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vendredi 17 janvier 2020

Au nom de tous les miens ~~~~ Martin Gray

 


Lorsque Martin Gray, qui vient de s'évader du camp d'extermination de Treblinka, rencontre ses coreligionnaires dans un village voisin et tente de les convaincre de s'enfuir, argumentant des horreurs qu'il avait vécues, ils ne le croient pas.

"Ils ne pouvaient pas me croire parce qu'il était impossible d'imaginer Treblinka."
Comment le croire en effet ? Leur incrédulité leur vaudra de subir ce à quoi Martin Gray tentait de les préserver. La mienne d'incrédulité, lecteur d'un temps décalé, averti de cette page de déshonneur de l'histoire de l'humanité, me vaut de rester médusé devant ce que j'ai lu. Parmi les innombrables et innommables atrocités qu'auraient vécues Martin Gray : étrangler des enfants, sortis miraculeusement vivants de la chambre à gaz, pour les préserver d'être ensevelis vivants dans les fosses que creusait inlassablement l'excavatrice !

On n'ose imaginer que ce fait puisse faire partie de la part de fiction ajoutée au récit par Max Gallo à une réalité déjà insoutenable. Faudrait-il en rajouter à l'horreur pour convaincre que l'effet serait inverse.

Pareille ignominie révélée ne pouvait être que "le cauchemar d'un fou" aux yeux de qui ne l'avait pas vécue, dit-il lui-même. Le cauchemar se perpétuait donc devant l'impossibilité de convaincre, de savoir des hommes, des femmes et des enfants se destiner à Treblinka du seul fait de cette incapacité à l'envisager.

Et qui d'ailleurs pour survivre à pareil traitement ? Un homme jeune. Il n'a pas vingt ans. Un homme que le sort préserve pour faire revivre par le témoignage et la perpétuation ses êtres chers engloutis par la déferlante de la haine. Mais c'est un autre cauchemar que le sort lui réserve. le cauchemar du bonheur foulé aux pieds. L'incendie du Tanneron qui le privera une seconde fois de l'amour des siens dans la fournaise. Sans doute celle de l'inconséquence cette fois. Celle de l'acharnement du sort en tout cas.

Martin Gray est mort en 2016. Quelle que soit la part de fiction de son ouvrage rédigé par Max Gallo, une chose est certaine, il se savait attendu dans l'au-delà par ceux dont les tragédies l'avaient privé de leur amour terrestre. Ils n'étaient que des précurseurs pour un monde que tout-un-chacun espère dépourvu de haine.


mardi 30 juillet 2019

Paysage perdu ~~~~ Joyce Carol Oates

 



"Je regrette, mais je suis incapable d'écrire sur Ray [son mari disparu] ici. J'ai essayé… mais c'est tout simplement trop douloureux, et trop difficile. Les mots sont comme des oiseaux sauvages – Ils viennent quand ils veulent, non quand on les appelle."

On imagine la lèvre tremblante d'émotion, les yeux qui retiennent des larmes, la main qui se fait hésitante sur le clavier à l'écriture de ces mots. Ce passage de Paysage perdu est un parmi d'autres qui m'ont fait avoir un coup de cœur pour cet ouvrage de Joyce Carol Oates. Ce qui est rare pour le genre auto biographique. On perçoit bien avec cet ouvrage que l'auteure à l'inspiration intarissable n'est plus dans la fiction. Elle est tout entière rentrée en sa mémoire. Elle cherche à recoller des souvenirs qui sont comme elle le déclare "un patchwork dont la majorité des pièces sont blanches" tant la mémoire est faillible.

Mais si le souvenir est infidèle, l'amour la possède toujours cœur et âme. Amour pour ses parents et grands-parents, pour son mari disparu, pour sa sœur atteinte d'autisme invalidant, incapable de communiquer avec son environnement. Et tant d'autres êtres adulés, comme cette amie d'adolescence qui a choisi de ne pas aller plus loin sur le chemin de la vie.

Chez les Oates, on ne parlait pas sentiments. On s'aimait sans le dire. Joyce Carol avoue à qui lui pose la question que c'est un livre qu'elle n'aurait pu écrire du vivant de ses parents. C'est un ouvrage dont le caractère intimiste est strictement contrôlé par la pudeur la plus intransigeante. Mais pas seulement, sa façon d'éluder certains sujets est pour elle une façon d'échapper à l'émotion qui ne manquerait pas de la submerger. Autre forme de pudeur chez une femme qui peut paraître plus intellectuelle que sentimentale.

Joyce Carol et son mari n'ont pas eu d'enfant. Cette analyste froide de la société a-t-elle trop exploré le mystère de l'expérience humaine pour ne pas vouloir l'infliger à une descendance. C'est là aussi un sujet qu'elle n'aborde pas dans son ouvrage. A trop écrire sur le mal, peut-être a-t-elle eu peur d'y livrer quelque innocence. La perception du monde des adultes par les enfants, une obsession chez elle ? Voilà un secret qu'elle gardera au fond d'elle.

Écrire pour Joyce Carol Oates, c'est sa respiration. Son œuvre est impressionnante. On identifie dans le récit de sa vie les sources d'inspiration qui ont été autant de points de départ de ses romans: la lutte des classes dans une société livrée au capitalisme intraitable, la pauvreté, la délinquance, le conflit des générations, le suicide des jeunes. Autant de fléaux dont elle avoue avoir été épargnée par l'amour qu'elle a reçu de la part des siens.

