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jeudi 23 juin 2022

Le soldat Ulysse ~~~~ Antoine Billot

 🌕 🌕 🌚 🌚 🌚



J'ai une forme de fascination d'horreur pour celle qui restera dans les mémoires comme la grande guerre, la der des der, la fleur au fusil. Elle a présidé à mon choix pour cet ouvrage.

Encore eut-il fallu que l'homme ait tiré les enseignements de ce cataclysme pour purger la part inhumaine de sa nature. Mais las, l'histoire et l'actualité nous montrent qu'il s'ingénie à descendre toujours plus bas dans les abîmes de l'horreur.

Dans Au revoir là-hautPierre Lemaître a magistralement traité du drame des gueules cassées. Antoine Billot reste sur ce registre avec cet ouvrage. Mais si le soldat Ulysse a conservé figure humaine, le mal qui l'habite est tout autre : il est devenu amnésique. Au point de ne plus rien connaître de sa propre personne.

Le médecin qui le soigne, en peine de tirer le moindre indice de son passé, se met en demeure de retrouver sa famille. En publiant son cas dans la France entière, il fait naître l'espoir chez nombre de parents, épouses, enfants anxieux de retrouver l'être cher déclaré disparu. A force de sélection, élimination, déception, il finit par retenir deux familles lesquelles affirment reconnaître leur cher disparu.

Si le thème est intéressant la lecture de cet ouvrage m'a été pénible. Je l'ai regretté. le style résolument moderne se veut métaphorique au point que le lecteur que j'en ai été ne savait plus parfois ce qu'il lisait. Les méandres de la mémoire sont certes labyrinthiques et obscurs à son propre sujet mais le chapitre deuxième qui articule le récit, on le comprend plus tard, qui sera sans doute qualifié de chapitre phare, de chef-d'oeuvre par les pourfendeurs du style narratif classique, est un supplice de digression, élucubration oiseuse, un chapitre à la limite du compréhensible tant dans la lettre que dans l'esprit. Une chasse à la chimère devenue roman homérique provincial nous laisse accroire à la fin du chapitre que la bête traquée serait au final le soldat amnésique. Les yeux font des va-et-vient sur des phrases qu'ils ne rattachent pas à l'intrigue. C'est d'autant plus insupportable que ce chapitre dénote avec le reste du roman. Cette envolée lyrique pseudo fantastique est une incongruité dans cet ouvrage qui pour le reste aborde un sujet lourd quant aux dommages humains de la grande boucherie du début du siècle précédent.

Plaisir mitigé donc pour ce qui me concerne avec cette lecture dont les autres chapitres n'ont pas racheté à mes yeux les errances de ce début. Point d'empathie pour les personnages, y compris ceux qui restent dans la détresse de ne pas savoir ce qu'est devenu leur être cher, le corps sans doute amalgamé aux boues de l'Artois, de la Somme ou d'ailleurs. D'autres auront apprécié et apprécieront fort heureusement ce style qui commande tout. Ce n'est que mon ressenti de lecteur au goût peut-être un peu trop convenu.

vendredi 15 avril 2022

Femmes en colère ~~~~ Mathieu Menegaux


Parole contre parole. Pour une femme qui a été violée, n'a pas porté plainte et fait constater le forfait par un examen médical aussitôt après l'agression, c'est la quasi-certitude de déboucher sur un non-lieu. C'est ce qui arrive Mathilde Collignon dans ce roman de 
Mathieu Menegaux. Aussi, lorsqu'elle se rend compte que ses agresseurs resteront impunis, c'en est trop pour elle. Lui vient alors l'obsession de se faire justice elle-même.

Selon la loi de notre pays la légitime défense ne peut se concevoir que proportionnée et simultanée de l'agression subie. Dès l'instant où elle l'exerce en temps décalé, Mathilde Collignon devient justiciable. C'est son procès que nous vivons dans cet ouvrage.

S'il est un lieu éminemment secret, c'est bien la salle de délibéré d'une cour d'assise. Sa porte en est gardée tout le temps que dure la séance de délibéré. le silence sur les débats est imposé par la loi à chacun des jurés ad vitam aeternam. Même et surtout à l'égard des proches. Ils auront prêté serment.

Avec cet ouvrage Mathieu Menegaux nous ouvre ce saint des saint et nous rend auditeur du délibéré du procès de Mathilde Collignon. Il nous instruit par la même occasion sur les règles qui régissent cette procédure si codifiée, si particulière, à laquelle tout un chacun peut se voir convier à partir du moment où il est inscrit sur les listes électorales.
Un huis clos qui n'est pas sans rappeler le film de Sidney Lumet : Douze Hommes en colère.

Au-delà du rôle pédagogique très intéressant que revêt la forme de cet ouvrage, il ouvre le débat sur ce sentiment légitime d'une victime lorsqu'elle réalise que ses agresseurs ne seront pas sanctionnés. L'analyse des sentiments et réactions de chacun des jurés est fort bien restituée, notamment selon qu'ils sont homme ou femme, mais aussi citoyens ordinaires désignés comme jurés ou magistrats. Ils forment ce jury d'assise lequel ne sortira de la salle de délibéré que lorsqu'il aura répondu aux questions retenues lors de l'audience, avec les règles de majorité qui s'attachent à chaque type de question : Coupable ou non des chefs d'accusation retenus ? Quelle sentence dans la limite de ce que prévoit le Code Pénal ?

Même s'ils forment un collège de justice réuni dans la même pièce,
chacun se retrouve finalement seul avec sa conscience. La même solitude gagne l'accusée dans l'attente du délibéré. Elle était une bonne mère de famille, une professionnelle reconnue dans son métier, aimée et respectée de tous. Et maintenant elle attend de savoir si elle va voir grandir ses filles. Les voir arrachées à son amour de mère. Privées de ses gestes d'affection du quotidien. Pour combien de temps. Quelle part de leurs jeunes années sera occultée de sa mémoire.

Un ouvrage qui, subtilement organisé en chapitres alternés, prend une tournure de thriller psychologique. C'est profitable et absolument passionnant.

mardi 8 mars 2022

Extérieur monde ~~~~ Olivier Rolin

 


Je me suis accroché jusqu'à ce que je lise à la page 115, de la part de l'auteur lui-même, Olivier Rolin : "je sens que je perds des lecteurs". Là, effectivement, j'ai lâché prise. En terme scientifique : le module de la force centrifuge a dépassé celui de la force centripète. Le lecteur-électron de la galaxie librairie-de-quartier que je suis a été éjecté, Extérieur monde.

Objectif atteint, ne resteront que les plus forts, les vrais, ceux qui sont capables de s'accrocher au noyau de la planète Rolin, de rester concentré dans la tourmente. Je me suis accroché à tout ce qui pouvait passer à ma portée. Mais non. Il a eu raison de moi. Je ne suis pas de taille à suivre le globe-trotter dans ses pérégrinations extraites en fouillis des soixante carnets d'une vie de sédentaire de l'instabilité.

Après la page 115, j'ai papillonné. J'ai certes retrouvé quelques situations et paysages connus au hasard, page 227. Sarajevo. J'ai un peu bougé moi-aussi, mais je n'ai pas été jusqu'à lire Les Misérables au Pôle nord. En fait je n'aime pas me faire brinquebaler. Je préfère tenir le volant.

J'ai eu encore quelques tressaillements nerveux, mais quand on m'a demandé ce que je lisais, et que je n'ai su dire si j'étais au Soudan, à la Terre de feu, dans une librairie de Shanghai ou les bras d'une colombienne, alors là j'ai expiré.

