Combien de temps Suzanne tiendra-t-elle peut-on aussi se demander dans une vie
de femme de flic du 36 quai des Orfèvres à laquelle Franck Sharko la
destine ?
Alors que nombre de lecteurs fidèles de Franck Thilliez, si l'on en juge par sa
popularité, ont sans doute déjà les réponses à ces questions, j'avoue quant à
moi n'être pas mécontent de débarquer dans les couloirs du 36 sur les traces de Sharko avec
ce premier roman de Thilliez pour moi. S'il remonte le temps pour les fidèles,
il me fait quant à moi prendre l'histoire à sa source. Je sais d'ores et déjà
que je suivrai le cours des aventures, promises "compliquées et
sordides", de celui qui est devenu commissaire sous la plume de Franck
Thilliez. Cette mise en bouche m'a ouvert l'appétit pour le reste du menu qui
s'affiche depuis longtemps déjà sur les étals des libraires, et que j'avais
méprisé jusqu'alors.
C'est donc un bleu qui débarque dans le sanctuaire de la Crim en 1991, au 36. Ce
seul numéro sur un quai suffisait à évoquer le lieu mythique. Il y est
accueilli avec circonspection par les anciens. On ne s'en étonne pas. Intégrer
la Crim du 36 n'est pas y être admis. Sharko va
devoir faire ses preuves, à commencer par sortir de cette forme de placard dans
lequel on l'affecte d'emblée, à compulser les archives pour une affaire restée
non résolue sans être encore classée : le meurtre de trois femmes quelques
années avant son arrivée. Cadeau de bienvenue au petit nouveau pour qu'il se
fasse les dents et montre de quoi il est capable par la même occasion.
Mais s'il est jeune, cet inspecteur qui postule au nec plus ultra de la Crim,
il n'est pas dénué de personnalité pour autant. Et plus que de personnalité, de
psychologie. Il a compris qu'il ne fallait pas jouer les gros bras avec les
anciens, sans toutefois se laisser marcher sur les pieds. Il saura faire sa
place en leur montrant qu'il a de l'intuition et de la persévérance. Les
fervents de Sharko le
savent bien, eux qui attendaient de Franck Thillier qu'il leur parle de ses
débuts. C'est chose faite avec 1991. Ce
dernier nous dresse la caricature de son héros fétiche plus par ses qualités
morales et intellectuelles que physiques. Au lecteur de se faire le portrait
d'un homme qui ne manque ni de disponibilité, c'est le moins qu'on attende d'un
jeune à la Crim, ni de courage. Mais pas le courage de l'inconscience, le
courage lucide de celui qui veut réussir sa carrière autant que sa vie
amoureuse. Une gageure ? Dans le métier ce n'est pas gagné d'avance. Les
exemples ne manquent pas de ceux qui n'ont pas été au bout de leur contrat de mariage
quand ce n'est pas au bout de leur carrière.
Ce personnage me paraît d'emblée engageant, voire sympathique. Il n'a rien du
super héros qui bouscule tout sur son passage, monopolise le regard des femmes
et terrorise les truands. C'est ce qu'on peut appeler un mec normal - le
langage populaire n'est pas déplacé dans le contexte. Un homme de la vraie vie,
un authentique. On peut même dire que dans 1991, il ne
focalise pas particulièrement l'attention. Il est celui qui débarque, mais à
qui on promet quand même un bel avenir en épilogue, parce qu'on sait que les
malfrats travaillent pour lui, pour lui construire un avenir. Aussi parce que
c'est Sharko,
et que son personnage peuple déjà les étals des libraires. Une dizaine de
romans témoigne des "affaires compliquées et sordides" desquelles il
s'est sorti, pour la plus grande popularité de son auteur.
1991 est
un ouvrage réaliste à plus d'un titre. Outre les timides débuts du novice qui
doit s'intégrer dans la prestigieuse brigade, il s'agissait de restituer le
contexte d'une époque où pour téléphoner il fallait trouver une cabine, où
l'ADN n'avait pas encore déployé toutes ses possibilités et l'informatique
balbutiait. Il fallait aussi concevoir une intrigue dans laquelle dédoublement
de la personnalité et les troubles psychiques liés à l'orientation sexuelle se
concevaient dans l'environnement d'une société encore empesée par les non-dits
dans ce domaine.
Cet ouvrage à l'écriture agréable et fluide qui implique avec bonheur l'univers
de la magie et les pratiques vaudous clandestines. Ces milieux occultes
s'entrelacent à merveille dans cette première affaire qui donne l'occasion au
petit nouveau de la Crim de montrer qu'il n'a ni les deux pieds dans le même
sabot ni le cerveau comprimé par la pression du métier. Et disons-le tout net,
sans ne rien dévoiler de l'intrigue, Sharko aura
gagné son ticket d'admission à la célèbre brigade. Mais ces premières enquêtes
lui auront donné quelques sueurs froides et un joli cas de conscience quand un
collègue, un ancien, pourrait bien avoir fait quelque entorse à la déontologie.
