Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire
Affichage des articles dont le libellé est roman historique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est roman historique. Afficher tous les articles

jeudi 18 août 2022

L'indomptée ~~~~ Donna Cross

🌕 🌕 🌕 🌕 🌗


Au départ était une légende. Celle qui veut que le sanctuaire très masculin de la papauté ait été floué. Qu'une femme se fût immiscée dans la liste de succession. Cette intruse que la légende retiendra sous le nom de papesse Jeanne et que ses successeurs s'empresseront d'effacer des élus au trône De Saint-Pierre. Même si c'est à un homme que le peuple de Rome aurait remis la mitre papale, puisque c'est sous le travestissement que Jeanne aurait été élue au trône De Saint-Pierre par la vox populi, l'élection ne se faisant pas à huis clos en ce temps.

Avec cet ouvrage Donna Cross nous ramène au 9ème siècle. En un temps où le christianisme en quête de monopole sur les consciences commence à s'imposer au monde barbare et tente d'y supplanter les divinités païennes qui font encore de la résistance.

Le pari de cet ouvrage était d'inclure une légende, qui sera formellement contredite après un quinzième siècle qui lui fit la part belle, dans des faits historiques avérés dont l'auteure nous prouve qu'elle en a fait une recherche documentaire fouillée, le tout aggloméré avec le liant de la fiction. Heureux amalgame quand ladite fiction ne sombre pas dans la sensiblerie sirupeuse que l'on redoute de la part des auteurs en quête d'audience moderne. Et qui eut été incongrue à une époque de vie pour le moins rude.

Voilà donc à mes yeux un roman historique de très bonne facture. J'aime quand les légendes laissent planer le doute sur la part de vérité de leur fondement. Surtout lorsqu'elles égratignent l'univers de la religion dont on connaît que trop à la fois le caractère péremptoire et misogyne et sa hargne à préserver son monopole sur les consciences.

Roman foncièrement féministe aussi que L'indomptée. D'autant plus crédible qu'il présente la condition de la femme de l'époque sans en faire le procès. C'eut été anachronique d'ailleurs, tant cette dernière était formatée, accoutumée à la relégation et à n'oser en tenir grief à son dominateur. Donna Cross le suggère en citant les écrits de référence tel ceux de Paul qui doit sans aucun doute sa sainteté à ses épitres aussi tranchées que dénuées de légitimité : « Je ne permettrai pas à une femme d'enseigner, pas davantage de dominer un homme ; elle devra rester silencieuse et écouter avec soumission. » Ou encore, pour le plaisir du coq qui fera encore loi de sa force physique : « les femmes sont en dessous des hommes, par leur conception, par leur place et par leur volonté. » Et d'autre encore du même tonneau que nous servent les canonisés de tout bord et que Donna Cross glisse sans acrimonie dans cet ouvrage. Mais ça ce n'est pas de la légende.

Merci Donna Cross pour cet ouvra fort bien écrit, construit et pesé entre légende, faits historiques et fiction. Fiction sur fonds d'histoire d'amour, il va de soi. Il en faut bien de ce sentiment si singulier dans un monde avare de ses bienfaisances.


samedi 6 août 2022

Le printemps des maudits ~~~~ Jean Contrucci

 🌕 🌕 🌕 🌕 🌚



Le pari était hasardeux : plaquer une histoire d'amour sur cette page peu glorieuse de l'histoire de l'église catholique. D'autant que cette histoire sentimentale est cousue de fil blanc. le lecteur ne se fera pas vraiment d'inquiétude quant au sort des tourtereaux, même si le contexte général de dans lequel elle se déroule est particulièrement dramatique.

Ce contexte général, c'est la triste épopée vaudoise en Luberon. C'est le sort réservé par l'église romaine aux héritiers des disciples de l'église de Pierre Valdo, lequel avait fondé l'église des Pauvres de Lyon au 13ème siècle. Avant de se rapprocher de l'église réformée de Luther, ces disciples avaient eu le tort de vouloir lire la bible en leur langue vernaculaire. Il avait en effet fait traduire la bible latine en français de l'époque pour que le plus humble y ait accès.

Oui mais voilà, avoir accès à la bible c'était aussi y lire les vraies paroles du Christ et mesurer de cette façon l'écart considérable qui séparait le comportement de la curie romaine avec les évangiles. De sincères chrétiens les Vaudois sont donc devenus des hérétiques, avec le sort que leur réservait la toute puissante église officielle : le bûcher. Ce dont l'évêque de Tournon ne s'est pas privé. Il a convaincu le bon roi François 1er de lui prêter main forte en mettant à sa disposition des hordes de soudarts sans foi ni loi aux ordres du Baron Maynier d'Oppède pour réduire le soi-disant foyer d'hérésie.

L'histoire des Vaudois est fidèlement restituée sur un ton pédagogique de livre d'histoire. Reste que l'histoire d'amour qui la relève est comme une fleur sur un tas d'immondices : un peu de tendresse dans un monde de brutes. Celui qui ne veut pas s'atteler aux trois excellents volumes de Hubert Leconte à propos de l'épopée vaudoise (*) ne sera pas trompé quant au sort de ces malheureux par le printemps des maudits, c'est plus condensé et se lit comme le roman historique qu'il est.

L'église vaudoise existe encore en Piémont italien a contrario de l'église cathare. Cette dernière était sur le même crédo du retour à la vraie lecture des évangiles pour contrer la curie romaine laquelle se gardait bien, en assommant ses fidèles d'impôts, de s'appliquer les préceptes qu'elle prêchait avec la plus grande rigueur. N'est-il pas vrai que luxe et luxure ne figurent pas dans la parole restituée du Christ.

(*) La croix des humiliés ; Les larmes du Luberon ; le glaive et l'évangile - Editions Millepertuis


dimanche 24 juillet 2022

Cathares 1198 ~~~~ Olivier taveau

 🌕 🌕 🌕 🌕 🌕




Hérétique : qui professe ou soutient des opinions contraires à celles qui sont généralement considérées comme vraies ou justes dans un groupe déterminé, nous dit le dictionnaire. Pour ce qui est de l'histoire des Cathares, le groupe déterminé c'est celui de l'église catholique apostolique et romaine. Cette dernière fondant sa légitimité sur le service d'un dieu qui brille par son absence de manifestations. La porte est alors grande ouverte pour parler à sa place et dire en Son nom ce qui est juste et vrai. Et il y a grande chance pour que ce juste et ce vrai servent les intérêts de qui le décrète. En Son nom bien entendu. Alibi suprême.

Aussi lorsque les Cathares se rendent compte que les dignitaires de cette église ne s'appliquent pas à eux-mêmes les valeurs de pauvreté et de chasteté dont ils ont la bouche pleine, qu'ils foulent au pied le fondement de leur religion, les fameux dix commandements, alors ces pauvres Bonshommes tels qu'ils se qualifient et leurs prêcheurs les Parfaits se mettent à contester ce juste et ce vrai dictés par une église à la corruption tellement sure de son fait qu'elle ne se dissimule pas. Église corrompue mais toute puissante. Elle mettra alors sa puissance et sa détermination à réduire au silence avec une cruauté inouïe ceux qui veulent faire valoir ses écarts avec la vraie parole du Christ, dont elle se légitime justement. Elle fera de même avec les Vaudois trois siècles plus tard en Provence.

Lire l'histoire des Cathares est toujours saisissant. Saisissement d'effroi avant tout à l'égard du sort réservé aux pauvres bougres qui avaient trouvé en leur nouvelle église la sincérité du discours et le secours spirituel attendu face à la rudesse de leur vie. Dans la quête du salut puisque tout est là. Ils ne voulaient ni plus ni moins que revenir à la parole première du Christ et appliquer Ses préceptes, que l'église Rome avait pervertis à son profit. Mais saisissement d'indignation aussi vis-à-vis de cette église, devenue l'officielle de Rome, au constat du comportement de ceux qui s'en était approprié les postes, arrogé le pouvoir, prêchant une chose et faisant son contraire, défendant ses privilèges avec une férocité assassine qui dépasse l'imagination. Dans l'amour de son prochain bien entendu. Au nom d'un dieu à qui elle fait dire ce qu'elle veut puisque la seule chose incontestable qu'on puisse attribuer au grand ordonnateur des choses de ce monde depuis qu'on l'invoque en tout et pour tout, c'est bien son silence.

