La mythologie grecque ne compte dans ses rangs que deux sorcières, Circé et Médée. Si elles possèdent des pouvoirs magiques quelque peu redoutables, leur apparence n'a toutefois rien d'effrayant. Elles sont jeunes et ravissantes. Madeline Miller a jeté son dévolu sur la première des deux pour nous faire partager sa vie. Une partie infinitésimale de celle-ci dois-je préciser car en sa qualité de déesse sa vie ne saurait connaître de fin. Et à l'heure où j'écris ces mots peut être Circé me regarde-t-elle de je ne sais quelle hauteur, peut-être est-elle penchée sur mon clavier à s'intéresser à ce que je pourrais dévoiler de ses péripéties affectives. Aussi dois-je prendre garde de ne pas la vexer.
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Ouvrages par genre
samedi 30 mai 2020
Circé ~~~~~~Madeline Miller
La mythologie grecque ne compte dans ses rangs que deux sorcières, Circé et Médée. Si elles possèdent des pouvoirs magiques quelque peu redoutables, leur apparence n'a toutefois rien d'effrayant. Elles sont jeunes et ravissantes. Madeline Miller a jeté son dévolu sur la première des deux pour nous faire partager sa vie. Une partie infinitésimale de celle-ci dois-je préciser car en sa qualité de déesse sa vie ne saurait connaître de fin. Et à l'heure où j'écris ces mots peut être Circé me regarde-t-elle de je ne sais quelle hauteur, peut-être est-elle penchée sur mon clavier à s'intéresser à ce que je pourrais dévoiler de ses péripéties affectives. Aussi dois-je prendre garde de ne pas la vexer.
samedi 16 mai 2020
Et Nietzsche a pleuré ~~~~ Irvin D. Yalom
Pour qu'Irvin Yalom la provoque dans cet ouvrage, la
rencontre n'était donc pas si improbable que cela. Elle aurait même été
envisagée par les amis du philosophe dont le visage n'était que regard et
moustache, tant le premier était insondable et cette dernière lui mangeait le
visage. Confrontation envisagée mais jamais aboutie, de deux hommes certes,
mais au-delà de cela, de deux démarches de réflexion : la philosophie et la
psychanalyse. Si la première avait déjà fait ses armes depuis que l'écriture
nous en rapporte les traits, la deuxième en était à ses balbutiements en cette
fin de XIXème siècle.
Les deux personnages que le roman fait se confronter sont Josef Breuer, l'un
des pionniers de la psychanalyse - Sigmund Freud alors étudiant est son ami -
et Friedrich Nietzsche, qu'on ne présente plus dans son domaine. Encore que la
rencontre se tienne en un temps où ce dernier n'avait pas encore acquis ses
lettres de noblesse dans sa discipline, puisque la limpidité de sa pensée n'a
éclaté aux yeux de ceux qui deviendront ses disciples qu'après que sa maladie
eût raison de ses facultés intellectuelles.
Un prétexte a donc été trouvé par Irvin Yalom pour provoquer la rencontre.
Nietzsche étant réfractaire à tout épanchement, toute confidence, reclus dans
le fortin d'une solitude qu'il cultivait pour ne pas voir la pureté de sa
pensée profanée par celle d'autrui. Les horribles maux de tête qui le
harcelaient régulièrement furent ce prétexte. Un pacte fut conclut entre les
illustres protagonistes pour escompter une guérison réciproque. Le premier de
ses migraines, le second d'un mal qu'il croyait s'inventer : le désespoir.
Les séances de thérapie croisée donnent lieu à de formidables joutes verbales
de haut vol qui permettent à l'un et l'autre de dispenser le fruit de leur
réflexion profonde et user de leur partenaire pour affuter leur thèse. Au point
que progressant dans l'ouvrage on ne discerne plus très bien qui soigne qui,
d'un mal physique ou d'une angoisse. Dernière hypothèse dans laquelle le
docteur Breuer fonde ses espoirs pour trouver à toute pathologie une origine
psychologique.