Des enquêtes qui, accessoirement, auront fait passé un drôle de réveillon à
notre jeune inspecteur, mais il n'est pas nécessaire de le dire à Suzanne. Elle
pourrait bien remettre en question ses projets d'alliance et de vie parisienne.
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Ouvrages par genre
mardi 13 juillet 2021
1991~~~~Franck Thilliez
lundi 5 juillet 2021
Dans les bois éternels~~~~~Fred Vargas
Des êtres dissociés, des cousins remués, un compatriote des
vallées pyrénéennes qui parle en alexandrins, une médecin légiste dont la
soixantaine n'a pas entamé le charme propre à faire chavirer Adamsberg, et pour
couronner le tout des cerfs éventrés en Normandie, avouons qu'il y a de quoi
disperser les idées et y faire perdre son latin à un être rationnel. Oui mais
voilà, Adamsberg n'est pas un être rationnel. C'est un "pelleteur de
nuages."
Disons-le tout net Adamsberg a un problème de management. Il pèche par manque
de capacité de persuasion, d'esprit de cohésion et de pédagogie à l'égard de
ses subordonnés. En fait, il ne veut pas s'en donner la peine. Ils doivent donc
le suivre aveuglément. Réfléchir, c'est s'opposer. Car lorsqu'il est pris dans
les réflexions que lui inspire son sixième sens, ses équipiers en sont réduits
aux croyances. Il y a donc ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. C'est
pour ça que sa brigade criminelle est souvent divisée.
Il faut dire que dans l'affaire des bois éternels, il y a de quoi leurrer son
monde. le fil qui pointe de l'écheveau est plutôt ténu et fragile pour élucider
le meurtre de deux gros bras que rien ne relie au milieu du banditisme. Ce fil,
lorsqu'on l'exploite, fait apparaître une recette codée extraite d'un grimoire
du 17ème siècle, celle d'un d'élixir de vie. C'est confus à souhait, voire
impénétrable au commun des mortels. Il faudra bien toutes les ressources
combinées d'un commissaire inspiré et de son adjoint instruit, l'encyclopédie
de la brigade, fraîchement promu commandant, pour démêler l'écheveau que le
commanditaire des crimes a savamment enchevêtré. Fred Vargas l'a
bien mitonné celui-là. Difficile pour le lecteur de se faire son opinion du
coupable avant qu'Adamsberg le lui désigne.
On retrouve la passion de l'auteure pour les contes et légendes du Moyen-âge.
Mais c'est tellement tortueux qu'on a du mal à se figurer un esprit moderne
s'engluer dans pareille machination autour d'une croyance d'un temps où la
pierre philosophale faisait encore rêver. C'est un peu dommage, cela déprécie
le scénario. Mais soit, le genre autorise tous les artifices pour convoquer les
fantômes du passé et tenir en échec les techniques d'investigation modernes.
En tout cas cette affaire donne à Adamsberg l'occasion de renvoyer l'ascenseur
à sa fidèle lieutenant Violette Rétancourt, dont d'aucuns prétendent que son
gabarit et ses chances de séduction refoulées lui autorisent certaines libertés
et prises de risque. Mais cette fois elle est allée un peu loin dans
l'indépendance. Elle avait extirpé son patron du Canada où il était en mauvaise
posture, il la tire in extremis d'un mauvais pas. le flair d'Adamsberg lui fera
faire confiance à celui d'un membre de la brigade qu'on avait pris l'habitude
de voir se réchauffer sur la photocopieuse. C'est Boule, le chat. Pour une fois
il intervient dans une enquête. On en pensera ce qu'on voudra.
Des êtres dissociés entre l'alpha et l'oméga, des cousins remués, y aurait-il
du rififi dans la famille Adamsberg ? La lecture des Bois éternels nous
affranchit sur ces expressions pour le moins surprenantes lesquelles trouvent
leur éclaircissement dans la criminologie ou le parler local. L'étude des
caractères étant une marque de fabrique chez Fred Vargas, elle
nous soumet un ouvrage dans lequel on reconnaît bien sa touche cérébrale pour
nous concocter une énigme musclée sur fonds historique. Un bon moment de
lecture à partager l'ambiance de la brigade criminelle version Adamsberg avec
laquelle j'ai eu l'occasion de me familiariser.
jeudi 1 juillet 2021
L'épopée vaudoise : Tome 1 - La croix des humiliés ~~~~ Hubert Leconte
J'ai entrepris de relire la trilogie de Hubert Leconte relatant l'épopée vaudoise des Alpes vers le Luberon. Les Vaudois que l'on présente parfois comme les précurseurs du protestantisme sont les disciples de Pierre Valdo. Ce riche marchand lyonnais du XIIème siècle avait fondé La fraternité des pauvres de Lyon à qui il avait légué ses biens. Il a été excommunié par l'Église. Sa faute : avoir fait traduire la Bible en langage vernaculaire, le franco provençal, pour la rendre intelligible au petit peuple. Un comble serait-on tenté de dire.
