Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

lundi 26 décembre 2016

Le sens de ma vie : entretien ~~~~ Romain Gary

 

Ce recueil tiré d'un entretien réalisé pour la télévision canadienne, quelques mois avant la mort de Romain Gary, est un formidable éclairage sur la vie et l'ouvre de cet auteur fabuleux. Bien que beaucoup trop court. Comme le flash de celui qui revisite son existence avant de basculer dans l'au-delà.

Il suffit de lire cette subtile conception, pour l'agnostique qu'il a été, entre la parole du Christ et la féminité pour reconnaître l'aura qui gouverne sa pensée intime dans tous ses ouvrages.

Indispensable pour qui se passionne pour cet auteur.




dimanche 25 décembre 2016

Mishima ou la vision du vide ~~~~ Marguerite Yourcenar


La raison d'être de pareil ouvrage : Mishima ou La vision du vide ? Inutile de paraphraser MargueriteYourcenar, laissons-la nous en faire la confidence à la page 81 - Editions folio : "Ce qui nous importe c'est de voir par quels cheminements le Mishima brillant, adulé, ou, ce qui revient au même, détesté pour ses provocations et ses succès, est devenu peu à peu l'homme déterminé à mourir".

L'intention de cet essai aurait pu être de faire l'apologie du talent de son sujet, Yukio Mishima, auteur japonais reconnu de la première moitié du vingtième siècle. Mais cette intention n'est qu'accessoire dans l'esprit de Marguerite Yourcenar. Des auteurs de talent l'histoire en compte plus d'un, fort heureusement. Des auteurs qui ont mis fin à leurs jours aussi. Ces derniers exercent forcément une forme de fascination qui incite à explorer leur motivation. On en tire souvent la conclusion d'une inspiration qui s'est brûlé les ailes aux confins du génie.

Le cas singulier de Mishima vient de la planification de longue date, le mûrissement, la préparation dans le moindre détail, plusieurs années avant, la mise en scène de l'acte fatal dans la plus pure tradition des Samouraïs japonais : le seppuku, forme rituelle de suicide par éventration, plus connu sous le nom de Hara-Kiri. Alors que telle pratique avait été interdite par les autorités japonaises un siècle plus tôt.

Et Marguerite Yourcenar de poursuivre dans le même chapitre : L'important est surtout de cerner le moment ou il a envisagé … son chef-d'œuvre."

Il y a donc dans cet acte morbide et spectaculaire une démarche spirituelle qui fascine et que cherche à décoder Marguerite Yourcenar. Elle se livre pour cela à une étude documentée de l'œuvre de Mishima, auteur au talent reconnu de son vivant, et tente d'y détecter les prémices d'une justification, les étapes d'une montée en puissance. Avec l'outrecuidance de l'homo ignorantis que je suis, je n'en attendais pas moins d'elle, même si l'Everest d'érudition qui nous sépare – et c'est encore un euphémisme que de l'avouer – m'a rendu cette lecture parfois laborieuse. Non par son vocabulaire ou ses tournures syntaxiques qui restent abordables, Marguerite Yourcenar ne cherche jamais à jeter de la poudre aux yeux, mais par les références littéraires mises en œuvre qui me renvoient au grand vide sidéral de ma culture comparée.

Il s'agissait donc bien là de faire la démonstration du fait que cette fin terrible était aussi rationnelle qu'inspirée dans l'esprit de son auteur et constituait en outre l'apothéose de son œuvre. Son chef d'œuvre. Elle laisse à la mère du supplicié par lui-même le soin de tirer la morale de cette fin tragique et sublime à la fois : "Ne le plaignez pas. Pour la première fois de sa vie il a fait ce qu'il désirait faire."

ll fallait bien tout le talent de la célèbre académicienne pour me convaincre de la logique de cette fin. Je n'ai pu que me ranger à ses arguments. Je poursuis mon ouverture à son talent en me délectant, dans la continuité de cet ouvrage singulier que je viens de refermer, du recueil des entretiens que l'illustre académicienne a accordés à Mathieu Galey et retranscrits dans Les Yeux ouverts. Édifiant, surtout de la part de d'une auteure si avare de confidences !


vendredi 2 décembre 2016

Chien blanc ~~~~ Romain Gary

 



"Quand je me heurte à quelque chose que je ne puis changer, …, je l'élimine. Je l'évacue dans un livre." Et s'il est bien une chose qui ne changera pas, c'est "la plus grande force spirituelle de tous les temps : la bêtise". Car pour Romain Gary, le racisme c'est de la bêtise, affirme-t-il par euphémisme, et "la bêtise, c'est grand, c'est sacré, c'est notre mère à tous".

