Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire
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jeudi 1 août 2019

Plateforme ~~~~ Michel Houellebecq



Éminent chroniqueur des faits et gestes de ses contemporains, Houellebecq s'est intéressé au spécimen de la classe moyenne tout juste doté pour aller se consoler de sa misère affective dans les lieux de plaisir au travers de la planète. Les besoins de première nécessité ont évolué depuis qu'on se préoccupait avant tout de se nourrir et se loger.

Chemise à fleurs, tongs et bermuda, élégances spirituelle et comportementale assorties, valent à ce spécimen le sobriquet de « beauf ». le tourisme sexuel, puisqu'il s'agit de cela, est un sujet de chronique qu'on ne s'étonne pas vraiment de trouver sous la plume du futur Goncourt 2010, n'est-il pas ? (Plateforme paraît en 2001)

Il fallait donc s'attendre à ce que l'étude de marketing conduite par le tour opérateur, à laquelle son héros va se retrouver incidemment associé, soit ponctuée d'exercices pratiques détaillés par le menu. C'est confirmé. Tout y est : ingrédients, temps de cuisson, température du four et tournemain du maître-queux. Qu'en pareille contexte on peut sans vergogne travestir en maître-queue. Elle était facile, je vous l'accorde, je n'ai pas pu résister.

Bref, un instant de honte étant quand même vite passé, pour dire ce que m'inspire cet ouvrage, je formulerai seulement le vœu, à l'adresse de notre truculent prosateur national, que sa vie amoureuse soit aussi intense et harmonieuse que celle de son héros, lequel intervient à la première personne dans cet ouvrage. A moins que les écrits ne viennent en consolation de quelques frustrations opiniâtres, assorties d'angoisses existentielles dont on sait, il nous en a convaincu, que ces dernières sont largement atténuées par une pratique assidue de l'exercice physique qui fait se concilier les contraires le temps d'une trêve, toujours trop courte il nous l'enseigne aussi.

C'est mon troisième Houellebecq. J'arrive certes un peu tardivement dans cet univers de cacophonie des sens, mais il faut varier les genres, et j'ai donc confirmé avec celui-ci la maîtrise du verbe que je lui avais découvert dans les deux autres. Maîtrise du verbe donc, plutôt cru, et qui vaut à notre goncourisé son lot d'inconditionnels, justement équilibré par le nombre de ses détracteurs. le bilan étant quand même positif puisque les inconditionnels achètent alors qu'on n'est pas obligé de dédommager les détracteurs. Cette maestria dans la pratique de la langue (française), qui sied aux inconditionnels et leur sert à justifier leur penchant, est à la hauteur de celle de la grammaire du Kama sutra avantageusement imagée dans la production littéraire de notre auteur à la tant convoitée jaquette rouge.

J'ai retrouvé avec intérêt – alors inconditionnel ou détracteur ? - un auteur désabusé, qui se complait à se dépeindre sous les traits d'un contemporain obstinément médiocre, en panne de raison de vivre, avec en prime une critique acerbe de notre bonne vieille société européenne. Même si c'est toujours émoustillant à souhait, l'intérêt n'est pas que là. Il faut savoir hausser le débat avec Houellebecq. Il y a malgré tout une morale à cette histoire, le sujet est quand même grave. A trop se vautrer dans la luxure, on se prépare des lendemains incertains et plus dure sera la chute. Et avec Plateforme, elle est sévère, et rédhibitoire. Il ne faut pas non plus effrayer les inconditionnels et leur laisser quand même des arguments pour défendre l'indéfendable. Ils peuvent eux-aussi avoir des scrupules à la bacchanale impunie.

La performance littéraire n'allant pas de pair avec la performance physique, je ne pense pas que ce soit le meilleur Houellebecq. J'en ai deux autres qui arrivent pour consolider cette opinion de novice. Je subodore le thème choisi à dessein pour donner libre cours à une imagination libérée de toute convenance. Je n'irai pas jusqu'à dire que cet ouvrage devait être alimentaire, ce serait ramener le sujet à un besoin physiologique de première nécessité et cela risque de rester sur l'estomac de certains, mais soit, beauf s'écrira bof pour une fois. Notre Houellebecq national fera mieux, dix ans plus tard.


vendredi 31 mai 2019

Né d'aucune femme ~~~~ Franck Bouysse


Après Grossir le ciel et Plateau, Né d'aucune femme est mon troisième Frank Bouysse. A la lecture de Plateau, je lui avais reproché de mettre mon vocabulaire à l'épreuve. Il faut dire qu'il n'y était pas allé de main morte en employant mots et expressions qui feraient un carnage dans un quizz sur Babelio. Je laisse aux forts en thème le soin de jauger leur niveau à la lecture d'un florilège que j'avais souligné dans mon intervention sur Babelio. J'en profitais pour mettre en garde l'auteur contre le piège de la sophistication.

Avec Né d'aucune femme, il a tenu compte de mon conseil. Il est revenu à un parler que l'on comprend d'autant mieux qu'il malmène allègrement notre sacro-sainte vieille grammaire, comme on se plaît à le faire dans nos conversations de tous les jours. Un parler que nos instituteurs, pas encore professeurs des écoles, se sont évertués à tenter de dégraisser de ses idiomes et autres tournures exotico-argotiques. Mais avec cet ouvrage, Franck Bouysse nous offre une autre forme de mise à l'épreuve.

Cette fois, noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir.

Ce vers extrait d'une chanson bien connue de notre rocker national récemment disparu va comme un gant à cet ouvrage. J'ai failli craquer. Il n'y a vraiment plus d'espoir. On a franchi un cap dans la déprime. J'ai failli ne pas aller au bout tellement la marteau-thérapie du malheur y est allée fort pour écraser toute velléité de voir émerger le moindre petit bonheur.