Pierre Valdo qui s'ouvrit de cette déconvenue à un ami érudit s'entendit
répondre " … tu te rends compte où cela nous entraîne. Savoir lire c'est
peut-être un jour contester tout le savant édifice de règles, de canons, de
dogmes que l'Église a élaborés depuis plus d'un millénaire".
La croix des humiliés, premier tome de la trilogie, situe son intrigue
romanesque à la fin du XVème siècle dans les vallées alpines. Pourchassés par
l'église officielle de Rome, les Vaudois avaient essaimé. Forcés qu'ils étaient
d'investir les lieux les plus inhospitaliers pour pouvoir vivre leur foi en
relative tranquillité; foi qui n'était, rappelons-le, rien d'autre que la
stricte observance des évangiles.
Or, parait-il que les évangiles n'envisagent pas de vivre dans le luxe et la
luxure. Pierre Valdo avait donc eu le tort d'ouvrir les yeux de ses disciples à
ces travers dans lesquels se vautraient la curie romaine et toute sa hiérarchie
épiscopale dont on connaît trop la toute puissance en ces temps
d'obscurantisme. Cette dernière a donc mis sur pied cette formidable
juridiction ecclésiastique d'exception taillée sur mesure pour préserver ses
monopole et intérêts, et faire retourner le manant éclairé aux ténèbres de
l'ignorance : l'inquisition.
Et l'évêque menaçant Pierre Valdo de haranguer : "Il serait trop long de
vous expliquer les mystères de la Sainte Trinité, de l'incarnation, et de la
consubstantialité. Nous avons pensé pour les pauvres qui n'ont qu'un seul
effort à fournir : croire."
Procès en sorcellerie, qualification d'hérésie, les Vaudois ont eu les faveurs
de cette épouvantable machinerie tyrannique dont on connaît trop les méthodes
barbares pour faire avouer les martyres pris dans ses carcans. On en connaît
aussi trop la conclusion brûlante. Hubert Leconte,
au travers de ce roman historique parfaitement documenté nous fait vivre
l'errance de ces disciples convaincus d'une foi dictée par les évangiles en
laquelle ils pensaient assurer leur salut, et qui fit leur malheur. On ne peut
s'empêcher de faire le rapprochement avec la foi cathare qui a enflammé le
sud-ouest de notre pays dans les mêmes temps alors qu'elle prêchait elle aussi
le retour à la pureté du dogme, aux textes originels des évangiles.
En ce XVème siècle d'illettrisme et d'ignorance, l'Église toute puissante règne
sur les esprits et les consciences. Elle n'admet ni contradiction ni
concurrence. Elle a tout prévu, y compris un moine pour absoudre l'inquisiteur
des violences – ce terme étant en la circonstance un doux euphémisme - qu'il se
voit contraint d'infliger à ceux qui osent prêcher une autre parole que
l'officielle. Y compris et surtout si cette parole est de nature à faire
éclater aux yeux des puissants briguant la pourpre cardinalice leur déviance au
regard de ce qu'ils n'ont de cesse de ressasser dans leurs sermons : les fameux
dix commandements que leur comportement propre violent impunément tous les
jours.
Expulsés de leurs vallées alpines vers une région qu'ils espèrent plus
accueillantes pour leur sincérité biblique, les Vaudois n'en ont pourtant pas
fini avec les faussaires de la foi. Les larmes du Luberon, le deuxième tome, va
me le remettre en mémoire. Les quelques pierres vestiges de leurs modestes
masures au creux des vallées et les grottes perchées à flancs de falaise qui
parsèment la campagne provençale dans lesquelles ils cherchaient refuge gardent
la mémoire de ces pauvres hères à la foi, la vraie foi, chevillée au corps.
lundi 7 juin 2021
L'évangile selon Yong Sheng ~~~~ Dai Sijie
Ce qui surprend à la lecture de cet ouvrage c'est le décalage
entre la légèreté de l'écriture et la gravité du sujet traité. Le style mis en œuvre
par Dai
Sijie pour écrire cet ouvrage, en évocation de l'histoire de son grand
père, est souvent assimilé à celui d'un conte. Cet aïeul a pourtant connu un
sort aux antipodes de ce que relate habituellement le genre. Le nouveau régime
fort montant en Chine en ce milieu du 20ème siècle, se légitimant comme
émanation du peuple, a réservé à ceux qu'il avait classés parmi les ennemis de
la révolution humiliation, torture physique et mentale en forme de lavage de
cerveau. C'était rentrer dans le rang ou mourir. le rang étant celui d'un
peuple sorti vainqueur de la longue marche conduite par Mao Ze Dong.
