel équilibre, en harmonie
avec le monde, dépassant les limites de sa propre vie sur terre.
Et tout commence par l'estime de soi. Car il n'est pire ennemi que soi-même.
Estime de soi, qu'il ne faut pas confondre avec narcissisme ou promotion de son
égo. « L'égo veut prendre et dominer ». L'estime de soi est la condition sine
qua none pour entrer en harmonie avec le monde dans lequel on vit.
Une lecture superficielle de cet ouvrage laissera l'impression d'enfoncer des
portes ouvertes, de déclamer des évidences. Et pourtant ! Les choses ne
sont-elles pas finalement toutes simples.
Une première lecture intégrale vous laissera le goût de revenir dans ces
chapitres, au hasard. de rechercher les multiples interventions lorsque « le
sage prend la parole et dit : ». Il faut alors écouter la parole du sage,
refermer le livre, prendre son temps, méditer, s'interroger, comprendre,
regarder autour de soi, regarder en soi, pour finalement s'accepter tel que
l'on est, accepter les autres tels qu'ils sont. Accepter son sort aussi, avec
son début et sa fin, pour comprendre que cette fin n'est qu'apparente, que tout
être se perpétue dans l'Âme du
monde.
Ce n'est pas un ouvrage religieux. Il serait même presque anti religieux. Il
clame haut et fort « qu'aucune religion ne peut prétendre posséder la totalité
de la vérité. ». C'est tout sauf de la béatitude.
Il ne faut pas craindre de lire l'Âme du
monde, de placer repères et des index dans ces pages, de le crayonner pour
retenir ce que l'on veut, retrouver ces préceptes si évidents qu'on les a
oubliés, et surtout oublié de les mettre en pratique.
Un excellent tour d'horizon sur le thème, dans l'espace et dans le temps. Avec
en prime l'allégation incontestable que les religions sont invention de
l'homme, donc forcément dans l'erreur quand elles revendiquent la possession de
la vérité et l'universalité de leur prêche.
Difficile de rester neutre sur le sujet. Frédéric
Lenoir y parvient. La thèse à soutenir est que toutes ont leur raison
d'être ou de ne pas être. L'important étant de ne rien imposer et de laisser
chacun à sa croyance devant le grand mystère de la vie.
Une religion n'est jamais qu'une secte qui a réussi.
Il faut savoir terminer un roman. le lecteur qui progresse au fil des pages s'interroge toujours sur l'épilogue. Quand on replace cet ouvrage de Yasmina Khadra sur le rayon de sa bibliothèque, on se dit qu'on y reviendra. Avec un sujet aussi grave, la fin ne déprime pas. Elle est un peu comme la flamme d'une bougie dans un univers de ténèbres. Fragile, mais obstinée. C'est une force dans la conception d'un ouvrage que de savoir le terminer sans pour autant laisser augurer de l'issue dès les premiers chapitres. Et si je commence par la fin, c'est que je m'y suis retrouvé sans m'en rendre compte, tellement le voyage a été absorbant.
La fin est une chose, mais le corps du texte en est une autre. Et là encore,
cet ouvrage de Yasmina
Khadra, c'est du généreux, du sincère, du bienfaisant. Quel plaisir de lire
de telles pages de littérature, dans une langue de qualité.
J'avais découvert cet auteur avec " L'attentat".
Je m'étais promis d'approfondir sa connaissance et le fais avec " L'équation
africaine". Je confirme ma première impression, la conforte même. Cet
ouvrage, plus encore que le premier, me subjugue par la qualité de la
retranscription des sentiments, de leur traduction en mots, en phrases. Et Dieu
sait si l'exercice est difficile. La colère, la révolte, la résignation, le
découragement, l'indignation, la détresse, la déprime, l'irritation, le
mal-être, l'humiliation, le lecteur se les approprie, les ressent à la place
des héros. Mais curieusement jamais de haine. Comme si finalement, après
l'avoir déprécié, déconsidéré, Yasmina Khadra révèle
une foi souveraine en l'Homme. Et puis bien sûr, et heureusement, l'espoir, la
jubilation. Même l'amour dont on perçoit le frisson, ses bouffées de
sensualité, presque incongru, mais tellement troublant et tyrannique.