Sensibilité à fleur de peau dans cet ouvrage dont Heureux, le poulet de sa prime enfance, donne le la. Formidable éclairage sur l'œuvre gigantesque de Joyce Carol Oates, même si, bien qu'elle s'en défende, sa mémoire est plus sélective que faillible. La grande dame de la littérature américaine se livre, en gardant toutefois au fond de son cœur nombre de confidences attendues qui partiront avec elle. A moins qu'il faille les rechercher chez les personnages qu'elle a engendrés dans ses romans. Cet ouvrage est émouvant par le ton qu'elle lui donne dans un style parfaitement maîtrisé. C'est tout sauf un ouvrage à sensation.



vendredi 8 février 2019

Le lambeau ~~~~ Philippe Lançon

 



"Je pleure sur ma vie perdue, je pleure sur ma vie future, je pleure sur ma vie obscure, mais vous ne me verrez pas pleurer." Page 417

N'attendons donc pas dans le lambeau d'y lire la complainte d'un homme qu'une pulsion meurtrière aura brisé. C'est le récit de quelqu'un qui veut échapper à la condition de victime, de quelqu'un qui voit en l'écriture le meilleur moyen de s'extraire de lui-même pour analyser, comprendre un événement hors du commun. C'est le récit d'une naissance. Celle d'un autre homme.

Ai-je contribué, en lisant son ouvrage, à la construction de ce nouveau personnage qu'est devenu Philippe Lançon depuis la tuerie de Charlie Hebdo? Car de re-construction il n'est pas question dans son propos. le Lambeau est un ouvrage entre deux vies. J'ai compris en avançant dans cette lecture que le dénommé Philippe Lançon, né cinquante ans plus tôt, devenu journaliste reporter, était mort avec ses amis de Charlie Hebdo. J'ai compris que celui qui en a réchappé ne sera plus jamais, sauf pour l'état-civil, ce Philippe Lançon-là, entré le 7 janvier 2015 avec l'insouciance du quotidien dans le local de la mort. La froideur administrative n'envisage pas qu'un homme puisse en devenir un autre, au point de se trouver mal lorsqu'après des mois d'hôpital il remet les pieds dans ce logement qui était son chez-lui. Comme un parent revient dans la chambre d'un enfant disparu.

J'ai hésité avant de le lire ce livre. Certain d'endurer à sa lecture le malaise que peut générer la vue des chairs déchirées, des os fracassés, des gestes médicaux pour recoller tout ça. Je n'ai, je l'avoue, pas beaucoup de courage pour être spectateur de la souffrance des autres. Je me suis pourtant laissé convaincre. Je ne le regrette pas. Car il est une chose que je n'ai pas trouvé dans cet ouvrage, c'est le désespoir et l'abandon. Ni la plainte, la colère ou la condamnation. Encore moins la soif de vengeance.

Le lambeau est un ouvrage écrit, entre autres intentions, pour saluer l'abnégation, l'amitié, l'amour, de ceux qui ont aidé son auteur à surmonter l'épreuve : le corps médical bien sûr, la famille, les amis, les policiers aussi qui l'ont protégé jour et nuit pendant des mois. Quant à ceux qui lui ont infligé cette épreuve, il ne dit rien. Il ne fait qu'un constat : "qui veut punir les hommes de leurs plaisirs et de leur sentiments au nom du bien qu'il croit porter, au nom d'un dieu, se croit autorisé à faire tout le mal possible pour y parvenir."

Philippe Lançon interpelle aussi son lecteur. Il ne lui épargne rien de tout ce qui pourrait le faire défaillir. Une manière de le mettre à l'épreuve et le convaincre que son propos n'est pas exhibitionniste, propre à satisfaire un voyeurisme mal venu. Une manière de le mettre en garde aussi, lui, moi, lecteur élevé dans le mirage du virtuel, gavé d'invraisemblances numériques et désormais convaincu d'invulnérabilité. Lecteur insouciant, sans doute plus encore qu'il ne l'était lui-même Philippe Lançon avant le 7 janvier, car son métier l'avait déjà impliqué à la souffrance humaine. Moi, comme les autres contemporains de ce siècle de certitudes, d'urgences, assénées à grands renfort de harcèlement médiatique. Convaincus de liberté par les exigences que nous dicte notre monde mercantile. Sûrs de notre bon droit quand nous revendiquons le confort, le plaisir, le refus de la douleur.

Lui, Philippe Lançon, a enduré. Au-delà du courage. Et quand le courage est dépassé il devient inconscience. Elle même maîtrisée devient leçon de vie. Il a tenu le coup, soutenu dans son parcours par ceux qui ont écrit, peint, mis en musique toute la palette des sentiments humains : Proust, Baudelaire, Kafka, Mann, Bach, Velasquez. Stimulé par ceux-là et tant d'autres qui avec la maîtrise de leur art ont dépassé la condition humaine. Quand tous les discours ont échoué à conjurer le tourment, que l'idée de la mort fait son chemin dans un corps qui suffoque et semble abandonner la partie, ne reste alors que la poésie pour s'extraire de ce corps devenu douleur. Baudelaire pour un dernier souffle :
"Ô Mort, vieux capitaine ! Il est temps ! Levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, Ô Mort ! Appareillons !
Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau !"

Le Lambeau est tout sauf le parcours événementiel d'un calvaire, d'une complainte, d'une rancœur. C'est une leçon de vie. Et une vraie œuvre littéraire.
C'est un livre entre deux mondes : celui de la légitime naïveté et celui de la noire réalité. le monde des gestes quotidiens auxquels on ne prête plus attention et celui de corps inertes baignant dans leur sang, d'un crâne duquel a jailli la cervelle.

