Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mardi 10 décembre 2019

Je me souviens de tous vos rêves ~~~~ René Frégni

 



"Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir demeurer en repos dans une chambre" nous disait Pascal. Avec ses mots à lui, René Frégni n'a de cesse de nous le resservir.

Cet utopiste avait imaginé que l'on pût se complaire dans la compagnie des livres sans se préoccuper du lendemain

De cette incapacité à vivre de contemplation naissent trop de carences qui nous livrent à un monde de confrontation. Y compris quand elle se manifeste par la voix de banquiers, lesquels viennent rappeler à la réalité économique le libraire de Banon. Cet utopiste avait imaginé que l'on pût se complaire dans la compagnie des livres sans se préoccuper du lendemain. Rattrapé par ses dettes, il apprit à ses dépens qu'on ne peut vivre seulement de rêves sous la tonnelle de son jardin. Comme l'avait sans doute appris elle aussi cette jeune voisine que Frégni observe de chez lui et qui confine sa solitude dans la fumée de sa cigarette.

Lui, René Frégni, s'est rescapé du naufrage en couchant sur le papier ses rancoeurs contre un monde de violence. Il a ainsi fait de sa mélancolie un bonheur. Il a appris à dire aux autres le bien-être qu'il y a à se libérer des contraintes que nous impose notre nature. Lui refusant ce vers quoi elle nous pousse avec entêtement : la convoitise.

Favoriser l'évasion qu'autorisent les mots avec l'imagination pour seule clé de la liberté

Tout lui est prétexte à prendre carnet et crayon. A jouir de voir les mots s'égayer sur les pages comme les oiseaux s'élancer vers le ciel lorsque s'ouvre la cage. C'est pour cela qu'il anime des ateliers d'écriture. Favoriser l'évasion qu'autorisent les mots avec l'imagination pour seule clé de la liberté, à défaut de voir s'ouvrir les lourdes portes de la prison. Puisqu'il faut bien rendre des comptes à la société quand on a meurtri ses membres.

Peut-être n'a-t-il pas encore tout dit, peut-être n'ai-je encore pas encore suffisamment lu René Frégni pour savoir ce qui a bien pu le mettre en butte à toutes les institutions, à commencer par l'école. Le coeur tendre qu'il est y a sans doute fait son apprentissage de la violence pour en avoir une telle répulsion. Au point de s'enivrer désormais de la paix des gens simples et tranquilles, de la nature, dans les endroits où l'homme n'a laissé qu'une empreinte que la première pluie effacera.

Pourquoi tout le monde ne satisfait-il pas de s'enivrer de l'air des collines et remplir ses yeux des couleurs de l'automne ?


vendredi 6 décembre 2019

La femme de trente ans ~~~~ Honoré de Balzac

 



Ce fut bel et bien un coup de coeur. Julie était tombée sous le charme de l'officier portant beau dans son uniforme chamarré. La lune de miel n'aura pourtant pas duré longtemps. Les élans de celui qui sera devenu son mari feront dire à l'histoire que le coup de coeur ne fut qu'un coup de tête de la jeune écervelée, mais entêtée Julie, que son père n'aura su réprimer.

Cette entrée en matière donne à Balzac le champ pour se lancer dans une analyse sur les déboires et déconvenues de la vie matrimoniale, venus se substituer à tous les rêves insensés que peut nourrir le coeur tendre d'une jeune fille. Il nous dresse un tableau calamiteux de la noble institution du mariage sous le sceau de laquelle "l'homme a toutes les libertés et la femme tous les devoirs".

Un ouvrage qui fait s'étonner le lecteur quant au titre que Balzac a voulu lui donner, car il s'agit bien de suivre la malheureuse Julie d'Aiglemont sa vie durant, de sa prime jeunesse jusqu'à son dernier souffle. Mais il coupe court aux interrogations quand ce même lecteur découvre son engouement pour "ce bel âge de trente ans, sommité poétique de la vie des femmes" parvenues à ce stade où "elles connaissent tout le prix de l'amour et en jouissent avec la crainte de le perdre". Autour des trente ans, il n'est que frivolité inconséquente en amont, regret d'une jeunesse qui s'enfuit en aval. Comment ne pas y lire le secret fantasme d'un auteur prolixe pour ce qui est en ce siècle une majorité accomplie.