Mais quand il n'y a plus d'espoir, on se prend toujours à espérer. On est comme ça. On ne veut pas croire qu'il n'y ait plus d'espoir. Et espérer quand il n'y a plus d'espoir, ça s'appelle croire au miracle. C'est pour cela que je suis allé au bout du tunnel. Et seuls ceux qui y sont allés aussi savent s'il y a de la lumière au bout du tunnel. Cet ouvrage, c'est comme le boyau du malheur dans lequel on rampe en quête d'air pur, qui se rétrécit au fur et à mesure de la progression, jusqu'à étouffer son lecteur dans l'enfermement d'une solitude oppressante. Claustrophobie mentale.

La victime sur laquelle Frank Bouysse s'acharne avec son style en forme de flagellation s'appelle Rose. Elle a été vendue par son père à un riche propriétaire en mal de descendance. Rose vivra un martyre. Elle nous dit dans les cahiers qu'elle rédige, pour témoigner de son calvaire à la postérité, et exister enfin, ne pas savoir trouver les mots pour exprimer son désarroi. Frank Bouysse le fait pour elle. Il le fait si bien qu'on voudrait lui tendre la main à Rose. C'est pour cela qu'on va jusqu'au bout. On veut savoir si les cahiers que Rose a pu faire parvenir à un prêtre seront sa seule échappatoire à la spirale de la négation de la personne dans laquelle il a enfermé sa victime.

Aux constantes que l'on retrouve dans ces trois ouvrages de Frank Bouysse - un ancrage dans le monde rural, des personnages rustiques au point d'en devenir associables, un acharnement du sort sur un héros qui devient victime de son auteur, et un épilogue qui reste à deviner, ouverture incertaine vers l'espoir, quand même - à ces constantes on ajoutera dans ce dernier ouvrage, Né d'aucune femme, une cruauté froide qui glace le sang.

Un roman qui m'a fait marquer une hésitation en son milieu quant à le terminer. Je suis quand même allé au bout.


lundi 18 mars 2019

Le chagrin ~~~~ Lionel Duroy

 



Pour se construire un enfant a besoin de deux apports primordiaux : l'amour et la sécurité. Deux ingrédients qui ont fait cruellement défaut à William Dunoyer de Pranassac, parmi les aînés d'une fratrie de dix enfants, dont on aura compris qu'il n'est autre que l'auteur de cet ouvrage. Récit qui avec cette transposition devient roman. Celui d'une enfance dilapidée par des parents inconséquents.

Pourquoi éprouver le besoin de publier d'une histoire de famille dans son intimité, quand l'auteur sait que cette intention sera dévastatrice, qu'elle le projettera dans l'isolement et ira même jusqu'à lui donner des intentions suicidaires. A la part d'exhibitionnisme ou de dénonciation que d'aucuns seraient tenter de lui prêter on préfère y substituer l'avidité à renaître qui anime l'intention tant on est convaincu de sincérité à la lecture de cet ouvrage.

Le chagrin de Lionel Duroy, publié en 2010, est un livre pour en justifier un autre. Publié en 1990, Priez pour nous s'est imposé à son auteur pour l'extirper du champ de ruines dans lequel il a grandi. Ce n'est pas pour rien qu'en séjour dans les Balkans pendant la guerre de Bosnie en 1993, Lionel Duroy est fasciné d'horreur à la vue des maisons détruites. Elles étaient des foyers de vie familiale. Symbole pour lui de ce qui aurait dû être et rester un havre de sécurité et un sanctuaire d'intimité. Il y fait le rapprochement avec son sort.

Dans le chagrin, Lionel Duroy explique pourquoi et comment envers et contre tout il devait faire table rase d'un passé honni. Quelles qu'en soient les conséquences. Fût-ce au prix de la perte de toute sa famille, père, mère bien sûr, les artisans du désastre, mais aussi frères et soeurs qui l'ont sommé sans succès de renoncer à étaler sur la place publique l'indignité de parents qui, au moment de la parution de son ouvrage salvateur, sont parvenus à l'automne de leur vie. Perte de son épouse aussi. Désert affectif après la bombe de la révélation. Si ce n'était deux enfants qu'il faut eux-mêmes protégés du désastre après le départ de leur mère.

Le chagrin suinte entre les lignes de cet ouvrage. Le problème avec l'enfance, c'est qu'on en a qu'une et quand elle est gaspillée, c'est pour la vie. On n'en guérit pas. L'amertume est ancrée dans la personne. Pas de retour en arrière possible. Mais peut être une autre force de vie peut-elle faciliter le chemin vers l'avant. Ce que lui apportera sa deuxième épouse.

Difficile de parler de cet ouvrage sans évoquer cet autre qu'il faut maintenant lire. Celui qui ouvre la carrière d'écrivain de Lionel Duroy. le livre à la fois dévastateur et refondateur. le sauvetage commençant par une déferlante de haine à l'égard de ceux qui ont étouffé le rêve. Ce rêve nécessaire à tout enfant imaginant son avenir.


jeudi 20 décembre 2018

Europa ~~~~ Romain gary

 


Toute l'œuvre de Romain Gary est centrée sur l'échec. Échec de l'Homme à se construire une destinée à la hauteur du mystère de la vie. Échec du même à vivre en harmonie avec ses congénères, son environnement. Échec de la civilisation qu'il a façonnée à canaliser les individualités en une communauté de prospérité. Et pour le thème de cet ouvrage, échec de l'utopie européenne. Nous sommes en 1971. A-t-on progressé en 2018 quand d'aucuns sont tentés de retrouver en notre époque le climat des années 30, avec la crainte que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets ?