L'ouvrage d'Olivier Taveau a comblé mes attentes en cela qu'il se réfère à des faits historiques objectivement admis et qu'en note finale de remerciement il y associe avec une ironie mordante cette église catholique apostolique et romaine, dénonçant ce qu'elle a sur la conscience depuis qu'elle détient le monopole dans la gouvernance des consciences, jusqu'à nos jours avec la protection consentie aux prêtres pédophiles. Monopole qu'elle aurait bien voulu voir perdurer si l'ouverture des esprits n'était pas venue lui apporter la contradiction et dénoncer tous ses crimes perpétrés au nom d'une foi, fondant une croyance à partir de laquelle s'est construite une religion exploitant le fabuleux commerce ouvert par la faiblesse de l'homme confronté à sa finitude.

Si toutes les religions se revendiquant d'un seul dieu, servies ou non par une église, ont une caractéristique commune c'est bien celle de l'intolérance vis-à-vis de toute velléité de concurrence. Se contredisant elles-mêmes en ce qu'elles prêchent l'amour de son prochain. J'espère qu'Olivier Taveau qui nous dresse, sur le modèle de la triste histoire des Cathares, une juste et violente diatribe contre l'église apostolique et romaine en a autant pour les autres religions se prévalant comme il se doit d'amour et de paix, et qui de tous temps ont été les premières à promouvoir la guerre.

Ce n'est pas Metin Arditi qui le contredira lorsqu'il fait dire à L'homme qui peignait les âmes : « On lui avait appris à respecter la Loi des Juifs et à se méfier de toutes les autres. Alors il lui répondit du mieux qu'il put, essayant de lui faire entrevoir les beautés qu'à ce jour on lui avait interdites :
- Notre religion dit la Loi. J'ai beau l'avoir abandonnée, sa rigueur et sa majesté m'impressionnent. La vie du Christ m'enseigne la charité, et l'Islam me rappelle l'importance de l'humilité et de la soumission. Pourquoi devrais-je refuser l'hospitalité de l'une de ces Maisons en faveur d'une autre ? Ce serait dédaigner chaque fois une grande richesse. Là serait la vraie folie. »


jeudi 23 juin 2022

Le soldat Ulysse ~~~~ Antoine Billot

 🌕 🌕 🌚 🌚 🌚



J'ai une forme de fascination d'horreur pour celle qui restera dans les mémoires comme la grande guerre, la der des der, la fleur au fusil. Elle a présidé à mon choix pour cet ouvrage.

Encore eut-il fallu que l'homme ait tiré les enseignements de ce cataclysme pour purger la part inhumaine de sa nature. Mais las, l'histoire et l'actualité nous montrent qu'il s'ingénie à descendre toujours plus bas dans les abîmes de l'horreur.

Dans Au revoir là-hautPierre Lemaître a magistralement traité du drame des gueules cassées. Antoine Billot reste sur ce registre avec cet ouvrage. Mais si le soldat Ulysse a conservé figure humaine, le mal qui l'habite est tout autre : il est devenu amnésique. Au point de ne plus rien connaître de sa propre personne.

Le médecin qui le soigne, en peine de tirer le moindre indice de son passé, se met en demeure de retrouver sa famille. En publiant son cas dans la France entière, il fait naître l'espoir chez nombre de parents, épouses, enfants anxieux de retrouver l'être cher déclaré disparu. A force de sélection, élimination, déception, il finit par retenir deux familles lesquelles affirment reconnaître leur cher disparu.

Si le thème est intéressant la lecture de cet ouvrage m'a été pénible. Je l'ai regretté. le style résolument moderne se veut métaphorique au point que le lecteur que j'en ai été ne savait plus parfois ce qu'il lisait. Les méandres de la mémoire sont certes labyrinthiques et obscurs à son propre sujet mais le chapitre deuxième qui articule le récit, on le comprend plus tard, qui sera sans doute qualifié de chapitre phare, de chef-d'oeuvre par les pourfendeurs du style narratif classique, est un supplice de digression, élucubration oiseuse, un chapitre à la limite du compréhensible tant dans la lettre que dans l'esprit. Une chasse à la chimère devenue roman homérique provincial nous laisse accroire à la fin du chapitre que la bête traquée serait au final le soldat amnésique. Les yeux font des va-et-vient sur des phrases qu'ils ne rattachent pas à l'intrigue. C'est d'autant plus insupportable que ce chapitre dénote avec le reste du roman. Cette envolée lyrique pseudo fantastique est une incongruité dans cet ouvrage qui pour le reste aborde un sujet lourd quant aux dommages humains de la grande boucherie du début du siècle précédent.

Plaisir mitigé donc pour ce qui me concerne avec cette lecture dont les autres chapitres n'ont pas racheté à mes yeux les errances de ce début. Point d'empathie pour les personnages, y compris ceux qui restent dans la détresse de ne pas savoir ce qu'est devenu leur être cher, le corps sans doute amalgamé aux boues de l'Artois, de la Somme ou d'ailleurs. D'autres auront apprécié et apprécieront fort heureusement ce style qui commande tout. Ce n'est que mon ressenti de lecteur au goût peut-être un peu trop convenu.

mardi 8 mars 2022

Les foulards rouges ~~~~ Frédéric H. Fajardies



Le roman historique, pour autant qu'il soit crédible dans sa restitution du contexte dans lequel il incorpore son intrigue, est une façon d'aborder l'histoire de manière moins scolaire. La fiction servant de liant aux faits historiques qu'elle agglomère pour forger son intrigue.

Les foulards rouges de Frédéric H. Fajardie nous implique dans une page de l'histoire qui fit en son temps douter de la longévité du règne du dauphin devenu roi à l'âge de cinq ans. Il fut au final le règne le plus long de notre histoire. Sous la gouvernance de la régente Anne d'Autriche sa mère et de l'homme fort du royaume, le cardinal Mazarin, Louis XIV commençait son règne en un royaume alors englué dans la plus grande confusion. Ce trouble est resté dans l'histoire sous le vocable de Fronde. Terme qui dissimulait mal une guerre civile larvée.

Et si l'histoire pouvait manquer de gloire et rengaine d'amour, le roman de Fajardie l'en augmente à satiété. Au point de forcer le trait à couvrir de renommée un héros devenu sous sa plume invincible, le comte de Nissac, tout empanaché de rouge et de blanc sur son fidèle destrier noir, héros confondu d'amour pour la plus belle femme de la capitale, il va de soi. Au point d'outrepasser la barrière de la condition, le comte succombant aux charmes d'une roturière. Et fort de cette passion irrépressible, la plus fine lame du pays se bat à un contre multitude sans jamais faillir, se réclamant du service du cardinal, se stimulant de son sentiment tout neuf.

La guerre étant la continuation de la politique par d'autres moyens selon Clausewitz, si péripéties politiques et guerrières ne suffisaient pas à sublimer notre héros, Fajardie l'implique dans une énigme policière lorsque ce qu'on appellera plus tard un psychopathe tueur en série s'ingénie à écorcher vives de jolies femmes. En exutoire sans doute à de vieilles frustrations lesquelles renvoient comme souvent à une enfance lésée en son quota minimal d'amour pour construire la personne. La dénonciation sera délicate, le tueur est de haute naissance. Gageons qu'en ces temps de privilèges dans une société très cloisonnée la justice n'y trouve pas tout à fait son compte.

Notre héros invincible, suffisamment pourvu en cicatrices de guerre attestant de sa bravoure, s'entoure d'acolytes à la Vidocq, rescapés de justesse des rigueurs des galères, formant une équipée improbable et crainte comme le diable sous l'anonymat de son foulard rouge. Equipée laquelle intervient avec le plus grand succès aux faveurs du premier ministre cardinal pour que vive ce roi naissant à l'histoire. Un roi qui restera dans nos manuels affublé de l'astre solaire en qualificatif.