Son ouvrage, Chien Blanc, est un cri d'une colère à peine voilé, une colère bien pesée, une colère froide, contre cette bêtise.

Romain Gary nous a habitués à des ouvrages auto biographiques. Celui-ci est très personnel, très intime. Après sa mère dans La Promesse de l'aube, il y implique une autre femme de sa vie, Jean Seberg, son épouse. On y découvre leur convergence de point de vue contre la discrimination, à la fin des années soixante aux Etats-Unis, même s'ils ne partagent pas les moyens de se faire entendre. Martin Luther King vient d'être assassiné, le pays est à feu et à sang dans les luttes raciales que cet événement a suscitées.

Chien blanc est un berger allemand qui a trouvé refuge chez Romain Gary, en son domicile familial de Los Angeles. Particulièrement affectueux avec les Blancs, il est féroce avec les Noirs. Il a été dressé pour l'attaque de ces derniers. Quand tout le monde préconise de faire euthanasier cet animal tordu, irrécupérable, contre vents et marées, Romain et Jean se refusent à s'y résoudre. Ils s'accordent sur l'espoir de prouver que les tares peuvent être corrigées, même les plus détestables. Rien n'est irrémédiable chez qui n'est pas responsable de son état.

Avec ce subterfuge de l'animal dressé pour tuer, Romain Gary choisit de développer le thème de l'innocence pervertie. Frappé d'impuissance devant un contexte qui le bouleverse, il manifeste son aversion pour la bassesse des comportements humains. À cette fin il façonne un ouvrage très personnel dans sa forme narrative. La sensibilité à fleur de peau, il interpelle son lecteur, vient cueillir son oreille attentive en créant une forme de huis clos pour condamner le crime : le racisme. Mais pas son auteur. Il conserve en effet en l'homme tout sa confiance, car "il est moins important de laisser pendant des siècles encore des bêtes haineuses venir s'abreuver à vos dépens à cette source sacrée que de la voir tarie". L'homme n'est que le jouet d'un grand tout qui porte si mal son nom : la civilisation.

Le racisme est une chose. Son exploitation en est une autre. En avocat de tout ce qui vit et croît sur terre, Romain Gary ressent une grande solitude dans son combat. "Minoritaire-né", il ne prend partie ni pour ou contre l'un ou l'autre. Il ne cache en revanche pas son antipathie pour tous ceux qui font commerce de la compassion, s'auto proclament bon samaritains, au premier rang desquels se précipitent tout ce que le show-biz comporte de vedettes en vue. Époux de Jean Seberg alors au sommet de sa gloire, il est bien placé pour observer ce monde qui s'auréole de sainteté. Il ne se trompe pas sur les intentions réelles de ces « égomaniaques » régentés par leur narcissisme. La hantise de l'homme de spectacle, c'est la salle vide.

Mais là où le discours de Romain Gary sonne juste c'est quand il affirme que ni couleur, ni condition, ni statut ne sauraient être motif d'indulgence. Lui ne reconnaît de grâce que dans l'amour de son prochain. Ou en tout cas dans l'absence de haine. Et il n'a pas besoin d'un dieu pour se faire dicter cette conduite.

Pourtant sa "colère ne vise personne", même si elle écorne l'un ou l'autre au passage qu'il ne se prive pas de citer : Marlon Brando, "éternel enfant gâté" qui fait de la charité un business, Hemingway, "créateur d'un mythe ridicule et dangereux : celui de l'arme à feu et de la beauté virile de l'acte de tuer", Barbara Streisand, et d'autres encore, membres d'une société du paraître. Avec leur discours de générosité pré fabriqué, ils imaginent s'absoudre de leur culpabilité de participer à construire cette "société de provocation" en donnant des leçons de philanthropie. Les choses n'ont pas vraiment changé.

