Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mardi 22 décembre 2015

L'enfant et la rivière ~~~~ Henri Bosco



Voilà une belle ode à la nature. Une ode à l'amitié aussi. Une plaisante histoire pour la jeunesse dans laquelle les grands y trouveront aussi leur compte, tant l'écriture faite d'une cascade de phrases courtes et simples est agréable. La lecture s'en trouve alors comme la rivière, limpide, rapide et impétueuse.

La fraîcheur des sentiments, la spontanéité des personnages donnent de la délicatesse à ce conte. J'ai aimé cet intermède dans le climat de notre monde devenu si compliqué. le texte n'est en outre pas dénué de profondeur.

Un moment de lecture bien sympathique aux délicieuses tournures poétiques. Je me fais la promesse de m'autoriser d'autres infidélités à la morosité ambiante de notre monde moderne en me hasardant avec quelqu'autre ouvrage d'Henri Bosco.

jeudi 17 décembre 2015

Le feu ~~~~ Henri Barbusse

 


En peine de décrire l'inconcevable, la plupart se sont tus.

Henri Barbusse a su trouver les mots. Il a su leur donner un sens pour exprimer ce qu'aucune imagination n'aurait pu concevoir.

Il a su écrire l'horreur des tranchées : la boue, le froid, la vermine, les odeurs nauséabondes, la peur qui glaçait le sang quand le cri du gradé commandait de monter à l'assaut.

Il a su nous parler de ces hommes fauchés par la mitraille, agonisant sans secours, des survivants qui entendaient leurs plaintes s'éteindre dans la nuit, des corps déchiquetés qui n'étaient déjà plus rien, plus que chair pourrissante, à rendre l'atmosphère irrespirable.

Il a su dire l'incompréhension de ces humbles, extirpés de leur atelier, de leur ferme, pour aller en affronter d'autres, aussi mal lotis. Il a su dire l'attente angoissée des épouses, la terreur de voir le maire du village s'arrêter devant la porte, revêtu de son costume sombre et de son écharpe tricolore.

Henri Barbusse a su écrire tout cela. Avant même que cela ne cesse. Avant même que l'abattoir officiel n'arrête sa funeste entreprise, sous couvert de patriotisme. Avant même que la folie collective ne s'éteigne. Et que renaisse l'espoir. Enfin.

La première guerre mondiale est un événement qui me fascine d'horreur. Mon imagination est dépassée par la dimension inconcevable de pareil mépris de la personne humaine.

Henri Barbusse n'a pas eu besoin d'artifice pour décrire l'horreur. Les mots de tous les jours ont suffi. Car l'horreur était le quotidien des tranchées.

Le feu. Un ouvrage qui vous prend aux tripes.


vendredi 4 décembre 2015

Magellan ~~~~ Stefan Zweig

  


Magellan aura réussi 'l'exploit le plus magnifique de toute l'histoire de la navigation" nous dit Stefan Zweig. C'est encore vrai cinq siècles plus tard. "Cet homme sombre, renfermé, taciturne, sans cesse prêt à tout mettre en jeu, y compris sa vie, pour le triomphe de son idée" aura fait preuve d'une volonté et d'une ténacité inouïes dans son combat contre l'inconnu.

Aucune entreprise humaine n'aura autant été supportée par un seul homme, y compris et surtout lorsqu'il devra imposer sa volonté, seul contre tous, au milieu des immensités marines, dans la plus parfaite ignorance de leur devenir.

C'est une force de caractère hors du commun qui a accroché son nom à jamais au bout du continent américain. Cette inscription dans la grande histoire n'est que justice à l'égard de celui qui a fait preuve d'une foi inébranlable pour que l'homme trace les contours de zones vierges de sa connaissance et dessine sur la mappemonde le passage qui relie les deux grands océans Atlantique et Pacifique.

Formidable aventure superbement contée par Stefan Zweig. Avec son style savoureux et précis, cet auteur sait faire de la vie d'un personnage, non pas une biographie, mais une jouissance romanesque.

Cet ouvrage est passionnant.

 

Fouché ~~~~ Stefan Zweig

 


Fouché : une biographie comme un roman.

Stefan Zweig ne nous assomme pas avec l'enchaînement des dates d'une chronologie fastidieuse. Il dresse un magnifique portrait, une remarquable analyse psychologique de ce citoyen pour le moins singulier dans l'histoire de notre pays. Un personnage qui aura été capable de survivre politiquement, de survivre tout court, dans une époque aussi troublée, aussi riche en bouleversements, que celle qui va de la Révolution française à l'Empire. Une prouesse quand on sait à quelle facilité les têtes roulaient dans la sciure.