Les deux forteresses armées de leurs certitudes et de leur théorie tentent de faire tomber le rempart adverse de l'apparence pour mettre au jour la véritable cause de leurs symptômes respectifs
D'un côté le sujet est revêche, hermétique, voire associable, campé sur
l'obsession d'amener à son terme la transcription de sa pensée d'avant-garde
pour les générations futures. Ses contemporains étant jugés par lui inaptes à
assimiler la hauteur de celle-ci diffusée à grand renfort d'aphorismes. De
l'autre, le praticien établi, d'ascendance juive mais athée, ouvert à la
psychanalyse, qui croyait s'inventer un fonds de tourments pour susciter
l'intérêt du philosophe. Les deux forteresses armées de leurs certitudes et de
leur théorie tentent de faire tomber le rempart adverse de l'apparence pour
mettre au jour la véritable cause de leurs symptômes respectifs. Peurs morbides
et histoires de coeur seront tour à tour causes et conséquences des angoisses
qui tenaillent les contradicteurs.
Car l'amour n'est pas absent des débats, aussi longtemps que s'en défendent les
pugilistes du verbe. Mais amour destructeur ou salvateur, créateur d'angoisses
ou remède à celles-ci. Convenons quand même que de la part de nos protagonistes
c'est tenir la femme en cette fin de XIXème en un rôle qui ne lui laisse que
peu de prise sur le débat, cantonnée qu'elle est au confort sentimental de son
soupirant.
"Deviens qui tu es"
Irvin Yalom situe la rencontre périlleuse autant que prodigieuse entre les deux
célébrités à la veille pour Nietzsche de se lancer dans la rédaction de son
ouvrage Ainsi parlait Zarathoustra dans lequel il fera du leitmotiv qu'il
assène à son médecin-patient, ou patient-médecin selon les alternances
d'ascendance de l'un sur l'autre, une recommandation impérieuse : "Deviens
qui tu es", en suivant ta propre voie.
Magnifique ouvrage qui rend accessible au lecteur peu averti, dont je suis, le
fruit des réflexions et théories afférentes de l'illustre penseur et de la
contradiction du thérapeute. Ouvrage qui se lit comme un roman et dont l'auteur
justifie la raison d'être par une citation d'André Gide : "L'histoire est
un roman qui a été; le roman une histoire qui aurait pu être."
Ouvrage qui me contente accessoirement d'avoir trouvé un auteur passionnant et
m'engage à nourrir ma PAL d'autres de ses oeuvres, dont une qui met en scène un
autre penseur en vogue en ce début de XXIème siècle alors que l'homme ferait bien
de se remettre en question dans sa frénésie consumériste : Spinoza.
lundi 11 mai 2020
Pars vite et reviens tard~~~~Fred vargas
Quel bel épilogue pour ce polar. Chapeau Fred Vargas. Au-delà de la résolution de l'enquête – c'est le moins qu'on en attende de la part du fameux commissaire Adamsberg après tout - ce roman se conclut sur une belle page d'émotion. Superbe parce qu'originale, porteuse d'avenir tout en étant dénuée de la mièvrerie démagogique que l'on nous sert trop souvent de nos jours. On pressent l'ouverture vers d'autres péripéties, en particulier sentimentales. Flics mais pas moins hommes. Belle chute, pour mieux se relever donc.
Le couple Adamsberg-Danglard, est vraiment taillé sur mesure. La
complémentarité des contraires est une recette qui fonctionne à merveille.
Surtout avec ces deux personnages que Fred Vargas a en outre le don de nous
rendre attachants, chacun avec son style. Le vaseux, illogique et dérisoire, en
apparence en tout cas, c'est pour Adamsberg, le cartésien, érudit et raisonné,
c'est pour l'adjoint. Maintenant que je suis entré dans l'univers Vargas, j'ai
l'impression de faire partie de l'équipe, de connaître les défauts et qualités
de chacun. Peut-être plus qu'Adamsberg lui-même d'ailleurs. Un indépendant qui
vit dans son monde comme on dit, et prends des notes pour reconnaître son
personnel. Mais au final un flic auquel ceux qu'il fait embastiller tirent leur
chapeau, parce qu'il a su déjouer leur traquenard à la régulière. Adamsberg est
tout sauf fourbe.
