"Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en
face". C'est avec cette maxime De
La Rochefoucauld qu'Irvin Yalom termine
son ouvrage. Et s'il nous confirme la précaution de ne pas nous brûler les yeux
en fixant l'astre de vie, il nous invite pour ce qui est de la mort à ne pas
nous voiler la face. En adoptant par exemple les préceptes d'Épicure pour
calmer nos angoisses éventuelles et apprivoiser l'idée de la mort, puisqu'il ne
saurait être question de la dompter.
Épicure dont les jouisseurs auront travesti la philosophie à leur avantage, ne
retenant du bien vivre sa vie que le simulacre réducteur de faire bonne chair.
Que ce soit sous la dent ou sous la couette, oubliant sans vergogne les élans
d'humanité qui prévalaient dans l'esprit du philosophe, privilégiant une
généreuse cohésion entre congénères affublés du même poids sur la conscience
qu'est l'impermanence de la vie. Démarche en quête d'ataraxie, la tranquillité
de l'âme. Être acteur de l'ici et maintenant, valoriser ainsi chaque instant de
sa vie, condition nécessaire selon lui pour affronter son échéance inéluctable
avec le sentiment d'avoir rempli le rôle non-dit dévolu à tout être doué de
raison apparu sur terre. Car dans le mystère de la vie, on s'interroge en fait
sur l'intention qui la déclenche et la reprend.
Irvin Yalom dénie
le recours au dogme religieux quel qu'il soit sans toutefois en faire reproche
aux convaincus. Il lui préfère ce que la raison permet de déduire de ses
cogitations intimes. C'est à n'en pas douter ce qui lui vaut ses affinités avec
un Spinoza ou
un Nietzsche,
lesquels ne voyaient en la religion que soumission naïve, dénuée d'esprit
critique, inculquée par une éducation despotique.
J'ai eu à cette lecture la satisfaction de retrouver un concept dont mes
pauvres réflexions secrètes avaient envisagé l'hypothèse. C'est la théorie de
la symétrie. Épicure avance que l'état de non existence avant la naissance est
le même que celui d'après la vie. Il n'y aurait donc pas d'angoisse à avoir
d'une mort qui n'est jamais qu'une situation déjà connue – on ne sait quel terme
employer quand il s'agit d'évoquer le non-être – mais qui ne nous aurait donc
laissé aucun souvenir. Que pourrait être en fait souvenir du néant ?
Le jardin d'Épicure est un ouvrage de réflexions potentiellement secourables
fondé sur la riche expérience d'un thérapeute de renom, construit à partir de
témoignages choisis par lui pour leur valeur pédagogique et qui encouragera
l'angoissé en détresse à trouver une oreille avisée. Celle d'un confrère. Un
spécialiste apte à décrypter l'origine de certaines peurs ou angoisses
harcelant le conscient ou l'inconscient de tout un chacun. Il y a donc quand
même en filigrane dans cet ouvrage une autopromotion de la profession à
laquelle Irvin
Yalom a consacré sa vie, sachant pertinemment que l'angoisse de la
mort est un fonds de commerce qui a de l'avenir.
Mais cantonner cet ouvrage à une finalité mercantile serait un détournement
d'intention auquel je ne me livrerai pas. Il a une réelle valeur didactique
puisqu'il n'est question ni de spiritualité ni de métaphysique ou encore
d'ésotérisme. C'est un ouvrage qui aborde un sujet lourd auquel, aux dires de
l'auteur, beaucoup de ses confrères rechignent, confrontés qu'ils sont
eux-mêmes à leur propres doutes. le dernier chapitre leur est d'ailleurs dédié
avec la précaution oratoire de l'expurger du jargon technique afin d'emmener
jusqu'au point final le profane, lequel aura trouvé dans le reste de l'ouvrage
les ressources suffisantes pour ne plus se voiler la face et dormir du sommeil
du juste, en faisant que ses rêves ne deviennent pas cauchemars.