Selon Javier Cercas, "la littérature est une défense contre les offenses de la vie". C'est à n'en pas douter ce qui anime Romain Gary lorsqu'il écrit Chien Blanc. Cet écorché vif nous invite une fois de plus à ses humanités, au spectacle d'une civilisation qui n'a de cesse de cultiver les inégalités. Mais, avec la même constance, il se garde bien de juger. Point de condamnation à l'égard de celui dont "l'intelligence est au service d'une aberration congénitale qui s'ignore". de ces humanités on ne se lasse pas. On en connaît la sincérité, le désintéressement.

Persuadé qu'il était de me savoir lire son ouvrage en des temps qui lui survivraient, il prend la précaution de me mettre en garde : "Rien de plus aberrant que de vouloir juger le passé avec les yeux d'aujourd'hui". Il est vrai que lorsque je regarde autour de moi, je sens bien que de ces concepts vertueux gravés sur le fronton de nos édifices publics on n'a retenu que le premier : la liberté. Les choses n'ont pas beaucoup évolué depuis que Romain Gary nous a livré sa colère dans Chien blanc.


vendredi 28 octobre 2016

Anima ~~~~ Wajdi Mouawad

 


Madame la libraire de Bergerac, vous m'avez chaudement recommandé cet ouvrage et suggéré de vous faire connaître mon ressenti à sa lecture. Je le fais volontiers dans les pages de Babelio. Il me reste maintenant à ne pas trahir ma satisfaction, cette surprise d'avoir apprécié ce roman d'un genre qui n'est pas de ma prédilection.

Je n'ai en effet pas de passion pour le "gore". Je cherche donc encore les raisons qui m'ont poussé à aller au bout de ce road movie sanglant. Mais je vous l'affirme dans ces lignes, Anima fait partie de ceux qui ont rivé mes yeux sur leurs pages au point de mettre ma ponctualité en danger. Force m'est donc de confirmer votre encouragement et de l'applaudir de mes deux mains, ensanglantées, au moment de reposer ce roman sur son rayonnage. Oui, j'ai beaucoup aimé.

Wahhch Debch, son héros, est parti sur les traces de l'assassin de sa femme. Pas pour se venger. Pour le regarder dans les yeux. Pour comprendre. Mettre un visage humain sur la sauvagerie. Une forme d'exorcisme. Tuer est un acte qui doit répondre à une loi occulte. Mais la sauvagerie, trouve-t-elle une justification quelque part ? Il n'y aura que le regard pour le dire.

Sur son chemin les animaux l'observent. Ce sont eux les narrateurs de son parcours en quête d'apaisement. Ils racontent le monde des hommes tel qu'ils le voient. Sans jugement. Des perceptions seulement, selon le sens le plus développé de l'un ou de l'autre. L'odorat avant tout. Il identifie sans faille et décode même les intentions. L'odeur, du sang, des humeurs, des vapeurs artificielles dont s'ennuage l'espèce humaine. La vue, des gestes du prédateur. Les cris, ceux de la victime. Le goût, qu'ils n'ont si peu, parait-il. Le toucher, des matières, la caresse parfois, les coups plus souvent, la déchirure des griffes et mandibules. Et puis ce sixième sens que n'a pas l'homme, la perception du danger. L'intuition.

Point de sagesse, point de sottise chez les animaux. Point d'étonnement ou de contentement. Sur le parcours de qui cherche l'assassin de sa femme, ils observent cet autre animal dont on vante la supériorité de l'intelligence. Et pourtant, ce bipède avide de toujours plus, pétri d'orgueil et de cupidité, si poltron devant la mort, convoite, jalouse, s'arroge des pouvoirs, condamne. De quel droit, quand ce n'est pas pour survivre ?