Depuis les cieux où j'ai retrouvé le calme, j'adresse mes plus vifs regrets aux Éditions Gallimard et à Babelio, les remercie vivement pour m'avoir adressé cet ouvrage dans le cadre de l'opération masse critique. Je fais quand même le serment d'y revenir, mais à petite dose. J'aurai alors l'impression de tenir le volant.

Enfin chapeau quand même. Je confirme, le monde est trop petit pour lui. Extérieur monde.


Les foulards rouges ~~~~ Frédéric H. Fajardies



Le roman historique, pour autant qu'il soit crédible dans sa restitution du contexte dans lequel il incorpore son intrigue, est une façon d'aborder l'histoire de manière moins scolaire. La fiction servant de liant aux faits historiques qu'elle agglomère pour forger son intrigue.

Les foulards rouges de Frédéric H. Fajardie nous implique dans une page de l'histoire qui fit en son temps douter de la longévité du règne du dauphin devenu roi à l'âge de cinq ans. Il fut au final le règne le plus long de notre histoire. Sous la gouvernance de la régente Anne d'Autriche sa mère et de l'homme fort du royaume, le cardinal Mazarin, Louis XIV commençait son règne en un royaume alors englué dans la plus grande confusion. Ce trouble est resté dans l'histoire sous le vocable de Fronde. Terme qui dissimulait mal une guerre civile larvée.

Et si l'histoire pouvait manquer de gloire et rengaine d'amour, le roman de Fajardie l'en augmente à satiété. Au point de forcer le trait à couvrir de renommée un héros devenu sous sa plume invincible, le comte de Nissac, tout empanaché de rouge et de blanc sur son fidèle destrier noir, héros confondu d'amour pour la plus belle femme de la capitale, il va de soi. Au point d'outrepasser la barrière de la condition, le comte succombant aux charmes d'une roturière. Et fort de cette passion irrépressible, la plus fine lame du pays se bat à un contre multitude sans jamais faillir, se réclamant du service du cardinal, se stimulant de son sentiment tout neuf.

La guerre étant la continuation de la politique par d'autres moyens selon Clausewitz, si péripéties politiques et guerrières ne suffisaient pas à sublimer notre héros, Fajardie l'implique dans une énigme policière lorsque ce qu'on appellera plus tard un psychopathe tueur en série s'ingénie à écorcher vives de jolies femmes. En exutoire sans doute à de vieilles frustrations lesquelles renvoient comme souvent à une enfance lésée en son quota minimal d'amour pour construire la personne. La dénonciation sera délicate, le tueur est de haute naissance. Gageons qu'en ces temps de privilèges dans une société très cloisonnée la justice n'y trouve pas tout à fait son compte.

Notre héros invincible, suffisamment pourvu en cicatrices de guerre attestant de sa bravoure, s'entoure d'acolytes à la Vidocq, rescapés de justesse des rigueurs des galères, formant une équipée improbable et crainte comme le diable sous l'anonymat de son foulard rouge. Equipée laquelle intervient avec le plus grand succès aux faveurs du premier ministre cardinal pour que vive ce roi naissant à l'histoire. Un roi qui restera dans nos manuels affublé de l'astre solaire en qualificatif.

A une époque où l'on chevauchait sus à l'ennemi en dentelle, se battait en duel en faisant des phrases apprêtées, ennoblies de force passés du subjonctif, c'est la restitution de cette langue sophistiquée, au point d'en devenir précieuse dans la bouche des « bien-nés », qui donne sa saveur à cet ouvrage. La langue d'époque mise en oeuvre dans cet ouvrage ne souffre d'aucun anachronisme de langage. Elle nous rappelle à une grammaire que notre temps oublieux de ses racines martyrise à souhait, la sacrifiant sur l'autel de l'audimat à grand renfort d'onomatopées et anglicismes dont les locuteurs modernes impénitents ignorent jusqu'au sens premier.

S'il ne cautionne pas le scenario d'un super héros échappant toutes les chausse-trappes que ses ennemis lui placent sous ses pas, l'amateur d'histoire sera quand même comblé par cet ouvrage pour ce qu'il semble fidèle aux faits historiques que sa mémoire aura sauvegardés de ses lointaines universités. Bonne mise en situation en ces temps d'ancien régime servie par une belle langue, en contrepoids d'une fiction un peu trop édulcorée. Mais le rythme est enlevé et l'ouvrage n'est pas pesant à lire.

Elle et lui ~~~~ George Sand



"Sans regarder et sans parler, toucher la main d'un fou qui part demain." Ce billet au texte pour le moins énigmatique est celui qu'adressa un jour Alfred de Musset à George Sand et que cette dernière reprend partiellement dans cet ouvrage, Elle et lui. Ce curieux message s'éclaire à la compréhension du lecteur lorsqu'il découvre sous la plume de George Sand ce que fut l'épisode de sa passion amoureuse avec Alfred de Musset, transposé sous les traits de Laurent, artiste peintre pour le roman.

Le procédé qu'elle choisit donne à George Sand le recul nécessaire pour porter un regard extérieur sur sa relation avec le poète romantique. Ingrat, faible de caractère, égoïste, dépressif, elle nous dresse un portrait bien peu reluisant du soupirant de Thérèse. Alors qu'elle s'institue dans son personnage en être raisonnable et fort, sincère, doté d'un grand sens du sacrifice. Ne prodigue-t-elle pas à Laurent les meilleurs soins lors de ces crises de déprime, en particulier au cours de leur séjour en Italie.

Au cours de cette relation singulière, chacun pour sa raison propre reste frileux à l'idée de l'engagement durable. Lui, en artiste accompli habité de l'inconsciente certitude que le génie n'émerge que de la souffrance, a peur du bonheur. Thérèse quant à elle demeure en quête d'une relation plus maternelle que romanesque. Ce penchant est un véritable étouffoir de la pulsion des sens. Point d'assouvissement donc dans cette relation qui demeurera sous le sceau de la chaste tendresse, au grand dam d'un lecteur avide d'être le témoin d'un amour sublimé par les prédispositions artistiques des protagonistes.

Dans un style emphatique et suave, les élans du coeur sont canalisés par les convenances. George Sand domine son art. En militante de l'indépendance de la femme, elle a mis sa maîtrise de la langue au service du contrôle des sentiments qui n'auront d'effusion que dans la formulation du verbe. Le lecteur frustré par des atermoiements sans avenir prometteur devra trouver son bonheur dans la seule sensualité du texte.

Citation

Elle avait eu cette exaltation de la souffrance qui fait voir en grand les misères de la vie, et qui flotte entre les limites du réel et de l'imaginaire ; mais par une réaction naturelle, son esprit aspirait désormais au vrai, qui n'est ni l'un ni l'autre, ni l'idéal sans frein, ni le fait sans poésie. Elle sentait que c'était là le beau, et qu'il fallait chercher la vie matérielle simple et digne pour rentrer dans la vie logique de l'âme.

jeudi 3 mars 2022

Paris est une fête ~~~~ Ernest Hemingway



Paris, « la ville la mieux faite pour permettre à un écrivain d’écrire ». Voilà une belle déclaration d’amour adressée à notre capitale de la part d’un écrivain version Oncle Sam. Déclaration qu’on peut lire dans les pages de Paris est une fête. Si celle-ci est inscrite littéralement dans l’ouvrage, il en est une autre de déclaration d’amour, qu’il faut lire entre les lignes de cet ouvrage ou presque celle-là, c’est celle qu’il adresse à sa première femme, Hadley Richardson, avec qui il a vécu ces années parisiennes au lendemain de la première guerre mondiale. Merci monsieur le prix Nobel de littérature 1954 de faire de notre capitale le lieu souverain de votre inspiration dans votre carrière littéraire en devenir. Merci de rendre hommage à la mère de votre premier fils que vous n’avez gratifiée que de cinq années de vos empressements amoureux. (1922-1927)

Hemingway n’a encore rien publié lorsqu’il met en sommeil sa carrière journalistique et les revenus associés et s’apprête à faire vivre à sa petite famille des années de vache maigre sans savoir ce qu’il adviendra de ses heures passées à la table des bistrots parisiens à coucher sur le papier le fruit de son inspiration.