A une époque où l'on chevauchait sus à l'ennemi en dentelle, se battait en duel en faisant des phrases apprêtées, ennoblies de force passés du subjonctif, c'est la restitution de cette langue sophistiquée, au point d'en devenir précieuse dans la bouche des « bien-nés », qui donne sa saveur à cet ouvrage. La langue d'époque mise en oeuvre dans cet ouvrage ne souffre d'aucun anachronisme de langage. Elle nous rappelle à une grammaire que notre temps oublieux de ses racines martyrise à souhait, la sacrifiant sur l'autel de l'audimat à grand renfort d'onomatopées et anglicismes dont les locuteurs modernes impénitents ignorent jusqu'au sens premier.

S'il ne cautionne pas le scenario d'un super héros échappant toutes les chausse-trappes que ses ennemis lui placent sous ses pas, l'amateur d'histoire sera quand même comblé par cet ouvrage pour ce qu'il semble fidèle aux faits historiques que sa mémoire aura sauvegardés de ses lointaines universités. Bonne mise en situation en ces temps d'ancien régime servie par une belle langue, en contrepoids d'une fiction un peu trop édulcorée. Mais le rythme est enlevé et l'ouvrage n'est pas pesant à lire.

lundi 10 janvier 2022

Rose ~~~~ Tatiana de Rosnay


 

Paris est une fête écrit Hemingway. Un ouvrage qui déborde d'amour pour celle qui est qualifiée de ville lumière. Même si ce noble sentiment pour cette ville n'est pas dépourvu de la nostalgie de sa jeunesse, de sa première épouse avec laquelle il avait emménagé en notre capitale au lendemain de la première guerre mondiale.

Paris a-t-elle été sauvée de l'obscurité par le plus grand chantier qu'elle ait connu à l'initiative de Napoléon III ? Ayant vécu à Londres, ce dernier regrettait de voir notre capitale distancée dans la modernisation par celle de la perfide Albion. Un leitmotiv scandé en forme de justification : tout doit circuler : l'air, les gens, l'argent. Un programme : aérer, unifier, embellir.

Il lui fallait un homme fort, un roc que n'ébranleraient ni les plaintes ni les récriminations pour transformer la capitale, la moderniser. La rehausser au rang des capitales européennes. Haussmann a été celui-là. Une brute insensible diront ses détracteurs. Un visionnaire, certes inaccessible à la nostalgie puisque la propre maison de son enfance a été sacrifiée à la cure de rajeunissement, diront les autres.

Expropriation. La lettre qui tue le souvenir. La lettre qui efface de la surface de la terre des lieux de vie. La lettre qu'ont reçue tous les propriétaires des bâtiments situés sur le tracé des grands boulevards dessinés par les urbanistes missionnés par le préfet Haussmann. Condamnés qu'ils étaient à voir disparaître les lieux qui avaient abrité leur enfance, leurs amours, la mémoire de leurs ascendants. Ils étaient nés, avaient grandi et étaient morts entre ces murs. Tués une deuxième fois par la folie d'un être déterminé à remplir la mission que lui avait confiée Napoléon III. Avec peut-être quand même l'intention de faire une grande chose pour la postérité de la capitale et pourquoi pas pour la sienne par la même occasion. En faire ce qui fait l'admiration de tous ceux qui se ruent sur les grands boulevards dits désormais haussmannien et la première destination touristique au monde dépassant Londres. Pari gagné.

Expropriation, c'est le mot qui meurtrit Rose. Dans son cœur, dans sa chair, dans sa mémoire. Au point de refuser de quitter ces murs qui ont connu son mari, défunt au jour de la réception de la terrible missive, son fils, mort aussi dans ces murs qu'on veut lui prendre, à coups de pioche. Autant de coups de pioche dans son cœur. Rose s'entête. Elle résistera à l'ogre qu'elle abhorre. Elle ira lui clamer sa peine, réclamer sa clémence au cours d'un entretien en l'Hôtel de Ville. Peine perdue.

Elle écrit à son mari défunt tout son ressentiment de l'assassinat que l'ogre veut perpétrer contre sa mémoire. Elle ne supportera pas de voir disparaître ce coin de cheminée contre lequel lui, son Armand chéri, s'asseyait pour lire son journal. de voir disparaître la chambre dans laquelle son fils s'est éteint, victime du choléra dans sa dixième année. le choléra justement. Rose ne veut pas admettre que l'insalubrité de Paris lui a pris son enfant.

Tatiana de Rosnay a pris de le parti d'exploiter un fait divers paru dans le Petit Journal du 28 janvier 1869 pour évoquer le drame qu'ont vécu les propriétaires des vieux bâtiments situés sur le tracé des nouveaux grands boulevards. Pour sortir Paris du moyen-âge. Un roman que l'on pourrait qualifier d'épistolaire puisque le procédé choisi par l'autrice est de lui faire rédiger une lettre destinée à son cher Armand. Sachant très bien qu'elle restera lettre morte. Mais qui peut être dira à la postérité son amertume et sa rancœur, la souffrance de ces petites gens lorsqu'ils ont reçu la fameuse lettre engageant le grand chantier décrété d'utilité public et d'hygiène pour la renommée de la capitale. Décrété assassin de ses souvenirs par Rose.

Le procédé est quelque peu artificiel, mais il a le mérite de rappeler à celui qui s'ébahirait devant les perspectives de la capitale, qui ouvrent toutes sur des monuments prestigieux en les dégageant à leur vue des badauds, ces grandes façades agrémentées de riches modénatures, que leur admiration a comporté son lot de larmes.


jeudi 6 janvier 2022

Les graciées ~~~~ Kiran Millwood Hargrave


 

On pourrait dire que ce roman historique de Kiran Millwood Hargrave nous conte une histoire de sorcières. Mais ce serait prendre le parti de ceux qui, en qualifiant ainsi les femmes qu’ils voulaient éliminer, exerçaient l’abus de pouvoir que leur autorisait leurs position et statut.

Au XVIIème siècle la puissance était apanage d’une église qui n’admettait ni concurrence ni contradiction. Qualifier de sorcellerie et condamner pour ce motif était le moyen le plus sûr et le plus expéditif pour se débarrasser de celles et ceux qui ne se rangeaient pas sur ses bancs. L’église ayant pris la précaution de gagner le pouvoir temporel à sa cause pour en faire son bras armé. Une manière aussi de se disculper de la violence induite par sa volonté de conquérir le monopole de la gouvernance des consciences.

Cet ouvrage tient son intrigue à l’extrême nord de la Norvège, en pays lapon. En une contrée où un peuple rude vit de l’élevage du renne et n’a que faire d’un dieu voulant s’imposer dans son environnement inhospitalier. Mais c’est oublier la pugnacité des prêcheurs de ce dieu. Un dieu qui n’admet pas que des êtres, ne se connaissant pas d’âme, puissent diriger leurs dévotions vers les esprits d’une Nature qui commande à leur vie. C’est ainsi qu’Abaslom Cornet, venu de la lointaine écosse où son roi Jacques IV a rédigé un traité de démonologie, se mets en demeure de faire rejoindre le troupeau du Seigneur à ces brebis égarées. Les récalcitrants auront tôt fait d’être éradiqués. Il suffit de les taxer de sorcellerie, avec le sort qui s’attache à pareil engeance.

La technique est rodée. Il n’y a rien à prouver. Les dénonciations suffisent. Les rancœurs et jalousie fleurissent aussi bien dans les steppes glaciaires que partout sur cette vieille terre. Une chose et son contraire feront ensuite très bien l’affaire pour convaincre l’accusé du tort dont on veut l’affubler. Il n’est que de lire l’une des méthodes de persuasion pour le confirmer : l’accusé est précipité dans la mer glacée. S’il se noie il est innocent. S’il en réchappe, c’est que le diable est venu à son secours, il est donc coupable. Il se réchauffera sur le bûcher. L’alternative est engageante.

Cet inquisiteur des terres septentrionales a convolé en justes noces quelques jours avant de prendre son poste en ces terres inhospitalières. Son épouse ne tarde pas à découvrir le monstre qui partage sa couche et pour lequel elle éprouve vite de la répulsion. Celle-ci prend fait et cause pour une villageoise du cru, qui de servante est devenue sa confidente et avec laquelle elle bâtit une relation dont la spontanéité et la sincérité lui font connaître un sentiment absent de sa vie conjugale. Avec toute la prudence que le contexte historique et sociologique imposait aux femmes en particulier en ces temps d’obscurantisme.