Le procédé narratif donne à cet ouvrage son originalité. Son "origénialité" me permettrais-je de dire si j'avais le pouvoir d'inventer des mots. De ce procédé narratif, on en tire la conclusion qu'aucune bête au monde, même quand elle se repaît des entrailles de sa proie, ne rivalisera avec la trivialité et la bassesse humaines. Les animaux, qu'ils soient chat, chien, mouche, corbeau, mais aussi blatte ou araignée, souris et tant d'autres encore qui nous racontent le passage de Wahhch Debch dans leur champ de perception nous disent tous que l'horreur est humaine. La vérité quant à elle est animale. Car dénuée de préjugés, de haine. Relisons au passage le monde vu par le poisson rouge dans son bocal. Mémoire de poisson rouge. C'est du vrai talent. C'est avec cette approche de la nature humaine que l'on mesure le génie de ce procédé narratif si original.

Pourquoi l'ai-je donc lu jusqu'au bout cet ouvrage ? Pourquoi m'a-t-il collé aux doigts ? Pas à cause de l'hémoglobine. Car au final j'ai perçu que l'intention n'est pas dans le sordide. C'est un artifice. L'intention est ailleurs. Je l'ai lu jusqu'au bout sans doute parce qu'en qualité de membre d'une espèce capable d'amour, je me suis senti le devoir d'assumer aussi ses manifestations de haine. Peut-être aussi me suis-je dit qu'un monstre sommeille en tout homme et que l'amour que j'ai reçu dans ma vie l'a entretenu en moi dans son hibernation. Quelle chance. Mais plus surement l'ai-je lu jusqu'au bout parce que j'ai moi aussi la conviction qu'on guérit d'autant moins de son enfance lorsqu'elle a été baignée d'épouvante. Ou encore ai-je été fasciné qu'un auteur trouve les mots, le style pour traduire le glauque, le monstrueux, sans révulser son lecteur ?

Anima est un ouvrage certes dur, mais tellement atypique. Le dénouement est superbement amené. Ce roman témoigne d'un vrai talent. Ne vous laissez pas rebuter par le choc des scènes de violence. C'est la nature humaine. Laissez les animaux vous le raconter.

Homo erectus horribilis. Ça aussi je l'ai inventé. Mais ce pourrait être le titre du chapitre dédié à notre espèce.


vendredi 21 octobre 2016

Sur les chemins noirs ~~~~ Sylvain Tesson



En écoutant Sylvain Tesson dans son intervention lors de l'émission de la Grande librairie, je me suis fait une fête d'apprendre la parution de son dernier ouvrage : Sur les chemins noirs. D'une part il y évoquait, une fois n'est pas coutume de sa part, un périple en notre hexagone. D'autre part, et plus attendu par moi, il nous promettait un ouvrage d'exploration tant de ce qui subsiste de sentiers pittoresques en notre campagne profonde - à son grand regret revue et corrigée par le remembrement et l'urbanisation débridée - que l'exploration de ses chemins intérieurs. J'escomptais alors quelque introspection philosophique intimiste de la part de qui, après un accident dont les séquelles visibles ne sont certainement pas les plus traumatisantes, avait entraperçu l'éblouissement de la nuit éternelle.

Mais les chemins noirs sont restés obscurs. Ô pudeur quand tu nous tiens ! L'homme est resté aussi impénétrable que les ronciers qui lui ont barré la route. Vivre est-il une joie ou une souffrance pour ce boulimique du temps et de l'espace, je ne saurai le dire. Il ne sait que trop bien se dissimuler derrière son formidable sens de la formule et les confidences attendues le sont restées. le périple intérieur s'est transformé en un inventaire des balafres infligées au temple sacré de la Nature. Une profanation pour qui ne cherche pas son dieu dans la voute céleste mais dans les replis de la terre. Car lorsqu'on parle de nature avec Sylvain Tesson, il faut y mettre un N majuscule. "Il avait Dieu, je me contentais du monde". Fallait-il qu'il aille le saluer ce dieu végétal et minéral, audible et respirable, le remercier du sursis consenti après cette chute qui aurait dû le tuer.