Au-delà de l'attachement aux personnages, je ne m'étonne plus de voir Fred
Vargas, éminente archéologue médiéviste, puiser son inspiration dans l'univers
des mythes et légendes, voire les fléaux de l'histoire. Il est question dans
cet ouvrage de faire se gratter la tête au commissaire, mais pas seulement avec
une énigme, car le voilà confronté aux puces de rat, porteuses du bacille de la
peste comme on le sait désormais depuis que Yersin a identifié la coupable du
fléau et trouvé le vaccin (1894). Le but étant de jouer sur les superstitions
encore tenaces malgré le savoir acquis et provoquer ainsi des démangeaisons
aussi et surtout dans les médias. Friands qu'ils sont d'alarmes, vraies ou
fausses, propres à déclencher un mouvement de panique parmi une population
moderne finalement mal informée parce que sur informée. Le corollaire recherché
étant de perturber le déroulement de l'enquête bien évidemment. Mais la
crédulité n'est pas une caractéristique du commissaire et il en faut plus pour
le déstabiliser. Même sur les charbons ardents, rien ne le dévie de son but.
Il n'en reste pas moins que la vie de flic est difficilement compatible avec une
vie affective harmonieuse. Pars vite et reviens tard est une enquête qui aura
bien pu coûter son idylle au célèbre commissaire. Mais peut-être l'enquête
a-t-elle bon dos. Il n'y a pas que dans le boulot qu'il soit indépendant le
bougre. Ecoutons Danglard fournir quelques éclaircissements à Camille :
- Tu sais, Camille, que le jour où Dieu a créé Adamsberg, Il avait passé une
mauvaise nuit.
- Ah non, dit Camille, en levant les yeux, je ne savais pas.
- Si. Et non seulement Il avait mal dormi, mais il se trouvait à court de
matériel. Si bien que, comme un étourdi, Il alla frapper chez son collègue pour
lui emprunter quelque attirail.
- Tu veux dire…le Collègue d'en bas ?
- Evidemment. Ce dernier se jeta sur l'aubaine et s'empressa de lui procurer
quelques fournitures. Et Dieu, hébété par sa nuit blanche, mélangea le tout
inconsidérément. De cette pâte, Il tira Adamsberg. Ce fut un jour vraiment pas
ordinaire.
Pas étonnant que, comme l'avoue lui-même Adamsberg, il ait du mal à éviter les
collisions. Mais quand on lit les romans de Fred Vargas dans un désordre
chronologique, comme j'ai le tort de le faire, on sait déjà où retrouver
Camille.
dimanche 3 mai 2020
J'ai pas pleuré ~~~~ Ida Grinspan
J'ai pas pleuré est le témoignage d'une femme qui a vécu la Shoah. Avant, pendant et après. Un livre comme il devrait y en avoir autant que de personnes qui ont été victimes de cette entreprise de déshumanisation. Un par voix qui s'est éteinte dans les camps de la mort.
Un livre pour écrire les lendemains dont ils avaient rêvés, et qu'ils n'ont pu vivre jusqu'au terme fixé par la volonté supérieure qui leur avait donné le jour. Parce que des volontés inférieures, si basses, si viles se sont arrogé le droit sur leur vie. Un droit qui ne leur revenait pas. C'est une caractéristique du méprisable que de s'arroger des droits sur les autres. Comme celui d'effacer le sourire d'un enfant et de faire entrer la peur dans ses yeux.
