Archives du nord, un ouvrage quelque peu déséquilibré qui en
trois parties évoque successivement la nuit des temps, puis les ascendants
directs de Marguerite
Yourcenar, ses grand-père et père, qu'elle n'appellera jamais autrement que
par leurs prénoms respectifs. Curieuse approche filiale, plus historiographique
que sentimentale.
Evocation sans concession de l'histoire d'hommes et de femmes qui ont présidé à
sa venue sur terre et dont il serait vain de retenir la généalogie, sauf à se
passionner pour la science qui curieusement étoffe la ramure d'un arbre
familial en exhumant ses racines personnelles.
C'est encore la maestria dans la mise en œuvre de la langue qui m'a poussé à me
frotter au feu roulant, quelque peu déprimant, des innombrables références
culturelles dont Marguerite Yourcenar peuple ses ouvrages. Etalage
qui pourrait sembler humiliant à l'égard du besogneux se glorifiant de sa
maigre bibliothèque, ou complètement abscons au décrypteur d'idiomes qui a fait
sa culture dans le fouillis de qu'il faut aujourd'hui appeler la toile - pour
mener un combat retardateur et franciser l'expression connue plus que dans sa
version d'outre atlantique.
Marguerite Yourcenar dont on connaît la fibre écologique semble avoir plus
de compassion pour faune et flore que pour celui qui les martyrise depuis
qu'homo sapiens a pris le pas sur tout ce qui pouvait le concurrencer sur la
planète, plus d'affinité pour des personnages faits maison tant ils ont été
bâtis pour servir d'ambassadeur à sa cause, tel Zénon, qu'à l'égard de ses
géniteurs.
Les ouvrages de Marguerite Yourcenar, lecture plaisir pour qui s'ébahit
devant la puissance conceptuelle de la phrase, la richesse documentaire,
lecture déplaisir pour qui aspire aux langueurs sentimentales.
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Ouvrages par genre
dimanche 13 août 2017
Archives du nord ~~~~ Marguerite Yourcenar
vendredi 23 juin 2017
Labyrinthe du Monde - tome1 ~~~~ Marguerite Yourcenar
A souffrance égale tout au long de leur vie, Marguerite Yourcenar aurait-elle eu moins de compassion à l'égard des hommes que pour les animaux. Sans doute rend-elle les premiers responsables des dommages irréversibles que subit la nature pour les envelopper de cet humanisme froid qui se fige dans ses lignes. En ce début de vingtième siècle qui connaîtra l'explosion d'un tourisme de masse, aussi dévastateur pour les paysages du monde que l'est l'industrialisation, elle se confirme dans ses ouvrages comme un précurseur de l'écologie. Les passages évoquant le parcours des bovins vers l'abattoir ou encore l'origine de l'ivoire dans lequel est ciselé un crucifix sont éloquents.
Cette froideur lui fait parler d'elle à la troisième personne, en spectatrice
de son enfance. "L'être que j'appelle moi vient au monde un lundi 8 juin
1903 …" Elle lui fait affirmer ne pas regretter de n'avoir pas connu sa
mère. Tout au long de cet ouvrage, elle ne l'appellera jamais que par son
prénom : Fernande.
On ne choisit pas sa famille comme on peut le faire des héros de ses romans.
Elle déclare plus volontiers son amour, certes chaste et fraternel, à ces
derniers. Quand on est écrivain de grand talent, à l'érudition culminante, on
peut les modeler à son goût, les mener selon ses lubies, leur faire dire et les
faire agir à dessein pour développer les thèses de sa conviction. Alors, ceux
qui vous servent si bien, au premier rang desquels Zénon, peuvent se voir
gratifié de préférence. Au détriment de parents de tous degrés à qui on peut
reprocher d'avoir été affublés de trop de défauts, d'avoir été trop humains en
somme.
Souvenir pieux est un regard rétrospectif sur cette famille nombreuse
dont Marguerite Yourcenar est issue. Elle offre à tous ces êtres,
qu'elle a peu ou pas connus, une nouvelle sépulture en les couchant dans ses
pages. Son humanisme froid a malgré tout le souci de l'équité. Autant que tous
ceux que l'histoire a conservé dans sa mémoire, en particulier depuis que
l'écriture nous en rapportent leur propos, que Marguerite Yourcenar connaît
mieux que quiconque, les êtres simples ont le droit de sortir de l'indifférence
dans laquelle la mort les a plongés. Souvenirs pieux veut réparer cette
injustice faite à ceux qui n'auront pas éclairé l'histoire, fût-elle "la
très petite histoire", de leur nom. Les gens simples ont aussi leur
complexité, même si elle ne s'est pas exprimée par un talent reconnu. Elle
donnera cependant, sans doute par confraternité, la prime à ceux de ses
antécédents qui auront noirci quelques pages de leurs traits de pensées, tel
l'oncle Octave. Mais, en boulimique d'archives perfectionniste qu'elle est,
elle l'apprécie toutefois plus comme témoin du passé que comme philosophe.