La France en diagonale ne vaut que 150 pages. Et la qualité n'a pas compensé la quantité. Après un stress hydrique de plusieurs mois pour ce cep suceur de cailloux, on espérait une concentration en sucres, littéraires ceux-là. Mais il a fallu recourir à la chaptalisation, et là ça été l'overdose. Cela donne un ouvrage sans chaleur, le distillat d'un esprit ensauvagé contraint à une course grimaçante dans des espaces domestiqués. Une convalescence de rouleau compresseur opiniâtre qui refuse de se laisser dicter sa conduite par une colonne vertébrale brochée.

L'instinct de conservation est quand même là. Il écoute les recommandations de la faculté de médecine au point de préférer le viandox à la bière ou à la vodka. La frustration est palpable. Cela présage de l'attente fébrile d'un autre départ dans les épaisseurs de la taÏga ou autre aridité à dos de chameau. du sérieux que diable !

Voilà un ouvrage hexagonal qui témoigne aux yeux de son auteur de la place de notre vieux pays, lifté comme une vieille actrice de cinéma, dans le concert des nations. Cela reste quand même une formidable répartie de bout de plume dans lequel les rencontres humaines ne servent malheureusement qu'à la relance de l'inspiration pour la chaîne de montage des bons-mots.

La convalescence, certes active, du corps a été à mes yeux aussi celle de l'inspiration pour cet auteur qui m'avait séduit sur les traces des grognards de Napoléon ou dans la cabane au bord du lac Baïkal. A moins que ce ne soit notre pays qui n'inspire plus ?


jeudi 13 octobre 2016

S'abandonner à vivre ~~~~ Sylvain Tesson



Les nouvelles auraient-elles été créées pour qui n'a pas le temps de lire ? Les nouvelles auraient–elles été inventées par qui n'a pas le temps d'écrire ?

Sylvain Tesson nous livre quelques tranches de vie, quelques pérégrinations philosophiques à l'emporte-pièce, de celles qui peuvent germer dans son esprit de voyageur infatigable. L'occasion pour lui de tailler à grand coup de serpe de son humour incisif dans l'intimité de héros choisis au hasard et livrés en pâture à un lecteur qu'il veut aussi impatient que lui.

Quelques nouvelles pour dire qu'il est là, impatient de vivre et de nous le dire, impatient de repartir. Quelle que soit la destination, avec quand même une préférence pour les endroits les plus improbables où le touriste moderne ne mettra jamais les pieds. Peut-être même à Paris. Une prédilection quand même pour les confins asiatiques, la grande Russie. Pourvu qu'il y ait un vieil ours qui n'aurait jamais imaginé qu'on parle de lui.

Quelques nouvelles, romans d'un quart d'heure, debout dans le train. Pas besoin de marque page.


mercredi 21 septembre 2016

Dans les forêts de Sibérie ~~~~ Sylvain Tesson


En fait la question était : "me supporterais-je moi-même ?"

Sylvain Tesson était déjà venu au bord du lac Baïkal. Il s'était promis d'y revenir. Il n'imaginait pas alors qu'il déciderait un jour d'y vivre en ermite. Six mois seul, dans une cabane, face à la seule personne qui subsisterait dans le paysage : lui-même. le besoin ressenti de briser la coquille de sédiments culturels dans laquelle la civilisation enferme toute personne et exposer ainsi sa nudité originelle aux "solitudes sacrées" du Baïkal dans son écrin de montagne et de forêt.

Raphaël Personnaz qui interprète le rôle au cinéma - film sorti cette année - n'a pas pu ressentir le même sentiment de plénitude sous l'oeil des caméras.

Pareil défi n'était pas seulement une quête de soi. Il y avait aussi la volonté de se réconcilier avec le temps. Celui qui met tant d'obstination à fuir. Quitter l'angoisse de le voir courir et consumer l'être peu à peu. Et puis ce besoin d'accommodement avec une nature que l'homme met tant d'acharnement à détruire.