Paris est une fête tel qu’il est édité en 1964 n’est de toute façon pas l’ouvrage qu’aurait fait paraître Hemingway. Il a été constitué par ses héritiers, à titre posthume, de chapitres retrouvés dans la succession de l’auteur nobelisé. Avec des avant-propos, introduction et note de fin justifiant les choix opérés par eux pour sélectionner les chapitres dignes d’y figurer et les ordonnancer dans un ouvrage présenté aux admirateurs de l’écrivain globe-trotter et risque-tout.

 Aux yeux de ces inconditionnels l’ouvrage sera évidemment précieux tant il est intimiste, se vantant pourtant d’être « une œuvre d’imagination », priant son épouse du moment de comprendre la tournure qu’il a voulu donner à un ouvrage dont « elle en est l’héroïne, et seule personne en dehors de quelques riches dont la vie a bien tourné et comme il convenait. » Œuvre d’imagination qu’il est pourtant admis de prendre comme un récit auto biographique tant il est descriptif de la vie du jeune couple en proie aux privations, mais avides de rencontres en personnalités déjà reconnues du monde culturel installé : Francis Scott Fitzgerald, Gertrude Stein, Ezra Pound et James Joyce. Un couple qui dans la fougue de sa jeunesse ne veut voir en ce talent tout neuf se jetant à corps perdu dans l’écriture que les promesses d’un avenir florissant.

Mais à moi cet ouvrage ne fut pas une fête. Faut-il être un familier du solitaire inspiré pour apprécier cette juxtaposition de scènes de vie sans autre fil rouge que la consommation d’alcool qui imbibe chaque chapitre ? Ces textes sont certes révélateurs d’un personnage qui ne laisse personne gouverner sa vie, mais il y a dans son style la forme de suffisance quelque peu indigeste de celui qui est convaincu de son talent avant même que ne résonnent les trompettes de la renommée. Rappelons qu’il n’a que vingt-cinq ans lorsqu’il rédige ses brouillons. Mais sans doute devons-nous mettre cela sur le compte du caractère inabouti des brouillons sauvés in extremis de la disparition et publiés en l’état. Le fait est que cette écriture me fut très moyennement agréable à lire. Ce n’est qu’un ressenti personnel.

Paru en version originale sous le titre « A Moveable Feast », cette fête mobile a trouvé son point d’accroche en cette ville qui séduisit l’aventurier insatiable au point d’y fixer les années de son premier mariage. Première union de quatre pour laquelle je recommande l’ouvrage de Paula Mc Lain, Madame Hemingway, qui relate sous le titre Madame Hemingway cette liaison trop vite rompue. Paula Mc Lain récidiva avec le même bonheur d’écriture au profit de la troisième épouse, Martha Gellhorn, sous le titre La troisième Hemingway. L’écriture y est remarquable et le point de vue féminin face au monstre d’individualisme que fut notre nobelisé est une autre approche du personnage forcément différente de celle que peut laisser percevoir ce mari si sûr de lui.

vendredi 18 février 2022

Orages d'acier ~~~~ Ernst Jünger

  

On a beau s'investir en lecture de témoignages de guerre, on est toujours à des années lumière du ressenti de ceux qui les ont vécus. Celui de cet auteur allemand me semble pourtant faire exception à cette impression à cause de la distance qu'il insère entre la relation des faits, tirés du journal qu'il a tenu tout au long du conflit, et ses propres sentiments. C'est avec une froideur quasi journalistique qu'Ernst Jünger relate ses années d'une guerre qu'il a vécues de bout en bout, avec l'inestimable chance de s'en sortir après pas moins de quatorze blessures.

Est-ce une forme de mea culpa de son appartenance aux armées de l'envahisseur ou bien son éducation personnelle qui lui impose une certaine retenue dans le langage à l'égard de l'adversaire, une hauteur de vue dénuée d'attendrissement. Penchons pour cette seconde hypothèse, car ce respect du combattant tous camps confondus est assorti d'élans lyriques dans la description des paysages et circonstances de la guerre, y compris les plus dramatiques lorsque : « L'homme au coup dans le ventre, un tout jeune garçon, était couché parmi nous et s'étirait presque voluptueusement comme un chat aux rayons tièdes du couchant. Il passa du sommeil à la mort avec un sourire d'enfant. »

Car pour le reste, ce point de vue allemand évoquant cette boucherie organisée comporte les mêmes scènes d'horreur que ce qu'on peut lire chez nos auteurs nationaux lesquels ont également vécu ces années de cauchemar : des Henri BarbusseRoland Dorgelès, Balise Cendras, Maurice GenevoixLouis-Ferdinand Céline pour ne citer que les plus souvent évoqués dans ce genre de littérature écrite en lettres de sang. Tous autant qui ont tenté de faire savoir aux générations suivantes ce qu'ils ont vécu dans leur chair et leur âme. Leur âme qu'il savait à chaque instant prête à prendre son envol vers des cieux qu'ils avaient la candeur d'espérer plus cléments que le cloaque des tranchées d'Artois ou de Champagne.

On a peine à s'imaginer que des hommes aient pu faire à ce point leur quotidien de la fréquentation de la mort, voyant autour d'eux se déchirer les chairs, s'éteindre des regards. le ton de cet ouvrage amoindri de la sensibilité humaine qu'on peut trouver dans le feu d'Henri Barbusse ou les croix de bois de Dorgelès renforce cette impression d'une forme d'accoutumance à l'épouvante. Faisant des vies humaines une sombre comptabilité au même rang que celle des armes et équipements de la logistique du champ de bataille.

Cet ouvrage reste un récit de ces terribles combats de 14 vécus dans l'environnement restreint d'une unité ballotée par les événements meurtriers. J'allais dire dans l'intimité d'une unité. Mais pour qu'il y ait intimité il faut qu'il y ait durabilité de coexistence. Ce qui n'était pas le cas puisque les unités se reconstituaient aussi quotidiennement que les pertes en réduisaient les effectifs. du sang neuf venait abreuver les tranchées au fur et à mesure que les familles confiaient leur progéniture, de plus en plus jeune, à la voracité de la grande faucheuse. Funeste industrie infanticide commandée par des intérêts très supérieurs dont les traités effaceront la responsabilité à la satisfaction de voir la paix retrouvée.

C'est une forme de fascination d'horreur qui me fait revenir vers ce genre de littérature. La vaine tentative de comprendre ce qui peut jeter les hommes les uns contre les autres dans des boucheries de cette ampleur. Ce qui peut faire qu'il n'y ait pas de conscience supérieure capable d'empêcher une tragédie collective à pareille échelle. Mais non, la « der des der » n'attendait finalement que la suivante pour contredire ceux qui pensaient avoir atteint les sommets de l'horreur. Ainsi est la nature de celui qui tient tant à la vie et se complaît à la mettre en danger.

Orages d'acier d'Ernst Jünger dont le lyrisme qui plut à André Gide au point de lui faire dire qu'il était le plus beau livre de guerre qu'il ait lu m'a quant à moi paru aussi froid que le regard de son auteur en couverture.