Chaque livre sur la Shoah apporte sa pierre à l'édifice de la mémoire. Cet édifice qui doit s'ériger sans cesse, s'élancer vers le haut, sa flèche se perdre dans les nuages et pointer de son faîte le souvenir de tous ces innocents privés de leur sourire par des imposteurs, des voleurs d'innocence.
Quelle plus grande innocence que celle de cette toute jeune adolescente que les gendarmes viennent chercher avant le lever du jour un matin de janvier 1944 au fond de sa campagne. Seule, ignorante de tout, des affaires des hommes, de ce nuage de haine qui assombrit le ciel de France. Innocente de ne pas savoir que sa seule naissance était un obstacle à la vie. Seule parce juive, accueillie par une famille de paysans qui la préservaient du tumulte du monde. Seule parce que ses parents étaient restés dans la capitale à la merci d'elle ne sait quel danger.
Elle ne pleure pas quand les gendarmes l'emmènent avec son maigre bagage. "Je vais revoir maman." Bien qu'inquiète, elle a la conviction d'aller la retrouver, elle qui avait été emmenée elle ne sait ni où ni pourquoi deux ans auparavant. Elle comprendra plus tard, bien plus tard, après avoir intégré dans la naïveté de ses quatorze ans que dans la montagne de cheveux aperçue à son arrivée à Auschwitz, il y avait à n'en plus douter ceux de sa mère.
Un livre pour ne pas oublier. Car la hantise de tous ceux qui ont vécu ça, Auschwitz et tant d'autres noms devenus tristement célèbres, est que cela ne serve pas de leçon, de vaccin pour l'humanité contre le fléau de la haine. Un livre pour que l'incrédulité ne gagne pas ceux qui n'ont pas vécu ça, quand les témoins auront disparu. Un livre pour que les gens qui nient tout ça ne soient ni écoutés, ni entendus et qu'un jour d'autres innocents ne comprennent ce qui leur arrive qu'à l'entrée de la chambre à gaz, ou de quelque chose qui y ressemble, et leur fasse comprendre qu'ils ne sont plus des hommes mais des lots comptabilisés, nuisibles et dont il faut se débarrasser. Nuisibles parce décrétés comme tels.
Un livre pour combattre la lâcheté de ceux qui savaient et n'ont rien fait pour tout arrêter. Un livre pour ne pas oublier que la haine n'a pas de frontière, pas de nationalité, pas de religion, pas de temporalité. La haine n'est pas morte. Elle est aux aguets, prête à ressurgir tout moment.
J'ai pas pleuré est un livre pour ne plus s'entendre dire "Ici, on entre par la porte, on ressort par la cheminée."
vendredi 1 mai 2020
L'homme à l'envers~~~~Fred Vargas
À histoire atypique, il faut un flic qui le soit tout
autant. Aussi lorsque dans une enquête il est question de loup garou Adamsberg
n'hésite pas à s'y impliquer. Surtout lorsque celle qui vient le chercher, le
connaissant que trop bien, est une de ses anciennes maîtresses. Il faut dire
qu'il n'a pas encore fait le deuil de leur idylle.
N'essayez pas de comprendre le raisonnement d'Adamsberg lorsqu'il se lance dans
une enquête. Il n'y a rien de structuré dans sa démarche. Il marche à la
prémonition. Son esprit engrange alors les informations, ne les trie ni ne les
classe. Il se contente de les accumuler pour le cas où. Elles restent comme les
pièces d'un puzzle dispersées dans les méandres de son cerveau et attendent la
main qui les organisera le moment venu. Sa conviction se forme dans le même
désordre. Peu à peu elle prend forme et vient se substituer à ce qui l'avait
incité à s'intéresser à l'affaire, ce qui n'est même pas encore une intuition,
ce quelque chose d'indéfinissable : une clairvoyance, un présage qui le
contraint à se jeter dedans, quelles que soient les réticences et oppositions.