L’intrigue monte très progressivement en intensité dramatique et impose aux sentiments une longue maturation avant de se déclarer dans leur complète ferveur. Kiran a su restituer l’austérité du siècle et du milieu au point de gagner son lecteur à l’atmosphère d’indigence et de peur qui pouvait régner sous ces latitudes et sous la férule d’une église conquérante. L’ouvrage peut même parfois en devenir rebutant, présenter des longueurs notamment en ses premières parties. Mais cela reste un bon roman dont le contexte historique est rehaussé par cette relation singulière et touchante qui s’établit entre deux femmes dans une atmosphère glaciale et tendue. J’ai trouvé toutefois que le style souffrait d’une traduction trop moderne, ôtant de la patine au texte, sauf à ce que la version originale l’impose bien entendu. Les dialogues sont intégrés au texte et manque d’évidence à la lecture, il faut être attentifs aux guillemets pour ne rien manquer des échanges.

Un ouvrage qui met aussi l’accent sur la condition féminine quand le mâle dominant veillait au grain pour ne rien perdre de ses prérogatives. Un roman que j’ai rapproché d’une lecture précédente, Les sorcières de Pendle de Stacey Hall qui abordait le même thème dans l’Angleterre de Jacques 1er. (Jacques IV d’Ecosse était devenu roi d’Angleterre sous le nom de Jacques 1er).


vendredi 17 décembre 2021

Les Lys pourpres ~~~~ Karin Hann



Véritable ouvrage d’histoire tant la romance est documentée et construite à partir de faits avérés, Les Lys pourpres est une forme de plaidoyer pour une reine souvent critiquée en partie pour son rôle dans le massacre de la Saint-Barthélemy. Il traite de la période où Catherine deMédicis était dauphine du royaume, puisque épouse du futur roi Henri II, puis reine avec l’accession de ce dernier au trône dans la succession de son père François 1er. L’ouvrage s’arrête lors de la disparition d’Henri II, mortellement blessé lors d’un tournoi en 1559. Décédé en dépit des « soins » d’Ambroise Paré dont l’évocation dans cet ouvrage donne quelques frissons dans le dos. Il est vrai que nous sommes devenus délicats en notre temps de refus de la douleur.

Jusqu’à la mort de son royal époux, Catherine de Médicis n’a pu jouer qu’un rôle de figurante dans la vie de la cour, reléguée qu’elle fut dans les pensées de celui-ci qui lui préférait Diane de Poitiers, pourtant de vingt ans son aînée. C’est cette période de la vie de Catherine de Médicis que Karin Hann a choisi d’évoquer dans ce roman très bien mené à mon goût, citant en bas de page ou en annexe toutes les références historiques. 23 ans à avaler des couleuvres pour cette femme intelligente et fort cultivée avec ce mari qui négligeait, voire la rabaissait y compris publiquement, au profit de celle qui le consola de sa captivité en otage de Charles Quint. Karin Hann met en exergue la sincérité de ses sentiments non seulement à l’égard d’un époux ingrat mais aussi de son pays d’accueil.

Karin Hann s’est attachée à démontrer le pouvoir qu’était celui des favorites, Anne de Pisseleu auprès de François 1er puis Diane de Poitiers auprès Henri II, sur leur souverain, le poids de leur influence politique et l’âpreté à préserver leur position au bénéfice de leur enrichissement personnel comme il se doit. Il faut dire que leur temps de grâce ne durait que ce que durait leur royal amant. La relégation était parfois brutale et sévère pour qui avait goûté aux ors des palais. Mais il ne nous viendra quand même pas à l’idée de plaindre ces courtisanes lors de leur « veuvage » tant leurs faveurs étaient commandées par l’intérêt au détriment la sincérité des sentiments.

L’héroïne de cet ouvrage reste cette reine effacée aux yeux de son époux, condamnée qu’elle était à pourvoir le royaume en héritiers et successeurs de leur père. Après une longue période d’infertilité elle eut dix enfants dont trois succédèrent à leur père sur le trône, les voyant disparaître tour à tour, et deux reines, une d’Espagne épousant Philippe II le fils de Charles Quint et l’autre en tant qu’épouse d’Henri IV, la reine Margot. Ce qui valut à Catherine de Médicis, après la mort de son époux de gouverner le pays en arrière-main, main de fer dans un gant de velours, tant elle était intelligente et au sens politique développé, et ce pendant trente ans en régence de rois juvéniles ou faibles de caractère.

Bel ouvrage qui se lit comme un roman puisqu’il en est un, avec lequel on perçoit sans ambages le parti pris de Karin Hann de rendre figure humaine à une reine dont on a trop retenu l’austérité au détriment de ses qualités d’épouse, de mère, de femme tout simplement. L’autrice rejoint le camp de ceux qui voient en cette reine une personne de compromis et non celle soufflant sur les braises qui couvaient entre catholiques et protestants. Ouvrage agréable à lire et propre à réconcilier ceux que l’histoire rebute pour son langage pompeux ou abscons et s’effraieraient de devoir maîtriser les arbres généalogiques des familles royales pour appréhender le contexte. Il se lit très bien par tout-un-chacun sans être féru d’histoire. Il paraît que cela existe.


Citations

"Au royaume de France, c'était les favorites qui portaient culotte." 

"Voyons François, ce n'est pas à toi que je vais dire que c'est dans les jupes des dames que se prennent les décisions les plus Importantes."

 

mercredi 8 décembre 2021

Les sorcières de Pendle ~~~~ Stacey Halls



Ce roman m’a remis en mémoire l’excellent ouvrage de Yannick Grannec : Les simples. Tous deux ont inscrit leur intrigue en un 16ème siècle où la guérison d’un malade tenait du miracle. Miracle dont la religion officielle ne voulait surtout pas se faire voler le bénéfice par quelque savoir empirique concurrent de la croyance imposée. Un guérisseur par les plantes avait tôt fait d’être qualifié de sorcier si d’aventure sa science remettait sur pieds un malade dont la toute puissante institution avait déjà fait un client au jugement dernier. Et bien entendu, cette qualification avait d’autant plus de chance d’être retenue si le guérisseur était une guérisseuse. Haro sur la sorcière.

« Etes-vous comme le roi, à penser que toutes les guérisseuses et les sages-femmes exécutent l’œuvre du diable ? ». Le roi en question c’est Jacques 1er d’Angleterre- conjointement 4ème du nom en Ecosse. Il avait fait de la chasse aux sorcières une obsession, y compris en écrivant un traité de démonologie lequel laissait aux accusées bien peu de chance d’échapper à la vindicte royale, sous légitimation de volonté divine bien évidemment. Le drame étant que pour être accusée point n’était besoin de preuve. Une simple dénonciation suffisait et peu importe si celle-ci était dictée par quelque rancœur ou jalousie.

A l’instar de celui de Yannick Grannec, on retrouve dans cet ouvrage des femmes douées de la connaissance des plantes - l’écorce de saule notamment dont on sait qu’elle sera à la base de l’aspirine quelques siècles plus tard. Ce pouvoir donné à des femmes est aux yeux de la gent masculine une source de suspicion quant à une velléité d’émergence de la condition dans laquelle elles sont entretenues. Condition qui s’apparente à celle du bétail selon l’héroïne de cet ouvrage, faisant référence au rôle qui les cantonnait à la reproduction de l’espèce. Chaque naissance suscitant au passage l’espérance d’une descendance mâle, au point de faire dire à l’héroïne des Sorcières de Pendle : « Je ne souhaite de fille à personne ».

On aura compris que ce roman est aussi et surtout un roman féministe. Fleetwood Shuttleworth, l’héroïne de cet ouvrage se bat pour extirper des griffes d’une justice aux ordres, arbitraire et expéditive des femmes accusées de sorcellerie, dont sa propre sage-femme. Mais le propos est plus général quant à la condition de la femme. Stacey Halls se joint à sa compatriote Virginia Woolf (*) pour regretter, du fait de ce statut avilissant « d’objet décoratif » dont elles sont affublées dans la société contemporaine de Shakespeare, de savoir ses consœurs avoir été empêchées d’écrire. Stacey Halls participe au rattrapage avec bonheur avec cet ouvrage. 

