Après Fouché, Marie Stuart et Magellan, toutes trois biographies de ce peintre des tempéraments qu'est Stefan Zweig, je viens de refermer celle de Paul Verlaine. Ce ne sera pas la dernière que je lirai de cet auteur, tant il sait faire oublier la chronologie des dates pour instruire son lecteur du patrimoine intellectuel et émotionnel de ceux qui l'ont séduit, au point de le faire se pencher sur leur vécu. Et lorsque le sujet est un poète, le biographe fait sienne cette douleur de vivre qui habite celui-ci, propice à faire exploser son génie.
Choisissant Paul Verlaine, Stefan Zweig n'est
pas tendre avec l'homme. "Laid comme un singe", faible de caractère,
versatile, alcoolique, il n'a rien pour séduire. Il a pourtant trouvé faveur
auprès de la gracieuse Mathilde avec laquelle il aura un fils. Amour qu'il
foulera au pied peu après pour suivre Rimbaud, l'homme
aux semelles de vent, autre instable s'il en est. Tous deux génies de la poésie, chacun
à sa façon. Zweig refuse de se prononcer sur la nature de leur relation.
Autant Rimbaud est
le trublion la poésie, qu'il
violente à souhait en bousculant toutes les règles, autant la puissance
lyrique Verlaine n'est
jamais aussi forte que lorsqu'elle est contrainte : en prison, sur un lit
d'hôpital, sous la férule de son nouvel ami l'écrasant de son énergie débridée,
ou encore obligée par la passion fugace. Cet élan salvateur lui inspirera l'un
de ses plus beaux chefs-d’œuvre, le recueil La Bonne
chanson, dédié à celle qui, ne connaissant pas encore l'ivrogne colérique,
avait été séduite par le poète.
Le sentiment est une émotion qui
dure. Verlaine est
homme de l'instant, de l'impulsion. le sentiment ne l'habitera donc pas plus
longtemps à l'égard de Mathilde que de sa mère qui l'a pourtant recueilli au
plus bas de sa déchéance, abandonné de tous, même du talent.
Fabuleux explorateur de
subconscient, Stefan
Zweig, a été contemporain de Verlaine pendant
les quinze dernières années de la vie du poète déclinant. Il nous dresse avec
le brio qu'on lui connaît, mais sans complaisance, le portrait du poète qu'il
qualifie de primitif, dans le cœur de l'homme qu'il décrit compliqué et
imprévisible, mélange de pureté et de dépravation.
L'organisation de l'ouvrage est
originale. Un chapitre est consacré à Rimbaud. C'est
dire l'importance que ce "Shakespeare enfant",
tel que le baptisait Victor Hugo, a eu
sur Verlaine en
traversant sa vie comme une comète.
Le poète était sublime. Il est
resté poète. L'homme était peu reluisant. Il est passé. Bel ouvrage de Stefan Zweig.