La preuve est faite avec un personnage comme Fouché que pour durer en politique, il faut être un calculateur froid, un intrigant de haut vol. Stefan Zweig nous donne tous les arguments pour à la fois détester et admirer ce personnage qui surnage en ces temps d'une rare intensité dramatique.

La preuve est faite avec Stefan Zweig que la relation de l'histoire peut ne pas être ennuyeuse. Très bel ouvrage. 

mercredi 25 novembre 2015

L'écume des jours ~~~~ Boris Vian

 


L'écume des jours ! Difficile d'avoir un avis mitigé. On aime ou on n'aime pas. Je ne connaissais Boris Vian que de nom. Cette lecture m'a donné le goût de m'intéresser à ce phénomène qui a pu produire un tel ouvrage. Je me suis documenté sur sa vie, son œuvre. J'ai alors fait connaissance avec un musicien passionné de Jazz, un formidable touche-à-tout qui s'est distingué dans tellement de disciplines artistiques et culturelles. Le magnifique site Internet qui lui est dédié restitue bien l'originalité de ce personnage truculent. Je suis convaincu qu'il l'aurait aimé. De son côté Patrick Poivre d'Arvor lui a consacré une fort belle émission dans sa série "une maison, un écrivain". Combien de célébrités du monde la chanson ont chanté ses textes innombrables ?

En refermant cet ouvrage, le cartésien que je suis se demande encore comment il a pu en venir à bout. A n'en pas douter à cause de son côté émotif. Car L'écume des jours est avant tout une belle histoire d'amour. Seulement voilà, c'est loufoque au possible. Ça respire la "provoc" du courant zazou des années 40, même si Boris Vian ne l'a pas revendiqué. C'est un pied-de-nez à la société de la vieille Europe qui ne s'est pas remise du traumatisme de la guerre. Boris Vian lui désigne un nouveau modèle de vie. Celui qui a enfanté le jazz.

Dans sa vie trop courte, il n'a pas connu le succès espéré avec cet ouvrage. Ses contemporains avaient les pieds sur terre, ou plutôt dans la boue, celle du marasme des années 40. Ils n'étaient pas prêts à se faire bousculer par le saugrenu, le décalé, jusqu'à l'absurde.

Car il faut tout changer dans cette société, pour ne pas repiquer au drame. Il y a dans cet ouvrage comme une urgence à faire bouger les choses. La vie est courte. Celle de Chloé, mais peut-être aussi celle de son auteur. La vie ne doit pas être prise au sérieux. Sauf quand elle met ton amour en danger. C'est alors l'escalade dans le délire. La machine s'emballe. A sa manière, Boris Vian te jette à la figure le ridicule du quotidien, de tous les gestes, de toutes les paroles de ceux qui vivent quand d'autre meure. D'autre que l'on aime par-dessus tout.

Mais même dans la tragédie, la dérision relève la tête. Alors quand Chloé est aux portes de la mort, il nous pose une question : "…est-ce que du point de vue moral, il est recommandable de payer des impôts, pour avoir en contrepartie le droit de se faire saisir parce que d'autres payent des impôts qui servent à entretenir la police et les hauts fonctionnaires, c'est un cercle vicieux à briser, que personne n'en paie plus pendant assez longtemps et les fonctionnaires mourront tous de consomption et la guerre n'existera plus."

Alors, on aime ou on n'aime pas ? J'avoue quand même que j'ai eu du mal. Et même si je reconnais qu'il y a quelques pépites que je resservirais volontiers, j'ai du mal à voir dans cet ouvrage ce qu'on vante dans les milieux "autorisés" comme l'un des cent meilleurs romans du XXème siècle. J'ai plus été fasciné par le personnage, son urgence prémonitoire de consommer la vie par les deux bouts, que par cette œuvre.

samedi 21 novembre 2015

Lettre d'une inconnue ~~~~ Stefan Zweig

 


Un cœur qui cherche une oreille compatissante à laquelle se confier, se soulager d'un mal qui le ronge : serait-ce une obsession chez Stefan Zweig ? Amok, Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, Le joueur d'échecs, et d'autres peut être que je n'ai pas lus, sont dans cette conception.

Si certaines confidences bénéficient d'une écoute attentive pour s'épancher, La Lettre d'une inconnue force quant à elle la porte de son destinataire. Elle espère y trouver l'écho, certes posthume, auquel sa rédactrice aspirait depuis que son cœur a porté son dévolu sur un homme, un jeune écrivain déjà célèbre. Il ne l'a jusqu'alors payée en retour que d'indifférence.