Drôle d'équipage qui s'est lancé sur les traces d'un présumé loup garou. Il
faut dire que ce dernier ne se contente pas d'égorger les brebis. Des humains
subissent le même sort sous ses crocs. Mais les gendarmes ont tôt fait de
classer l'affaire en accident. Cet équipage qui ne croit pas à l'accident,
c'est d'abord Camille, une belle jeune femme qui, comme d'autres sont boulanger
pâtissier, est musicienne plombier. L'accointance des deux métiers ne saute pas
aux yeux, mais c'est comme ça, c'est Camille. L'autre c'est le Veilleux, vieux
berger solitaire et taiseux qui avec l'aide d'un confrère d'alpage téléphone à
ses brebis lorsqu'il doit s'en éloigner. le troisième c'est Soliman, l'enfant
africain adopté. Sa mère, la Suzanne, à péri sous les crocs du loup.
Mais n'est pas enquêteur qui veut et quand la traque ne fait qu'arriver trop
tard et déplorer les victimes, il est temps de faire intervenir un flic qui
s'intéressera à ce que les autres négligent. Un flic différent. Spécial.
Adamsberg entre en scène. Par la petite porte comme d'habitude, mu par cet
embryon de pressentiment lui insufflant que le mythe du loup garou pourrait
bien avoir l'apparence de quelque chose de plus humain. Qui lui dit aussi que
si Camille est revenue vers lui c'est qu'il faut y voir un signe. Que dans
pressentiment, il y a sentiment.
Les dialogues sont savoureux entre ces personnages qui présentent tous une
originalité propre à les disperser plutôt qu'à les rassembler. Malheureusement
l'intrigue pêche par manque de crédibilité, mais ils deviennent tellement
attachants tous ces indépendants que lorsqu'ils se réunissent pour la même
cause, on ne craint plus d'embarquer avec eux dans la bétaillère. Elle respire
le suint de mouton, mais soit, ils n'avaient rien d'autre sous la main. Et puis
Adamsberg, le suint de mouton ne le dérange pas non plus, alors à Dieu vat sur
la piste du loup garou.
jeudi 30 avril 2020
Tours et détours de la vilaine fille ~~~~ Mario Vargas Llosa
- Alors, il est bien ce bouquin ?
- han… han…
- En tous cas, il a l'air prenant, je vois que tu ne le lâches pas.
- Oui. C'est vrai qu'il est prenant.
- Ça raconte quoi ?
- C'est l'histoire d'un amour impossible. Ricardo, un jeune péruvien – c'est la nationalité de l'auteur – est tombé fou amoureux d'une jeune et jolie compatriote. Mais, même si elle ne le rejette pas clairement, elle ne lui retourne pas de sentiments à la hauteur de ses espoirs, bien qu'elle accepte quand même de temps à autre de coucher avec lui. Elle est issue d'une famille très modeste. Elle semble plus préoccupée d'assurer son avenir matériel que sentimental.
- Il y a donc du sexe.
- Juste ce qu'il faut. Ils finissent quand même par se marier, mais cela ne sera pas pour autant la fin des frasques de cette fille, devenue femme au fil du roman et à qui il a attribué le sobriquet de vilaine fille. Elle est énigmatique et complètement imprévisible. Et lui, béat d'un amour qui ne tarit pas au fil du temps, la retrouve après chaque escapade avec la même flamme.
- Et c'est bien écrit ?
- Superbement. L'auteur est quand même prix Nobel de littérature 2010. La traduction est aussi très réussie.
- Prix Nobel, cela peut rebuter les lecteurs moyens que nous sommes.
- Oui, mais dans le cas présent, c'est très lisible et pas du tout rébarbatif. C'est même passionnant. L'écriture est sobre, sans métaphore. Elle dépeint notre amoureux transi sous un jour plutôt pathétique. On se prend volontiers de sympathie pour lui, même si on a envie de le secouer un peu.
- À part ça, qu'est-ce qui te plaît en particulier dans ce livre ?