Les sorcières de Pendle est ouvrage intéressant, fondé sur des faits historiques. J’ai regretté toutefois le vocabulaire et les tournures syntaxiques quelque peu anachroniques qui ôte à cet ouvrage une part de sa teinte séculaire. Stacy Halls a toutefois le mérite d’avoir défendu avec ferveur la mémoire de ces pauvres femmes sans produire une diatribe enflammée contre une misogynie institutionnalisée. On ne refait pas l’histoire avec des colères rétrospectives. Mais on peut en tirer des enseignements …

Même si l’eau qui a coulé sous les ponts depuis Jacques 1er n’a pas encore lavé toute l’avanie d’un rapport de force déséquilibré, les sorcières modernes ont aujourd’hui pignon sur rue. Mais un maléfice ne pouvant être annulé que par celui qui l’a infligé, il reste encore du travail pour que le mâle concède le rééquilibrage des genres. Si l’on en croit ce qu’on nous assène régulièrement à nous qui nous accrochons à notre piédestal.

(*) Une chambre à soi – Virginia Woolf

mercredi 24 novembre 2021

La bibliothécaire d'Auschwitz ~~~~ Antonio Iturbe


« Ce récit est construit à partir de matériaux réels, qui ont été unis dans ces pages grâce au mortier de la fiction » nous précise Antonio G. Iturbe, l'auteur de la bibliothécaire d'Auschwitz, en note de fin dans un chapitre qu'il a intitulé « étape finale » et dans lequel il nous relate la genèse de son ouvrage.

Rappelons, s'il en est encore besoin, que cet ouvrage relate l'histoire vraie de la sauvegarde clandestine dans le camp d'Auschwitz Birkenau de quelques livres aussi disparates en thèmes qu'en langues, sous la responsabilité d'une jeune adolescente juive pragoise. Entreprise clandestine qui aurait été bien entendu punie de mort immédiate en cas de découverte par les autorités du camp.

Ce « mortier » qu'évoque l'auteur est donc la part imaginaire de son cru avec laquelle il a construit son ouvrage. Ce dernier n'est pas un témoignage, mais presque, puisqu'il a été largement approuvé par la protagoniste principale, prénommée Dita et retrouvée fortuitement en Israël par Antonio G. Iturbe, laquelle la complimenté pour la qualité de son travail de recherche et de restitution.

On ne connaît que trop les horreurs perpétrées par cette monstrueuse industrie de mort mise en œuvre par les nazis. L'ouvrage ne peut pas faire l'économie de la description de certaines scènes insoutenables. Aussi faut-il bien admettre que faire un roman traitant de cette abomination est un exercice périlleux. Celui-ci s'appuie certes sur une structure de faits réels mais il y avait grand risque en les reliant avec ce fameux « mortier de la fiction » à sombrer dans l'exploitation de la commisération. Ecueil que l'auteur a évité avec succès. Son sujet était autre.

Au-delà du sort des victimes de la Shoah, de l'instinct de survie qui pouvait les tenir éveillées au-dessus du cloaque de l'abjection, il s'agissait d'évoquer celui de la survie des cultures entretenues tant par la mémoire des vivants que par les livres. Il y avait cette volonté des adultes de concourir vaille que vaille à la transmission de leur savoir aux enfants, fussent-ils promis à la mort. Elle était pour eux à la fois le fol espoir de voir certains d'entre eux échapper au funeste sort qui les menaçait et une manière aussi de divertir l'esprit de cette perspective à la fois de ceux qui avaient accepté de devenir des professeurs de circonstance et de leurs jeunes élèves à l'innocence piétinée. Les livres et les compétences de chacun entretenaient l'ouverture au monde, l'accès à la lumière de la connaissance, la perpétuation de la culture de chaque communauté. L'antithèse de l'entreprise macabre mise en œuvre par ce régime assassin.

La bibliothécaire d'Auschwitz est un ouvrage d'une grande rigueur. A l'exactitude qu'il s'impose de la relation des faits et des sentiments s'ajoute la crédibilité de cette part d'imaginaire qui les agglomère. Sa loyauté à l'histoire en fait un ouvrage qui a sa part dans le devoir de mémoire dû aux victimes du nazisme. La meilleure juge de tout ceci étant bien entendu celle qui a vécu cette détestable épreuve. En accompagnant l'auteur dans sa visite des lieux du supplice elle a accordé son blanc-seing à ce roman historique lui conférant ainsi statut de témoignage.


 

samedi 6 novembre 2021

Les dieux ont soif ~~~~ Anatole France


Le peuple vient de passer du joug de l'autocratie au leurre de la liberté

Les dieux ont soif. Est-il besoin de compléter la phrase pour préciser que c'est de sang dont les dieux veulent s'abreuver. le peuple transférant au mystique sa propre soif de voir tomber les têtes. Nous sommes sous la Terreur, ultime soubresaut du séisme qui vient de mettre à bas la monarchie. Et lorsque la terreur prend la majuscule elle s'attache à cette période qui a marqué l'histoire en lettres de sang, plus qu'en espoir de justice. Les comptes sont loin d'être soldés. Le peuple vient de passer du joug de l'autocratie au leurre de la liberté. Ce fol espoir a été dérobé par les appétits de pouvoir que fait naître la place laissée vacante.

La veuve rouge a son compte de suppliciés

Anatole France destine à son lecteur une fresque de cette année noire peinte au travers du vécu des petites gens. Ils viennent de tirer un trait sur ce qui s'appellera dorénavant l'Ancien Régime. Louis XVI est passé sous le rasoir national. Marie-Antoinette le suivra de peu. C'est dans ce tumulte qu'Évariste Gamelin, jeune peintre désargenté, est devenu pour satisfaire son idéal républicain juré au tribunal révolutionnaire. En cette période de décomposition de la société il siège tous les jours. Peu de peines intermédiaires résultent de ces débats expéditifs. La veuve rouge a son compte de suppliciés. Les badauds apprennent le patriotisme, prennent conscience de frontières menacées et sont assoiffés de voir tomber les ennemis de la révolution. Ils étaient peu regardant quant à la culpabilité de qui on livrait à leur vindicte.

Évariste Gamelin en arrive à se détester lui-même

Pris dans l'engrenage funeste de la politique, dont il faut bien avouer que les prises de position étaient éminemment versatiles et donc risquées, Évariste Gamelin en arrive à se détester lui-même et s'imagine ne plus être digne de l'amour des siens : sa mère sa fiancée qui lui vouent pourtant une admiration sans faille. Il est gagné au drame cornélien qui oppose son idéal républicain épris de rigueur, même s'il faut qu'elle soit sanglante, à sa sensibilité sentimentale et artistique.

nul ne savait plus dès lors à quel saint se vouer

Anatole France fait preuve d'une connaissance détaillée fort documentée - si l'on en juge par les dossier, chronologie et notes en fin d'ouvrage - de cette période dérèglée pour nous livrer un ouvrage dont l'intensité dramatique est à la hauteur du trouble qui régnait. On perçoit fort bien dans ces pages le doute qui avait envahi les esprits des petites gens au point que nul ne savait plus dès lors à quel saint se vouer pour assouvir cet appétit d'égalité et de justice qui les tenaillait, petites gens d'un peuple devenu souverain à son corps défendant. Pas plus les saints de l'église devenus parias en leur compétence que ceux à l'hystérie vengeresse nouvellement promus sur l'autel de la République ne parvenaient à apaiser les cœurs. Belle écriture aux élans épiques que celle d'Anatole France dans ce roman qui a aussi valeur de livre d'histoire tant les références sont nombreuses et authentiques.


jeudi 30 septembre 2021

Le jeune homme au bras fantôme~~~~Hélène Bonafous-Murat

 




Dans le roman historique l'imagination est un liant qui agglomère les faits que l'histoire a laissés à notre connaissance. Au gré de l'auteur de donner à son intrigue la tournure que ne contrediront pas ces derniers. Hélène Bonafous-Murat se livre à cet exercice avec bonheur dans ce second roman historique de son cru. J'avais particulièrement apprécié La Caravane du Pape de sa main, le jeune homme au bras fantôme confirme le succès à mes yeux, tenant cette fois son intrigue entre deuxième république et second empire.