Citation

L'homme au coup dans le ventre, un tout jeune garçon, était couché parmi nous et s'étirait presque voluptueusement comme un chat aux rayons tièdes du couchant. Il passa du sommeil à la mort avec un sourire d'enfant. Ce fut un spectacle devant lequel nulle impression triste ou désagréable ne me troubla, et je ne fus ému que d'un sentiment fraternel de sympathie envers le mourant.

samedi 12 février 2022

Il était deux fois ~~~~ Franck Thilliez

 



A plusieurs reprises dans cet ouvrage il est fait référence à un autre du même auteur : le manuscrit inachevéIl était deux fois est une forme de suite de ce dernier qui en dépit des épisodes d'amnésie frappant ses héros nous dévoile ni plus ni moins que la vraie fin du Manuscrit inachevé, celle de la main de Caleb Taskman lui-même. On se souvient que l'épilogue du Manuscrit inachevé était de la main de son fils Jean-Luc, les dernières pages ayant disparu à la mort du célèbre auteur de polar, au grand damne de son éditeur.

Avec les troubles de la mémoire, il en est une autre constante entre ces deux romans, plus morbide celle-là, qui est le dépeçage des corps. Et sans surprise, les jeunes filles n'ont pas le beau rôle dans ces funestes intrigues. Leurs beautés insouciantes sont des proies tout désignées pour les détraqués qui peuplent les pages des thrillers version Franck Thilliez. Mais là malheureusement il n'a rien inventé. On aimerait que ce ne soit qu'œuvre d'imagination d'auteur, mais si Thilliez en a beaucoup d'imagination la réalité lui suggère trop souvent les scénarii les plus sordides.

La famille torturée par la disparition de leur enfant est cette fois-ci celle d'un gendarme. Les facultés et compétences du professionnel de l'enquête qu'il est seront ainsi mises à contribution pour le compte des sentiments qu'il porte à sa famille. Pareilles circonstances lui font prendre conscience que son métier a bouffé sa vie de famille. Il se reproche un peu tard de ne pas avoir été suffisamment démonstratif dans l'affection qu'il porte à femme et enfant. Cette enquête l'impliquant personnellement, il devra quitter l'institution et déployer ses forces et ténacité à rechercher sa fille sans désarmer des années durant. Ce sera la preuve d'amour tardive qu'il se fera à sa fille disparue. Son accident de mémoire complique les choses, il devra refaire connaissance avec lui-même et en observateur extérieur de sa propre vie faire le point sur son sort : passé qu'il faut redécouvrir, présent voué à la quête, avenir de solitude à n'en pas douter, son mariage n'ayant pas résisté aux épreuves. Cette période de sa vie occultée par l'amnésie viendra inévitablement corser les recherches. Cela deviendra une enquête dans l'enquête. Au lecteur de recoller les morceaux. Mais faisons confiance à Thilliez pour lui compliquer la tâche.

Les palindromes se rappellent à nous dans cet ouvrage avec toujours le même mystère quant à leur signification et raison d'être dans l'intrigue. Est-ce une ouverture vers un prochain tome qui permettrait de mettre la main sur un personnage à qui la vraie fin dévoilée a permis de se faire la belle ? Il y a beaucoup de dualités dans ces ouvrages auxquelles nous ouvre le titre de celui-ci. M'est avis qu'à l'heure où j'écris ces lignes le cerveau de Franck Thilliez, qui ne doit pas souvent être au repos, échafaude déjà une nouvelle conspiration entre malfrats et détraqués pour mettre notre sagacité de lecteurs à contribution.

Excellent polar que celui-ci. Il distille son épilogue au compte-gouttes au fil des chapitres. Cela ne présente pas le côté artificiel de ceux qui sortent le coupable du chapeau à la dernière page. C'est fort en névroses et en abjection. La morale n'y trouve pas forcément son compte, pas plus que la justice pour le coeur de parents privé de leur enfant dans d'horribles conditions. Il y a quand même une bonne dose d'accablement dans ces romans. Le happy end ne semble pas être une vertu chez Thilliez.


lundi 7 février 2022

Sous le soleil de Satan ~~~~ Georges Bernanos

 

 

Ce n'est pas une crise de conviction qui torture l'abbé Donissan, sa foi lui reste chevillée au corps, mais bien une crise de conscience. Il se sait comme tout un chacun la cible de Satan, lequel est aux aguets du moindre défaut de la cuirasse du croyant, laissant les athées et autres agnostiques au désespoir de la sainte église.

Alors que Dieu reste définitivement muet et inaccessible, faisant dire à Saint-Exupéry qu'un dieu qui se laisse toucher n'est plus un dieu, Satan quant à lui sait prendre figure humaine pour séduire celui dont la foi vacille. Ce sont les traits de Mouchette la jeune dévergondée qui séduit Pierre et Paul et les détourne du droit chemin tracé par les évangiles, ou encore les traits du maquignon qui se propose de remettre l'abbé sur le bon chemin alors qu'il est perdu dans la nuit. L'abbé Donissan doit compter sur la voix intérieure silencieuse que fait vibrer sa foi pour contrecarrer ces tentatives de séduction, elles bien audibles, du mal incarné.

Cette lecture est à l'image de l'abbé perdu dans la nuit. Elle tourne en rond et revient inexorablement à son point central d'obsession. Faisant de cet ouvrage un sempiternel combat spirituel du croyant dans toute la candeur de sa conviction. Un combat intérieur qui rend les événements, car il y en a quand même, marginaux au regard de cette claustrophobie spirituelle obsédante.

Une torture de l'abbé que Bernanos a bien communiqué au lecteur baptisé que je suis, me faisant de la lecture de cet ouvrage un véritable supplice chinois. Mais Satan ne m'a pas convaincu à l'autodafé auquel il m'exhortait dans le tuyau de l'oreille, je me suis fait le devoir d'aller au bout de ce chemin de croix. J'ai fait ma BA de l'année en matière de respect du travail de l'écrivain.


lundi 31 janvier 2022

Edmond Rostand, l'homme qui voulait bien faire ~~~~ François Taillandier



Les siècles ne tournent pas avec les années zéro. Les siècles tournent avec des événements qui marquent les esprits. le 19ème s'est terminé dans la grande sauvagerie patriotique de 14, après que les terres du nord eussent été gavées de chair humaine. Edmond Rostand n'a pas voulu connaître le siècle nouveau enfanté par ce martyre des humbles. Il est mort en 1918. Il savait que la lame de boue gorgée de sang qui avait englouti le 19ème siècle avait emporté avec elle le "raffinement extrême, le luxe verbal et prosodique" du théâtre en alexandrins. "Rostand a sombré en même temps que la Belle époque."

Cyrano de Bergerac, l'Aiglon ou Chanteclerc, auront été le bouquet final d'une époque incarnée par celui qui avait été, très jeune, auréolé d'une popularité sans égal. Difficile de déchoir quand on a fait plus que tutoyer, plus qu'embrasser, quand on a incarné la gloire. Après le triomphe de Cyrano, de l'Aiglon trois ans après, Edmond Rostand avait bien perçu la gageure qui est celle de durer dans le succès. Ce n'est donc que 10 ans plus tard, après moult remaniements et atermoiements, qu'il se décide à lancer Chanteclerc, dans une débauche de décors, d'acteurs emplumés, de déclamations tonitruantes. Mais le siècle est sur le point de tourner, dans l'apocalypse, emportant avec lui la Belle époque et la poésie classique.