- C'est une histoire singulière menée à un bon rythme. Les années passent vite dans des pérégrinations sur la planète entière : Lima, Paris, Londres, Tokyo et j'en passe. C'est raccroché à l'histoire, la grande. Et surtout les personnages sont attachants, chacun avec ses défauts. Et cette idée d'exclusivité sentimentale chez cet homme a quelque chose de touchant. Puis il y a surtout cette force qu'a cette femme de commettre des incartades invraisemblables et d'en faire porter la responsabilité à autrui. C'est bluffant. J'aime bien aussi l'idée que ce soit la femme qui soit la vagabonde sentimentale.
- C'est cela, oui. Il est vrai que chez un homme, l'exclusivité ça cache quelque chose. Et, ça finit comment ?
- Alors là, ma chère, je te laisse le découvrir toi-même.
- Tu avais déjà lu cet auteur ?
- Non, je découvre.
- Ça t'engage à essayer un autre de ses ouvrages ?
- le prochain est déjà épinglé au pense-bête. Ce sera La fête au bouc. Mais à propos d'exclusivité, dis m'en un peu plus …
Aux cinq rue Lima ~~~~ Mario Vargas Llosa
Décidément, ce prix Nobel de littérature me plaît bien.
Après la fête
au bouc, le second ouvrage de Mario Vargas
Llosa que je lis de sa main, bien qu'un ton en dessous du premier,
m'est resté très accessible. Et disons-le tout de suite, il est assez chaud.
Euphémisme bien connu quand on veut signaler pudiquement quelques scènes pour
le moins lascives. Avis aux amateurs. Mais n'en tirez pas de conclusion trop
hâtive à mon égard, j'ai été le premier surpris de trouver sous la plume d'un
auteur ayant reçu la consécration suprême ce genre de scènes sans équivoque.
Mais soit, on n'en est pas moins homme, c'est la vie.
Pour le plus le reste, quand on lit par ailleurs que Mario Vargas
Llosa a été candidat malheureux à l'élection présidentielle en son
pays en 1990 contre Alberto Fujimori, on ne s'étonne plus de voir notre
nobélisé avoir la dent aussi dure envers son adversaire parvenu au pouvoir.
L'histoire lui donnera d'ailleurs mille fois raison. Alberto Fujimori a terminé
sa carrière politique en prison, condamné ni plus ni moins pour crime contre
l'humanité, corruption, etc… le carnet de chansons était chargé.
Pour avoir la dent dure, dans son ouvrage Aux
cinq rues, Lima, Mario Vargas
Llosa nous dresse le tableau qui, pour romancé qu'il soit, n'en décrit
pas moins les méthodes utilisées pas ce genre de régime autoritaire pour tenir
le pays sous une main de fer et mettre toute forme d'opposition dans
l'incapacité de nuire à ses ambitions. Menaces, chantage, assassinats sont au
menu des agissements des services de sécurité intérieure à la botte d'un
président qui pour avoir été élu ne s'en comporte pas moins comme un dictateur.
L'intrigue met en scène les agissements d'un patron de presse à scandale qui se
risque au chantage contre un magnat de l'industrie péruvienne, lequel s'est
fait piéger par un photographe lors d'une partie fine. Et curieusement, si
l'auteur dénonce avec acharnement, et à juste raison, les agissements détournés
des malfaisants au service du pouvoir, il traite avec une certaine complaisance
les millionnaires à la vie dorée qui s'offrent des ébats langoureux en Floride.
La morale n'y trouve pas forcément son compte dans ce pays d'Amérique latine où
comme dans beaucoup la juxtaposition des palais et bidonvilles est plus
évidente qu'ailleurs.