C'est un livre entre deux dates : 7 janvier 2015, Charlie Hebdo. 13 novembre de la même année, le Bataclan. Ce n'est pas dévoiler l'épilogue que de dire qu'il se termine sur cet autre épisode funeste. On ne connaîtra pas la réaction de Philippe Lançon à cette nouvelle. Mais à la fermeture de son ouvrage on peut parier qu'en dépit de tout cela, il ne sera pas question de haine. de la stupéfaction, de l'incompréhension encore, mais pas de haine. Autre leçon de vie.


mercredi 24 janvier 2018

Martin Eden ~~~~ Jack London


"C'est une tâche grandiose que d'exprimer des sentiments et des sensations par des mots écrits ou parlés, qui donneront à celui qui écoute ou qui lit la même impression qu'à son créateur". Toute la difficulté de la traduction de pensées en mots est dans cette phrase que Jack London met dans la bouche de son héros, Martin Eden. Ce que l'auteur appelle cette tâche grandiose n'est ni plus ni moins que le talent.

Si l'on en croit la quatrième de couverture de l'édition 10-18, avec Martin Eden, Jack London se serait défendu d'avoir produit un roman autobiographique. Mais comment imaginer qu'il puisse en être autrement avec pareil ouvrage qui, au factuel près, relate le parcours d'obstacles d'un écrivain en quête d'audience.

Comment se déclenche le mécanisme de la reconnaissance du talent à laquelle aspire tout créateur ? Qui le révèle ce talent, ou plutôt qui le décrète devrait-on dire. C'est le fil conducteur de cet ouvrage. Un auteur convaincu de son art se heurte au crible de ceux qui ont mainmise sur l'édition pour faire éclater son talent à la face du monde. Et quand le succès sera là, de s'interroger : je suis le même à qui vous avez tout refusé hier. Je n'ai pas changé. Ces manuscrits, hier méprisés, sont aujourd'hui réclamés. Je n'y ai rien changé. Mais aujourd'hui que je suis connu, reconnu devrais-je dire, vous ne regardez même plus ce que je vous présente avant de le livrer aux presses des imprimeries. Quelle sombre alchimie fait un jour du fruit de la création une œuvre quand hier elle le livrait au rebut ?

Superbe découverte pour moi que cet ouvrage de l'auteur de Croc-Blanc, de L'appel de la forêt. Il restait en mon souvenir comme inspirateur d'aventures dans le grand nord canadien. Ne percevant pas encore, ébloui que j'étais par ces rêves d'évasion, que ces contes ont une seconde lecture, philosophique celle-là. Sous le manteau neigeux, dans les températures glaciales, la solitude de la forêt, la nature humaine se révèle à qui sait scruter ses intentions. La lecture de Martin Eden sera certainement une clé pour relire et décoder les ouvrages écrits par Jack London lors de ses périples dans les extrémités du monde.

Il part de très loin aussi Martin Eden lorsqu'il fait la connaissance de Ruth Morse. Tout les sépare. Elle, est fille de la grande bourgeoisie américaine de la fin du XIXème siècle. Lui n'est rien. Pas d'éducation, de fortune, encore moins de culture. Et pourtant, il croit pouvoir la séduire. Avec la conviction naïve que pour gagner la main de son aimée, il lui suffira d'enrichir sa culture embryonnaire. Installée dans le confort de sa naissance privilégiée, avec la seule préoccupation d'être aimée, sans même la résolution d'aimer en retour, la culture est pour elle une fin. Quand lui, dans sa sincérité crédule, y voit un moyen. Le moyen de gagner un cœur. C'est compter sans les préjugés, la prédestination de la naissance, sans imaginer que le désir d'être aimé puisse être qu'une forme suprême de narcissisme.

Martin Eden aura du mal à occulter Jack London quand il se livre à une critique acerbe de la gent éditoriale. Des "êtres sans pensée" dont la plupart sont des "ratés de la littérature". Ce sont ceux-là même qui décident ce qui doit être édité ou non. Ils voudraient le pousser à descendre de son piédestal philosophique, à avilir son style pour se livrer à la littérature commerciale. Peine perdue, car Martin préfère persister en créateur du beau, même ignoré, plutôt que trahir la lettre et l'esprit pour devenir célèbre. Et lorsque Ruth lui demande ce qu'il deviendra s'il ne réussit pas à faire reconnaître son talent, il répond qu'il deviendra éditeur. Mais avant d'en arriver là, il préfère endurer la faim tout au long de chapitres interminables. Des chapitres qui creusent le ventre du lecteur que l'on est.

Critique tout aussi incisive de la société américaine à la veille du XXème siècle. Individualiste et vénale, une société cloisonnée qui cultive l'indifférence et ne connaît de solidarité qu'entre gens qui n'en ont nul besoin. Une société qui ne reconnait de quartier de noblesse qu'aux comptes en banque bien pourvus.

Jack London explore le monde de la littérature, c'est son domaine. Mais son goût du beau pourrait le verser dans toute autre forme de création. Il refuse d'avilir un talent quel qu'il soit pour le livrer aux instincts friands de vulgarité. Il refuse de voir la vie déterminée par la seule naissance. Il veut franchir le mur du mépris sans vouer son âme au diable, dût-il n'espérer qu'une gloire posthume, voire aucune. A la faim du corps, il ne sacrifiera pas celles de l'esprit et du coeur.