Dans ce roman au titre bien inspiré si le point de départ de l'intrigue est fidèle à un fait avéré, ainsi que l'autrice le précise en note de fin, il prend une tournure résolument plus optimiste que celle de la vie réelle de son héros. Après l'abattement qui n'a pas manqué de réduire le jeune homme amputé d'un bras lors d'une répression aveugle des troupes du Préfet, la chance aidant, ce dernier parvient à se construire vies professionnelle et affective porteuses d'espoir. L'espoir en ces temps de classes très cloisonnées étant surtout fruits du labeur et de volonté, voire aussi de malice. La chance étant dûment contingentée par les codes sociaux et moraux en vigueur.

La force de pareille œuvre est sa capacité à transporter son lecteur en des temps et lieux qu'il n'a pu qu'effleurer selon son assiduité en classe d'histoire. La mise en ambiance et situation est réussie avec cet ouvrage. Il dresse une fresque fidèle d'une Europe en pleine révolution industrielle avec ses acteurs de progrès mais aussi ses profiteurs et laissés pour compte. Un roman qui sent le cuir, l'encre d'imprimerie, les petites boutiques au comptoir en bois et fonds d'ateliers obscurs où l'on ne comptait pas ses heures pour boucler les fins de mois.

Au jeune homme au bras fantôme - jolie formule pour éluder le triste sort du manchot - il fallait une bonne dose d'intuition et de volonté pour espérer survivre et se construire un avenir. Hélène Bonafous-Murat a fait ce pari, cela donne une belle dynamique au roman sur fond de lutte des classes et espoir en le progrès industriel dans notre France du XIXème siècle. Un roman historique intéressant et crédible dont l'écriture n'est en rien empesée par les us et coutumes de l'époque. Une belle réussite.


samedi 11 septembre 2021

La redoutable veuve Mozart ~~~~ Isabelle Duquesnoy



 
J'ai décidemment un faible pour le style d'Isabelle Duquesnoy. J'aime sa spontanéité, sa verdeur dans le langage. Cela confère affirmation et truculence à ses personnages, de ceux qui ne se laissent pas marcher sur les pieds. Encore faut-il que je fasse la part des choses entre sa propre écriture et les propos qu'elle leur prête. Mais certainement les choisit-elle sachant les voir s'imposer à leur entourage par la seule force du verbe.

Ascendant qu'elle a exercé en premier lieu sur les deux fils qui lui sont restés des six enfants qu'elle avait mis au monde. Au point de les étouffer à les vouloir perpétuer le génie de leur père. « Voilà des années que tu me fais ployer devant le spectre de mon père, que tu compares ma musique à la sienne, que tu relèves sur mon visage les traces de sa figure » lui jeta à la figure le cadet de ses enfants survivants, excédé qu'il fut par la pression que lui appliquait sa mère.

Question caractère, avec la veuve Mozart on est servi. le personnage n'envoie pas dire par autrui ce qu'il a sur le coeur. Elle a survécu cinquante ans à son époux adulé. Celui dont elle revendiquait la jalouse propriété en en parlant jamais autrement qu'en l'appelant « Mon Mozart ». Surtout lorsqu'elle se heurtait à sa belle-famille, sans doute méprisante de l'alliance qui ne permit pas à Wolgang de mettre un pied dans la haute société. Constanze a consacré sa vie à entretenir sa mémoire et beaucoup plus que cela même, à lui bâtir la popularité que ses contemporains lui avaient boudée. Qui pourrait croire, connaissant aujourd'hui la renommée de ce génie de la musique, que Mozart est mort endetté jusqu'au cou.

Mozart serait-il tombé dans l'oubli si son épouse n'avait consacré le restant de ses jours à remuer ciel et terre pour faire valoir son génie. « Vienne ouvre ses bras mais ne le referme jamais. » Mozart a été inhumé à la fosse commune. Et remuer la terre Constanze l'a fait, des nuits entières à creuser le sol pour exhumer les restes de « son Mozart » et lui donner la sépulture qu'à ses yeux il méritait.

L'opiniâtre mère n'a jamais baissé les bras pour faire éclater le génie de son époux trop tôt disparu à trente-cinq ans. Elle a laissé en héritage à ses enfants, outre l'aisance financière qu'elle avait eu l'intelligence de constituer, la gloire d'un compositeur dont le talent est de nos jours une évidence. Des statues, des noms de places et de rues, une fondation, des festivals, un Mozart joué par les plus grands tant qu'il y aura des pianos et des violons : « La popularité universelle de Mozart, c'est moi » pouvait-elle se glorifier. À juste titre.

On se convainc à la lecture de cet ouvrage que cet acharnement n'était pas appropriation. Tant Constanze était imprégnée du génie de son époux et déçue de l'avoir vu partir dans la quasi indifférence de ses contemporains. Sans doute en seule motivation qu'il n'était pas noble. Les seuls dont on pouvait orner la sépulture de croix et plaque. Mozart à la fosse commune. Qui pourrait l'envisager aujourd'hui ? Époque maudite où les honneurs étaient dictés par le mérite d'être « bien né ». Quel beau mérite !

Constanze a consacré sa vie à rendre justice à celui qu'elle n'avait pas aimé pour son seul talent. Isabelle Duquesnoy nous apprend la sincérité de son amour pour l'homme. Elle nous dresse le portrait d'un homme simple, lui aussi original, facétieux et tout entier versé à son art.

Cet ouvrage m'a comblé. J'aime la façon qu'a cette auteure de nous embarquer dans le tourbillon d'une femme de caractère, une femme amoureuse, décidée à faire rendre gorge à ses pleutres de Viennois qui avaient dédaigné son époux de son vivant jusqu'à le laisser enterrer comme un gueux. Autant que son génie, c'est justice qu'elle voulait rendre à son époux. C'est le cadeau qu'elle fit à la postérité. Cadeau à ses inconditionnels de tous les temps qui de noblesse ne reconnaissent que celle du talent.


vendredi 23 juillet 2021

L'épopée vaudoise : Tome 3 - Le glaive et l'évangile ~~~~ Hubert Leconte

 


Avec la crainte frénétique de voir son pouvoir contesté et ses avantages perdus, la sainte église romaine catholique s'est mise en demeure de taxer d'hérésie, voire de sorcellerie, tout ce qui pouvait avoir velléité de prêcher un dogme divergent de sa parole devenue seule vérité. Sous couvert bien entendu d'une légitimation consentie par le Très-haut aux élus, inaccessible au vulgaire, dont elle seule, la sainte église, pouvait recevoir les commandements. Charge à elle de guider le troupeau et de ramener les brebis égarées sur le bon chemin.

Alors que le courant humaniste de la Renaissance déferle sur la France en cette première moitié du XVIème siècle, avec sa propension à placer l'homme au centre des préoccupations, il y a urgence à endiguer les velléités écartant quelques écervelés du discours divin. Dans sa précipitation enragée à sauvegarder ses positions et avantages la sainte église a tendance à mettre la charrue avant les bœufs en matière de justice, à savoir tuer les vivants et les juger par la suite. Ce fut le sort réservé aux Vaudois du Luberon.

Las de tendre l'autre joue, las de leurs recours infructueux auprès de la justice du roi, les Vaudois furent tentés par la rébellion armée. le glaive et l'évangile, troisième opus de l'épopée vaudoise, aborde ce dilemme qui divise la communauté, partagés que furent certains entre l'attitude non violente que leur dictent les évangiles et le désespoir qui les envahit de se voir pourchassés sans cesse et sans recours.

La trilogie d'Hubert Leconte met le focus sur cette page d'histoire locale qui, aussi dramatique et intolérable qu'elle ait pu être, n'est qu'un révélateur de ce qui peut se produire quand la liberté de conscience est foulée aux pieds. Sous couvert de légitimation divine, dont on attend toujours consécration officielle de la part du Celui qui est invoqué dans ces religions dîtes du Livre, la finalité est toujours la même depuis que l'homme est homme, torturé qu'il est par le mystère de la vie : l'appropriation du pouvoir et des richesses de ce bas monde en contre partie d'une promesse de paradis pour ceux à qui on mâchait le travail puisqu'ils n'avaient qu'une attitude à avoir : croire.

