Le sol s'est dérobé sous les pieds de Stefan Zweig. Tout s'est écroulé autour de lui. Cet ouvrage dont il ne connaîtra pas la publication, le Monde d'hier, est le testament d'un "citoyen du monde" devenu apatride. Pas seulement chassé de son Autriche natale, mais chassé de la culture universelle puisque désormais privé de publier dans sa langue maternelle, l'allemand.
Nous sommes en 1941. Anéanti de
voir le sort qui lui est réservé, ainsi qu'à ses coreligionnaires, Stefan Zweig décide
de se lancer dans l'écriture d'un ouvrage d'une longueur inhabituelle chez lui.
Un ouvrage dans lequel explose sa rancœur à l'encontre de celui qui a plongé
la planète dans le chaos, la haine faite homme : Hitler. Peut-être aussi la rancœur de voir la conscience collective d'un peuple se laisser manipuler et
entraîner dans une entreprise funeste.
Submergé par le désespoir, il
perd l'objectivité qui caractérisait son humanisme forcené. Il dresse alors un
tableau idyllique de sa jeunesse, période bénie qu'il qualifie de "monde
de sécurité", oubliant ainsi qu'il avait été favorisé par le destin, le
faisant naître au sein d'une famille riche, auréolé d'un talent qui lui valut
très tôt le succès littéraire.
Son rêve d'une "Europe unie
de l'esprit" avait déjà été malmené par l'abomination du premier conflit
mondial. Il ne peut supporter l'idée d'être le témoin, encore moins la victime,
d'une nouvelle catastrophe de pareille ampleur, du seul fait d'une idéologie
assassine.
Stefan Zweig commence
son ouvrage par un avant propos qui nous fait comprendre qu'une décision est
prise : "Jamais je n'ai donné à ma personne une importance telle que me
séduise la perspective de faire à d'autres, le récit de ma vie." Une vie
dont il ne conçoit donc désormais plus qu'elle ait une suite. C'est le cancer
de la haine qui le ronge.
Ce grand humaniste sans frontière
se considère comme dépossédé, non seulement de sa patrie, mais du monde entier.
Ce monde, il sait déjà qu'il va le quitter. Pour où, il ne sait pas. Il n'y a
pas d'avenir pour les apatrides.
Ouvrage bouleversant, indispensable pour qui se passionne pour l'œuvre de Stefan Zweig.