Et Romain Gary de regretter que la vieille civilisation occidentale n'ait pas su concrétiser les espoirs fous qu'avait vu naître le siècle des lumières : le mythe d'une Europe de la culture, qui aurait fait ses humanités, stimulée par la langue française, laquelle brillait de tous ses feux dans les cours européennes.

le faussaire sublime mais sincère

Romain Gary, le faussaire sublime mais sincère, le rêveur qui n'a su dompter ses cauchemars nous étonne encore une fois avec sa verve inspirée et intarissable dans un roman labyrinthique. Une fois de plus il choisit la dérision pour leurrer son désespoir et contenir sa colère d'être le témoin d'une civilisation qui, si évoluée soit-elle, n'a su maîtriser ses démons.

Le Temps comme le Destin prennent la majuscule dans Europa, en signe de soumission de l'homme à ces deux concepts qui gouvernent sa vie. Il faut dire qu'ils en prennent à leur aise. le Temps à se jouer des chronologies, ne craignant ni les anachronismes ni les alternances de rythme, le Destin à se complaire dans le mépris de sa proie. Au diable la cohérence dans un monde qui perd la raison, même si l'ouvrage peut devenir quelque peu indigeste à force d'acculturation.

Pareilles circonvolutions font durer l'instant encore et encore. Telle une ascension vers le nirvana, la vieille Hispano-Suiza de 1927 qui transporte Malwina, Erika et le Baron vers l'ambassadeur Danthès n'en finit plus gravir le chemin qui mène à la villa Italia. Elle est tellement chargée d'histoire, la grande et la petite, de faux espoirs et de regrets, tellement chargée de l'imaginaire d'un auteur fécond que la faire parvenir à son but serait donner raison au Temps et n'avoir aucune prise sur le Destin. Voilà pour l'entame d'un roman qui tire quelque peu en longueurs.

Roman difficile qu'il faut aborder avec l'intention, à chaque phrase, de saluer le talent d'un auteur et ne pas chercher à suivre le fil d'une intrigue. Romain Gary est parvenu à un stade de sa carrière d'écrivain où il peut s'autoriser la mise à l'épreuve de son lecteur, tester la force de son adhésion aux valeurs que lui-même a voulu défendre toute sa vie, tout au long de son œuvre

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jeudi 13 décembre 2018

Tulipe ~~~~ Romain gary



L
e Larousse définit le terme de "civilisation" comme l'ensemble des acquis d'une société qui la fait s'éloigner de l'état sauvage, et devenir un modèle pour l'avenir. Lorsque Romain Gary publie Tulipe, en 1946, il sort tout juste de la seconde guerre mondiale à laquelle il a participé dans les rangs des combattants de la France libre. Il émerge de l'inimaginable de la part d'une société civilisée. Les horreurs de la guerre l'ont touché au plus profond de lui-même.

Il produit alors cet ouvrage débridé par lequel il exprime sa répugnance à l'égard de la barbarie dont il a pu être le témoin. Telle barbarie ne peut être le fruit d'une grande civilisation. Romain Gary emploiera son énergie à la dénoncer tout au long de sa carrière d'écrivain. A bout d'argument dans la colère et l'indignation, il choisira souvent de traiter le sujet par la dérision. Prendre le contre-pied de ses sentiments les plus immédiats lui semble évident pour exprimer son mépris contre tout ce qui dégrade la grandeur de l'Homme.

Tulipe, le "Blanc Mahatma de Harlem", ainsi nommé par les quelques amis qui le soutiennent dans son combat pour dénoncer l'absurdité du monde, est un rescapé de Buchenwald. Il jette en désordre à la sagacité du lecteur tous les thèmes qui peupleront les ouvrages futurs de Romain Gary. Il y a urgence, au sortir de l'apocalypse, à réconcilier ceux qui viennent de s'entre déchirer, à dénoncer les dérives de l'être doué d'intelligence. Tout y passe : la haine de l'autre, la maltraitance animale, les crimes contre la nature et tant d'autres manifestations du comportement humain qui n'ont de cesse de rabaisser l'homme à l'état sauvage. Sauvage au sens de barbare, car les animaux sauvages ne sont pas barbares, même quand ils sont carnivores. Ils ne sont pas responsables de leur condition.

Tulipe est un ouvrage turbulent, déroutant. Le propos en devient incohérent, le discours désorganisé. Mais il faut y décoder le cri de désespoir qu'il comporte, au point de sombrer dans une forme de folie douce. Le lecteur qui découvrirait l'auteur aux deux prix Goncourt avec cet ouvrage pourrait fort bien discréditer à ses yeux la noble académie pour ses choix futurs avec pareille première impression. A celui-là, je dis de persister, d'avancer dans la grande œuvre de Romain Gary. La dérision est chez lui une marque de fabrique, il faut y trouver le fond d'humanité qu'elle véhicule et qui habite Romain Gary jusqu'à l'obsession.


lundi 18 juin 2018

Pays de neige ~~~~ Yasunari Kawabata

 


Les saisons s'imposent encore en Pays de neige, quand elles s'effacent dans le rythme trépidant des grandes métropoles nippones qui ont repoussé la nature au-delà de leurs banlieues surpeuplées. Shimamura vient en Pays de neige renouer avec la tradition, laquelle comporte ce rapport quasi mystique à la nature, l'implication de l'art dans toutes ses disciplines. Laquelle implique aussi les geishas: dames de compagnie au rôle ambigu supposées perpétuer le raffinement d'une culture millénaire très codifiée. Rôle que la culture occidentale apprécie mal dans son féminisme triomphant, le jugeant suranné ou dégradant pour la femme, voire les deux à la fois.