Contrairement à l'église cathare, laquelle a complètement disparu du paysage religieux au cours du 13eme siècle, l'église de Pierre Valdo, acquise à la Réforme, a toujours ses adeptes de nos jours. On trouve encore des lieux de cultes se revendiquant du dogme initié par Pierre Valdo dans le Piémont italien, région dans laquelle les actions d'éradication ont été plus dispersées et moins assidues.


mardi 13 juillet 2021

L'épopée vaudoise : Tome 2 - Les larmes du Luberon ~~~~ Hubert Leconte

 


Ils avaient quitté les vallées alpines, pourchassés qu'ils étaient par l'église de Rome. Elle avait fait d'eux des hérétiques. En cette première moitié du XVIème siècle les Vaudois avaient trouvé en Provence quelques décennies de répit à la traque dont ils étaient l'objet. Mais s'ils espéraient vivre leur foi en paix c'était sans compter sur l'obstination d'une église qui n'avait pas renoncé à purger cet abcès que représentait à ses yeux leur communauté.

Mais en dépit du pouvoir considérable qui était le sien en son temps de monopole sur les consciences, l'Église n'avait pas les moyens militaires d'éradiquer la dissidence. Elle souhaitait en outre dans sa grande perversité s'exonérer des crimes que ne manquerait pas de provoquer la reconquête des consciences à sa seule dévotion. Elle devait donc avoir recours au bras séculier pour combattre les Vaudois dont la doctrine prêchant la pureté des évangiles s'était propagée. C'était surtout une façon de faire oublier le commanditaire et endosser au pouvoir temporel la responsabilité des dommages. Il fallait donc convaincre François 1er que ce qu'elle qualifiait de déviance constituait un vrai danger pour le royaume. L'argument était le risque de scission qui pouvait faire basculer la Provence dans les bras de son ennemi juré, Charles Quint. François 1er n'avait-il pas déjà goûté de ses geôles après sa défaire de Pavie.

Convaincu par les sbires du Pape de la nécessité de leur éradication, François 1er profita du transit de ses troupes vers le port de Marseille pour lancer une grande offensive contre les Vaudois. Cela donna lieu à l'un des plus grands massacres qu'ait connu la communauté vaudoise dans cette partie de la Provence, aujourd'hui lieu de villégiature de fortunés : le Luberon. Les disciples de Pierre Valdo en ce pays, où ils pensaient pouvoir jouir du fruit de leur labeur et vivre dans la paix des évangiles furent passés au fil de l'épée sans distinction de sexe ni d'âge. Non sans avoir imposé les derniers outrages à tout ce qui pouvait assouvir les bas instincts de soudards qui pour la plupart étaient d'ailleurs mercenaires loués aux possessions du Saint empire romain germanique. La justice du roi était passée. Reste que cette page dramatique de l'histoire de la Provence et de l'épopée vaudoise est à mettre au crédit de celle qui prêchait charité, tolérance, pauvreté et chasteté, se gardant bien de l'appliquer à elle-même, celle qui revendiquait la majuscule quand on l'évoquait : la sainte Église catholique romaine.

Hubert Leconte nous fait vivre tout au long de cet édifiant ouvrage à la fois les espoirs et le climat de peur permanente dans lequel demeuraient les Vaudois. Il met en oeuvre en parallèle dans son écriture un surprenant lyrisme poétique destiné à glorifier la belle nature qui sert de décor à cette tragédie, et à évoquer aussi l'amour que les Vaudois vouaient à la terre nourricière. Une beauté qui en ce temps se payait au prix fort tant la tâche était rude pour tirer subsistance de ces collines arides. Nous apprécions mal en nos jours fort heureusement plus serein quant à la liberté de conscience le climat de peur régnant au quotidien et faisant de ceux qui osaient promouvoir une doctrine rivale de l'officielle des gibiers traqués. Nous apprécions mal la force d'une foi chevillée à l'âme en ces temps où tout s'expliquait en Dieu et par Dieu, selon un discours imposé par celle qui n'admettait ni contradiction ni concurrence en la matière.

Communion avec la nature, solidarité confessionnelle, dans ce superbe ouvrage fort bien documenté Hubert Leconte nous rappelle à ces données d'un quotidien fait de labeur, de foi mais surtout de peur. Cela donne ce splendide ouvrage, deuxième tome de l'épopée vaudoise à une époque où régnait la loi du plus fort.

"Selon que vous serez puisant ou misérable les jugements de cour vous rendrons ou blanc ou noir." La fable aurait pu s'appliquer aux Vaudois malades quant à eux d'une peste qui n'était rien d'autre que leur fidélité à la parole première des évangiles. Peste que leur sincérité, que leur foi.


jeudi 1 juillet 2021

L'épopée vaudoise : Tome 1 - La croix des humiliés ~~~~ Hubert Leconte

 


J'ai entrepris de relire la trilogie de Hubert Leconte relatant l'épopée vaudoise des Alpes vers le Luberon. Les Vaudois que l'on présente parfois comme les précurseurs du protestantisme sont les disciples de Pierre Valdo. Ce riche marchand lyonnais du XIIème siècle avait fondé La fraternité des pauvres de Lyon à qui il avait légué ses biens. Il a été excommunié par l'Église. Sa faute : avoir fait traduire la Bible en langage vernaculaire, le franco provençal, pour la rendre intelligible au petit peuple. Un comble serait-on tenté de dire.

Pierre Valdo qui s'ouvrit de cette déconvenue à un ami érudit s'entendit répondre " … tu te rends compte où cela nous entraîne. Savoir lire c'est peut-être un jour contester tout le savant édifice de règles, de canons, de dogmes que l'Église a élaborés depuis plus d'un millénaire".

La croix des humiliés, premier tome de la trilogie, situe son intrigue romanesque à la fin du XVème siècle dans les vallées alpines. Pourchassés par l'église officielle de Rome, les Vaudois avaient essaimé. Forcés qu'ils étaient d'investir les lieux les plus inhospitaliers pour pouvoir vivre leur foi en relative tranquillité; foi qui n'était, rappelons-le, rien d'autre que la stricte observance des évangiles.

Or, parait-il que les évangiles n'envisagent pas de vivre dans le luxe et la luxure. Pierre Valdo avait donc eu le tort d'ouvrir les yeux de ses disciples à ces travers dans lesquels se vautraient la curie romaine et toute sa hiérarchie épiscopale dont on connaît trop la toute puissance en ces temps d'obscurantisme. Cette dernière a donc mis sur pied cette formidable juridiction ecclésiastique d'exception taillée sur mesure pour préserver ses monopole et intérêts, et faire retourner le manant éclairé aux ténèbres de l'ignorance : l'inquisition.

Et l'évêque menaçant Pierre Valdo de haranguer : "Il serait trop long de vous expliquer les mystères de la Sainte Trinité, de l'incarnation, et de la consubstantialité. Nous avons pensé pour les pauvres qui n'ont qu'un seul effort à fournir : croire."

Procès en sorcellerie, qualification d'hérésie, les Vaudois ont eu les faveurs de cette épouvantable machinerie tyrannique dont on connaît trop les méthodes barbares pour faire avouer les martyres pris dans ses carcans. On en connaît aussi trop la conclusion brûlante. Hubert Leconte, au travers de ce roman historique parfaitement documenté nous fait vivre l'errance de ces disciples convaincus d'une foi dictée par les évangiles en laquelle ils pensaient assurer leur salut, et qui fit leur malheur. On ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec la foi cathare qui a enflammé le sud-ouest de notre pays dans les mêmes temps alors qu'elle prêchait elle aussi le retour à la pureté du dogme, aux textes originels des évangiles.

En ce XVème siècle d'illettrisme et d'ignorance, l'Église toute puissante règne sur les esprits et les consciences. Elle n'admet ni contradiction ni concurrence. Elle a tout prévu, y compris un moine pour absoudre l'inquisiteur des violences – ce terme étant en la circonstance un doux euphémisme - qu'il se voit contraint d'infliger à ceux qui osent prêcher une autre parole que l'officielle. Y compris et surtout si cette parole est de nature à faire éclater aux yeux des puissants briguant la pourpre cardinalice leur déviance au regard de ce qu'ils n'ont de cesse de ressasser dans leurs sermons : les fameux dix commandements que leur comportement propre violent impunément tous les jours.