Dans un style parfois un peu sentencieux, surprenant dans la bouche d'un héros loqueteux, Jack London nous livre une superbe fresque de la société américaine, du monde de l'édition. Il fait une analyse déconcertante de ce mécanisme déclencheur du succès. Filtre dans ces pages la vraisemblance criante d'un auteur qui a, à n'en pas douter, eu beaucoup de mal à se hisser au-dessus de sa condition première pour laisser à notre gourmandise de lecteur des ouvrages qui donnent à méditer, lorsqu'on a dépassé le stade du plaisir de lire.


mardi 16 janvier 2018

Arrête avec tes mensonges ~~~~ Philippe Besson

 



Arrête avec tes mensonges, c'est une histoire d'amour que son auteur aurait bien voulu qualifier de banale. Sauf qu'au temps de l'adolescence de Philippe et Thomas, il a fallu convenir qu'elle était singulière. Avec le lot de discrimination que peut comporter ce qualificatif.

En 2017, année de la parution de cet ouvrage, Philippe crie sa révolte d'avoir perdu son amour de jeunesse. Sa manière de le faire, c'est parfois le choix de l'obscénité affichée, dérangeante. Oui on a fait ça, comme ça. On s'aimait. "Le reste du temps, on s'embrasse, on …"(Page 78 édition 10/18).

Il faut choquer, à la hauteur de la frustration, de la meurtrissure qui ont été les siennes de ne pouvoir afficher son amour, pour un garçon. Car à la fin de cette histoire, il y a celui qui assume son penchant et est toujours là pour le clamer, et celui qui l'a renié.
La vraie singularité de cet amour, c'est qu'elle a conduit l'un des amants à se donner la mort. C'est donc tout sauf un amour banal.

Il n'est pas dans la nature de l'amour de faire du mal à quiconque. Il est trop souvent dans la nature de l'homme de faire du mal à l'amour.

La nature se moque bien de qui aime qui. Pourvu que l'amour soit réciproque et consenti.


dimanche 13 août 2017

Archives du nord ~~~~ Marguerite Yourcenar


Archives du nord, un ouvrage quelque peu déséquilibré qui en trois parties évoque successivement la nuit des temps, puis les ascendants directs de Marguerite Yourcenar, ses grand-père et père, qu'elle n'appellera jamais autrement que par leurs prénoms respectifs. Curieuse approche filiale, plus historiographique que sentimentale.

Evocation sans concession de l'histoire d'hommes et de femmes qui ont présidé à sa venue sur terre et dont il serait vain de retenir la généalogie, sauf à se passionner pour la science qui curieusement étoffe la ramure d'un arbre familial en exhumant ses racines personnelles.

C'est encore la maestria dans la mise en œuvre de la langue qui m'a poussé à me frotter au feu roulant, quelque peu déprimant, des innombrables références culturelles dont Marguerite Yourcenar peuple ses ouvrages. Etalage qui pourrait sembler humiliant à l'égard du besogneux se glorifiant de sa maigre bibliothèque, ou complètement abscons au décrypteur d'idiomes qui a fait sa culture dans le fouillis de qu'il faut aujourd'hui appeler la toile - pour mener un combat retardateur et franciser l'expression connue plus que dans sa version d'outre atlantique.

Marguerite Yourcenar dont on connaît la fibre écologique semble avoir plus de compassion pour faune et flore que pour celui qui les martyrise depuis qu'homo sapiens a pris le pas sur tout ce qui pouvait le concurrencer sur la planète, plus d'affinité pour des personnages faits maison tant ils ont été bâtis pour servir d'ambassadeur à sa cause, tel Zénon, qu'à l'égard de ses géniteurs.

Les ouvrages de Marguerite Yourcenar, lecture plaisir pour qui s'ébahit devant la puissance conceptuelle de la phrase, la richesse documentaire, lecture déplaisir pour qui aspire aux langueurs sentimentales.


vendredi 23 juin 2017

Labyrinthe du Monde - tome1 ~~~~ Marguerite Yourcenar


 

A souffrance égale tout au long de leur vie, Marguerite Yourcenar aurait-elle eu moins de compassion à l'égard des hommes que pour les animaux. Sans doute rend-elle les premiers responsables des dommages irréversibles que subit la nature pour les envelopper de cet humanisme froid qui se fige dans ses lignes. En ce début de vingtième siècle qui connaîtra l'explosion d'un tourisme de masse, aussi dévastateur pour les paysages du monde que l'est l'industrialisation, elle se confirme dans ses ouvrages comme un précurseur de l'écologie. Les passages évoquant le parcours des bovins vers l'abattoir ou encore l'origine de l'ivoire dans lequel est ciselé un crucifix sont éloquents.

Cette froideur lui fait parler d'elle à la troisième personne, en spectatrice de son enfance. "L'être que j'appelle moi vient au monde un lundi 8 juin 1903 …" Elle lui fait affirmer ne pas regretter de n'avoir pas connu sa mère. Tout au long de cet ouvrage, elle ne l'appellera jamais que par son prénom : Fernande.

On ne choisit pas sa famille comme on peut le faire des héros de ses romans. Elle déclare plus volontiers son amour, certes chaste et fraternel, à ces derniers. Quand on est écrivain de grand talent, à l'érudition culminante, on peut les modeler à son goût, les mener selon ses lubies, leur faire dire et les faire agir à dessein pour développer les thèses de sa conviction. Alors, ceux qui vous servent si bien, au premier rang desquels Zénon, peuvent se voir gratifié de préférence. Au détriment de parents de tous degrés à qui on peut reprocher d'avoir été affublés de trop de défauts, d'avoir été trop humains en somme.