Le grand timonier n'admettait d'autre culte que celui orienté vers sa personne. Pas étonnant donc que Yong Sheng, représentant d'une minorité religieuse, chrétienne en l'occurrence, devenu de ce fait ennemi public numéro un soit livré en pâture à un petit peuple revanchard, nourri aux promesses d'une prospérité inédite par le nouvel homme fort de la Chine. La révolution culturelle était en marche et comme dans tout régime autoritaire "chaque mot pouvait être une balle tirée dans la tête de l'ennemi, un poignard à lui planter dans le cœur". Les mots : la seule arme du prêche, des sermons que Yong Sheng s'ingéniait à écrire pour guider ses ouailles sur le bon chemin qu'il leur désignait, celui de la foi chrétienne.
Ce grand père de Dai
Sijie devenu pasteur par la volonté de son propre père a vécu son
calvaire des années durant comme le Christ sa passion, avec la conviction
obstinée que ce sort misérable lui était réservé par Dieu pour le rachat des
péchés de ce bas monde. Il a accepté souffrances et trahisons des siens sans
formuler la moindre plainte, le moindre esprit de revanche, en rédemption des
fautes de ses congénères. Le style sobre et affable employé par l'auteur venant
en confirmation de la volonté de Yong Sheng de pardonner à ses tortionnaires.
L'épilogue nous confirme dans le pacifisme, la générosité et le sens du
sacrifice du pasteur. Sans rejoindre les idées de ses tortionnaires, il n'émet
jamais aucune parole de malédiction à leur encontre.
Ce conte triste comporte ses symboles. Tel cet arbre sacré en chine,
l'aguillaire. Il en devient un personnage à part entière de l'ouvrage. Planté à
la naissance de Yong Sheng, il est devenu l'arbre du pasteur et manifeste sa
présence sur l'ensemble du récit. Brûlé lors de l'incendie de la maison du
pasteur, tel le Phénix il renaît de ses cendres en allégorie de survivance
d'une foi qui commande à l'esprit. A cet arbre sont prêtées des vertus non pas
magiques, cette notion ayant une connotation par trop païenne, mais
miraculeuses, propres à tempérer les ardeurs vindicatives. Comme un apaisement
provoqué par l'ombre de sa ramure. Il était devenu aux yeux de Yong Sheng le
symbole de la religion chrétienne.
Un autre symbole est celui des sifflets que fabriquait le père de Yong Sheng,
et ce dernier aussi sur le tard. Accrochés au plumage des oiseaux ils jouaient
une forme de symphonie aérienne rythmée par le battement de leurs ailes.
Harmonie de l'homme et de la nature que la révolution culturelle a un temps
étouffée sous la chape de plomb qu'elle avait répandue sur le pays. Symphonie
qui a timidement fait entendre à nouveau ses mélodies à la mort du grand
timonier.
Belle écriture aux élans délicats que celle de Dai
Sijie pour nous conter, on en convient au terme de cette lecture, une
histoire douloureuse, inspirée de la vie de son ascendant. Au-delà du dogme, de
la croyance c'est le courage, l'abnégation, la force de la foi et pourquoi pas
aussi une solidarité filiale qu'il a voulu souligner à l'égard de ce personnage
englouti par le ressentiment de ses congénères, eux-mêmes aveuglés par
l'endoctrinement, en un temps où la personne humaine ne valait pas la balle qui
lui ôterait la vie.
vendredi 28 mai 2021
Le lion ~~~~ Joseph Kessel
Dans la première moitié du 20ème siècle, la petite Patricia vit avec ses parents dans une réserve animalière au Kenya. Elle s'est vu confier l'élevage d'un lionceau devenu orphelin dès les premiers jours de sa vie. Elle s'est inévitablement éprise de l'animal. Devenu adulte, il n'a bien sûr plus rien de la charmante peluche qu'elle avait choyée mais conserve pour celle qui lui a donné le biberon un attachement dont on ne sait trop ce qu'il peut augurer s'agissant du comportement d'un grand fauve. Sa mère est horrifiée de la voir partir dans la brousse retrouver l'animal qui ne ferait qu'une bouchée de Patricia. On le serait à moins.