Expulsés de leurs vallées alpines vers une région qu'ils espèrent plus accueillantes pour leur sincérité biblique, les Vaudois n'en ont pourtant pas fini avec les faussaires de la foi. Les larmes du Luberon, le deuxième tome, va me le remettre en mémoire. Les quelques pierres vestiges de leurs modestes masures au creux des vallées et les grottes perchées à flancs de falaise qui parsèment la campagne provençale dans lesquelles ils cherchaient refuge gardent la mémoire de ces pauvres hères à la foi, la vraie foi, chevillée au corps.


mercredi 28 avril 2021

Les Amazones ~~~~ Jim Fergus

 


Les femmes blanches qui ont fait partie du programme FBI (femmes blanches pour les Indiens) ont rapidement été gagnées à la cause de ces derniers lorsqu'elles eurent fait connaissance avec le mode de vie et le sort qui était réservé au peuple indien par le gouvernement américain. Gagnées à leur cause au point de prendre les armes contre leurs congénères de race blanche, de devenir des amazones, à l'instar de ces femmes guerrières de l'antiquité.

Pour faire valoir leur loyauté aux tribus qui les avaient accueillies puis adoptées, leur donnant époux et progéniture, elles se sont liguées en une société féminine, qu'elles ont appelée Cœurs vaillants, et se sont faites fort de défendre bec et ongles ce qui était devenu leur nouvelle famille, quand la première les avait mises au ban de la société, trop engoncée qu'était cette dernière dans son puritanisme dévoyé. Fortes de leur nouvel environnement affectif, les amazones se sont surprises elles-mêmes du courage et de la férocité avec lesquels elles combattirent les tuniques bleues chargées dans le dernier quart du 19ème siècle de priver les tribus indiennes, au nom du gouvernement américain, de leurs autonomie et liberté, à commencer par leur moyen de subsistance : leur frère le bison.

Deux de leurs lointains descendants, tous deux de sang mêlé, se retrouvent de nos jours et, à partir de journaux transmis à la postérité par leur lointaines aïeules, se mettent en demeure de non seulement de réhabiliter leur mémoire mais aussi de défendre la cause de ceux qu'on a enclavés dans des réserves, livrés ainsi qu'ils furent à tous les vices que peuvent engendrer oisiveté et rancœur ancestrale.

Les fondements de la société américaine repose sur une constitution qui garantit la souveraineté du peuple et dont le préambule comporte notamment l'article suivant : "Toute personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyen des États-Unis et de l'État dans lequel elle réside. Aucun État ne fera ou n'appliquera de lois qui restreindraient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis, ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière ; ni ne refusera à quiconque relève de sa juridiction l'égale protection des lois." le tort des Indiens ayant donc été de naître sur une terre qui n'était pas encore les États-Unis d'Amérique et à ce seul constat de pouvoir être privés de leur vie et de leur bien à vouloir défendre la terre de leur ancêtres. Sauf à ce que leur anéantissement relève d'une procédure légale régulière.

La trilogie de Jim Fergus, même s'elle comporte quelques longueurs et redites, même si la romance force un peu le trait comme savent le faire les Américains dans leur épanchements sentimentaux, notamment dans ce troisième opus, serait-elle le signe que la société qui domine le monde a atteint une maturité suffisante pour faire son mea culpa quant à un passé pour le moins blâmable. Ou bien a-t-elle atteint un niveau de suffisance qui lui autorise de ne plus craindre les critiques ?

Le gagnant dicte sa loi de la même façon qu'il règle les questions de sémantique quand il s'agit de définir sauvagerie et civilisation.


lundi 12 avril 2021

Moi Jérusalem~~~~Gilbert Sinoué

 


Jérusalem est la ville bénie entre toutes, pour être un lieu saint au regard des trois religions monothéistes. Elle est maudite entre toutes pour exactement la même raison.

Notre actualité, à nous contemporains du 21ème siècle, nous abreuve des événements dramatiques du conflit israélo-palestinien, masquant les causes réelles du mal au profit du sensationnel. Sans omettre la responsabilité que nous occidentaux avons de la situation actuelle avec les trop fameux accords sikes-Picot en 1916, la déclaration Balfour en 1917 et la création d'un état d'Israël en Palestine en 1948, nous autres, qui avons fort heureusement abandonné toute velléité de croisade, ne pouvons que nous interroger sur la légitimité de l'un ou de l'autre des belligérants à revendiquer la Palestine comme terre d'accueil. Qu'elle fut promise ou conquise.

Les deux peuvent y prétendre mon général serait-on tenté de répondre après la lecture de cet ouvrage de Gilbert Sinoué, même si embrasser la réalité des fondements historiques du problème palestinien en quelques 350 pages serait aussi illusoire que présomptueux. Comptons toutefois sur le talent de Gilbert Sinoué, sa connaissance de cette région, de son histoire et sa géographie, son talent de conteur pour nous donner si ce n'est les clés du problème, en tout état cas une synthèse objective et le goût d'approfondir le sujet.

Pour parvenir à cette objectivité tellement malcommode à ambitionner, il a pris le parti de personnifier et faire parler celle qui depuis sa fondation a tout connu des turpitudes de l'homme quand il se met en butte à son semblable pour faire valoir ses prétentions. Celle-ci, c'est Jérusalem, siège des lieux saints pour toutes ces religions qui chacune revendique le monopole de la vrai foi, taxant les adeptes d'une autre confession d'infidèles.

Toutes trois religions prêchant la tolérance, relevant du même père fondateur : Abraham, vénérant chacune à sa façon le même dieu créateur, ont entre autres traits communs, moins recommandable ceux-là, de ne pas accepter le partage, de ne pas tolérer la contradiction. La ville des trois prophètes a connu tous les outrages, a toujours été l'objet d'incessantes convoitises, a vécu les invasions de tous les horizons au fil des âges, avec leurs lots de carnages. Y compris de la part les Croisés lancés au secours du tombeau du Christ par le bon pape Urbain II lors de son appel à la guerre sainte en 1095 à Clermont.

"Mais il était écrit que mon martyre ne connaîtrait pas de fin", fait dire Gilbert Sinoué à celle dont il a choisi de faire parler les pierres sans cesse érigées en monuments majestueux, vénérés puis bannis et détruits pour céder la place à d'autres, tout autant vénérés par les nouveaux occupants des lieux et tenants d'une autre foi.

1948, l'état d'Israël est créé, avec l'espoir insensé de la communauté internationale de voir les premiers occupants de ce Moyen-Orient tant convoité revenir vivre en harmonie avec ceux qui étaient restés sur place et avaient faite leur cette terre de tous les passages. Seulement voilà, non seulement il n'est pas question de reconnaître un état palestinien, mais en outre le nouvel état créé au lendemain de la seconde guerre mondiale ne cesse de grignoter l'espace vital de ceux qui ont fait de Jérusalem leur troisième lieux saint après La Mecque et Médine.

Et Jérusalem, sous la plume de Gilbert Sinoué de regretter que la ville des trois prophètes, Abraham, Jésus, Mohammad, ne sache être le siège de la coexistence pacifique. On perçoit bien toutefois dans les propos qu'il prête à la ville sainte entre toutes que l'objectivité est quelque peu écornée au sort qui est réservé aux Palestiniens. S'ils ne sont en effet pas les occupants primitifs de cette terre convoitée, ils ont gagné par leur amour ancestral pour celle-ci le droit de la partager à égalité de traitement avec ceux qui y reviennent après des siècles d'errance de par le monde. Car qui peut se revendiquer être propriétaire d'une terre au motif qu'il a adopté la religion de ses premiers occupants. Quand la politique se mêle de foi, la foi y perd son fondement dogmatique et donc sa crédibilité.

Très bel ouvrage qui se garde d'un avenir optimiste pour la sainte Jérusalem et la laisse se morfondre de tant de haine entre les hommes qui n'ont de cesse de lui déclarer leur amour.