Dans les mêmes élans de volupté, le regard de Yasunari Kawabata oscille entre pittoresque du paysage et sensualité du corps de la femme. La nature est femme, la femme est nature, les mêlant parfois l'une à l'autre dans des métaphores à la poésie langoureuse. L'esthétique du texte dissimule habilement la teneur réelle de la relation entre cet homme d'affaires venu de Tokyo et Komako, la geisha. Beauté juvénile au visage poudré à l'égard de qui l'émotion se prolonge pour devenir sentiment. En pure offense au rituel coutumier.

"Beauté mélancolique, univers délicieusement morose", délicatesse, frôlement, frisson, les allusions nourrissent le phantasme. Tout est suggestion dans les sages conversations entre ces personnages aux gestes empruntés, drapés du lourd kimono traditionnel. Il n'y a que les frimas du Pays de neige pour venir lacérer les ambiances feutrées et rappeler au lecteur que la nature n'est pas que douceur. A l'instar de la vie des hommes.

 Télescopage des époques entre patine de la tradition rassurante et le glacé de la modernité, plus angoissant.


mercredi 13 juin 2018

Un homme ~~~~ Philip Roth

 



Voilà un ouvrage qui réduit la personne humaine à ce qu'elle serait sans le secours de la philosophie ou de la religion : ni plus ni moins que la locataire d'un corps avec un bail à durée déterminée.

Reste l'amour de son entourage pour supporter les affres de la vieillesse. Encore faut-il que le sujet vieillissant n'ait pas consacré sa vie à creuser le fossé de la discorde. C'est ce qui arrive à cet homme dont on ne connaîtra pas le nom et qui, le grand âge venu, prend la mesure du désert affectif qu'il a cultivé. Séparé de trois épouses, fâché avec ses fils, ne lui reste que l'attachement de sa fille. Il ne lui est toutefois pas du réconfort souhaité. Il le sait plus commandé par le devoir filial que par véritable amour. Aussi quand le corps se rappelle à la personne par ses maux, la solitude est d'autant plus corrosive.

Un homme est un roman peu réjouissant. C'est le style de l'auteur et son analyse des caractères qui entretiennent l'intérêt du lecteur. Cette écriture claire et simple m'encouragera à poursuivre ma découverte de l'auteur récemment disparu. Il faudra toutefois que le prochain ouvrage me plonge dans une atmosphère moins déprimante. J'espère que ce spleen affiché dès les premières pages autour du cercueil de l'homme n'est pas une constante chez cet auteur.

jeudi 30 novembre 2017

Auprès de moi toujours ~~~~ Kazuo Ishiguro

 


Jusqu'à ce que le mot qui lèvera le tabou soit prononcé en milieu d'ouvrage, l'esprit du lecteur est entretenu dans le mystère d'un vocabulaire éludant le sujet avec habileté. C'est ainsi qu'à Hailsham, dans cet établissement dont on comprend qu'il se tient à l'écart de la société civile au milieu de la campagne anglaise, le lecteur se familiarise avec ceux qui sont les gardiens, les juniors, futurs accompagnants, puis donneurs lorsque devenus adultes.

Des juniors que l'on chouchoute dans ce centre très particulier, hors de leur famille, on comprendra pourquoi, entretenu dans l'idée que leur avenir n'est pas d'en fonder une eux-mêmes, même si les relations sexuelles ne leur sont pas interdites. On ferme les yeux avec une tolérance pudique sur le sujet. C'est de toute façon sans risque.

L'âge de l'interrogation venu, sans remettre en cause leur statut, une obsession les tenaille : trouver leur "possible". Et espérer ainsi, sans oser le dire, devenir comme les autres.

Un pas a été franchi dans l'éthique. Le lecteur pénètre dans l'univers déprimant d'un monde bienveillant mais sans amour. Il en découvre la raison par infimes insinuations. Son sang se glace à la découverte de la raison de ce climat si particulier.

"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Le cœur n'y trouve pas son compte non plus. La montée en puissance très progressive de l'intensité dramatique du thème de cet ouvrage est réussie par une construction très habile. Un roman qui fait froid dans le dos car ce qui voulait être de l'anticipation ne l'est plus aujourd'hui. Il suffirait que … Mais bon ! Comptons sur la puissance de l'amour, si ce n'est de la raison.


vendredi 23 juin 2017

Labyrinthe du Monde - tome1 ~~~~ Marguerite Yourcenar


 

A souffrance égale tout au long de leur vie, Marguerite Yourcenar aurait-elle eu moins de compassion à l'égard des hommes que pour les animaux. Sans doute rend-elle les premiers responsables des dommages irréversibles que subit la nature pour les envelopper de cet humanisme froid qui se fige dans ses lignes. En ce début de vingtième siècle qui connaîtra l'explosion d'un tourisme de masse, aussi dévastateur pour les paysages du monde que l'est l'industrialisation, elle se confirme dans ses ouvrages comme un précurseur de l'écologie. Les passages évoquant le parcours des bovins vers l'abattoir ou encore l'origine de l'ivoire dans lequel est ciselé un crucifix sont éloquents.

Cette froideur lui fait parler d'elle à la troisième personne, en spectatrice de son enfance. "L'être que j'appelle moi vient au monde un lundi 8 juin 1903 …" Elle lui fait affirmer ne pas regretter de n'avoir pas connu sa mère. Tout au long de cet ouvrage, elle ne l'appellera jamais que par son prénom : Fernande.