Les grandes œuvres sont des monuments qui jalonnent l'histoire de la littérature. Celles d'Edmond Rostand sont érigées à la croisée de courants littéraires. Le néo classicisme et son exubérance en l'art déclamatoire, devenu désuet, est supplanté par le surréalisme, plus déconcertant. Le figuratif et le démonstratif ont vécu. Place au suggestif. Chanteclerc, le fier et bucolique horloger des campagnes du 19ème siècle s'efface au profit du trivial et mécanique réveil matin. Le charisme n'est plus une valeur. L'algorithme ne sait pas le gérer.

Plus qu'une biographie du célèbre dramaturge, François Taillandier nous dresse un panégyrique de cet "éveilleur d'âmes" et de son œuvre. Véritable déclaration d'amour à l'adresse de celui qu'il n'hésite pas interpeler dans de grands élans de familiarité, "mon Edmond", le plaindre parfois, "mon pauvre Edmond". Il a enchanté sa jeunesse et le fascine toujours, regrettant du même coup n'être pas né à la bonne époque, n'avoir pu devenir un grand poète lyrique. N'avoir donc pu connaître celui qui "incarnait le prestige de la littérature, magnifiait l'idée du poète." Il dégage de sa personnalité trois caractéristiques qu'il développe avec force argumentations : le conformisme, dans ses jeunes années, la gravité, et la démesure.

"Je m'étais promis d'écrire ce livre."

Le temps était donc venu de faire cette déclaration à son idole de jeunesse, parmi d'autres illustres versificateurs sans doute. N'imaginons pas de calcul avec le centenaire de la mort de Rostand, il y avait jusqu'alors comme une retenue. Dès lors, par-delà le siècle, Edmond le lui commande. François Taillandier sent le moment venu de raviver une mémoire injustement élimée par les décennies oublieuses de "celui qui voulait bien faire" - sous-titre de cet ouvrage. S'interrogeant cependant toujours sur la raison de cette connivence d'outre-tombe. Cet ouvrage est donc bien la confession rétrospective "d'une passion singulière, anachronique, d'un gamin de quinze ans dans la France des années soixante." Il est un non conformisme à la biographie, en ce sens qu'il dévoile l'intimité de son auteur avec son sujet. C'est l'œuvre d'une passion. C'est ce qui le rend plus touchant que simplement historique.

Quand est venu le moment de faire parler le cœur, de dire le ressenti, la prose, plus apte à traduire les pensées, encore que, avoue son insuffisance et laisse la place à la poésie. "Le poète est un professeur d'idéal, de sens et de beauté."

Je n'arpenterai désormais plus la rue Edmond Rostand à Marseille avec le même regard. Je devrai à l'opération masse critique de m'avoir ouvert les yeux devant ce numéro 14, la maison natale du plus jeune académicien que la vieille dame du quai Conti dame ait compté sous sa coupole.

lundi 24 janvier 2022

Le manuscrit inachevé ~~~~ Franck Thilliez

 


Thilliez, commence à m'énerver grave celui-là. Non content de me voler ma liberté quand j'suis dans ses bouquins, à peine j'ai terminé le manuscrit qu'est pas fini qu'y faut que j'y r'tourne. J'aime bien avoir tout compris quand j'ferme un polar. Mais là ça va pas. Déjà que j'y ai passé une partie de la nuit. C'est dimanche, bon sang. On va aller s'aérer.

Faut dire que j'en ai marre de ces mecs qui soignent leur mal-être en bousillant la vie de jeunes beautés. Y paraît que ça existe. Si en plus faut remettre le nez dedans pour tout piger. Il a pas l'air de s'en douter le gars Thilliez, mais j'suis comme tout le monde, j'ai une PAL qui prend du ventre. Faut que j'envoie du bois comme y disent chez les fabricants de papier.

Alors je vais vous la faire courte. Les palindromes, moi j'ai tout compris. Un palindrome c'est un truc qui se lit pareil dans les deux sens. Et bien le gars Thilliez, y vous dit rien d'autre que ça. Son bouquin c'est comme les palindromes, faut le lire dans l'autre sens. Un aller retour pour tout comprendre. Et encore c'est pas sûr. Il abuse quand même !

« Hé toi là-bas, la vaisselle tu y penses ?
- Ouais, ouais, j'y pense, mais j'ai un métier moi ! J'suis lecteur de Thilliez, et j'peux te dire que c'est pas une scène de cure.
- Une sinécure tu veux dire sans doute ?
- Si tu veux mais veut pas me lâcher avec son bouquin. »

Bon, vous avez compris qu'y en a qui confonde pas présence avec travail comme … enfin s'cusez moi ! Faut donc que j'y aille.

Ha, au fait, j'vais vous donner un tuyau quand même avant de quitter l'antenne, si vous aussi vous êtes à la peine pour piger son truc au gars Thilliez - parce que chez moi y'a pas que les miroirs qui réfléchissent : la première et la dernière phrase, tout est dedans. Il suffit de faire comme Vic. Si vous avez suivi c'est le flic hypermnésique. C'est lui qui a décodé les lettres du tueur. Suffit de faire comme lui pour savoir qui a franchi le garde-corps à la fin. J'dis ça, c'est pour vous soulager des questions qui tournent encore dans vot tête en r'posant le bouquin.

Mais Y'a quand même un truc qui m'a tracassé tout au long du bouquin, c'est que quand un hypermnésique rencontre un amnésique, est-ce que ça remet l'aiguille au nord de la boussole et qu'ça expliquerait tout ? Parce qu'au point final, l'aiguille de ma boussole à moi elle affiche le nord à l'ouest. Et ça, pouvez comprendre que ça me perturbe. M'énerve le gars Thilliez.

Ouais parce quand même, y'est allé un peu fort avec les lettrés comme moi. C'est l'histoire d'un romancier qui écrit un bouquin sur une romancière qui se dit romancier, elle a pris un pseudo, un bouquin qu'y termine même pas d'ailleurs, que son fils est obligé de faire pour lui alors qu'y savait même pas ce que son père avait dans la tête. Et tout ça dans le bouquin de Thilliez qu'est quand même le mec qui raconte tout ça dans son bouquin à lui au final, qu'est pas un final d'ailleurs parce qu'à la fin de cette histoire on sait plus qui a dit quoi, qui a fait quoi. Enfin pauv' gamines quand même. Parce que là non plus y'est pas allé de main mort le gars Thilliez. Avec lui j'voudrais pas être légiste. Pas étonnant que quand j'arrive au bout, j'y retrouve pas mes p'tits. J'y vois double. Si vous voyez ce que je veux dire.

Cette fois faut que je vous laisse. Y'a des circonstances où la présence ça suffit pas. Faut payer d'sa personne. Bon où j'en étais ? MammaM c'est le chien, Noyon c'est en Picardie, le FNAEG c'est ce foutu fichier dans lequel y s'ont collé mes empreintes….

mardi 11 janvier 2022

Le consentement ~~~~ Vanessa Springora

 


J’avais un a priori défavorable vis-à-vis de cet ouvrage, au point de m’être promis de ne pas en faire l’acquisition. Convaincu que j’étais de succomber au grand déballage en vogue avec son déferlement d’accusations rétrospectives tous azimuts.

Puis j’ai eu l’occasion de voir la vidéo de l’émission d’Apostrophe (2 mars 1990 ; lien ci-dessous) au cours de laquelle Bernard Pivot recevait celui dont Vanessa Springora ne veut plus prononcer le nom et ne l’appeler que par ses initiales : GM. J’ai été tellement sidéré par la suffisance, la certitude affichée de son bon droit, le cynisme et l’abjection du personnage que je me suis reproché mon préjugé (une fois de plus, mais je me soigne, je lis) et n’ai plus hésité lorsqu’une amie m’a tendu l’ouvrage.