Marguerite Yourcenar ou la maîtrise du savoir dire. Savoir dire les choses
sans faux fuyant, sans faux semblant, et surtout sans jugement. Sauf peut-être
la réprobation implicite qui n'échappe pas au lecteur à l'égard de ceux qui
déciment la gente animale sans nécessité de survie. Ce savoir dire, délivré du
louvoiement qu'impose le plus souvent la faiblesse, a toutefois la contrepartie
de la froideur quelque peu professorale de l'objectivité.
A consommer sans modération pour la qualité de cette langue qui colporte dans
ses phrases une érudition à vous rendre honteux. A consommer aussi pour
rejoindre les rangs de ceux qui déplorent que la prospérité de l'homme aille de
pair avec la ruine de son environnement.
Page 60 édition Folio, Marguerite Yourcenar explique ce qu'est un
souvenir pieux. Celui rédigé à l'adresse de sa mère défunte portait cette
phrase : "il ne faut pas pleurer parce que cela n'est plus, il faut
sourire parce que cela a été.
Elle a toujours essayé de faire de son mieux."
Souvenir pieux est le premier tome de Labyrinthe du monde qui en comporte
trois. J'ai décidé de persister dans ma confrontation avec l'académie.
samedi 8 avril 2017
Alexis ou le traité du vain combat ~~~~ Marguerite Yourcenar
Etonnante cette facilité de Marguerite Yourcenar à se glisser dans la peau de ses personnages, surtout masculins : Hadrien, Zénon, Alexis dans cet ouvrage ou Éric von Lhomond encore dans le coup de grâce.
Etonnant aussi chez elle cette faculté d'autopsier le processus de pensée de
l'homme, au sens de mâle de l'espèce humaine, dans sa relation au monde, dans
sa relation à l'autre. L'autre étant souvent féminin naturellement, mais pas
seulement, tel Antinoüs pour Hadrien.
Son approche des sentiments est très intellectualisée, un peu trop même. Elle
lui confère une froideur presque scientifique. Cette maîtrise imposée ôte à mon
sens à l'expression du sentiment sa spontanéité, sa sensualité qui donne de la
chaleur à l'épanchement amoureux. Comme elle le dit elle-même : "Au lieu
de parler d'amour, nous parlions sur l'amour".
Il est beaucoup question d'états d'âme de la part de ses héros dans l'évocation
de ce combat qu'est la vie, en quête de plénitude plus que du bonheur, estampillé
trop convenu. Ces personnages évoluent dans un univers écartelé entre les
aspirations du corps, certes bien gouvernées, les convenances imposées par le
milieu social et l'élévation intellectuelle, seule à pouvoir supprimer les
barrières qui cloisonnent nos sociétés. On verse toutefois peu dans les
croyances. Le spirituel est trop hasardeux.
Mais la maîtrise de la langue vient au secours de cette analyse quelque peu
déprimante. Pas un mot superflu, chacun est lourd de signification. Pas une
phrase creuse. Pas un paragraphe qui ne soit construit. La syntaxe de Marguerite
Yourcenar, qu'elle façonne en orfèvre, est l'escabeau qu'elle place sous nos
pieds pour accéder à la puissance de son univers sémantique.
vendredi 6 janvier 2017
Les yeux ouverts ~~~~ Marguerite Yourcenar
En refermant cet ouvrage, j'ai l'impression d'en avoir
ingurgité d'innombrables. Les
yeux ouverts, c'est une bourrasque de culture. C'est surtout une formidable
leçon de sagesse.
Encore faut-il, en écrivant cela, bien prendre garde au choix des mots. Car le
terme de leçon comporte une notion de contrainte dont Marguerite
Yourcenar se serait, à n'en pas douter, défendue avec force de faire
usage. Recommandations de sagesse serait plus approprié. Mais il est vrai que
si je crains la réprobation quant à la sélection de mes tournures sémantiques,
c'est que je me sais observé depuis le "système sympathique" de
l'au-delà dont Marguerite Yourcenar fait désormais partie.
M'encouragerait-elle à poursuivre cette contribution sur Babelio ? A n'en pas
douter puisqu'il s'agit de parler des livres.
Marguerite Yourcenar nous a laissé au travers de cet ouvrage un recueil de
confidences étonnamment copieux pour quelqu'un qui rechigne à parler de soi.
J'ai pu y découvrir des facettes de sa personnalité insoupçonnées de ma part.