Et pour perdre Julie corps et bien dans son naufrage, sa déconvenue sur le mariage ne lui fera pas pour autant reporter son affection vers sa progéniture. A ses yeux les enfants qui naîtront de l'union avec son époux ne seront que des "enfants du devoir" et non ceux de l'amour, auxquels elle ne s'imposera pas en outre le devoir de leur consentir un amour maternel assidu. Ses échappatoires romanesques dans les bras de quelques amants touchés par sa beauté auront la même conclusion périssable. Femme, mère, épouse, la vie de Julie aura été un champ de ruines. C'est pourtant elle qui survécut à toute la famille.

Triste fresque que nous dépeint Balzac sur l'institution du mariage, contrainte par les codes moraux de la bonne société de l'époque. Ils ne laissaient que peu de latitude à la jeune épousée. On ne défait pas en ce temps un mariage qui n'a pas répondu aux aspirations légitimes. On le subit. Et la soumission étend son préjudice sur plusieurs générations quand les enfants n'y trouvent pas leur compte en termes d'affection. Les solitudes s'additionnent sans se compenser, les rancoeurs se multiplient sans s'abolir.

Si l'on n'est pas surpris dans un roman balzacien par les longueurs descriptives et l'interprétation des sentiments au travers de chaque geste ou attitude, on l'est plus par la structure de cet ouvrage qui agglomère ce qui aurait pu s'éditer en six nouvelles. On est encore plus déstabilisé par les alternances de rythme qu'il imprime à ce périple romanesque dans lequel certains passages nous versent sans transition des atermoiements du cœur à l'aventure la plus folle. Y compris quand il faut déchoir une fortune bien assise par des spéculations hasardeuses et jeter sa victime dans un exil américain. Le roman sentimental se fait roman d'aventure aux multiples rebondissements.

Une lecture en forme de goutte d'eau dans l'océan qu'a été la production littéraire de Balzac. Immense bibliographie qui a le mérite de nous dépeindre par le détail les mœurs de son temps. Un ouvrage qui est arrivé à point dans mon parcours de lecture pour compléter un de ces cycles historiques auquel je m'adonne parfois avec appétit. Je venais de refermer le siècle des lumières et l'Été des quatre rois (Charles X et consort) que j'avais beaucoup apprécié, au-delà des références historiques précises, par la qualité de sons écriture.


jeudi 28 novembre 2019

L'été des quatre rois ~~~~ Camille Pascal




Si la qualité de l'écriture pouvait réconcilier avec l'histoire ceux qui sont fâchés avec elle, je ne saurais trop leur conseiller de lire Camille Pascal.

L'été des quatre rois est un roman dans lequel tous les faits historiques sont rigoureusement exacts, nous dit-on en avertissement. A croire que cet ouvrage ne s'inscrit dans le genre romanesque que par la richesse de son style. Un plaisir de lecture quand les ouvrages qui ne se revendiquent que d'histoire se montrent plus lapidaires, jusqu'à paraître rébarbatifs à l'amoureux de la belle écriture.

Celui qui accédera au trône en 1830 sera roi des Français. Il n'y aura plus de roi de France après les trois glorieuses. Camille Pascal n'évoque d'ailleurs pas cette formule pompeuse. Quelle gloire y a-t-il en effet à remplacer un roi par un autre quand le peuple n'y trouve pas son compte ? Car il s'agit bien de cela en 1830. Le peuple qu'Alexandre Dumas érige en héros s'est fait voler la victoire. Les nouveaux puissants sont les banquiers et les industriels. Ils craignaient plus que tout le spectre de 1789. Ils ont propulsé la branche cadette au pouvoir en la personne de Louis-Philippe d'Orléans, digne héritier d'Henri IV. Il piaffait sur une voie de garage. Ce qui ne l'a pas empêché d'hésiter à s'asseoir sur le trône : "Il voulait bien condescendre à se baisser pour ramasser la couronne tombée dans le ruisseau mais refusait avec la plus grande énergie que le peuple la lui posât sur la tête." On n'en est pas moins aristocrate pour rien.

 Leur sang aura déteint sur le drapeau fleurdelisé et le tricolore redevenu drapeau national

Mais tout ne fut pas négatif dans cette défaite des humbles qui s'étaient fait hacher par la mitraille sur les barricades. Leur sang aura déteint sur le drapeau fleurdelisé et le tricolore redevenu drapeau national. La presse retrouve la liberté, le catholicisme perd son statut d'état, le droit de vote s'élargit, sans devenir universel pour autant, loin s'en faut encore. Ne parlons pas du vote des femmes, même si Olympe de Gouge clamait quelques décennies auparavant que si "une femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit aussi avoir le droit de monter à la tribune."