Dans cette vidéo de l’émission de Bernard Pivot j’avais été à la fois interloqué par la complaisance dont a été l’objet GM de la part du célèbre animateur et interpelé par le courage dont a fait preuve Denise Bombardier pour avoir été la seule à apporter la contradiction, à faire état de la nausée que lui inspirait non seulement le mode de vie du personnage, mais aussi et surtout la gloire qu’il en tirait et le blanc-seing qui lui était donné par la communauté littéraire.

Et que dire de mon effarement lorsqu’en fouillant un peu le sujet, j’ai appris que l’auteur prolifique en matière de récits autobiographiques inconvenants s’était vu attribuer le Prix Renaudot en 2013. La censure est un spectre effrayant. Mais entre laisser faire et primer il y a un pas à ne pas franchir.

Je reste sur la conviction qu’il est fallacieux de juger une époque avec les codes moraux d’une autre, forcément postérieure. Mais les années Matzneff, celles de sa gloire éditoriale, ne sont pas si lointaines que cela et suis encore abasourdi par le fait qu’en 1990, un homme affiche, écrive, se glorifie de pédophilie, puissent l’assumer au grand jour et, cerise sur le gâteau, se voit couronné d’un prix littéraire. C’était nier que le talent qu’on voulait récompenser avait été mis, avec le même succès, au service de la manipulation d’esprits immatures à des fins condamnables.

Ma réticence à lire l’ouvrage de Vanessa Springora était en partie due à ma certitude que cette dernière sacrifiait à la tendance actuelle qui défraye la chronique avec les #metoo, #balancetonporc  et autre slogans racoleurs des réseaux sociaux, histoire d’endosser le costume du moment et ne pas rester sur le bord du chemin de celles et ceux qui avaient jusqu’alors tu leur mal-être d’avoir été abusés, en s’en attribuant la culpabilité, comme c’est toujours le cas.

Abusés parce qu’insuffisamment armés pour affronter ceux dont la sexualité n’est pas l’aboutissement d’une démarche sentimentale, une preuve d’amour, mais un exutoire à pulsions égoïstes. Méprisant la personne, l’être sensible, le cœur qui bat dans ce corps dont il se servent comme d’un objet vivant pour satisfaire leurs bas instincts. Même et surtout si le discours qu’ils tiennent argumente de sentiments authentiques. Comment peut-on justifier d’authentiques sentiments pour une personne quand on est un « amoureux » vagabond qui multiplie les conquêtes à l’infini.

Le début de cette lecture m’a fait penser à la crise d’une adolescente qui veut faire un pied de nez à l’autorité parentale, quand elle ne sait que contraindre et non guider. Quels parents d’ailleurs ? Un père démissionnaire de son rôle du fait de l’entrave à sa liberté qu’est la paternité. Une mère post soixante-huitarde démissionnaire elle aussi, pour une autre raison, parce qu’adepte de l’interdit-d’interdire. Plus de jalon, de repère, de guide, de préparation aux contraintes d’une vie qui en comporte beaucoup. Résultat : une jeune fille à la dérive, qui se raccrochera à ce qu’elle croit être une bouée de sauvetage. Parce qu’elle entend le discours, trouve l’attention qui lui ont fait défaut. Une attention qui s’avérera être l’obsession de s’abreuver aux charmes d’un corps juvénile. Sous couvert de délicate initiation, il va de soi, puisque les partenaires de l’âge de la victime ne peuvent être que de piètres éducateurs.

Et patatras : amour égale sexe. A quatorze ans. Rêves, imaginaire, espoir, tout cela sombre dans le marigot glauque d’un écrivain au talent dévoyé lequel ne pense qu’à une chose : satisfaire ses envies dans un corps qui sert de déversoir à son trop-plein de testostérone. En le justifiant à la face du monde avec tous les arguments que son talent de manipulateur lui porte à la bouche. Un homme qui ne cache pas se « payer » des petits garçons à l’autre bout du monde. Rêve d’amour, de protection, de sécurité, d’avenir, tout cela à la poubelle des désillusions pour une jeune fille abandonnée par des géniteurs qui ont oublié d’être des parents, qu’un enfant c’est le plus noble des devoirs : c’est une personne à construire.

Au fil de l’ouvrage, le transfert s’est fait dans mon esprit. Le tort que j’attribuai a priori à l’insouciance de la jeunesse s’est converti en blâme au manipulateur pervers. C’est la victoire de cet ouvrage. Vanessa Springora a su me convaincre de la sincérité de ses propos, de la franchise avec laquelle elle raconte son histoire sans s’exonérer de torts, d’erreurs qu’elle confesse et dont on comprend qu’elles sont celles d’une enfant solitaire, en errance affective. Belle proie pour le monde de la perversion.

Ce n’est pas le genre d’ouvrage qui fait plaisir à lire, mais il mérite d’être lu. Vanessa Springora a su le construire pour faire comprendre ce que peut être la manipulation, l’abus de faiblesse. Car si pour beaucoup l’innocence est une bénédiction, pour Matzneff elle est une faille à exploiter. Pour sa jouissance égoïste. Peu importe qu’il y ait une personne porteuse de cette innocence.

https://www.youtube.com/watch?v=TjZmJkLdwN8&ab_channel=InaClashTV


vendredi 17 décembre 2021

Les Lys pourpres ~~~~ Karin Hann



Véritable ouvrage d’histoire tant la romance est documentée et construite à partir de faits avérés, Les Lys pourpres est une forme de plaidoyer pour une reine souvent critiquée en partie pour son rôle dans le massacre de la Saint-Barthélemy. Il traite de la période où Catherine deMédicis était dauphine du royaume, puisque épouse du futur roi Henri II, puis reine avec l’accession de ce dernier au trône dans la succession de son père François 1er. L’ouvrage s’arrête lors de la disparition d’Henri II, mortellement blessé lors d’un tournoi en 1559. Décédé en dépit des « soins » d’Ambroise Paré dont l’évocation dans cet ouvrage donne quelques frissons dans le dos. Il est vrai que nous sommes devenus délicats en notre temps de refus de la douleur.

Jusqu’à la mort de son royal époux, Catherine de Médicis n’a pu jouer qu’un rôle de figurante dans la vie de la cour, reléguée qu’elle fut dans les pensées de celui-ci qui lui préférait Diane de Poitiers, pourtant de vingt ans son aînée. C’est cette période de la vie de Catherine de Médicis que Karin Hann a choisi d’évoquer dans ce roman très bien mené à mon goût, citant en bas de page ou en annexe toutes les références historiques. 23 ans à avaler des couleuvres pour cette femme intelligente et fort cultivée avec ce mari qui négligeait, voire la rabaissait y compris publiquement, au profit de celle qui le consola de sa captivité en otage de Charles Quint. Karin Hann met en exergue la sincérité de ses sentiments non seulement à l’égard d’un époux ingrat mais aussi de son pays d’accueil.

Karin Hann s’est attachée à démontrer le pouvoir qu’était celui des favorites, Anne de Pisseleu auprès de François 1er puis Diane de Poitiers auprès Henri II, sur leur souverain, le poids de leur influence politique et l’âpreté à préserver leur position au bénéfice de leur enrichissement personnel comme il se doit. Il faut dire que leur temps de grâce ne durait que ce que durait leur royal amant. La relégation était parfois brutale et sévère pour qui avait goûté aux ors des palais. Mais il ne nous viendra quand même pas à l’idée de plaindre ces courtisanes lors de leur « veuvage » tant leurs faveurs étaient commandées par l’intérêt au détriment la sincérité des sentiments.