On ne choisit pas sa famille comme on peut le faire des héros de ses romans. Elle déclare plus volontiers son amour, certes chaste et fraternel, à ces derniers. Quand on est écrivain de grand talent, à l'érudition culminante, on peut les modeler à son goût, les mener selon ses lubies, leur faire dire et les faire agir à dessein pour développer les thèses de sa conviction. Alors, ceux qui vous servent si bien, au premier rang desquels Zénon, peuvent se voir gratifié de préférence. Au détriment de parents de tous degrés à qui on peut reprocher d'avoir été affublés de trop de défauts, d'avoir été trop humains en somme.

Souvenir pieux est un regard rétrospectif sur cette famille nombreuse dont Marguerite Yourcenar est issue. Elle offre à tous ces êtres, qu'elle a peu ou pas connus, une nouvelle sépulture en les couchant dans ses pages. Son humanisme froid a malgré tout le souci de l'équité. Autant que tous ceux que l'histoire a conservé dans sa mémoire, en particulier depuis que l'écriture nous en rapportent leur propos, que Marguerite Yourcenar connaît mieux que quiconque, les êtres simples ont le droit de sortir de l'indifférence dans laquelle la mort les a plongés. Souvenirs pieux veut réparer cette injustice faite à ceux qui n'auront pas éclairé l'histoire, fût-elle "la très petite histoire", de leur nom. Les gens simples ont aussi leur complexité, même si elle ne s'est pas exprimée par un talent reconnu. Elle donnera cependant, sans doute par confraternité, la prime à ceux de ses antécédents qui auront noirci quelques pages de leurs traits de pensées, tel l'oncle Octave. Mais, en boulimique d'archives perfectionniste qu'elle est, elle l'apprécie toutefois plus comme témoin du passé que comme philosophe.

Marguerite Yourcenar ou la maîtrise du savoir dire. Savoir dire les choses sans faux fuyant, sans faux semblant, et surtout sans jugement. Sauf peut-être la réprobation implicite qui n'échappe pas au lecteur à l'égard de ceux qui déciment la gente animale sans nécessité de survie. Ce savoir dire, délivré du louvoiement qu'impose le plus souvent la faiblesse, a toutefois la contrepartie de la froideur quelque peu professorale de l'objectivité.

A consommer sans modération pour la qualité de cette langue qui colporte dans ses phrases une érudition à vous rendre honteux. A consommer aussi pour rejoindre les rangs de ceux qui déplorent que la prospérité de l'homme aille de pair avec la ruine de son environnement.

Page 60 édition Folio, Marguerite Yourcenar explique ce qu'est un souvenir pieux. Celui rédigé à l'adresse de sa mère défunte portait cette phrase : "il ne faut pas pleurer parce que cela n'est plus, il faut sourire parce que cela a été.
Elle a toujours essayé de faire de son mieux."

Souvenir pieux est le premier tome de Labyrinthe du monde qui en comporte trois. J'ai décidé de persister dans ma confrontation avec l'académie.


vendredi 12 mai 2017

Le bureau des étangs et des jardins ~~~~ Didier Decoin

 



Qu'il est long et harassant le chemin qui mène au Bureau des Jardins et des étangs pour la jeune Miyuki, chargée qu'elle est des viviers de carpes qu'elle doit livrer aux étangs de l'empereur. Je l'ai éprouvé ce chemin, à cette lecture appesantie de longues descriptions que trop peu d'événements viennent attiser, même quand la sensualité des corps est invoquée.

Il y a dans ces pages une certaine retenue du mouvement, une forme de tension allusive qui laisse planer une menace permanente, un culte de l'honneur et de la vertu par lesquels le lecteur croit y reconnaître des ambiances très codifiées du théâtre no. Ambiance qui ne serait pas complète sans une scène finale costumée avec des parures colorées, lourdes et engoncées, typiques du décorum de ces représentations.

La relance de l'intrigue est tardive et très attendue. Miyuki se retrouve, à son corps défendant, et peut-être pour sa perte, porteuse d'une force suggestive propre à matérialiser le fantasme d'un prince. Cette tension dramatique a, à mes yeux, sauvé cet ouvrage de l'enlisement de son intrigue somme toute peu séduisante.

Cet ouvrage reste intéressant du fait de son style, respectueux de la culture dont il se veut l'ambassadeur, et de la remarquable précision de la documentation que le profane en matière de moyen-âge japonais, que je suis, a cru y détecter.


mardi 17 janvier 2017

L'étranger ~~~~ Albert Camus


Justice est rendue. On n'abat pas un arabe de cinq coups de feu en invoquant la légitime défense, encore moins un coup de soleil, sans en outre en exprimer le moindre remord. Même au temps de l'Algérie française.

Meursault, narrateur-acteur de ce récit nous relate la tranche de sa vie, de sa fin de vie, qui l'a conduit au pied de celle que l'homme rejoint "comme on marche à la rencontre d'une personne" : la guillotine. Quand a contrario la personne qui réside en tout être humain le laisse de marbre.

Les juges ont estimé que la froideur de son tempérament était propice à la préméditation du crime qu'il a commis. Meursault fait preuve de la même insensibilité à l'énoncé du verdict qui le condamne que celle qui l'a engourdi dans ses relations avec son entourage, les femmes de sa vie en particulier : sa mère, qu'il a placée à l'asile puis enterrée sans verser la moindre larme, la douce Marie qui s'est éprise de lui et ne deviendra son épouse que si elle insiste. Côté sentiment, c'est un peu chiche.

Point de révolte chez ce "coeur aveugle". Il ne remet pas en cause la justice des hommes. Il ne peut toutefois se résoudre à la "certitude Insolente" d'une fin décidée. Il s'interroge sur l'utilité d'abréger une vie qui, de toute façon, est promise à s'éteindre d'elle-même. Pourquoi interférer dans le cours des choses ?