Alexandre Dumas, Stendhal, Alfred de Vigny, Victor Hugo, Gérard de Nerval, Balzac, Chateaubriand, de près ou de loin, d'un côté ou de l'autre, tous cités par Camille Pascal ont connu cette période. Elle a influencé leur oeuvre.

Ces trois journées ont mis définitivement un terme au règne des Bourbon. Charles X n'a régné que 6 ans, "pensant qu'il pouvait s'estimer heureux de s'en tirer avec un chapeau de paille là où le Christ avait été coiffé de la couronne d'épines et son frère du bonnet phrygien." Ce dernier Bourbon n'avait pas bien apprécié la puissance de la vague qui avait fait tomber la tête de son frère en 1793. Son périple vers l'exil est remarquablement relaté par Camille Pascal. Il est le seul roi de France à être inhumé à l'étranger, en Slovénie.

Il n'est que le diable boiteux, l'indémodable Talleyrand, pour ne s'offusquer de rien dans tout cela. A l'âge qu'il a en 1830, il a connu d'autres retournements de redingote. Son intelligence, son esprit et son parler assortis lui feront bien trouver audience auprès de qui le mettra à l'abri des soubresauts de l'histoire. Son pouvoir de séduction s'affranchit de toutes les laideurs.

Magnifique ouvrage de Camille Pascal qui n'a pas volé le Grand Prix du Roman de l'Académie française. Foi de néophyte que je suis.

Louis XIX le dauphin qui n'a régné qu'une heure

Les quatre rois : Charles X le déchu, Louis XIX le dauphin qui n'a régné qu'une heure, le temps pour lui d'apposer protocolairement sa signature sur l'acte d'abdication à laquelle son père l'associait d'autorité, Henri V, le petit fils de Charles, n'a connu que le chiffre dans l'ordre de succession mais pas la couronne. Le quatrième est l'élu. Celui des banquiers, Louis-Philippe d'Orléans, jusqu'aux prochaines barricades 18 ans plus tard. Mais n'en disons pas plus, seule l'histoire connaît l'avenir.


mardi 26 novembre 2019

Elle danse dans le noir ~~~~ René Frégni


 
Écrire, ne serait-ce pas prononcer silencieusement les mots qui n'ont pu franchir nos lèvres ? Ne serait-ce pas vaincre cette pudeur imbécile qui nous retient de dire Maman, je t'aime. Quand elle est là devant nous, avec ses gestes bénins qui ne sont rien que des gestes d'amour.

La déclaration de René Frégni faite à sa mère dans Elle danse dans le noir, beaucoup pourraient la reprendre à leur compte. Moi le premier. Encore lui a-t-il la compétence de le faire à la face du monde. Comme une revanche sur tous les silences qui ont étouffé les paroles.

Écrire, ne serait-ce pas donner libre cours à tous les rêves que la vie a tenu enfermés derrière nos paupières closes ? Rêves d'un amour sans tache, qui ne souffrirait pas de l'usure du quotidien. Un amour inoxydable qui ne verrait pas l'être aimé courir après ses propres chimères dans les bras d'un autre.

Écrire, ne serait-ce pas briser la solitude qui nous étreint dans un monde surpeuplé ?
Solitude qui ferait pencher vers le crime plutôt que sombrer dans l'indifférence. Ultime révolte contre l'impuissance à gouter le présent, à se laisser porter par son trop plein d'amour.

Écrire, ne serait-ce pas rappeler à soi les êtres aimés lorsqu'ils sont partis ? Trouver les mots qui les débusqueront où qu'ils soient, comme des limiers lancés sur leurs traces. Les mots qui les ramèneront autour ce soi, êtres transis du froid de l'absence, revenus se réchauffer autour du feu de l'amour.

Oui mais voilà, tout le monde ne sait pas écrire comme René Frégni. Beaucoup restent enfermés dans le mutisme assassin qui à force de les tenailler leur fait commettre le pire.