On ne connaîtra pas l'identité de cet ingrat adulé. Stefan Zweig s'adresse-t-il cette lettre à lui-même ? S'accable-t-il de froideur quand une femme s'enflamme de passion à son endroit ? Se sert-il de son ressenti pour disséquer ce qui éloigne homme et femme quand une volonté supérieure voudrait les rapprocher ?

"Les femmes vivent dans le passé, nous autres dans l'avenir, …" déclare-t-il dans ses Journaux. Il cherche en quoi et comment les contraires pourraient trouver leur complémentarité dans une collusion sentimentale devenue improbable.

Les femmes vivent l'amour dans l'idéal, le rêve. Les hommes dans l'accomplissement. Pour elles, la relation charnelle est un aboutissement, pour eux c'est une conclusion. Elles savent donner quand eux ne savent que prendre. Voire peut-être même dérober. Pour elles encore, aimer est une grâce divine quand pour eux ce n'est qu'une promesse de volupté.

La passion insensée que cette femme déclare dans sa lettre est initiée dès l'adolescence, décrite avec les outrances de cette période de la vie. Ancrée au plus profond de l'être sensible, elle se prolonge dans la maturité. Elle est cependant étouffée, pour ne pas déranger. Même et surtout quand un abandon occasionnel, pourtant non récompensé de l'attention tant désirée, aura été fécond. Appropriation égoïste d'une parcelle de bonheur en forme de compensation ?

Le supplice psychologique est-il une autre obsession chez Stefan Zweig. Il aborde avec cette lettre le drame de l'amour insensé confronté à la désinvolture. Après le deuil de son amour, celui de son enfant, l'auteure de la lettre, dont on ne connaîtra pas le nom, ne pourra alors se résoudre à faire le deuil de la révélation. Certainement pas pour insuffler le remord dans les pensées de l'être idolâtré, seulement et pathétiquement pour glaner un peu d'attention de sa part.

Cette nouvelle est-elle exempte de narcissisme quand l'être adulé présente tant de ressemblances avec son concepteur ? Beaucoup de questions quant à l'intention de Stefan Zweig avec la publication de ce texte, lui qui n'a jamais voulu avoir de descendance. Il n'en reste pas moins que l'exploration de cette situation, caricaturale à dessein, est d'une intensité dramatique troublante. Un vrai travail d'orfèvre dans l'approche de la perversion du destin.


samedi 10 octobre 2015

La plus que vive ~~~~ Christian Bobin

 



Christian Bobin s'adresse à sa femme, au présent. Au gré des pages l'imparfait la lui vole. Il se reprend vite, dès qu'il s'en rend compte.

Il refuse le présent sans elle. Il refuse d'être avec elle à l'imparfait.

Sa femme est morte.

La plus que vive est un ouvrage qui nous apprend la "brume sur la terre vidée de son rire". Il nous apprend l'amour avec des mots de tous les jours.

Le bonheur c'est toujours à l'imparfait.

Ce n'est pas apitoyant. C'est bouleversant.


vendredi 2 octobre 2015

Les cerfs-volants ~~~~ Romain Gary



 

Mémoire. Amour. Espoir. Quelle apothéose !

Depuis que j'ai découvert cet auteur, chacun de ses ouvrages est pour moi une étreinte. Je me sens en harmonie avec sa pensée, sa philosophie sans dieu, sa distance avec le bien et le mal, ce ressenti intime qu'il sait insinuer en moi au travers de ses mots et trouver mon adhésion.

Ce roman est certes une histoire d'amour. C'est surtout une preuve d'amour qu'il adresse à qui voudra la cueillir. Ultime offrande. De la part de celui qui sait mais ne juge pas. Romain Gary connaît la part inhumaine qui habite l'humain. La vie est à ses yeux une souffrance qui prend figure humaine. "Son visage me parut familier et je crus d'abord que je le connaissais, mais je compris aussitôt que ce qui m'était familier, c'était l'expression de la souffrance".

Il aime, mais a des scrupules à être aimé quand un autre nourrit la même aspiration et s'en trouve délaissé. L'univers féminin est son refuge. Les femmes, à commencer par sa mère, ont toujours été sujet d'admiration pour lui : "Notre père qui êtes au ciel, mettez le monde au féminin !"

Ami qui trahit, ennemi qui épargne, rien n'est définitivement bon ou mauvais. Il conserve le fol espoir de voir l'homme changer. Il le sait esclave de ses instincts. Il voudrait le voir se satisfaire d'un cerf-volant qui "le tirerait vers le bleu". Une structure fragile qu'un souffle de vent arrache à la terre, comme un cri silencieux lancé au ciel pour dire aux hommes que l'essentiel est ailleurs.