Raisonner en pareille circonstance est encore faire preuve de distance avec le cours des choses. C'est être étranger à soi-même. Etranger au monde, étranger à la vie.

Voilà un ouvrage dans lequel le verbe est dépouillé, comme le décor dans lequel se noue le drame, comme la palette sentimentale de ce héros qui n'inspire pas l'empathie. Les phrases sont courtes et sèches. Il en est ainsi de tout le roman. le style est direct et froid comme l'austère mécanique qui enchaîne les événements de la vie. Comme la justice qui condamne.

Meursault n'aura pas su se réchauffer au coeur des hommes, il n'attend rien non plus du secours de l'ambassadeur d'un dieu qu'il ne veut pas connaître. Plus que le drame qui se déroule sous les yeux du lecteur, c'est la part d'inhumain qui habite tout homme, lorsqu'elle le domine, qui surprend. Certains l'évacuent dans la sauvagerie, lui, c'est dans l'indifférence.

Encore Meursault se dit-il à lui-même, puisque personne ne recueille ses confidences, que l'essentiel est de donner une chance au condamné. C'est le peu que l'on percevra de son ressenti. Encore répond-t'il plus à une logique qu'à un trait d'humanité. Aussi, plus qu'un ultime sursaut d'intérêt pour la vie, ne s'agit-il pas de la crainte de l'inconnu ? Au-delà de l'oeuvre du couperet.

Albert Camus lui en a t'il donné une de chance pour qu'il nous relate son histoire, ou le fait-il intervenir d'outre-tombe, pour nous parler de la vie ?


jeudi 13 octobre 2016

S'abandonner à vivre ~~~~ Sylvain Tesson



Les nouvelles auraient-elles été créées pour qui n'a pas le temps de lire ? Les nouvelles auraient–elles été inventées par qui n'a pas le temps d'écrire ?

Sylvain Tesson nous livre quelques tranches de vie, quelques pérégrinations philosophiques à l'emporte-pièce, de celles qui peuvent germer dans son esprit de voyageur infatigable. L'occasion pour lui de tailler à grand coup de serpe de son humour incisif dans l'intimité de héros choisis au hasard et livrés en pâture à un lecteur qu'il veut aussi impatient que lui.

Quelques nouvelles pour dire qu'il est là, impatient de vivre et de nous le dire, impatient de repartir. Quelle que soit la destination, avec quand même une préférence pour les endroits les plus improbables où le touriste moderne ne mettra jamais les pieds. Peut-être même à Paris. Une prédilection quand même pour les confins asiatiques, la grande Russie. Pourvu qu'il y ait un vieil ours qui n'aurait jamais imaginé qu'on parle de lui.

Quelques nouvelles, romans d'un quart d'heure, debout dans le train. Pas besoin de marque page.


lundi 12 septembre 2016

Profession du père ~~~~ Sorj Chalandon

 



Alors qu'il enterre son père, le temps est venu pour Emile Choulans de raconter ce qu'a été son enfance. Une enfance sans amour, sans secours, entre ce père tyrannique et une mère à l'étrange indolence. Une enfance de brutalité et de solitude.

Il n'en veut pourtant pas à ce père indigne. Sans doute parce qu'avec ses scenarii fantasques sur fond de fin de guerre d'Algérie, André s'était pris au jeu de cette mythomanie guerrière. N'a-t-il pas usé lui aussi de certains subterfuges auprès de Luca Biglioni, le seul camarade dont il a pu s'attirer la sympathie.

C'est à mon sens le style qui caractérise le plus cet ouvrage. Un style fait de phrases courtes, parfois sans verbe. Un style qui veut dire qu'Emile ne s'alanguissait pas sur sa condition, n'épiloguait pas sur son sort. Sa vie de maltraitance était normale, il n'avait rien connu d'autre. C'est ce que nous dit ce style compartimenté, sans fioriture.

S'il est vrai que la fiction donne libre cours à toutes les intrigues que l'imagination peut concevoir, je n'ai toutefois pas beaucoup cru à cette vie d'insondable soumission, sans la moindre révolte, ni de la part de ce fils qui a conservé une forme amour filial obligé, étiolé, envers ce père détestable, ni de la part de cette mère effacée, transparente, à l'amour prudent, craintif. Etrange assujettissement, sans rébellion, une vie durant, puisqu'une fois éjecté de chez lui à la majorité, comme un malpropre, sans préavis, Emile reviendra pourtant vers le tyran pour jalonner les événements marquant de sa vie : son alliance avec une femme d'origine kabyle, la naissance de son fils qui aura droit quant à lui à l'amour le plus sincère.

Ce drame familial est quand même bien construit. C'est l'histoire d'un secret domestique. Une tare inavouée. Par candeur, par crainte, par pudeur, par honte, on ne sait. Une tare qui enlaidit toute une vie.


vendredi 6 mai 2016

Charly 9 ~~~~ Jean Teulé

 

J'avoue avoir du mal avec l'écriture de Jean Teulé. Elle me bouscule, me perturbe y compris dans l'acte de lire. Je comprends bien que c'est délibéré de sa part. Avec Charly 9, il entre de plain-pied dans le registre historique. Il saute à pieds joints dans le plat de la grande histoire.

Je crois y déceler une intention de désacralisation de l'Histoire. Ne tire-telle pas ses lettres de noblesse du respect que l'on s'impose envers nos ascendants, du seul fait qu'ils ne sont plus. Je vois dans le style de Jean Teulé une forme d'anti conformisme dans sa relation à cette discipline. Sa manière de l'aborder est tout sauf factuelle et chronologique. Elle est comme un éclat de rire pendant un enterrement. Cela dérange les affligés. Ne méprise en aucun cas le défunt. de toute façon ce dernier s'en moque.