La vie n'est jamais aussi forte que lorsque les mots ont trouvé leur arrangement pour la libérer des inhibitions. René Frégni sait donner cette force à la vie. Surtout lorsqu'il tient la main de Marilou. Cette fille qui est aussi sa mère, parce qu'elle est la vie, parce qu'elle est l'amour.


mardi 12 novembre 2019

Piège à Bragny~~~~Bénédicte Rousset

 



On serait sur un thème léger, je dirai qu'il a voulu emprunter le chemin du Père Noël et que cela ne lui a pas porté chance. Et sa mort, puisqu'il s'agit bien de cela, va donner le coup d'envoi à une intrigue avec laquelle j'ai eu du mal à prendre mes distances avant d'en connaître le dénouement. Seulement voilà, le roman que je viens de lire de Bénédicte Rousset ne flirte pas avec la légèreté, loin s'en faut. Genre policier noir, aussi noir que peut l'être la vengeance. Aussi machiavélique que peuvent l'être ceux qui ont décidé de goûter ce plat refroidi, le temps de mettre sur pied leur manigance mortelle.

L'ouvrage est court, fort heureusement pour mon temps de sommeil. Roman haletant qui met en scène le commissaire Adrian Berthier dont Bénédicte Rousset a décidé de faire un héros récurrent. On le retrouve dans les trois ouvrages suivants selon l'avertissement de l'éditeur.

J'avais fait sa connaissance avec Romilda, quatrième roman de cette auteure prometteuse. Cet ouvrage m'avait séduit et encouragé à découvrir ses premiers pas à satisfaire son goût pour l'écriture. L'intérêt du modeste lecteur que je suis l'encourage à lancer le commissaire Berthier sur d'autres pistes criminelles.

L'imagination ne semble pas lui faire défaut pour nous procurer quelques frissons et nous priver de notre libre arbitre tant il difficile de laisser notre héros en mauvaise posture. Il nous faut à toute force connaître la façon dont il va se tirer du mauvais pas dans lequel il est venu se fourrer, poussé par une conscience professionnelle qui en contrepartie rend sa vie amoureuse chaotique.

Adrian Berthier, voilà un héros qui nous réconcilie avec notre culture nationale, nous qui sommes abreuvés jusqu'à plus soif de la concurrente américaine envahissante. Artificielle et irréaliste à souhait. Un héros vrai donc, que ce commissaire avignonnais, ancré en ce pays que nous aimons reconnaître au fil de ses pérégrinations. Un héros qui n'a pas le pistolet greffé au poignet, comme ses homologues défiant les lois de la physique à l'écran, ni la solution de son énigme sur le clavier de son ordinateur.

Mais quand même, imaginer la mort de son cambrioleur en pareilles conditions, elle ne m'a pas volé que des heures de sommeil, cette fois c'est sûr j'ai fini de croire au Père Noël. C'est un roman très noir, prenant, qui ne rebutera pas les amateurs du genre. Et puis, il s'agit d'un héros récurrent. Ce n'est rien dévoiler de dire qu'il s'en sort. Mais ce dénouement n'est qu'accessoire. Il y a d'autres intérêts à pareille lecture.


lundi 11 novembre 2019

Dernier arrêt avant l'automne ~~~~ René Frégni

 



Depuis plusieurs mois les mots se faisaient tirer l'oreille. Ils coulaient bien de sa plume vers les pages de ses cahiers mais rechignaient à s'organiser en tirades, ces farandoles qui dansent sous nos yeux toujours plus avides de rêves. Depuis plusieurs mois René Frégni était en panne. Destin hasardeux que celui qui s'en remet à l'inspiration pour subsister.

Dernier arrêt avant l'automne est quand même venu à terme. Sans doute à cause de la violence de ce monde. L'esprit ankylosé par la nostalgie de l'automne pointant son nez, le chorégraphe des mots avait trouvé compensation à son déboire dans l'ermitage qu'il avait investi, le monastère de Ségriès, profitant d'un emploi sans rendement à justifier. Une aubaine pour qui sait goûter l'instant présent à se remplir les yeux des couleurs de l'automne, les poumons de l'air des collines, se goinfrer de mots. Quand ils veulent bien pousser en son jardin secret.

Pourquoi l'homme ne se satisfait-il pas de jouir de la vie devant le spectacle de la nature ? A se suffire de peu. Pourquoi a-t-il donc fallu que l'humaine nature se rappelle à ses yeux horrifiés et qu'un cadavre sorte de terre sous le groin fouisseur d'un sanglier ? Extirpant soudain le contemplateur débonnaire de son engourdissement à l'approche de l'hiver ?

la béatitude qu'il insuffle au fil de ses pages

La Fiancée des corbeaux, mon premier Frégni, m'avait engagé à poursuivre ma découverte de l'auteur. Joignant le geste à l'intention, j'ai lu sa dernière parution. L'envie de poursuivre dans son univers me gagne alors, l'envie de remonter le temps avec d'autres de ses écrits, de m'inclure dans la béatitude qu'il insuffle au fil de ses pages. On est porté avec lui à déplorer que le monde ne soit pas comme la fresque paisible et colorée de cette Provence qu'il honore si bien de son verbe poétique. A déplorer que la vie ne se suffise pas à boire à la source de l'amitié.