Souvenir pieux est un regard rétrospectif sur cette famille nombreuse dont Marguerite Yourcenar est issue. Elle offre à tous ces êtres, qu'elle a peu ou pas connus, une nouvelle sépulture en les couchant dans ses pages. Son humanisme froid a malgré tout le souci de l'équité. Autant que tous ceux que l'histoire a conservé dans sa mémoire, en particulier depuis que l'écriture nous en rapportent leur propos, que Marguerite Yourcenar connaît mieux que quiconque, les êtres simples ont le droit de sortir de l'indifférence dans laquelle la mort les a plongés. Souvenirs pieux veut réparer cette injustice faite à ceux qui n'auront pas éclairé l'histoire, fût-elle "la très petite histoire", de leur nom. Les gens simples ont aussi leur complexité, même si elle ne s'est pas exprimée par un talent reconnu. Elle donnera cependant, sans doute par confraternité, la prime à ceux de ses antécédents qui auront noirci quelques pages de leurs traits de pensées, tel l'oncle Octave. Mais, en boulimique d'archives perfectionniste qu'elle est, elle l'apprécie toutefois plus comme témoin du passé que comme philosophe.

Marguerite Yourcenar ou la maîtrise du savoir dire. Savoir dire les choses sans faux fuyant, sans faux semblant, et surtout sans jugement. Sauf peut-être la réprobation implicite qui n'échappe pas au lecteur à l'égard de ceux qui déciment la gente animale sans nécessité de survie. Ce savoir dire, délivré du louvoiement qu'impose le plus souvent la faiblesse, a toutefois la contrepartie de la froideur quelque peu professorale de l'objectivité.

A consommer sans modération pour la qualité de cette langue qui colporte dans ses phrases une érudition à vous rendre honteux. A consommer aussi pour rejoindre les rangs de ceux qui déplorent que la prospérité de l'homme aille de pair avec la ruine de son environnement.

Page 60 édition Folio, Marguerite Yourcenar explique ce qu'est un souvenir pieux. Celui rédigé à l'adresse de sa mère défunte portait cette phrase : "il ne faut pas pleurer parce que cela n'est plus, il faut sourire parce que cela a été.
Elle a toujours essayé de faire de son mieux."

Souvenir pieux est le premier tome de Labyrinthe du monde qui en comporte trois. J'ai décidé de persister dans ma confrontation avec l'académie.


lundi 15 mai 2017

Le premier homme~~~~Albert Camus

 

Lorsque le prix Nobel de littérature lui a été décerné en 1957, Albert Camus a réservé à son ancien instituteur, monsieur Louis Germain, une lettre qui commence par ces mots : « J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit qui m'a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler de tout mon coeur."

Cette introduction exprime déjà à elle seule ce que sera la teneur de son ouvrage, non encore ébauché en 1957, Le premier homme: une déclaration d'amour filial adressé à celui qui aura été pour Albert Camus un véritable père de substitution. Le sien ayant été soustrait à son affection dès les premiers jours de la guerre, en 1914. Une déclaration d'amour aussi à celle avec laquelle il communiquait si peu : sa mère.

Albert camus n'avait pas achevé l'écriture de cet ouvrage lorsqu'il a trouvé la mort en 1960, dans un accident de la circulation. Aussi ai-je ressenti comme une effraction de l'intimité de la personne le fait de prendre connaissance dans cette édition tardive d'un texte non abouti, que l'auteur lui-même n'aurait certainement pas voulu voir publier en l'état. Il comportait alors autant d'annotations qu'Albert Camus s'adressait à lui-même quant à la mise en forme définitive de son ouvrage, l'appellation des personnages, la teneur même de ses révélations pour un ouvrage foncièrement auto biographique. Son titre même n'était pas déterminé. La forme narrative n'aurait-elle pas été au final rédigée à la première personne ? Jacques ne serait-il devenu tout simplement Albert ?

Il n'en reste pas moins que la relation de cette volonté de vouloir faire connaissance avec son père, en recherchant des témoins de sa vie, pour un enfant qui se reproche presque d'avoir atteint un âge qui n'a pas été autorisé à ce père, est très émouvante. le manque fondamental exprimé tout au long de ce texte est d'autant plus poignant qu'il ne cherche pas à l'être. La vie, sa vie était comme ça.

Dans la relation de cette prime adolescence, on sent déjà poindre en germes les tiraillements qui fonderont les interrogations fondamentales de l'auteur par rapport à la vie et son côté absurde. La recherche d'une cohérence de l'état de vie par rapport à la conscience de vie. Les prédispositions politiques aussi de l'homme, dont l'enfant qu'il a été avait déjà bien compris que la colonisation comporte son lot d'interrogations, de malaises, voire d'immoralités. Autant de développements philosophiques et sociologiques qui n'auraient à n'en pas douter peuplé les idées du jeune homme et de l'adulte, héros d'autres tomes que ce premier nous laissait appeler de nos voeux.

La personne qui écrit ne devient auteur que lorsqu'elle a mis le point final à son oeuvre et décidé de la livrer à son éditeur. Avant, elle reste une personne en proie à ses doutes, à ses choix quant à ses révélations. Avant, celui qui porte les yeux sur son texte sans son consentement est un intrus. Mais avec Albert Camus, j'ai bien voulu l'être cet intrus. Intrus de l'immense talent. N'est ce pas aussi lui rendre hommage que de se passionner pour ses hésitations, ses doutes ? Se passionner pour l'homme donc, avant qu'il ne devienne l'auteur de son ouvrage en lui mettant son point final.


vendredi 6 janvier 2017

Les yeux ouverts ~~~~ Marguerite Yourcenar


En refermant cet ouvrage, j'ai l'impression d'en avoir ingurgité d'innombrables. Les yeux ouverts, c'est une bourrasque de culture. C'est surtout une formidable leçon de sagesse.