Jean Teulé reste, accessoirement, fidèle au fait historique. Son style n'en constitue nullement une remise en question. Il échafaude simplement une autre approche de la relation du conteur à son auditoire. Il veut aborder l'histoire avec un état d'esprit différent. La désinvolture en est un. N'est-ce pas Charly ?

Il y a chez lui une forme d'anticipation rétroactive que n'auraient pas dédaignée les révolutionnaires de 1789. Il envisage une remise en question de la légitimité du pouvoir royal selon la conception de l'ancien régime. Ne se réclame-t-elle pas de droit divin dans son fondement ? Excusez du peu.

Selon Jean Teulé le droit divin ne fait pas le roi. le grand ordonnateur des choses de ce monde peut aussi se tromper. Mais oui ! Charles IX n'était pas fait pour être monarque. Il n'en avait ni l'âge ni le caractère. Il était surtout, même adulte, trop influencé par sa mère. Et comme avec tout être qui ne se gouverne pas par lui-même les choses ne sont ni simples ni claires. A ce niveau de pouvoir, l'indétermination se solde dans l'horreur. Une tâche de sang parmi d'autres dans les pages de nos livres d'histoire, certes bien marquée quand même : la Saint-Barthélemy.

L'humour est une autre façon de traiter le sordide. La moquerie une autre façon de plaindre. L'ironie une autre façon de blâmer. Jean Teulé bouscule l'establishment historiographique avec sa maestria dans l'art de surprendre. Cela peut déconcerter. Cela peut séduire. Mais pourquoi pas !


jeudi 17 septembre 2015

Dernier jur d'un condamné ~~~~ Victor Hugo

 



Cet ouvrage n'est évidemment pas de ceux propres à vous mettre du baume au cœur pour la journée. Il est nécessaire de l'intercaler entre d'autres qui aborderont des sujets plus légers si l'on ne veut pas assombrir définitivement son humeur.

Prenons garde aussi de ne pas non plus raviver la polémique du pour ou contre la peine de mort pour l'évoquer sur un site comme Babelio, mais abordons-le sous l'angle de la force suggestive de l'auteur et de sa capacité à insuffler à son lecteur l'état d'esprit d'un malheureux promis à la mort à brève échéance.

Victor Hugo est au début de son immense carrière littéraire – il a vingt-six ans - lorsqu'il ressent le besoin d'écrire sur ce thème douloureux. Il faut saluer là le courage de celui qui n'est pas encore l'auteur populaire qu'il deviendra de son vivant pour prendre une telle position, alors que la guillotine donne régulièrement le triste spectacle que l'on sait en place de grève.

On ne ressort pas indemne d'une telle lecture. Mais quand même dubitatif quant au procédé utilisé par l'écrivain sublime pour frapper les esprits. Avouons que c'est réussi. Il se refuse à aborder le motif qui a conduit le condamné dans les instants ultimes et programmés de sa vie, mais veut rester au niveau du principe qui autoriserait des hommes à disposer de la vie d'un de leur semblable. On demeure sur cette impression que c'est bien le décompte final plutôt que la mort en elle-même qui est fustigé, car finalement tout homme est promis à la mort.

Il y a en arrière-plan une forme de culpabilisation du lecteur dans la démarche de l'auteur. La culpabilité d'appartenir à une société qui autorise la peine de mort et de ne pas s'élever contre cette pratique barbare.

Mais le maître, aussi grand soit-il, a aussi sa forme de lâcheté. Il ne va pas au bout de sa démarche. Certes nul n'a le droit de prendre la vie d'autrui, fut-ce dans un cadre légal et collectif, mais que faut-il faire de ceux qui auront outrepassé ce principe en se rendant coupable d'assassinat ? Ne met-il lui-même pas dans la bouche de son condamné anonyme : plutôt la mort que le bagne. Alors quoi ?

Il n'en reste pas moins que la force de notre géant de la littérature atteint son objectif. Un tel ouvrage vous fait froid dans le dos et vous confirme dans le fait qu'être lecteur du XXIème siècle, alors que la peine de mort est abolie, est une situation plus confortable.


vendredi 1 mai 2015

Au delà de cette limite votre ticket n'est plus valable ~~~~ Romain Gary

 



Voilà un ouvrage à ne pas mettre entre toutes les mains. Des mains de femmes en particulier. Il décrit trop bien ce sur quoi les hommes bâtissent souvent leur ascendant sur leur entourage, féminin en particulier : le concept illusoire de la virilité. Et comme de juste, lorsque le fondement de ce pouvoir fallacieux vacille, ce n'est pas un pan de ce monde qui s'écroule, mais le monde tout entier.

Sur un thème comme celui-ci, abordé de manière très crue par Romain Gary, quel que soit le dénouement qu'il pourra apporter à son sujet, avec peut-être un rebondissement heureux, on sait qu'il ne sera que provisoire ou compensatoire. Faut-il donc irrémédiablement verser dans la philosophie et abandonner tout de go le principe souverain sur lequel l'homme fonde instinctivement sa position dominante ? Difficile à faire admettre à celui dont la vigueur du corps autorise des espoirs de conquête. La nature est ainsi faite.

Romain Gary place tous les êtres que cette Nature a conçus sur un pied d'égalité. Il déteste l'idée que le seul hasard de la naissance puisse autoriser l'un ou l'autre de s'arroger des prétentions de supériorité. Démonter le mécanisme qui organise la déchéance d'une telle ambition lui a paru approprié pour faire valoir ce point de vue. C'est ainsi que Jacques, le soixantenaire enamouré d'une jeunette, vit l'enfer de celui perd sa légitimité de mâle dominant en déplorant l'impuissance qui le gagne.