Il n'en reste pas moins que l'immersion dans l'ambiance de peur et de
résignation entretenue par ce genre de régime est très bien restituée et servie
par une écriture efficace et sans fioriture. On ne reprochera donc pas son
parti pris à notre prix Nobel quand il s'agit de dénoncer vice et injustice.
dimanche 26 avril 2020
Voyage avec un âne dans les Cévennes ~~~~ Robert Louis Stevenson
Quant à la raison qui l'a poussé à partir par monts et par vaux sur les sentiers du Massif Central, Stevenson se contente de nous dire dans l'ouvrage qu'il avait d'abord intitulé Voyages avec un âne au travers des Highlands françaises : "Je ne voyage pas pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L'important est de bouger, d'éprouver de plus près les nécessités et les embarras de la vie, de quitter le lit douillet de la civilisation, de sentir sous mes pieds le granit terrestre et les silex épars avec leurs occupants." (page 93 Editions de Borée). Nombre de supputations tenteront d'y voir en réalité la manière de réprimer une peine de coeur, et la solitude choisie une condition nécessaire pour faire le point sur sa vie. Peut-être n'ont-ils pas tort car à la page 141, on peut lire cette rare confidence : "Et pourtant, alors même que je m'exaltais dans ma solitude, je pris conscience d'un manque singulier, je souhaitais une compagne qui s'allongerait près de moi au clair des étoiles, silencieuse et immobile, mais dont la main ne cesserait de toucher la mienne."
Protestant de foi, francophile de sensibilité, d'autres y verront pour le futur
inventeur du Docteur Jekyll qu'il est en 1878 l'occasion de se plonger en une
contrée qui a eu son lot de querelles de religion et y faire le constat in situ
que si les guerres ne sont plus à l'ordre du jour, les tensions restent
latentes dans les campagnes conservatrices. N'a-t-il pas force de symbole ce
parcours dont le départ au Puy-en-Velay est aussi un de ceux des chemins de
Compostelle et l'arrivée en Cévennes, pays camisard lequel conserve ancré dans
sa mémoire le massacre de tant d'innocents perpétré par les troupes de Louis
XIV animées de la folle illusion d'expurger les montagnes arides de l'hérésie
protestante.
Dans un périple qui lui a fait revivre ces tensions entre confessions,
l'officielle de Rome et la réformée, les questions de foi ne constituent-elles
pas un second niveau de lecture à qui ne voudrait y voir qu'un récit
d'excursion bucolique tant elles sont présentes d'un bout à l'autre de
l'ouvrage. C'est peut-être la raison pour laquelle Stevenson a appliqué le
pluriel au mot voyage, pour nous faire comprendre qu'il y avait aussi ces
aspects historique et sociologie des religions dans sa conception de cette
itinérance. A ce propos, l'étape à Notre-Dame-des-neiges est révélatrice de
l'ancrage des croyances dans les gènes.
Et une conclusion de tout ça, que Stevenson connaissait d'avance mais dont il
se rengorge, pour confirmer qu'après autant de sang versé au motif de
divergence de convictions religieuses de par le monde, "l'Irlande est
toujours catholique et les Cévennes toujours protestantes".
Maintenant que l'itinéraire est balisé aux couleurs des Sentiers de grande
randonnée, il est fort heureusement moins question de ces manifestations
d'intolérance sur ce qui est devenu pour nous-autres randonneurs du 21ème
siècle le GR 70, le chemin de Stevenson. La première lecture de cet ouvrage
reste donc possible et même enviable avec son ode à la nature et aux vertus de
la méditation sous la voute étoilée. Superbe récit d'une équipée homme-animal,
d'un coeur qui se livre non sans une certaine retenue et d'un esprit qui quant
à lui nous dresse un compte rendu quasi journalistique de la France profonde en
cette fin de XIXème siècle, dans laquelle le chemineau solitaire restait quand
même sur ses gardes. La bête du Gévaudan avait-t-elle bien été tuée ?