Encore faut-il, en écrivant cela, bien prendre garde au choix des mots. Car le terme de leçon comporte une notion de contrainte dont Marguerite Yourcenar se serait, à n'en pas douter, défendue avec force de faire usage. Recommandations de sagesse serait plus approprié. Mais il est vrai que si je crains la réprobation quant à la sélection de mes tournures sémantiques, c'est que je me sais observé depuis le "système sympathique" de l'au-delà dont Marguerite Yourcenar fait désormais partie. M'encouragerait-elle à poursuivre cette contribution sur Babelio ? A n'en pas douter puisqu'il s'agit de parler des livres.

Marguerite Yourcenar nous a laissé au travers de cet ouvrage un recueil de confidences étonnamment copieux pour quelqu'un qui rechigne à parler de soi. J'ai pu y découvrir des facettes de sa personnalité insoupçonnées de ma part. Une lecture plus attentive de ses œuvres aurait pu me les faire détecter, en particulier par l'entremise de ces deux héros les plus évoqués dans cet ouvrage, je veux parler de Zénon et Hadrien. L'érudition de l'académicienne m'avait certes un peu étourdi, aussi n'y avais-je pas décelé la militante écologiste, amoureuse de la nature, avocate de la cause animale et dénonciatrice de bien d'autres phénomènes et comportements blâmables de notre société moderne que le bon sens récuse. Mais tout cela ne participe-t-il pas finalement de la même sagesse : celle de préserver un monde qui nous a ouvert les bras en même que nous ouvrions les yeux. La lecture de cet ouvrage est un grand bénéfice quant à la connaissance de la personnalité, de la vie et de l'œuvre de cette auteure sublime.

Mon grand ressenti d'un tel ouvrage, c'est une impression de grande solitude de son auteure. Une solitude certes entourée, mais solitude quand même. Comme celle que notre vie moderne peut engendrer en nous faisant méconnaître notre voisin de palier. Solitude de l'érudite dans un océan d'ignorance. Ne l'a-t-elle pas éprouvée lorsqu'elle enseignait aux étudiants américains, captifs de leur présent, d'un immédiat resserré sur des préoccupations matérielles, quand tout aspire à dépasser le temps. C'est aussi la solitude de la femme désintéressée, face à tant de cupidité. de celle-là même qui fait de l'homme un pourfendeur de son environnement. La solitude encore de celle qui embrasse toutes les religions sans discrimination, reprochant l'imposture de ceux qui se réclament "de ligne directe de Dieu". La solitude toujours de celle qui a conservé son âme d'enfant, se dit sans âge, quand trop d'esprits plaintifs inféodés à leur narcissisme ne font que déplorer la dégradation d'un corps qui subit les outrages du temps.

Mais la solitude est aussi une aubaine. Elle est propice à la contemplation, à la création. Elle permet à Marguerite Yourcenar de s'extraire de l'actualité, "cette couche superficielle des choses", et d'aimer "le passé comme un présent qui a survécu dans sa mémoire". Elle lui permet d'écouter les voix que le tumulte pourrait dissoudre dans la cacophonie ambiante. Les voix de ses propres héros, Zénon et Hadrien, et tous les autres qui ont trouvé au travers de ses ouvrages l'espace et le temps de faire entendre leur vibration. Ce sont ces voix qui lui dictent ce qu'elle couchera sur le papier. La solitude enfin autorise la communion avec ces écrivains innombrables qu'elle a étudiés plus qu'elle ne les aurait seulement lus.

Marguerite Yourcenar ne donne aucun droit à ses semblables. Ils ne savent que trop le mettre en avant. Elle ne leur parle que de devoirs. Au premier rang desquels le devoir d'amour, mais dans l'acception orientale de ce sentiment. Elle seule élève ce transport sensuel au niveau du sacré quand l'éducation chrétienne culpabilise et juge la sensualité grossière. Sa hauteur inspirée lui permet de désigner les calamités dont souffrent ceux de son temps et s'autorise à les mettre en garde : "On n'a pas le droit de combiner les maux de l'âge atomique avec la sauvagerie de l'âge de la pierre."

Avec son humilité légendaire et pour s'exonérer de tout mérite dont d'aucun pourrait la gratifier, Marguerite Yourcenar prend les devants. Elle s'affiche dans son rôle d'écrivain comme un "instrument à travers lequel des courants, des vibrations sont passés…Tout vient de plus loin et va plus loin que nous… tout nous dépasse et on se sent humble d'avoir été ainsi traversé et dépassé."

Et puis comme toute fin qui n'est pas la mort n'est que provisoire, Marguerite Yourcenar voudra clore ces entretiens retranscrits en évoquant cette échéance ultime et inéluctable. Elle seule restitue l'égalité que la naissance a désaccordée. L'état de vie n'étant qu'une parenthèse accidentelle, elle affirme vouloir disposer de sa pleine conscience au moment où la parenthèse se refermera pour ne rien rater de sa sortie. Fût-ce dans la douleur. Elle évoque alors ces mots qu'elle a mis dans la bouche de Zénon et fait en sorte qu'ils soient inscrits en épitaphe sur sa tombe : " Plaise à celui qui est peut-être de dilater le cœur de l'homme à la mesure de toute la vie."