...la relation que peut tisser un être humain avec un animal en général, un fauve en particulier...Cet ouvrage est pour Joseph Kessel prétexte à engager le débat sur la complexité de la relation que peut tisser un être humain avec un animal en général, un fauve en particulier. Celui-ci ne reste jamais qu'une proie potentielle pour un prédateur parmi les plus puissants. Ce roman est une approche de la psychologie animale quant aux sentiments que d'aucuns sont tentés de lui prêter, quand d'autres ne voient en l'animal qu'une bête capable d'émotions commandées par l'instinct, servi par les sens en éveil, dont l'odorat est souvent le plus fin chez l'animal, et armé de crocs et griffes redoutables.
S'agissant d'un ouvrage publié en 1958, à une époque où l'écrivain a atteint sa maturité littéraire, on y trouve une étonnante sensibilité du baroudeur qu'a été Joseph Kessel dans l'approche de la psychologie enfantine. Approche aussi de l'étude des mœurs, traditions et coutumes des peuplades autochtones, les Massaïs en particulier. L'accession à l'âge adulte pour un garçon de cette ethnie comportait la mise à l'épreuve de son courage dans l'affrontement avec le lion.
Une lecture en 2021 ne manque pas de mettre au jour des archaïsmes de langage comportant des expressions désormais bannies, faisant référence à des postures de colonisateurs qui prêtent aujourd'hui à la culpabilisation. La promotion de la négritude au rang de culture par Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire ne lui a pas encore ôté sa connotation péjorative dans l'esprit des ex colons.
mardi 25 mai 2021
Eloge de l'énergie vagabonde ~~~~ Sylvain Tesson
Sylvain
Tesson a-t-il le besoin d'écrire, il prend son vélo, ses chaussures de
marches et court la planète nettoyer son cerveau des scories de la vie urbaine
et en extraire le distillat de ses cogitations. le pédalier de son vélo fait
jaillir les réflexions de son esprit comme le chevalet de pompage dont la tête
oscille obstinément dans les plaines américaines fait jaillir le pétrole des
tréfonds du sous-sol. L'absolu de ses pensées est une encre qui vient abreuver
la page blanche du produit de son esprit vagabond.
Un périple de plusieurs milliers de kilomètres le long d'un tube d'acier qui
conduit le brut vers le ventre des pétroliers c'est d'abord la solitude propice
à la méditation, la chaleur de l'astre source de toute vie, la fatigue,
quelques rencontres, mais pas trop pour ne pas distraire de l'objectif, des
bouquins piochés ça et là et se nourrir de l'intelligence des autres. le
résultat c'est Éloge
de l'énergie vagabonde.
Le sujet c'est l'énergie justement sous toutes ses formes mais fossile de
préférence en ce siècle d'empuantissement de l'atmosphère. L'assèchement des
ressources par une population qui croît à une cadence exponentielle sur une la
planète qui reste quant à elle dans ses dimensions originelles. Deux siècles
pour consumer ce qui a mis des millions d'années à se constituer. Et après ?
L'après, on y pensera quand la source sera tarie. Qui vivra verra. Parvenu au
bout du pipe-line les questions demeurent. Voilà un ouvrage lourd de
culpabilisation d'Homo sapiens. Il a éliminé tous ses concurrents. Va-t-il
s'éliminer lui-même avec sa frénésie consumériste. Bonne nouvelle
l'intelligence survivra nous dit Yuval Noah
Harari dans Homo
Deus une brève histoire de l'avenir. Mauvaise nouvelle, elle sera
artificielle. Sera-t-elle plus lucide quand à sa survie ? Résoudra-t-elle le
problème de cette énergie si mal répartie mais qui aura disparu des profondeurs
de la croute terrestre ?
Ouvrage lourd de réflexions puisées à coup de pédale pour conclure du bout des
lèvres que l'avenir de l'homme sur terre ce serait peut-être la décroissance.
Qui commence ?
Ouvrage écrit à la sueur d'un corps qui s'échine par monts et par vaux, par
tous temps. Une écriture toujours aussi riche de formules percutantes, de
références érudites, d'à propos humanistes, de croyances qui ne croient que ce
qu'elles voient. C'est pour cela que Sylvain Tesson va
au bout du monde à la vitesse de ses pieds, au mieux de son vélo, pour prendre
le temps et le recul d'entrevoir l'avenir que se prépare Homo sapiens. Une
philosophie de la sueur, du muscle sec, de l'esprit qui s'ouvre aux espaces
infinis. Ni optimiste, ni pessimiste, un constat lucide et si habilement
formulé.
vendredi 14 mai 2021
Sous les vents de Neptune~~~~~Fred Vargas
Quand le tueur en série est identifié dès les premiers chapitres du roman, il faut s'attendre à ce que l'auteur nous concocte une traque hors du commun. Fred Vargas a particulièrement soigné celle de Sous les vents de Neptune, un polar qui met sur le grill son héros récurrent, le ténébreux et imprévisible commissaire Adamsberg.