Pour avoir vécu quelques temps en Afrique de l'est, j'ai retrouvé dans ces pages
la touffeur de l'air immobile surchauffé, le sable qui colle à la peau moite,
la bouche douloureuse de sécheresse, le regard qui se perd sur ces étendues de
sables et de roches volcaniques, l'usure du corps et de l'esprit sur les pistes
rocailleuses quand chaque pas est un exploit.
Il y a certes de l'action dans ces pages, mais la richesse est surtout dans
cette capacité à décrire et faire comprendre les états physiques et
psychologiques, le ressenti, le vécu intérieur. J'ai retrouvé ce qui avait
retenu mon intérêt chez cet auteur avec peut être encore plus d'acuité. Une
force suggestive inouïe.
Placés dans un contexte contemporain, dans les soubresauts désordonnés des
confrontations modernes, les protagonistes vont vivre des événements avec une
intensité paroxysmique. Ils en connaissaient certes l'existence, mais de façon
dérisoire, à la manière de l'Européen blasé qui se fait bourrer le crâne des
malheurs du monde par les médias, sans savoir ce que cela recouvre réellement.
Comme une fiction.
Mais aussi, à quoi sert la détresse si elle n'a pas de spectateur. Si elle ne
peut pas éclater à la face du monde. de ce monde de nantis qui vivent dans le
confort, abreuvé d'informations dont ils ne mesurent pas le poids de
souffrance. Quand il ne reste alors aux êtres abandonnés que ce combat
d'arrière-garde contre la mort en ultime bravade dédaigneuse. Là est la vérité
du vivant sur terre.
Je me suis promis de relire cet ouvrage pour en capter toute la substance. On
ne peut pas la percevoir dès la première lecture. Il n'y a aucune phrase
superflue, aucune fioriture. Tout est vrai, lourd de sens. Même l'anecdote,
quand au milieu de nulle part, lorsque le regard du novice ne voit que sable et
cailloux, alors qu'il croit être seul au monde, surgit d'on ne sait où, comme
de sous une pierre, un enfant au regard fixe, une femme décharnée, ployée sous
le poids d'un bidon d'eau ou d'un fagot de bois. Ce n'est pas anecdotique en
fait. C'est vrai. C'est le désert qui vit. C'est l'Afrique.
Avec cet ouvrage, Gilbert Sinoué nous transporte au 15ème siècle, dont les historiens ont fait une transition entre la Moyen-âge et le Renaissance, avec pour décor les prestigieuses cités de Bruges et de Florence. C'est un véritable “polar” dans lequel l'intrigue et les personnages tiennent le lecteur en haleine, jusqu'à ce que … le soufflé retombe. Mais n'en disons pas plus quant au dénouement.
La technique émergente de la peinture à l'huile est venue concurrencer, et peut-être condamner, la peinture a tempera. C'est en tout cas ce qui suscite l'intrigue. Je veux bien admettre être passé à côté de l'événement - de cette locution latine aussi - mais celui-ci est présenté comme une véritable révolution dans l'histoire de “l'Art des arts”. A tel point qu'il provoque un choc des consciences contemporaines averties et une réaction aux tournures imprévisibles, à la violence aveugle.
Comme à l'habitude avec Gilbert Sinoué, nous prenons une leçon d'histoire. Outre bien sûr le héros, Jan van Eyck, grand peintre flamand, on fréquente la cour de Côme de Médicis à Florence, on s'y rappelle que le Duc de Bourgogne régnait sur les Pays-Bas, que Nicolas Rolin a fait ériger les Hospices de Beaune, que nous sommes à l'époque de l'ouverture au Nouveau Monde, à la veille de la démocratisation de l'écrit par l'imprimerie et enfin que les Grands de ce monde l'étaient d'autant plus qu'ils s'érigeaient en mécènes.
Ce n'est pas, à mon sens, le fleuron de la bibliographie de Gilbert Sinoué. C'est comme ça que je le perçois. Mais avec cet auteur il y a toujours des richesses à glaner et cela reste d'un excellent intérêt. Ne serait-ce par l'ancrage de ces péripéties dans un contexte historique et les sujets de réflexion que cet ouvrage suscite sur le rôle de l'art dans la société et dans la vie tout simplement.