René Frégni est porté à aimer les autres au point de leur pardonner l'impardonnable. Il a l'obsession de déceler dans le tréfonds de leur âme la petite flamme d'humanité qui absoudra du pire. Car les hommes font des bêtises. Beaucoup trop. Mais en sont-ils responsables dans l'âpreté de ce monde s'interroge René Frégni ? Peut-être n'ont-ils pas tous eu la chance d'avoir une mère aimante, comme le fut la sienne. Il la vénère et nous en fait témoins à grands renfort d'élans nostalgiques.

un monde dont la violence rôde autour de lui

Dernier arrêt avant l'automne est un ouvrage à deux vitesses. Celle d'un René Frégni qui vit au rythme de la nature et la célèbre de son style savoureux, et celle d'un monde dont la violence rôde autour de lui et s'exprime par la voix d'une autorité publique dont on perçoit qu'elle n'est pas la sienne. Le bémol à ces élans humanistes prompts à réhabiliter celui qui a fauté serait de penser aux victimes. L'homme n'est jamais aussi grand que lorsqu'il assume ses écarts. Mais chacun son rôle, quand d'aucuns revêtus de l'uniforme chassent le coupable, l'écrivain cherche l'innocent au fond de lui. C'est sa marque de fabrique à René Frégni.


vendredi 8 novembre 2019

Romilda~~~~Bénédicte Rousset

 


"Comment pouvons-nous nous sentir plus réels dans ce que nous écrivons que dans ce que nous ressentons au fond de nous ?" C'est Romilda qui s'interroge en ces mots. Elle tente de s'extirper de la réalité. Profonde blessure que sa réalité. Son mari vient de l'abandonner. Pire que cela, il est parti avec l'autre amour de sa vie : sa complice, sa confidente, sa petite sœur.

Comment imaginer que ces paroles prêtées à Romilda pourraient ne pas s'appliquer pas à son auteure, Bénédicte Rousset. Tant filtre son implication de femme sensible dans ces lignes. En particulier dans les lettres qu'elle fera écrire à son héroïne, laquelle donne son nom à ce roman, fort réussi à mon goût.

J'ai fait connaissance avec cette auteure grâce à cet ouvrage. Mais pas seulement, elle me l'a dédicacé lors d'une rencontre en librairie. Le plaisir de l'échange s'est prolongé avec la lecture de celui-ci.

Un roman sur fonds d'enquête qui s'inscrit dans le genre policier. Étiquette que je serais tenté de contester, tant j'ai été séduit par l'autre genre qui colle à ces lignes. Dirais-je que c'est un roman d'amour qu'on l'affublerait ipso facto d'une couche de mièvrerie. Qu'il n'a pas. C'est un roman sensible dans ce qu'il touche le coeur, sensuel dans ce qu'il implique le corps. Un roman auquel il est difficile de mettre une étiquette justement. C'est un beau roman, c'est une belle histoire dit la chanson. Un roman qui restitue à l'amour ses lettres de noblesse quand il a été piétiné.

L'artifice de construction choisi par Bénédicte Rousset pour son ouvrage est très original. Il parvient à magnifier l'amour avec une étonnante force suggestive. Une force qui assujettit le lecteur. Romilda a découvert des lettres. Un paquet de lettres étiqueté "correspondance militaire". Elles datent de 1914 pour les premières. Les hommes sont partis s'engluer dans les tranchées. Les épouses, les fiancées livrées à l'attente angoissée. Des lettres pour relier les deux. Des mots simples pour se rappeler la vie ensemble. Douceur devenue souvenir et espoir d'avenir en même temps. Des lettres d'amour. Des lettres qui retracent des moments de vie. Des lettres qui figent sur le papier à l'encre bleue les confidences de gens simples. Ils se confient sous leur plume souvent beaucoup plus qu'ils ne l'ont jamais fait de vive voix. C'est la force de l'écrit que célèbre Bénédicte Rousset.

Ces lettres découvertes au hasard, Romilda se les approprie. Commence alors pour elle un sauvetage. Le sien accessoirement. Mais aussi et surtout celui de l'Amour.