Aventurier qui ne connaît ni frontière à son besoin de liberté ni entrave sa soif de connaître, Sylvain Tesson est le narrateur de ses propres pérégrinations planétaires. Berezina, son épopée moderne à side-car sur les traces des grognards de Napoléon, m'avait donné le goût de me frotter une nouvelle fois à son style trépidant. Il a un formidable sens de la formule, soutenu par une culture livresque affichée. Ce dernier aspect pourrait en revanche être de nature à vexer le lecteur susceptible parce qu'en retrait de connaissances littéraires. Ce style est parfois lapidaire, télégraphique, tout droit sorti du carnet de notes, mais il vous bouscule, vous emporte sur les sommets surplombant le Baïkal, dans la profondeur de la taïga, par tous les temps. Il sait être imagé, parfois poétique, pour décrire celle au chevet de laquelle il s'enflamme à lui rendre hommage : la nature. Mais ses tournures poétiques ne n'alanguissent pas longtemps. Un humour piquant et spontané, qui n'appartient qu'à lui, cueille à froid celui dont l'esprit se serait laissé griser aux vapeurs de la vodka qui coule à flot ou étourdir à la fumée des cigares qui embrument la cabane. Faut-il s'engourdir l'esprit pour tutoyer le sublime ?

Sylvain Tesson a la conviction que les idées ne doivent pas être pensées, mais vécues. Il est de ceux qui vont au bout de leurs idées. Quitte à mettre en péril plus que sa propre vie, celle de son couple. Extase et amertume seraient-elles deux soeurs inséparables ?

Mais au fait, était-il vraiment seul en son ermitage précaire ? N'était-il pas déjà avec son lecteur ? Alors mystificateur Sylvain Tesson ? Surement pas. La sincérité perle à tous les pores de la peau de celui qui consomme la vie par toutes les extrémités et pour qui impossible n'existe pas au vocabulaire. J'ai beaucoup aimé ce récit enflammé d'une expérience où il est fait la preuve que la richesse peut venir du dénuement. "Être heureux, c'est savoir qu'on l'est". Tout simplement.

samedi 17 septembre 2016

La condition humaine ~~~~ André Malraux



Shanghai 1927. A l'image du voisin soviétique, les idées marxistes font leur chemin en Chine. Le nouveau parti communiste tente de mener à bien la révolution qui émancipera le peuple chinois. Les nationalistes du Kuomintang conduits par Chang Kaï-Shek leur mènent la vie dure. C'est le contexte choisi par André Malraux pour développer sa réflexion sur la condition humaine. Ses personnages donnent leur voix à cette réflexion.

Comment ne pas s'enfoncer à son tour soi-même - lecteur d'un autre temps, mais peu importe, ce qui est dit est universel – dans une profonde introspection existentielle après un ouvrage d'une telle densité. Un ouvrage qui juxtaposent à quelques pages d'écart l'épouvantable fin de ceux que Chang Kaï-Shek fait précipiter vivants dans la chaudière d'une locomotive, tandis que d'autres, dans leur confort parisien, s'interrogent sur leur niveau d'engagement au soutien du consortium français en Chine pour financer la construction du réseau ferroviaire.

Que vaut la vie de l'un ou de l'autre selon l'imminence de l'échéance ultime, selon le caractère banal ou monstrueux de cette échéance ?

"Ô résurrection" est le terme que Malraux place dans la bouche de celui qui a retrouvé son ampoule de cyanure. Il va pouvoir se donner la mort plutôt que subir celle que ses geôliers lui auraient infligée. Résurrection. Pour celui qui va mourir ? Vivre ne serait donc que la faculté d'agir. Fut-ce pour se donner la mort ? Quand la passivité serait la mort, avant la mort.

La guerre offre un contexte propice à la révélation de la condition humaine. Malraux le choisit plutôt que toute autre circonstance pour développer ses thèses. Car la guerre place les individus dans la confrontation directe, prématurée, délibérée ou non, avec la souffrance et la mort. Elle donne l'occasion à tout un chacun qui serait resté dans l'attente passive et angoissée de sa propre mort, de devenir un homme. Enfin !
Car un homme n'est autre que la somme de ses actes. Et choisir de mourir, pour ses idées, c'est encore agir, c'est forger cette personnalité qui fera de celui qui aura vécu un homme. "Qu'eût valu une vie pour laquelle il n'eût accepté de mourir ?"