Le tueur est certes identifié, mais il est mort depuis longtemps lorsqu'un
crime qui porte sa signature réveille de pénibles souvenirs chez le
commissaire. Son équipe le connaît bien désormais, quelque chose le tracasse,
mais de là à pourchasser un mort il pousse le bouchon un peu loin le patron. le
rationalisme du capitaine Danglard, son adjoint et accessoirement
l'encyclopédie de la brigade, est exaspéré.
Quand un flic devient trop gênant, il faut le mouiller jusqu'à le faire
inculper. C'est ce qui arrive à Adamsberg. Il sera victime du subterfuge du
prédateur insaisissable lequel réussit à lui faire endosser le meurtre d'une
jeune fille alors qu'il est avec son équipe en formation aux techniques
d'investigations scientifiques auprès de la police canadienne.
C'est à partir de là que Fred Vargas sort
le grand jeu. L'exfiltration du commissaire des griffes de la police montée en
tunique rouge est d'une cocasserie haute en couleur qui nous fait lui pardonner
les invraisemblances. Devenu lui-même fugitif, il trouve refuge dans l'antre
parisienne de deux mamies dont une as de l'informatique qui pénètre les réseaux
les mieux protégés comme elle entre dans sa boulangerie préférée. Quant au
raisonnement intellectuel qui explique le choix des victimes par le tueur,
c'est du casse-tête chinois pur sucre. Fred Vargas s'est
offert un scenario labyrinthique de haut vol bien décidée à ne pas laisser son
lecteur lui voler l'épilogue. Et j'ai bien peur qu'à trop vouloir escamoter son
coupable, elle n'ait fini par le perdre.Ce genre de littérature est difficilement compatible avec l'écriture
métaphorique, mais lorsqu'une bonne partie de l'ouvrage se tient dans les
cercles canadiens, les archaïsmes de langage de notre bonne vieille langue dont
ils ont le secret, combinés aux expressions argotiques de la profession, nous
sont un délice de lecture. Cela sauve d'une intrigue quelque peu alambiquée. Un
polar plaisant du fait de l'ambiance que Fred Vargas sait
restituer de cette brigade taillée sur mesure pour faire se confronter les
caractères. Si l'on n'est pas trop pointilleux quant à la crédibilité, c'est
une parenthèse de lecture agréable.
mercredi 28 avril 2021
Les Amazones ~~~~ Jim Fergus
Les femmes blanches qui ont fait
partie du programme FBI (femmes blanches pour les Indiens) ont rapidement été
gagnées à la cause de ces derniers lorsqu'elles eurent fait connaissance avec
le mode de vie et le sort qui était réservé au peuple indien par le
gouvernement américain. Gagnées à leur cause au point de prendre les armes
contre leurs congénères de race blanche, de devenir des amazones, à l'instar de
ces femmes guerrières de l'antiquité.
Pour faire valoir leur loyauté
aux tribus qui les avaient accueillies puis adoptées, leur donnant époux et
progéniture, elles se sont liguées en une société féminine, qu'elles ont
appelée Cœurs vaillants, et se sont faites fort de défendre bec et ongles ce
qui était devenu leur nouvelle famille, quand la première les avait mises au
ban de la société, trop engoncée qu'était cette dernière dans son puritanisme
dévoyé. Fortes de leur nouvel environnement affectif, les amazones se
sont surprises elles-mêmes du courage et de la férocité avec lesquels elles
combattirent les tuniques bleues chargées dans le dernier quart du 19ème siècle
de priver les tribus indiennes, au nom du gouvernement américain, de leurs
autonomie et liberté, à commencer par leur moyen de subsistance : leur frère le
bison.
Deux de leurs lointains
descendants, tous deux de sang mêlé, se retrouvent de nos jours et, à partir de
journaux transmis à la postérité par leur lointaines aïeules, se mettent en
demeure de non seulement de réhabiliter leur mémoire mais aussi de défendre la
cause de ceux qu'on a enclavés dans des réserves, livrés ainsi qu'ils furent à
tous les vices que peuvent engendrer oisiveté et rancœur ancestrale.