Avec les ouvrages qu'elle nous a légués son esprit sublime plane ainsi encore au-dessus des nôtres, ses lecteurs, grandement moins inspirés, grandement moins instruits de l'héritage des penseurs et philosophes de tous temps. Mais n'est-ce pas le rôle des écrivains que « d'exprimer ce que d'autres ressentent sans pouvoir lui donner forme. »


lundi 26 décembre 2016

Le sens de ma vie : entretien ~~~~ Romain Gary

 

Ce recueil tiré d'un entretien réalisé pour la télévision canadienne, quelques mois avant la mort de Romain Gary, est un formidable éclairage sur la vie et l'ouvre de cet auteur fabuleux. Bien que beaucoup trop court. Comme le flash de celui qui revisite son existence avant de basculer dans l'au-delà.

Il suffit de lire cette subtile conception, pour l'agnostique qu'il a été, entre la parole du Christ et la féminité pour reconnaître l'aura qui gouverne sa pensée intime dans tous ses ouvrages.

Indispensable pour qui se passionne pour cet auteur.




vendredi 21 octobre 2016

Sur les chemins noirs ~~~~ Sylvain Tesson



En écoutant Sylvain Tesson dans son intervention lors de l'émission de la Grande librairie, je me suis fait une fête d'apprendre la parution de son dernier ouvrage : Sur les chemins noirs. D'une part il y évoquait, une fois n'est pas coutume de sa part, un périple en notre hexagone. D'autre part, et plus attendu par moi, il nous promettait un ouvrage d'exploration tant de ce qui subsiste de sentiers pittoresques en notre campagne profonde - à son grand regret revue et corrigée par le remembrement et l'urbanisation débridée - que l'exploration de ses chemins intérieurs. J'escomptais alors quelque introspection philosophique intimiste de la part de qui, après un accident dont les séquelles visibles ne sont certainement pas les plus traumatisantes, avait entraperçu l'éblouissement de la nuit éternelle.

Mais les chemins noirs sont restés obscurs. Ô pudeur quand tu nous tiens ! L'homme est resté aussi impénétrable que les ronciers qui lui ont barré la route. Vivre est-il une joie ou une souffrance pour ce boulimique du temps et de l'espace, je ne saurai le dire. Il ne sait que trop bien se dissimuler derrière son formidable sens de la formule et les confidences attendues le sont restées. le périple intérieur s'est transformé en un inventaire des balafres infligées au temple sacré de la Nature. Une profanation pour qui ne cherche pas son dieu dans la voute céleste mais dans les replis de la terre. Car lorsqu'on parle de nature avec Sylvain Tesson, il faut y mettre un N majuscule. "Il avait Dieu, je me contentais du monde". Fallait-il qu'il aille le saluer ce dieu végétal et minéral, audible et respirable, le remercier du sursis consenti après cette chute qui aurait dû le tuer.

La France en diagonale ne vaut que 150 pages. Et la qualité n'a pas compensé la quantité. Après un stress hydrique de plusieurs mois pour ce cep suceur de cailloux, on espérait une concentration en sucres, littéraires ceux-là. Mais il a fallu recourir à la chaptalisation, et là ça été l'overdose. Cela donne un ouvrage sans chaleur, le distillat d'un esprit ensauvagé contraint à une course grimaçante dans des espaces domestiqués. Une convalescence de rouleau compresseur opiniâtre qui refuse de se laisser dicter sa conduite par une colonne vertébrale brochée.

L'instinct de conservation est quand même là. Il écoute les recommandations de la faculté de médecine au point de préférer le viandox à la bière ou à la vodka. La frustration est palpable. Cela présage de l'attente fébrile d'un autre départ dans les épaisseurs de la taÏga ou autre aridité à dos de chameau. du sérieux que diable !

Voilà un ouvrage hexagonal qui témoigne aux yeux de son auteur de la place de notre vieux pays, lifté comme une vieille actrice de cinéma, dans le concert des nations. Cela reste quand même une formidable répartie de bout de plume dans lequel les rencontres humaines ne servent malheureusement qu'à la relance de l'inspiration pour la chaîne de montage des bons-mots.

La convalescence, certes active, du corps a été à mes yeux aussi celle de l'inspiration pour cet auteur qui m'avait séduit sur les traces des grognards de Napoléon ou dans la cabane au bord du lac Baïkal. A moins que ce ne soit notre pays qui n'inspire plus ?


jeudi 13 octobre 2016

S'abandonner à vivre ~~~~ Sylvain Tesson



Les nouvelles auraient-elles été créées pour qui n'a pas le temps de lire ? Les nouvelles auraient–elles été inventées par qui n'a pas le temps d'écrire ?

Sylvain Tesson nous livre quelques tranches de vie, quelques pérégrinations philosophiques à l'emporte-pièce, de celles qui peuvent germer dans son esprit de voyageur infatigable. L'occasion pour lui de tailler à grand coup de serpe de son humour incisif dans l'intimité de héros choisis au hasard et livrés en pâture à un lecteur qu'il veut aussi impatient que lui.

Quelques nouvelles pour dire qu'il est là, impatient de vivre et de nous le dire, impatient de repartir. Quelle que soit la destination, avec quand même une préférence pour les endroits les plus improbables où le touriste moderne ne mettra jamais les pieds. Peut-être même à Paris. Une prédilection quand même pour les confins asiatiques, la grande Russie. Pourvu qu'il y ait un vieil ours qui n'aurait jamais imaginé qu'on parle de lui.