Il y a bien sûr aussi ces thèmes qui pourraient être perçus comme secondaires mais qui fondent en réalité la pensée humaniste de l'auteur. On les retrouve dans ces fameux coups de griffes à tous les promoteurs d'intolérance et d'immoralité auxquels il nous habitue dans ses ouvrages. L'esclavage est un des thèmes ciblé dans celui-ci, où les Noirs africains y sont présentés, dans la bouche d'Anselm de Veere, comme le “brouillon de Dieu” avant la création de sa grande oeuvre. On s'interroge aussi sur la place de la Femme dans ce roman très masculin, son accès difficile au devant de la scène. La mère adoptive de Jan est effet une marâtre mal aimante. Sa mère biologique ne fait qu'une apparition fugace. Elle est blâmée du crime d'abandon, même si pour son rachat, l'auteur lui fait donner sa vie pour sauver son enfant.
Quant au sujet essentiel de cet ouvrage dans la monde de l'art, on appréciera
les descriptions documentées des techniques picturales, mais aussi la
compréhension de ce principe du mécénat, seule chance pour un artiste d'émerger
et de vivre de son art. C'était bien entendu extrêmement élitiste. Dans ce
domaine, comme dans la vie en général à cette époque, seuls les plus forts
avaient des chances de survivre. C'était pour l'art, en tous cas, un gage de
qualité.
Dès les premiers chapitres de cet ouvrage, je me suis reproché de ne pas avoir préalablement ingurgité l'Ancien et le Nouveau Testaments, la Torah et le Coran. La certitude de perdre en consistance du message proclamé par son auteur s'est ancrée en moi au fur et à mesure du déferlement de ce vocabulaire tiré des textes sacrés, de cette avalanche de personnages mystiques, qui sous des noms souvent multiples peuplent les évangiles, les sourates, les versets et autres fragments de ces textes fondateurs des grandes religions monothéistes.
Bien sûr, ayant déjà « consommé » du Sinoué, j'étais averti de l'opulence culturelle de l'écrit et savais m'engager sur un parcours d'enrichissement. Mais une fois de plus, je lui en ai voulu de m'avoir fait jauger ma petitesse, à l'instar du badaud ébahi devant la pyramide de Khéops, appréciant la démesure de l'œuvre.
C'est au cœur de l'Espagne du 15ème siècle, en prise avec l'inquisition, alors que les Maures subissent les affres de la reconquista, qu'il échafaude une intrigue donnant aux protagonistes l'occasion de faire assaut d'érudition. le lecteur que j'ai été a très vite jeté l'éponge dans sa tentative de résoudre l'énigme. Je me suis alors laissé porter, à dos de mulet, dans ce périple au travers de l'Espagne. J'ai vite compris qu'il servait de prétexte à l'auteur pour réaliser son rêve : voir coexister les représentants des trois grandes religions monothéistes dans une même quête. Cela confère à cette chasse au trésor un côté un peu artificiel, mais il y a tellement à prendre dans ces échanges philosophico-religieux que pas un moment je n'ai été tenté d'abandonner le voyage.
C'est un plaidoyer contre l'obscurantisme, le prosélytisme, l'intolérance. C'est une dénonciation des travers de chaque religion dont le dénouement nous fera comprendre la vanité. le but est avoué.
Ce parcours initiatique dans les textes sacrés est aussi une tentative
pour Gilbert
Sinoué de redonner à la Femme la place que le monothéisme, dans sa
misogynie souveraine, lui a volée en faisant disparaître, en même temps que les
idoles, les figures du féminin. Mais l'ivresse des sens est si forte chez
l'espèce humaine que cette louable intention en restera là.
Le poids culturel de cet ouvrage à la documentation fouillée pourrait paraître
indigeste à qui n'est pas féru des textes sacrés. Mais Gilbert Sinoué est
un auteur au style gouleyant qui sait faire absorber du copieux. Ce style est
épuré, il sécrète la sagesse avec des mots simples, employés dans leur plus
adéquate signification avec l'arrangement le plus convenable pour conférer aux
phrases la bonne portée.
C'est un ouvrage empreint de tempérance, quand les mœurs de l'époque ne s'y
prêtaient guère, de couleur locale, de réflexion. Même si ma culture était un
peu juste – il faut aussi savoir l'avouer - pour tirer le meilleur profit de
cet ouvrage, je ne m'y suis pas ennuyé, bien au contraire. Je suis prêt à
partir pour un autre périple avec Gilbert Sinoué,
tant son transport est confortable et bonifiant. D'ailleurs le prochain est
déjà sur ma table de chevet …