Les fondements de la société
américaine repose sur une constitution qui garantit la souveraineté du peuple
et dont le préambule comporte notamment l'article suivant : "Toute
personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est
citoyen des États-Unis et de l'État dans lequel elle réside. Aucun État ne fera
ou n'appliquera de lois qui restreindraient les privilèges ou les immunités des
citoyens des États-Unis, ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de
ses biens sans procédure légale régulière ; ni ne refusera à quiconque relève
de sa juridiction l'égale protection des lois." le tort des Indiens ayant
donc été de naître sur une terre qui n'était pas encore les États-Unis
d'Amérique et à ce seul constat de pouvoir être privés de leur vie et de leur
bien à vouloir défendre la terre de leur ancêtres. Sauf à ce que leur
anéantissement relève d'une procédure légale régulière.
La trilogie de Jim Fergus, même
s'elle comporte quelques longueurs et redites, même si la romance force un peu
le trait comme savent le faire les Américains dans leur épanchements
sentimentaux, notamment dans ce troisième opus, serait-elle le signe que la
société qui domine le monde a atteint une maturité suffisante pour faire son
mea culpa quant à un passé pour le moins blâmable. Ou bien a-t-elle atteint un
niveau de suffisance qui lui autorise de ne plus craindre les critiques ?
Le gagnant dicte sa loi de la
même façon qu'il règle les questions de sémantique quand il s'agit de définir
sauvagerie et civilisation.
lundi 12 avril 2021
Moi Jérusalem~~~~Gilbert Sinoué
Jérusalem est la ville bénie entre toutes, pour être un lieu
saint au regard des trois religions monothéistes. Elle est maudite entre toutes
pour exactement la même raison.
Notre actualité, à nous contemporains du 21ème siècle, nous abreuve des
événements dramatiques du conflit israélo-palestinien, masquant les causes
réelles du mal au profit du sensationnel. Sans omettre la responsabilité que
nous occidentaux avons de la situation actuelle avec les trop fameux accords
sikes-Picot en 1916, la déclaration Balfour en 1917 et la création d'un état
d'Israël en Palestine en 1948, nous autres, qui avons fort heureusement abandonné
toute velléité de croisade, ne pouvons que nous interroger sur la légitimité de
l'un ou de l'autre des belligérants à revendiquer la Palestine comme terre
d'accueil. Qu'elle fut promise ou conquise.
Les deux peuvent y prétendre mon général serait-on tenté de répondre après la
lecture de cet ouvrage de Gilbert Sinoué,
même si embrasser la réalité des fondements historiques du problème palestinien
en quelques 350 pages serait aussi illusoire que présomptueux. Comptons
toutefois sur le talent de Gilbert Sinoué,
sa connaissance de cette région, de son histoire et sa géographie, son talent
de conteur pour nous donner si ce n'est les clés du problème, en tout état cas
une synthèse objective et le goût d'approfondir le sujet.
Pour parvenir à cette objectivité tellement malcommode à ambitionner, il a pris
le parti de personnifier et faire parler celle qui depuis sa fondation a tout
connu des turpitudes de l'homme quand il se met en butte à son semblable pour
faire valoir ses prétentions. Celle-ci, c'est Jérusalem, siège des lieux saints
pour toutes ces religions qui chacune revendique le monopole de la vrai foi,
taxant les adeptes d'une autre confession d'infidèles.
Toutes trois religions prêchant la tolérance, relevant du même père fondateur :
Abraham, vénérant chacune à sa façon le même dieu créateur, ont entre autres
traits communs, moins recommandable ceux-là, de ne pas accepter le partage, de
ne pas tolérer la contradiction. La ville des trois prophètes a connu tous les
outrages, a toujours été l'objet d'incessantes convoitises, a vécu les
invasions de tous les horizons au fil des âges, avec leurs lots de carnages. Y
compris de la part les Croisés lancés au secours du tombeau du Christ par le
bon pape Urbain II lors de son appel à la guerre sainte en 1095 à Clermont.
"Mais il était écrit que mon martyre ne connaîtrait pas de fin", fait
dire Gilbert
Sinoué à celle dont il a choisi de faire parler les pierres sans cesse
érigées en monuments majestueux, vénérés puis bannis et détruits pour céder la
place à d'autres, tout autant vénérés par les nouveaux occupants des lieux et
tenants d'une autre foi.
1948, l'état d'Israël est créé, avec l'espoir insensé de la communauté
internationale de voir les premiers occupants de ce Moyen-Orient tant convoité
revenir vivre en harmonie avec ceux qui étaient restés sur place et avaient
faite leur cette terre de tous les passages. Seulement voilà, non seulement il
n'est pas question de reconnaître un état palestinien, mais en outre le nouvel
état créé au lendemain de la seconde guerre mondiale ne cesse de grignoter
l'espace vital de ceux qui ont fait de Jérusalem leur troisième lieux saint
après La Mecque et Médine.