Quoi qu'il en soit "tout homme est fou". Le communiste, le nationaliste, qui se battent. Le français qui finance. Celui qui soutient l'un ou l'autre. Tous. "Mais qu'est-ce qu'une destinée humaine sinon une vie d'effort pour unir ce fou à l'univers".

Prix Goncourt 1933. On ne m'a pas attendu pour reconnaître le chef-d’œuvre. Un ouvrage exigeant, d'une consistance rare, qui demande une concentration soutenue pour ne serait-ce qu'approcher le sens de chaque phrase. Un livre qui force à l'élévation et dont on ne ressort pas indemne.


mercredi 14 septembre 2016

Des souris et des hommes ~~~~ John Steinbeck

 


Quelle curieuse manie que celle de Lennie d'aimer caresser le duveteux d'un pelage. Celui de la souris morte dans sa poche par exemple ou encore de ce chiot qui vient de naître. Fût-ce au péril de ce dernier. Mais il ne s'en rend pas compte. Lennie est un grand balourd simplet.

Et qu'en serait-il du soyeux de la chevelure d'une femme, un peu aguichante par exemple…?

George le surveille de près. Il l'a pris en affection et lui dicte sa conduite, même s'il l'énerve un peu. Parce que Lennie est un gentil, qui l'écoute et lui obéit. Le problème avec Lennie est qu'il ne connaît pas sa force. George sait surtout que Lennie ne mériterait de toute façon pas la sanction d'une de ses bêtises.

Les souris sont à la fois malicieuses et agaçantes, mais si attendrissantes. Les hommes quant à eux … on ne connaît que trop leurs vices. C'est pour cela qu'il faut protéger Lennie.

Magnifique roman, très court, de Steinbeck dont le titre est si bien choisi.


lundi 12 septembre 2016

Profession du père ~~~~ Sorj Chalandon

 



Alors qu'il enterre son père, le temps est venu pour Emile Choulans de raconter ce qu'a été son enfance. Une enfance sans amour, sans secours, entre ce père tyrannique et une mère à l'étrange indolence. Une enfance de brutalité et de solitude.

Il n'en veut pourtant pas à ce père indigne. Sans doute parce qu'avec ses scenarii fantasques sur fond de fin de guerre d'Algérie, André s'était pris au jeu de cette mythomanie guerrière. N'a-t-il pas usé lui aussi de certains subterfuges auprès de Luca Biglioni, le seul camarade dont il a pu s'attirer la sympathie.

C'est à mon sens le style qui caractérise le plus cet ouvrage. Un style fait de phrases courtes, parfois sans verbe. Un style qui veut dire qu'Emile ne s'alanguissait pas sur sa condition, n'épiloguait pas sur son sort. Sa vie de maltraitance était normale, il n'avait rien connu d'autre. C'est ce que nous dit ce style compartimenté, sans fioriture.

S'il est vrai que la fiction donne libre cours à toutes les intrigues que l'imagination peut concevoir, je n'ai toutefois pas beaucoup cru à cette vie d'insondable soumission, sans la moindre révolte, ni de la part de ce fils qui a conservé une forme amour filial obligé, étiolé, envers ce père détestable, ni de la part de cette mère effacée, transparente, à l'amour prudent, craintif. Etrange assujettissement, sans rébellion, une vie durant, puisqu'une fois éjecté de chez lui à la majorité, comme un malpropre, sans préavis, Emile reviendra pourtant vers le tyran pour jalonner les événements marquant de sa vie : son alliance avec une femme d'origine kabyle, la naissance de son fils qui aura droit quant à lui à l'amour le plus sincère.

Ce drame familial est quand même bien construit. C'est l'histoire d'un secret domestique. Une tare inavouée. Par candeur, par crainte, par pudeur, par honte, on ne sait. Une tare qui enlaidit toute une vie.