Elle se les approprie au point de répondre à Félix. Il avait été mobilisé lui aussi, même s'il a échappé au cloaque des tranchées. Tant pis si elle prend la place de l'autre, la destinataire. Il y a prescription. Elle écrit des réponses aux lettres de Félix. Des lettres dans lesquelles elle se livre corps et âme, sans amertume. Avec la conviction de reconstruire quelque chose. Des lettres qui pourtant ne partiront pas, mais qu'importe. Des lettres qu'elle destine à elle-même finalement. Une correspondance audacieuse pour se dire qu'elle peut encore aimer. Des lettres pour réhabiliter l'amour. Lui redonner son statut dans la vie des hommes.

Romilda se construit ainsi un amour intouchable. Personne ne lui volera plus. Et pour cause, Félix est mort depuis longtemps. Son amie Laura se moque d'elle. Romilda n'en a cure. Les lettres de Romilda sont une évasion du gouffre de l'abandon dans lequel elle a été précipitée depuis la trahison d'Adam, son mari.

"L'écriture c'est aussi donner la parole à nos émotions et leur accorder un sens à partager". Romilda écrit ce trop-plein d'amour qui bout en elle et qui vient d'être foulé aux pieds. Ses lettres soulagent son coeur, sèchent ses larmes. Romilda les nimbe du fantasme de l'amour célébré. Ambitieux, souverain. L'amour dans l'absence ne craint pas l'usure du quotidien. L'amour au féminin, intérieur. L'amour dans lequel la sensualité n'est pas une fin mais une manifestation, une preuve. Une preuve brûlante comme la main qui effleure la peau de l'être aimé. L'amour incarné.

L'amour se réalise, enfin. Promesse d'un avenir tendre, qui dure au-delà de la vie.

Alors roman policier ? Le croirez-vous après avoir lu ces lignes ? C'est pourtant écrit sur la couverture. Oui, il y a bien une enquête. Une enquête qui n'attend pas la dernière page pour dénouer l'énigme et dénoncer l'assassin. Parce que cette enquête, elle met à jour une autre facette de la nature humaine. Un autre sauvetage. Celui d'une grandeur de la nature humaine. Une fois n'est pas coutume. C'est tout sauf compassé, c'est bien construit. J'ai aimé votre roman Bénédicte Rousset. "L'heureux moment partagé" de votre dédicace en conclusion de notre brève rencontre s'est prolongé sous mes yeux avec Romilda.

J'ai aimé votre intelligence d'écriture pour dire l'amour. J'ai aimé que le roman prenne de la hauteur avec les références culturelles que votre compétence vous autorise. J'ai aimé que ce ne soit pas un ouvrage féministe, ni un plaidoyer larmoyant en faveur de la femme abandonnée. C'est un ouvrage sur la vie des Hommes, dans ce que cela englobe des deux sexes, confrontés à leur incompréhension réciproque dans ce qui les unit et finit par les séparer. Mystère insondable de l'amour. La naissance du désir qui porte les êtres l'un vers l'autre et les met en danger dans le même temps. Le danger de l'assouvissement. L'amour peut-il survivre à son assouvissement ?

La réponse c'est vous qui la donnez. Quand on lit ces mots de vous page 45. L'amour peut s'accomplir quand il débouche sur … "La famille, ce soupirail sur un monde enchanté".


samedi 2 novembre 2019

Lolita ~~~~ Vladimir Nabokov

 



Une belle écriture au service de l'interdit. Un tel ouvrage proposé à l'édition de nos jours ne manquerait pas de faire débat, tant le sujet qu'il aborde - la pédophilie - est éminemment sensible. La gageure avec pareil ouvrage étant de ne pas faire la promotion du vice.

Avec cette narration à la première personne, Nabokov se place dans la peau de celui qui se fait appeler Humbert Humbert, prénom redoublé pour quelqu'un qu'il convient bien d'affubler d'une personnalité dysharmonique selon les termes employés par les spécialistes du comportement. Trouble méprisant les différences de générations pour donner libre cours chez l'adulte à une attirance pour de jeunes, voire très jeunes mineurs.

La nature prédisposant l'homme à la fascination de ce qui lui échappe, la hantise de la fuite de la jeunesse est l'archétype du phénomène propre à générer des fantasmes pervers. De la nostalgie au fantasme, la limite est floue. Du fantasme au passage à l'acte, il y a un fossé que Nabokov fait franchir à son personnage. Animé par les pulsions irrépressibles de son désir, il ira jusqu'à épouser la mère de la nymphette, pour laquelle il n'éprouve pourtant qu'antipathie, afin de vivre dans la proximité de la jeune élue de son coeur, et se voir attribuer un statut de "protecteur". Sombre calcul.