Loin d'être exempt de sensibilité et de poésie le voyageur et écrivain célèbre
qu'il deviendra sait nous toucher au coeur et faire de ce texte un aiguillon de
nostalgie à l'instar de celui avec lequel il piquait la croupe de Modestine
pour la stimuler dans les apathies récalcitrantes propres à son espèce :
"Il était délicieux d'arriver, après si longtemps, sur un théâtre de
quelque charme pour le coeur humain. J'avoue aimer une forme précise là où mes
regards se posent et si les paysages se vendaient comme les images de mon
enfance, un penny en noir, et quatre sous en couleurs, je donnerais bien quatre
sous chaque jour de ma vie." Et s'il fallait encore douter de la
sensibilité du bonhomme, il n'est que de l'entendre nous dire les larmes lui
descendre sur les joues lors de l'adieu à Modestine.
samedi 25 avril 2020
Extension du domaine de la lutte ~~~~ Michel Houellebecq
Je n'aime pas ce monde. Décidément, je ne l'aime pas. La société dans laquelle je vis me dégoûte ; la publicité m'écœure ; l'informatique me fait vomir. Tout mon travail d'informaticien consiste à multiplier les références, les recoupements, les critères de décision rationnelle. Ça n'a aucun sens. Pour parler franchement, c'est même plutôt négatif ; un encombrement inutile pour les neurones. Ce monde a besoin de tout, sauf d'informations supplémentaires.
vendredi 24 avril 2020
Premier de cordée ~~~~ Roger Frison-Roche
J'avais reporté la lecture de ce livre sine die, selon
l'expression consacrée. Le confinement a eu raison de cette procrastination de
fait. Je ne peux que m'en féliciter en refermant Premier de cordée.
Que craignais-je inconsciemment pour laisser dormir cet ouvrage que l'on
m'avait donné il y a de nombreuses années ? J'avais à n'en pas douter peur de
sombrer dans l'alanguissement contemplatif à la lecture de longues tirades
descriptives de paysages de montagne. Sombre préjugé, démenti une fois de plus.
J'ai eu droit à une aventure humaine étonnante de réalisme, et de laquelle
émerge une passion immodérée des guides de haute montagne pour le grandiose
théâtre d'exercice de leur métier.
"Pauvres petits d'hommes aux prises avec la plus inhumaine des
montagnes."
De cette comparaison mise dans la bouche de l'un d'entre eux par Frison-Roche
naît le plus grand respect pour le milieu naturel auquel ils ont fait le choix
de se confronter au quotidien. Et les plus aguerris sont ceux qui font preuve
de la plus grande humilité vis-à-vis des géants qui tutoient les nuages. A
force de se confronter aux dangers de leurs abrupts, de risquer chute, gelure
et foudroiement, les guides prennent dès leur premiers pas sur les sentiers
rocailleux conscience de l'arrogance qu'il y a à faire se mesurer l'éphémère et
insignifiante vie humaine à la majesté minérale intemporelle. Au-delà de la
déontologie qu'ils adoptent en accrochant l'insigne rond des guides sur leur
tunique, ils deviennent les détenteurs d'une sagesse que leur enseigne la
cohabitation permanente avec le danger.
Bien sûr, qui n'a jamais chaussé les crampons devra faire des efforts
d'imagination sous la plume de Frison-Roche pour apprécier l'acrobatique, pieds
et mains engourdis par le froid, le vertigineux suspendu à la corde ou encore
le spectaculaire des panoramas des toits du monde, mais au-delà de cet exercice
il sera conquis par le talent avec lequel il met en évidence les valeurs
humaines de la corporation. Elles sont à la dimension de la majesté des
éléments qu'ils bravent au quotidien. Belle leçon d'humilité que celle de petit
d'homme lorsqu'il lève les yeux vers le sommet convoité. Leçon qui devrait
s'appliquer plus souvent, dans bien d'autres circonstances.
Il y a aussi une belle histoire d'amour pour rappeler que le montagnard n'en
est pas moins homme. Mais celle qui aura conquis le coeur d'un guide devra se
faire à l'attente angoissée du retour de son héros. Elle devra se faire à
l'idée de partager son coeur avec ce monstre minéral car rien ne pourra le
faire renoncer à l'appel des cimes enneigées.