Et Jérusalem, sous la plume de Gilbert Sinoué de
regretter que la ville des trois prophètes, Abraham, Jésus, Mohammad, ne sache
être le siège de la coexistence pacifique. On perçoit bien toutefois dans les
propos qu'il prête à la ville sainte entre toutes que l'objectivité est quelque
peu écornée au sort qui est réservé aux Palestiniens. S'ils ne sont en effet
pas les occupants primitifs de cette terre convoitée, ils ont gagné par leur
amour ancestral pour celle-ci le droit de la partager à égalité de traitement
avec ceux qui y reviennent après des siècles d'errance de par le monde. Car qui
peut se revendiquer être propriétaire d'une terre au motif qu'il a adopté la
religion de ses premiers occupants. Quand la politique se mêle de foi, la foi y
perd son fondement dogmatique et donc sa crédibilité.
Très bel ouvrage qui se garde d'un avenir optimiste pour la sainte Jérusalem et
la laisse se morfondre de tant de haine entre les hommes qui n'ont de cesse de
lui déclarer leur amour.
dimanche 28 mars 2021
La vengeance des mères ~~~~~ Jim Fergus
"Même en enfer, on ne sait
pas ce que c'est que la vengeance d'une mère".
La vengeance est-elle œuvre de
justice ? Certes pas, nous répondront les êtres civilisés, membres d'une
société policée. Nul n'a le droit de faire justice soi-même. Mais peut-on
parler d'êtres civilisés quand ces derniers se livrent au génocide rétorqueront
leurs victimes. Peut-on parler de société policée quand de nouveaux venus sur
la terre ancestrale des premiers occupants se livrent à l'appropriation, se recommandant
d'un dieu qui dans sa grande bonté accorde aux uns ce qu'ils volent aux autres,
et les exterminent quand ils protestent ?
Faire souffrir l'autre plus qu'on
a souffert n'est pas une réponse rationnelle à la douleur supportée. Mais il
n'est plus question de raison quand la guerre méprise l'innocence. Quand elle
massacre les enfants. C'en est déjà assez de voir leurs hommes périrent à
défendre leurs familles et leurs biens, quand les enfants meurent dans leurs
bras, le cœur débordant d'amour des mères devient cœur de pierre. La vengeance
devient la seule réponse logique à la détresse. Elles ne connaissent alors plus
aucune loi, plus aucune morale.
Aveuglées par la douleur, les
mères n'ont plus qu'une perspective. Celui qui a touché à l'innocence de doit
endurer plus qu'il n'a commis. La vengeance ne console pas. Elles le savent
pertinemment. La vengeance est privilège de l'espèce humaine. C'est une honte
qui réplique à une autre. Elle est affaire intime, sans autre bénéfice que la
jouissance douloureuse. Elle est nécessaire. Un point c'est tout.
Les mères convaincues de
vengeance deviennent alors plus féroces que quiconque. Plus rien ne les
retient. Surtout pas l'idée de la mort. D'autrui comme de la leur. C'est la
seule issue envisageable. La seule perspective de libération.
Dans cette suite à Mille
femmes blanches, Jim Fergus prend
le parti des mères. La chaîne de la vie a été brisée par l'envahisseur
blanc. Jim
Fergus appartient aux descendants de ces hommes qui se disent
civilisés quand ils anéantissent les autres qu'ils qualifient de sauvages. Ils
nous proposent alors une nouvelle définition des termes. le sauvage est celui
qui vit en harmonie avec la nature quand le civilisé sera celui qui est
perverti par le pouvoir de l'argent.
Roman humaniste, célébration de
la nature, repentir de ceux qui tuent aveuglément pour des biens
matériels, Jim
Fergus se livre au mea culpa d'une race à laquelle il appartient et
qui a bâti sa prospérité sur le sacrifice de peuplades vivant en harmonie avec
leur milieu naturel.
Pour écrire un roman choral, il
est parti sur le principe de le faire à partir de journaux qu'auraient tenus
ses protagonistes. On a un peu de mal à envisager pareille œuvre de solitude
dans le contexte de promiscuité du mode de vie des tribus indiennes, dont elles
se plaignent, et plus encore dans le contexte de guerre à laquelle les femmes
blanches acquises à la cause cheyenne participent activement, puisque résolues
à la vengeance. Mais acceptons-en l'augure. le genre romanesque autorise tous
les artifices. C'est le genre de la liberté. La crédibilité se retrouve dans
l'habileté à faire passer un message. Message que l'on perçoit bien dans la
gêne de l'auteur à comptabiliser le gâchis humain sur lequel sa race a bâti sa
prospérité. Pour quelle perspective ? La nature maltraitée prendra-t-elle le
relai de la
vengeance des mères ?