Nabokov dresse un tableau unilatéral d'une relation singulière, toutefois dénuée d'obscénité, relatée par Humbert lui-même, avec la pleine lucidité de la transgression qu'il fait des codes moraux. Et au-delà de ça le mépris de la personne qu'est déjà l'enfant. Le ressenti de la petite Lolita est en effet fort peu abordé. Celle qu'il convient d'appeler la victime n'est connue que par le regard de l'autre, la privant ainsi de l'expression de sa propre souffrance. Car sans la comprendre, Lolita a bien perçu l'anormalité de la relation qu'Humbert lui impose. Les frasques de son comportement prouvent qu'en revanche elle a déjà compris l'ascendant qu'elle avait pris sur son méprisable soupirant, entré quant à lui dans la dépendance de sa juvénilité. Son comportement capricieux est sa manière de se révolter car elle n'a pas encore la force de se refuser à lui. La comblant d'attentions, le manipulateur a alors champ libre pour assouvir ses bas instincts.

Que ressent-elle ? Elle ne le dit pas. de la trahison, de la faiblesse, de la perte d'estime de soi, de la souillure. Sans doute tout cela à la fois. Une chose est certaine, les sens conservant la mémoire des actes, la petite personne est gagnée par la honte et la culpabilité, lesquelles l'enferment dans le silence.

Le héros de Nabokov n'est toutefois pas dénué de sincérité dans ses sentiments. Il est amoureux. Mais il n'a cure de réciprocité pour s'approprier le corps de l'élue de son coeur. Appétit insatiable généré par les strates profondes du désir. Il ne se soucie alors aucunement de la souffrance de l'enfant devenue objet sexuel à sa disposition, puisque entraînée dans un périple en solitaires après la décès de sa mère.

L'écriture est brillante. Le fonds documentaire est riche. Le vocabulaire recherché, parois abscons, met à l'épreuve le bagage culturel du lecteur. Quelques longueurs alourdissent certains passages, sans nuire toutefois à la fluidité d'une plume inspirée et ambitieuse, laquelle fait ainsi contre poids à un sujet lourd. Cette écriture restitue à l'ouvrage la sensualité que la narration du vice lui faire perdre, au point que le lecteur doit prendre garde de ne pas se laisser séduire par le texte et devenir l'avocat du diable. Car il n'est jamais question d'impudeur dans cet ouvrage pour évoquer ce comportement déviant. Convaincu de la sincérité de ses sentiments, Humbert se confie plus qu'il ne se confesse.

Très belle écriture donc, qui aurait gagné en considération à mon sens en donnant la parole à ce qu'il convient bien d'appeler la victime et faire comprendre son vécu intime. Mais le genre romanesque est ainsi, l'auteur assume sa liberté.


mardi 22 octobre 2019

La mort est mon métier ~~~~ Robert Merle


J'ai toujours eu un peu de mal avec le genre romanesque lorsqu'il aborde le thème de la Shoah. Je me demande si le sujet ne devrait pas être réservé aux seuls témoignages. D'aucuns diront qu'il n'est pas de sujet interdit à la liberté qui prévaut dans le genre. Reste à juger de la façon dont cette indépendance s'exprime.

Averti comme je le fus, en choisissant cet ouvrage, du genre adopté par son auteur après avoir lu la préface qu'il a rédigée 20 ans après sa parution, je me suis posé la question de savoir ce que ce choix, fait par Robert Merle pour écrire La mort est mon métier, apportait de plus à la connaissance de ce chapitre noir de l'histoire de l'humanité. S'agissant de relater des faits historiques avérés.

Pouvait-on suspecter la simple exploitation d'un thème éminemment douloureux à des fins mercantiles ou de satisfaction personnelle ? Si la quête d'un lectorat nombreux ne peut-être niée par un auteur, j'ai voulu savoir ce que pareil ouvrage présentait de sincérité.

Rudolph Hoess pouvait faire cohabiter sans confusion dans la même personne qu'il était sa vie de père de famille, certes peu démonstratif en termes d'affection auprès des siens, et son autre vie qu'on a du mal à qualifier de professionnelle lorsqu'il quittait le domicile familial, celle d'un des plus grands monstres de froideur inhumaine que la terre n’ait jamais porté.