Quelques nouvelles, romans d'un quart d'heure, debout dans le train. Pas besoin de marque page.


mercredi 21 septembre 2016

Dans les forêts de Sibérie ~~~~ Sylvain Tesson


En fait la question était : "me supporterais-je moi-même ?"

Sylvain Tesson était déjà venu au bord du lac Baïkal. Il s'était promis d'y revenir. Il n'imaginait pas alors qu'il déciderait un jour d'y vivre en ermite. Six mois seul, dans une cabane, face à la seule personne qui subsisterait dans le paysage : lui-même. le besoin ressenti de briser la coquille de sédiments culturels dans laquelle la civilisation enferme toute personne et exposer ainsi sa nudité originelle aux "solitudes sacrées" du Baïkal dans son écrin de montagne et de forêt.

Raphaël Personnaz qui interprète le rôle au cinéma - film sorti cette année - n'a pas pu ressentir le même sentiment de plénitude sous l'oeil des caméras.

Pareil défi n'était pas seulement une quête de soi. Il y avait aussi la volonté de se réconcilier avec le temps. Celui qui met tant d'obstination à fuir. Quitter l'angoisse de le voir courir et consumer l'être peu à peu. Et puis ce besoin d'accommodement avec une nature que l'homme met tant d'acharnement à détruire.

Aventurier qui ne connaît ni frontière à son besoin de liberté ni entrave sa soif de connaître, Sylvain Tesson est le narrateur de ses propres pérégrinations planétaires. Berezina, son épopée moderne à side-car sur les traces des grognards de Napoléon, m'avait donné le goût de me frotter une nouvelle fois à son style trépidant. Il a un formidable sens de la formule, soutenu par une culture livresque affichée. Ce dernier aspect pourrait en revanche être de nature à vexer le lecteur susceptible parce qu'en retrait de connaissances littéraires. Ce style est parfois lapidaire, télégraphique, tout droit sorti du carnet de notes, mais il vous bouscule, vous emporte sur les sommets surplombant le Baïkal, dans la profondeur de la taïga, par tous les temps. Il sait être imagé, parfois poétique, pour décrire celle au chevet de laquelle il s'enflamme à lui rendre hommage : la nature. Mais ses tournures poétiques ne n'alanguissent pas longtemps. Un humour piquant et spontané, qui n'appartient qu'à lui, cueille à froid celui dont l'esprit se serait laissé griser aux vapeurs de la vodka qui coule à flot ou étourdir à la fumée des cigares qui embrument la cabane. Faut-il s'engourdir l'esprit pour tutoyer le sublime ?

Sylvain Tesson a la conviction que les idées ne doivent pas être pensées, mais vécues. Il est de ceux qui vont au bout de leurs idées. Quitte à mettre en péril plus que sa propre vie, celle de son couple. Extase et amertume seraient-elles deux soeurs inséparables ?

Mais au fait, était-il vraiment seul en son ermitage précaire ? N'était-il pas déjà avec son lecteur ? Alors mystificateur Sylvain Tesson ? Surement pas. La sincérité perle à tous les pores de la peau de celui qui consomme la vie par toutes les extrémités et pour qui impossible n'existe pas au vocabulaire. J'ai beaucoup aimé ce récit enflammé d'une expérience où il est fait la preuve que la richesse peut venir du dénuement. "Être heureux, c'est savoir qu'on l'est". Tout simplement.

dimanche 24 avril 2016

Berezina ~~~~ Sylvain Tesson

 


Je suis encore engourdi par le froid à la fermeture de cet ouvrage. Mais J'ai aimé la formule. Récit d'aventure sur fonds de commémoration historique d'un événement que l'on préfère effacer notre mémoire collective.

C'est oublier dans tout ça les êtres humains perdus dans l'immensité glaciale, lacérés par le blizzard, tenaillés par la faim, harcelés par les cosaques, ne trouvant nul autre refuge que les griffes du général hiver dans leur retraite honteuse. C'est cette perspective à l'issue fatale que Sylvain Tesson tente d'appréhender en refaisant le parcours de la retraite de Russie de 1812. Elle a laissé dans notre vocabulaire cette expression imagée symbole d'une déroute monumentale : Berezina. Il a voulu s'imprégner du paysage, se frotter aux frimas pour s'approcher de l'état d'esprit qui a pu tomber sur les têtes de ces soldats aux uniformes autrefois chamarrés devenus des pauvres hères promis à la mort.

Sylvain Tesson y fait le parallèle entre la mentalité qui pouvait animer les contemporains de 1812, galvanisés par l'empereur, au point d'aller mourir dans ses folles équipées guerrières, tout en lui conservant étonnamment leur vénération, et celle de notre époque, pour une question : pareille équipée serait-elle envisageable de nos jours ?

Mais il pose une autre question en corollaire. Que serions-nous capables de supporter qui approche les souffrances endurées par nos ancêtres ? Nous qui n'acceptons plus les lois de la nature, nous qui sommes prompts à protester et à nous plaindre dès que notre confort est écorné un tant soit peu.

Voilà un ouvrage qui ne se donne pas de prétention philosophique mais qui pourrait quand même en afficher. Il est en outre plaisant à lire avec l'humour froid de son auteur, pas autant que le climat des steppes russes, mais bien piquant quand même. J'ai beaucoup aimé.


mercredi 24 février 2016

Si c'est un homme ~~~~ Primo Lévi

 



Que dire en refermant cet ouvrage ?


Les mots, les miens, ceux d'un lecteur libre et bien nourri, seront impuissants, et peut-être même indécents.


Lisez les siens !




mardi 31 décembre 2013