Une lecture plus attentive de ses œuvres aurait pu me les faire détecter, en
particulier par l'entremise de ces deux héros les plus évoqués dans cet
ouvrage, je veux parler de Zénon et Hadrien. L'érudition de l'académicienne
m'avait certes un peu étourdi, aussi n'y avais-je pas décelé la militante
écologiste, amoureuse de la nature, avocate de la cause animale et
dénonciatrice de bien d'autres phénomènes et comportements blâmables de notre
société moderne que le bon sens récuse. Mais tout cela ne participe-t-il pas
finalement de la même sagesse : celle de préserver un monde qui nous a ouvert
les bras en même que nous ouvrions les yeux. La lecture de cet ouvrage est un
grand bénéfice quant à la connaissance de la personnalité, de la vie et de l'œuvre
de cette auteure sublime.
Mon grand ressenti d'un tel ouvrage, c'est une impression de grande solitude de
son auteure. Une solitude certes entourée, mais solitude quand même. Comme
celle que notre vie moderne peut engendrer en nous faisant méconnaître notre
voisin de palier. Solitude de l'érudite dans un océan d'ignorance. Ne
l'a-t-elle pas éprouvée lorsqu'elle enseignait aux étudiants américains,
captifs de leur présent, d'un immédiat resserré sur des préoccupations
matérielles, quand tout aspire à dépasser le temps. C'est aussi la solitude de
la femme désintéressée, face à tant de cupidité. de celle-là même qui fait de
l'homme un pourfendeur de son environnement. La solitude encore de celle qui
embrasse toutes les religions sans discrimination, reprochant l'imposture de
ceux qui se réclament "de ligne directe de Dieu". La solitude
toujours de celle qui a conservé son âme d'enfant, se dit sans âge, quand trop
d'esprits plaintifs inféodés à leur narcissisme ne font que déplorer la
dégradation d'un corps qui subit les outrages du temps.
Mais la solitude est aussi une aubaine. Elle est propice à la contemplation, à
la création. Elle permet à Marguerite Yourcenar de s'extraire de
l'actualité, "cette couche superficielle des choses", et d'aimer
"le passé comme un présent qui a survécu dans sa mémoire". Elle lui
permet d'écouter les voix que le tumulte pourrait dissoudre dans la cacophonie
ambiante. Les voix de ses propres héros, Zénon et Hadrien, et tous les autres
qui ont trouvé au travers de ses ouvrages l'espace et le temps de faire
entendre leur vibration. Ce sont ces voix qui lui dictent ce qu'elle couchera
sur le papier. La solitude enfin autorise la communion avec ces écrivains
innombrables qu'elle a étudiés plus qu'elle ne les aurait seulement lus.
Marguerite Yourcenar ne donne aucun droit à ses semblables. Ils ne savent
que trop le mettre en avant. Elle ne leur parle que de devoirs. Au premier rang
desquels le devoir d'amour, mais dans l'acception orientale de ce sentiment.
Elle seule élève ce transport sensuel au niveau du sacré quand l'éducation
chrétienne culpabilise et juge la sensualité grossière. Sa hauteur inspirée lui
permet de désigner les calamités dont souffrent ceux de son temps et s'autorise
à les mettre en garde : "On n'a pas le droit de combiner les maux de l'âge
atomique avec la sauvagerie de l'âge de la pierre."
Avec son humilité légendaire et pour s'exonérer de tout mérite dont d'aucun
pourrait la gratifier, Marguerite Yourcenar prend les devants. Elle
s'affiche dans son rôle d'écrivain comme un "instrument à travers lequel
des courants, des vibrations sont passés…Tout vient de plus loin et va plus
loin que nous… tout nous dépasse et on se sent humble d'avoir été ainsi
traversé et dépassé."
Et puis comme toute fin qui n'est pas la mort n'est que provisoire, Marguerite
Yourcenar voudra clore ces entretiens retranscrits en évoquant cette
échéance ultime et inéluctable. Elle seule restitue l'égalité que la naissance
a désaccordée. L'état de vie n'étant qu'une parenthèse accidentelle, elle
affirme vouloir disposer de sa pleine conscience au moment où la parenthèse se
refermera pour ne rien rater de sa sortie. Fût-ce dans la douleur. Elle évoque
alors ces mots qu'elle a mis dans la bouche de Zénon et fait en sorte qu'ils
soient inscrits en épitaphe sur sa tombe : " Plaise à celui qui est
peut-être de dilater le cœur de l'homme à la mesure de toute la vie."
Avec les ouvrages qu'elle nous a légués son esprit sublime plane ainsi encore
au-dessus des nôtres, ses lecteurs, grandement moins inspirés, grandement moins
instruits de l'héritage des penseurs et philosophes de tous temps. Mais
n'est-ce pas le rôle des écrivains que « d'exprimer ce que d'autres ressentent
sans pouvoir lui donner forme. »