C'est le procédé narratif adopté par l'auteur qui diffère de ce que peuvent apporter les témoignages. Ce "je", qui fait intervenir son personnage à la première personne pour nous faire la narration du parcours de ce dernier, participe à la compréhension de la complexion de celui-ci. Il était devenu le rouage d'une entreprise emballée dans la spirale de la haine, se gardant bien d'en juger les fondements. Position qui lui servira d'argument de défense lors de son procès. Sa déontologie à lui étant l'obéissance à une cause et une hiérarchie mise au service de cette dernière. Peu importe les théories qui en échafaudaient les principes.

Sans négliger les travestissements exigés par le genre choisi par son auteur, sa lecture m'a confirmé dans le bien-fondé de l'intention de cet ouvrage avec l'apport supplémentaire du mode narratif choisi. Cet ouvrage ne place plus le lecteur en spectateur extérieur aux faits relatés, mais lui fait endosser le costume et le mécanisme mental qui va avec. C'est un ouvrage qui vous glace le sang car on sait que les outrances, s'il y en comporte dans le registre de l'horreur, seront toujours en dessous de la réalité.

C'est une lecture pénible dans ce qu'elle impose au lecteur, qu'on ne peut recommander comme on le ferait de n'importe quel roman qui nous a séduit. Un ouvrage dont le récit par la force des choses s'arrête au pied de la potence. En sachant que cette fin ne résout rien. Mais un ouvrage qui a son intérêt, parce qu'il concerne la nature humaine dont on ne peut pas se désolidariser quand elle est abjecte et la rejoindre quand l'amour est au rendez-vous. Il faut savoir ne pas ignorer pour conserver sa vigilance.


dimanche 20 octobre 2019

L'âme brisée ~~~~ Akira Mizubayashi

 



la matière sonore
Un violon a une âme. Ce n'est pas seulement cette petite pièce d'épicéa qui, placée sous le chevalet, transfert les sons de la table d'harmonie vers le fond de l'instrument. L'âme du violon c'est aussi sa sonorité. Elle caractérise sa personnalité propre. Lorsque la mèche de l'archet évolue sur les cordes et fait naître ce qu'Akira Mizubayashi désigne comme "la matière sonore", l'instrument-objet s'éveille, s'anime, prend vie. Sa sonorité stimule la sensibilité humaine. Érigée en principe d'immortalité, l'âme de l'instrument entre alors en connivence avec celle de qui perçoit la magie des vibrations sublimes.

Kurokami doit se traduire par Dieu Noir. Choisi à dessein pour sublimer le personnage, c'était le nom de cet officier qui, dans le Japon d'avant-guerre, avait ramassé le violon piétiné par son subalterne, lequel exerçait son zèle à la chasse aux sorcières pacifistes. le lieutenant Kurokami avait alors confié l'instrument mutilé à l'enfant découvert dans sa cachette. Son père venait d'être arrêté par les siens en pleine répétition. Il n'a pu sauver le père. Il a épargné l'enfant.

Suprême communion qui fera revivre l'un et l'autre, l'instrument et l'être aimé

Une fois entré dans la compréhension du malheur qui venait de le frapper, ce dernier s'est fixé pour raison de vivre de reconstruire le violon de son père. Adopté par un couple de Français, il est devenu luthier. Reconstruire le violon c'était lui redonner son âme. C'était faire renaître celui qui avait fait vibrer ses cordes : son père. Suprême communion qui fera revivre l'un et l'autre, l'instrument et l'être aimé, dans des circonstances qu'il ne faut pas dévoiler dans ces lignes mais me font saluer une nouvelle fois cet auteur qui m'avait captivé avec Petit éloge de l'errance.

Akira Mizubayashi, l'auteur à la double culture nous adresse là encore un éloquent plaidoyer contre les dérives autoritaires et son corollaire, la haine. Sentiment aveugle et nauséabond, capable de commettre l'outrage suprême, anéantir des artisans de paix : le musicien et son instrument.

Âme brisée est ouvrage d'autant plus fort que, sur un thème artistique qui conduira les uns et les autres lecteurs à s'enquérir des références musicales qu'il comporte, le texte est doux et lent. C'est une mélodie nostalgique que le violon interprète à l'oreille du lecteur subjugué. C'est un superbe roman.


Akira Mizubayashi
Akira Mizubayashi est un écrivain japonais d'expression japonaise et française, né le 5 août 1951 à Sakata au Japon