Un livre de Romain Gary, c'est comme une respiration dans une atmosphère de convoitise et de préjugés. Mais quoi qu'il arrive il n'en veut pas aux hommes. Ils ne sont pas responsables. C'est comme ça. C'est le système, dans lequel il implique le grand ordonnateur des choses de ce monde, sans chercher à disserter sur sa nature.

On le savait libre et distant, presque froid, dans les cerfs-volants, le voilà épris et romantique : "Je passai mes dernières heures avec Lila. le bonheur avait une présence presqu'audible, comme si l'ouïe, rompant avec les superficies sonores, pénétrait enfin les profondeurs du silence, cachées jusque-là par la solitude."

La guerre offre un contexte favorable au dévoilement des personnalités. On détecte alors entre tous ces personnages une connivence pour délivrer un ultime message. Ambroise qui se détourne du monde en regardant ses cerfs-volants, Julie Espinoza, le général von Tiele, Hans, Bruno, Marcelin Duprat, Lila bien sûr : ne vous dressez pas les uns contre les autres, la vie donne suffisamment d'occasion de souffrir.

Mais ce point final. Quand on pense que c'est le dernier. Peut-être prémédité ? Posé là derrière un mot, alors qu'il y en aurait eu tant d'autres à crier à la face du monde avant de rejoindre les cerfs-volants dans le ciel.

jeudi 17 septembre 2015

Dernier jur d'un condamné ~~~~ Victor Hugo

 



Cet ouvrage n'est évidemment pas de ceux propres à vous mettre du baume au cœur pour la journée. Il est nécessaire de l'intercaler entre d'autres qui aborderont des sujets plus légers si l'on ne veut pas assombrir définitivement son humeur.

Prenons garde aussi de ne pas non plus raviver la polémique du pour ou contre la peine de mort pour l'évoquer sur un site comme Babelio, mais abordons-le sous l'angle de la force suggestive de l'auteur et de sa capacité à insuffler à son lecteur l'état d'esprit d'un malheureux promis à la mort à brève échéance.

Victor Hugo est au début de son immense carrière littéraire – il a vingt-six ans - lorsqu'il ressent le besoin d'écrire sur ce thème douloureux. Il faut saluer là le courage de celui qui n'est pas encore l'auteur populaire qu'il deviendra de son vivant pour prendre une telle position, alors que la guillotine donne régulièrement le triste spectacle que l'on sait en place de grève.

On ne ressort pas indemne d'une telle lecture. Mais quand même dubitatif quant au procédé utilisé par l'écrivain sublime pour frapper les esprits. Avouons que c'est réussi. Il se refuse à aborder le motif qui a conduit le condamné dans les instants ultimes et programmés de sa vie, mais veut rester au niveau du principe qui autoriserait des hommes à disposer de la vie d'un de leur semblable. On demeure sur cette impression que c'est bien le décompte final plutôt que la mort en elle-même qui est fustigé, car finalement tout homme est promis à la mort.

Il y a en arrière-plan une forme de culpabilisation du lecteur dans la démarche de l'auteur. La culpabilité d'appartenir à une société qui autorise la peine de mort et de ne pas s'élever contre cette pratique barbare.

Mais le maître, aussi grand soit-il, a aussi sa forme de lâcheté. Il ne va pas au bout de sa démarche. Certes nul n'a le droit de prendre la vie d'autrui, fut-ce dans un cadre légal et collectif, mais que faut-il faire de ceux qui auront outrepassé ce principe en se rendant coupable d'assassinat ? Ne met-il lui-même pas dans la bouche de son condamné anonyme : plutôt la mort que le bagne. Alors quoi ?

Il n'en reste pas moins que la force de notre géant de la littérature atteint son objectif. Un tel ouvrage vous fait froid dans le dos et vous confirme dans le fait qu'être lecteur du XXIème siècle, alors que la peine de mort est abolie, est une situation plus confortable.


vendredi 11 septembre 2015

Vingt-quatre heures de la vie d'une femme




On serait dans le domaine de la pâtisserie, on parlerait de mignardise à propos de cet ouvrage de Stefan Sweig. C'est court, c'est une volupté, c'est un délice.

Le délice c'est la candeur de cette dame dépassée par l'aventure qui lui est arrivée, contre son plein gré. Comme une lacération dans une vie bien rangée. Avec pourtant presque un regret. Celui d'une pulsion qui a le goût acidulé de l'interdit.

Le délice, c'est cette langue, faite de mots doux prononcés dans le murmure de la confidence honteuse, en parfaite harmonie avec le personnage discret. Cette dame qui ne peut enfouir plus longtemps au fond d'elle-même ce qui restera comme un éclair aussi soudain qu'inattendu dans un ciel pourtant serein.

On est comblé de la voir soulagée de sa confidence.

C'est un délice.