L'écume des jours ! Difficile d'avoir un avis mitigé. On
aime ou on n'aime pas. Je ne connaissais Boris Vian que de nom. Cette lecture m'a donné le goût de
m'intéresser à ce phénomène qui a pu produire un tel ouvrage. Je me suis
documenté sur sa vie, son œuvre. J'ai alors fait connaissance avec un musicien
passionné de Jazz, un formidable touche-à-tout qui s'est distingué dans
tellement de disciplines artistiques et culturelles. Le magnifique site
Internet qui lui est dédié restitue bien l'originalité de ce personnage
truculent. Je suis convaincu qu'il l'aurait aimé. De son côté Patrick Poivre
d'Arvor lui a consacré une fort belle émission dans sa série "une maison,
un écrivain". Combien de célébrités du monde la chanson ont chanté ses
textes innombrables ?
En refermant cet ouvrage, le cartésien que je suis se demande encore comment il
a pu en venir à bout. A n'en pas douter à cause de son côté émotif. Car L'écume
des jours est avant tout une belle histoire d'amour. Seulement voilà, c'est
loufoque au possible. Ça respire la "provoc" du courant zazou des
années 40, même si Boris Vian ne l'a pas revendiqué. C'est un pied-de-nez à la
société de la vieille Europe qui ne s'est pas remise du traumatisme de la
guerre. Boris Vian lui désigne un nouveau modèle de vie. Celui qui a enfanté le
jazz.
Dans sa vie trop courte, il n'a pas connu le succès espéré avec cet ouvrage.
Ses contemporains avaient les pieds sur terre, ou plutôt dans la boue, celle du
marasme des années 40. Ils n'étaient pas prêts à se faire bousculer par le
saugrenu, le décalé, jusqu'à l'absurde.
Car il faut tout changer dans cette société, pour ne pas repiquer au drame. Il
y a dans cet ouvrage comme une urgence à faire bouger les choses. La vie est
courte. Celle de Chloé, mais peut-être aussi celle de son auteur. La vie ne
doit pas être prise au sérieux. Sauf quand elle met ton amour en danger. C'est
alors l'escalade dans le délire. La machine s'emballe. A sa manière, Boris Vian
te jette à la figure le ridicule du quotidien, de tous les gestes, de toutes
les paroles de ceux qui vivent quand d'autre meure. D'autre que l'on aime
par-dessus tout.
Mais même dans la tragédie, la dérision relève la tête. Alors quand Chloé est
aux portes de la mort, il nous pose une question : "…est-ce que du point
de vue moral, il est recommandable de payer des impôts, pour avoir en
contrepartie le droit de se faire saisir parce que d'autres payent des impôts
qui servent à entretenir la police et les hauts fonctionnaires, c'est un cercle
vicieux à briser, que personne n'en paie plus pendant assez longtemps et les
fonctionnaires mourront tous de consomption et la guerre n'existera plus."
Alors, on aime ou on n'aime pas ? J'avoue quand même que j'ai eu du mal. Et
même si je reconnais qu'il y a quelques pépites que je resservirais volontiers,
j'ai du mal à voir dans cet ouvrage ce qu'on vante dans les milieux
"autorisés" comme l'un des cent meilleurs romans du XXème siècle.
J'ai plus été fasciné par le personnage, son urgence prémonitoire de consommer
la vie par les deux bouts, que par cette œuvre.