L’héroïne de cet ouvrage reste cette reine effacée aux yeux de son époux, condamnée qu’elle était à pourvoir le royaume en héritiers et successeurs de leur père. Après une longue période d’infertilité elle eut dix enfants dont trois succédèrent à leur père sur le trône, les voyant disparaître tour à tour, et deux reines, une d’Espagne épousant Philippe II le fils de Charles Quint et l’autre en tant qu’épouse d’Henri IV, la reine Margot. Ce qui valut à Catherine de Médicis, après la mort de son époux de gouverner le pays en arrière-main, main de fer dans un gant de velours, tant elle était intelligente et au sens politique développé, et ce pendant trente ans en régence de rois juvéniles ou faibles de caractère.

Bel ouvrage qui se lit comme un roman puisqu’il en est un, avec lequel on perçoit sans ambages le parti pris de Karin Hann de rendre figure humaine à une reine dont on a trop retenu l’austérité au détriment de ses qualités d’épouse, de mère, de femme tout simplement. L’autrice rejoint le camp de ceux qui voient en cette reine une personne de compromis et non celle soufflant sur les braises qui couvaient entre catholiques et protestants. Ouvrage agréable à lire et propre à réconcilier ceux que l’histoire rebute pour son langage pompeux ou abscons et s’effraieraient de devoir maîtriser les arbres généalogiques des familles royales pour appréhender le contexte. Il se lit très bien par tout-un-chacun sans être féru d’histoire. Il paraît que cela existe.


Citations

"Au royaume de France, c'était les favorites qui portaient culotte." 

"Voyons François, ce n'est pas à toi que je vais dire que c'est dans les jupes des dames que se prennent les décisions les plus Importantes."

 

L'aube à Birkenau ~~~~ Simone Veil



Dans les camps, des barbelés les enfermaient à l’écart du reste du monde. Rescapés, une barrière est restée. Une séparation persiste entre ceux qui ont connu cette funeste expérience des camps de la mort et les autres. Il y avait ceux qui étaient dedans et les autres nous dit George Semprun dans Le grand voyage. Les premiers savent que nul ne peut envisager, imaginer et même croire à cette vie hors du temps, hors de l’humanité. Mais au-delà de ce souvenir de l’enfer, l’amertume qui assombrit renaissance à la vie des rescapés est de constater, de déplorer que leur expérience ne rend pas le monde meilleur.

Voilà un ouvrage auquel nul ne peut rester insensible. Emotion pure que les paroles retranscrites par David Teboul dans ce recueil d’entretiens en forme de témoignage de la part de cette grande dame dont la gravité nous troublait lorsqu’il nous arrivait de la voir à l’écran : Simone Veil.

Outre le texte, cet ouvrage comporte nombre de photos : les visages fermés de ceux qui ont échappés au sinistre destin auxquels ils étaient promis, les visages juvéniles de ceux qui le resteront parce que figés pour l’éternité. Des photos qui fendent le cœur quand on sait qu’elles nous disent l’innocence, l’espoir d’avenir qu’il y avait dans les yeux des enfants. Que leur sourire a été effacé par une volonté humaine, laquelle avait conçu et mis en œuvre une industrie de mort.

Simone Veil nous raconte les camps. Et la vie après. Quand il a fallu vivre avec ce souvenir qui lui a volé son adolescence. David Teboul lui a suggéré des entretiens avec d’anciens déportés : sa sœur Denise, Marceline Loridan-Ivens, Paul Schaffer pour qu’ils échangent leurs souvenirs. Sachant qu’entre eux il n’y aurait pas cette barrière de l’incrédulité. Car même ceux qui ont visité Auschwitz-Birkenau ou autre sinistre lieu de mémoire ne peuvent se faire la moindre idée de ce que c’est d’avoir été déchu de son statut de personne humaine, et promis au sort des choses : l’incinération ou l’enfouissement sans autre forme de considération.

Les chapitres sont séparés de pages entièrement noires. Les mots sont lourds de souvenirs glaçants. Les visages sont beaux et graves. Les sourires appartiennent au passé, avant les camps. Après, c’est la maturité sévère. Le regard tourné vers l’intérieur, vers la mémoire. Voile noir tendu au travers d’un chemin de vie.

Ils resteront des personnages solitaires de ne pas être compris à hauteur du traumatisme subi par un monde oublieux et futile. Leur peur est désormais de voir à nouveau le voile noir fermer l’horizon. Tant que l’enfant n’est pas tombé, on peut lui dire que le sol est glissant. Il ne le croit pas.

Grande, grande restera cette dame qui a mis toute ses forces dans le combat pour que l’humaine nature n’oublie pas qu’elle porte aussi en elle le gène du mal, et que celui-là il ne faut le laisser prospérer. Pour que cela ne recommence pas. Jamais. 


Citations de Simone Veil

" Quand on vous a traitée comme de la viande, il est difficile de se convaincre qu'on est resté un être humain."

" Pourrions-nous à nouveau vivre normalement ? Une frontière séparait les humains, ceux qui revenaient des camps et les autres. Nous étions passés de l'autre côté. Je crois que nous ne sommes jamais redevenues Normales. En apparence nous avons vécu comme les autres, mais nos réactions intimes sont restées différentes..." 
"On peut accuser les Français de ne pas avoir accueilli plus grand monde, mais il faut restituer les événements dans leur contexte."

Citations de Paul Schaffer (entretien avec Simone Veil)

"Ce qui m'attriste, c'est de penser que notre expérience et le prix si élevé que nous avons payé n'ont pas réussi à rendre l'humanité un tant soit peu meilleure, plus pacifique, plus respectueuse d'autrui."

" Nous sommes devenus des personnes sans ombre. Nous n'avons pas vécu notre adolescence. A la place, il y a un trou béant. Ce vide a joué un rôle important dans notre comportement ultérieur." 

" Cette expérience-là est particulièrement intransmissible." 

samedi 11 décembre 2021

Mademoiselle Papillon ~~~~ Alia Cardyn

 


Voilà un ouvrage qui a percé la cuirasse derrière laquelle s’abrite mon émotivité. Parvenu au point final, il a fallu que je relise les passages évoquant la courte vie du petit Anatole pour l’un, le mutisme douloureux de la petite Madeleine pour l’autre. Un ouvrage qui rend hommage aux héros anonymes au travers du portrait de Mademoiselle Papillon. Elle a fait partie de ces personnes réellement désintéressées qui ne cherchent de gloire que dans le sourire des autres.

Lorsqu’elle décide de créer un préventorium pour accueillir les enfants démunis des suites de la première guerre mondiale et qu’on lui alloue l’ancienne abbaye désaffectée de Valloires dans la Somme, c’est par pur amour pour la petite personne qu’est l’enfant qu’elle s’engage dans cette prodigieuse entreprise.

Mademoiselle Papillon, un nom si beau pour si belle histoire. D’autant plus belle que celle-ci est vraie. Une histoire qui a touché Alia Cardyn à l’occasion de la visite de l’abbaye de Valloires au point de lui insuffler la volonté de faire connaître Mademoiselle Papillon pour très certainement réparer l’injustice de la savoir méconnue, sinon de façon confidentielle.

Mais Alia Cardyn a voulu aller au-delà d’une simple biographie de la courageuse demoiselle. C’est comme cela que je perçois son ouvrage. Elle a choisi le genre romanesque pour faire valoir l’abnégation de ces héros du quotidien, ceux et celles qui travaillent dans l’anonymat d’une profession et donnent leur temps, leur énergie et finalement leur cœur pour que la vie d’autres soit moins rude. Surtout s’il s’agit de préserver le capital d’innocence avec lequel naît la personne. C’est à mon avis pour cela qu’Alia Cardyn a conçu ce roman. Il érige une passerelle entre l’histoire vraie d’une héroïne la plus pure qui soit et ceux qui modestement œuvrent au bien commun en rehaussant leur action d’une vraie part d’humanité. Donnant ainsi un sens à leur vie

« Il faut vivre les mains ouvertes pour mourir les mains pleines. »

Un roman qui joue sur deux époques et fait vibrer la corde sensible sans sombrer dans la mièvrerie. Un subtil dosage entre l’hommage et le rappel à l’ordre de l’individualisme qui prévaut dans notre société contemporaine leurrée par le confort. Mais un roman optimiste malgré tout. Il comporte une aventure amoureuse, histoire de faire contrepoids aux mauvais penchants qui trop souvent ternissent l’image de la nature humaine.

Ce qui m’a séduit dans ce roman est évidemment et en premier lieu l’intention de faire connaître une héroïne discrète de notre histoire. Ce genre de personne qui déplace des montagnes grâce à leur seules volonté et force de caractère. Pour vaincre non seulement les difficultés mais aussi et surtout les peurs : mademoiselle Papillon n’a pas hésité à cacher des enfants juifs au nez et à la barbe des Allemands qui occupaient une partie de l’abbaye entre 1940 et 1944.

Ce roman a aussi une valeur universelle en matière de leçon de vie. C’est le but de cette passerelle entre l’histoire de Mademoiselle Papillon et celle de Gabrielle, la narratrice de l’époque contemporaine. Elle se bat dans son service de néonatalogie pour rendre moins techniques et plus chaleureux les soins apportés aux nouveau-nés prématurés impliquant tous les intervenants, qu’ils soient parents ou praticiens.

Un vrai beau moment de lecture qui parachève le parfait équilibre des émotions, couronné par un épilogue qu’on n’attend pas et clôt ce roman avec une belle intelligence d’auteure. 


Citations

Page 266 : "Nos heures silencieuses avaient tissé un lien dont je ne mesurais pas la force. Nos présences sans mots avaient suscité une intimité rare, celle de deux êtres qui attendent la fin de quelque chose."

Page 237 : "Rien n'est plus fort qu'un souffrance silencieuse."

Page 224 : "Le temps qui n'est pas consacré aux autres est du temps  perdu" 

Page 176 : "Est-ce immature d'espérer que le sublime demeure intact ?" 

jeudi 2 décembre 2021

Louis Jouvet ~~~~ Olivier Rony



« Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent. » Prenons acte de cette épigraphe que le docteur Knock attribue à Claude Bernard et adresse à son confrère Parpalaid dont il reprend la clientèle. Cela fait partie des répliques culte qui me ramènent à l’esprit le portrait de Louis Jouvet, ce géant par la taille et par le talent qui était « dévoré par le théâtre » au point dans la première moitié du 20ème siècle d’en être la figure symbolique. Olivier Rony nous en adresse une fort belle biographie aussi précise que vivante.

Sauf que cette précision ne s’applique pas de la même manière à sa vie privée. Jouvet avait certes femme et enfants, mais l’ouvrage d’Olivier Rony nous donne véritablement l’impression que la vie de famille ne pesait pas lourd en face de la vie professionnelle de celui que ses parents avaient orienté vers une carrière de pharmacien. Il en a certes obtenu le diplôme, mais ce dernier n’a pas pu rivaliser avec l’appel de la scène qu’il a préférée à l’officine.

Son épouse, qui l’a accompagné sa vie durant, est restée dans l’ombre du personnage au point de n’être mentionnée que de façon anecdotique dans l’ouvrage d’Olivier Rony. Le maître, il est vrai, n’eut pas seulement de double vie celle de ses personnages. Ses rencontres favorisées par le métier et ses pérégrinations à l’occasion de ses tournées en Europe et sur le continent américain ont laissé bien peu de place à la discrète Else Collin qu’il avait épousée en 1912. C’est en tout état de cause ce que nous laisse comprendre l’ouvrage d’Olivier Rony.

Beaucoup de sources documentaires citées dans cet ouvrage sont tirées de la correspondance foisonnante que Jouvet échangeait avec ses interlocuteurs du métier. Dans un milieu et à une époque où l’art épistolaire avait ses lettres de noblesse, cette correspondance laissée à la postérité en dit long sur la vie ses auteurs. Elle nous fait pénétrer l’intimité de ces personnages et leur redonne vie dans ces pages. On en arrive à se demander ce qu’il restera de nos échanges contemporains effectués à grand renfort de SMS, mail, téléphone dans un langage d’abréviations et acronymes qui assassine la grammaire et rend les échanges inaccessibles à la compréhension à qui n’est pas averti du contexte.

Olivier Rony restitue à merveille la forte personnalité de ce ténor des tréteaux qui dès son plus jeune âge a su s’imposer comme nul autre dans tous les métiers du théâtre : acteurs au premier chef bien entendu mais aussi, régisseur, metteur en scène et directeur de théâtre avant de prendre la direction du conservatoire et de porter ses rôles à l’écran dès la parole donnée au 7ème art. Car Louis Jouvet c‘était surtout une présence et une voix qui conféraient au personnage une ampleur inégalée.

Le personnage avait cette certitude de lui-même au point d’écrire à l’un de ses proches dans le métier : « Pour ce qui est de Molière, vois-tu, je ne reconnaîtrai à personne, à personne, tu m’entends ? le droit de me donner des leçons. Parce que – dussé-je te paraître présomptueux -, je ne crois pas qu’il existe au monde un moliériste plus averti que moi, plus objectif, plus consciencieux que moi. » A bon entendeur salut !

Knock ou le triomphe de la médecine de Jules romain, dont le rôle était taillé sur mesure pour Louis Jouvet, est avec plus de mille représentations rien qu’à Paris la pièce qui a assuré à son acteur fétiche pendant les périodes de vaches maigres le fonds de commerce qu’il avait méprisé de ses études de pharmacie. Bien qu’en son esprit le cinéma ne peut « concurrencer la pureté, la simplicité et la noblesse d’un art né du souffle dionysiaque pour offrir une parole poétique aux hommes de la cité », Jouvet a eu la bonne inspiration d’immortaliser son génie d’acteur sur la pellicule sous la direction de Guy Lefranc en 1951, l’année de son ultime salut au public.

Alors « Ne confondons pas, est-ce que ça vousgrattouille ou ça vous chatouille ? » Ni l’un ni l’autre cher maître parce qu’à la lecture de cette biographie, à la vision de ces classiques qui portent l’estampille de Louis Jouvet on n’a que l’envie tirer son chapeau à celui qui fut le théâtre et eut la bonne inspiration de faire imprimer sur la pellicule son jeu inimitable, pour notre plus grand plaisir à nous spectateur d’un autre temps.


Ses lieux de vie professionnelle les plus importants

Théâtre du Vieux Colombier - Paris 6ème

 Théâtre du Vieux Colombier - Paris 6ème

Théâtre de l'Athénée - Paris 9ème


Théâtre des Champs Elysées - Paris 8ème

Théâtre du Conservatoire National d'Art Dramatique - Paris 9ème

Citations de Louis Jouvet

« Je me suis trouvé un jour au théâtre, dans une salle, puis sur la scène : je m’en étonne encore moi-même. Cet étonnement ne me gêne pas, il me plaît et me satisfait. Le plus estimable, le plus heureux dans la vie est de s’étonner. »

" Ne l'oubliez pas c'est quand le rideau se lève que votre vie commence, il ne tient qu'à vous qu'elle continue le rideau baissé."