Quand on est, comme je le suis, représentant de la communauté des lecteurs, que j'oppose ici à lectrices, ce roman a quelque chose de déstabilisant. Nos tentations narcissiques en prennent un coup. Mais ce n'est que justice. Cela ouvre les yeux sur le caractère dérisoire et éphémère de toute tendance à faire prévaloir les aspirations corporelles aux dépens de celles de l'esprit.
“Vivre est une prière que seul l'amour d'une femme permet d'exaucer”. Voilà qui coupe court à toute velléité de contester la vénération que Romain Gary voue aux femmes. Sa mère en tête de liste. Relisons La promesse de l'aube.

Dans les infidélités qu'il fait au souvenir de cette dernière, en s'abandonnant dans les bras d'autres femmes, il ne conçoit de relation amoureuse que dans le partage. A parts égales. Aussi quand le déséquilibre s'installe, son humanisme est malmené. C'est le thème sous tendu par la mésaventure de Jacques, son héros.

Cet ouvrage est à mes yeux en retrait par rapport au reste de son oeuvre, assez inégal dans ses chapitres, mais cela reste du Romain Gary et constitue un éclairage supplémentaire dans la connaissance de cet auteur fabuleux.


mercredi 29 octobre 2014

Inch Allah 2 ~~~~ Gilbert Sinoué


Dans ce second tome de la saga Inch'Allah, Les incursions romanesques sont anecdotiques. Cet ouvrage se présente en effet plus sous forme d'un rappel à l'histoire que d'un roman et le talent de conteur de Gilbert Sinoué s'y trouve contraint par l'implication de l'historien.

Natif de la région, en Egypte, de cette époque qui a connu l'arrivée au pouvoir de Nasser, Gilbert Sinoué est tout indiqué pour ce rôle. En promoteur du rapprochement des grandes religions monothéistes, il aime se souvenir, avec une certaine nostalgie, de l'époque où l'Egypte était un modèle de coexistence pacifique de toutes les communautés.

Dans le cri des pierres, comme dans l'ensemble de son œuvre, Gilbert Sinoué fait œuvre d'une grande impartialité dans l'évocation des rivalités qui opposent les protagonistes de ce conflit entre juifs et arabes. Au gré des alternances d'intervention au sein des chapitres, il déploie une scrupuleuse application à faire valoir les arguments de chacun des partis. On lui pardonnera toutefois, dans cet ouvrage, quelques traits de subjectivité qui ne font que trahir son attachement à son pays d'origine et de ce qu'il a pu représenter pour son idéal philosophique.

Chacun des belligérants du conflit du Moyen-Orient s'attache à prouver sa légitimité à occuper la terre de Palestine. La démarche donne lieu à un concours de rétrospective historique, aussi loin que les archives l'autorisent, prolongées par l'interprétation puis par l'imaginaire, dans lequel les protagonistes revendiquent tour à tour l'antériorité de leur présence sur ce sol. C'est la clé d'un conflit dont la mèche a été allumée par la déclaration Balfour en 1917.

Gilbert Sinoué connaît bien l'histoire, les mentalité et psychologie des peuples du Moyen-Orient. Il retrace avec dextérité leur parcours tumultueux et regrette avec beaucoup d'amertume les faux espoirs nés du discours d'Anouar el Sadate à la Knesset en 1977.

Mais quand la fiction prend le pas sur la réalité sous la plume de l'auteur, c'est pour lui donner l'occasion d'échafauder une utopie qu'il voudrait universelle : un roman d'amour entre un juif, Avram Bronstein, et une palestinienne, Joumana Nabulsi. La tentation est trop forte pour lui de prouver que l'amour peut venir à bout des querelles politiques et des conflits qui en découlent. Ce couple symbolise le vœu si cher à Gilbert Sinoué de voir Juifs et Palestiniens cohabiter sur une terre qu'ils revendiquent l'un et l'autre. Au jour où il met un point final à ce deuxième tome, la solitude de ce couple dans le paysage politique et dans la société civile exprime tout son regret de voir ce conflit se perpétuer sans perspective d'issue heureuse.

Gageons qu'il aimerait mettre en chantier un troisième tome avec l'espoir pour fil conducteur.


samedi 7 juin 2014

L'enfant de Bruges ~~~~ Gilbert Sinoué

 



Avec cet ouvrage, Gilbert Sinoué nous transporte au 15ème siècle, dont les historiens ont fait une transition entre la Moyen-âge et le Renaissance, avec pour décor les prestigieuses cités de Bruges et de Florence. C'est un véritable “polar” dans lequel l'intrigue et les personnages tiennent le lecteur en haleine, jusqu'à ce que … le soufflé retombe. Mais n'en disons pas plus quant au dénouement.

La technique émergente de la peinture à l'huile est venue concurrencer, et peut-être condamner, la peinture a tempera. C'est en tout cas ce qui suscite l'intrigue. Je veux bien admettre être passé à côté de l'événement - de cette locution latine aussi - mais celui-ci est présenté comme une véritable révolution dans l'histoire de “l'Art des arts”. A tel point qu'il provoque un choc des consciences contemporaines averties et une réaction aux tournures imprévisibles, à la violence aveugle.

Comme à l'habitude avec Gilbert Sinoué, nous prenons une leçon d'histoire. Outre bien sûr le héros, Jan van Eyck, grand peintre flamand, on fréquente la cour de Côme de Médicis à Florence, on s'y rappelle que le Duc de Bourgogne régnait sur les Pays-Bas, que Nicolas Rolin a fait ériger les Hospices de Beaune, que nous sommes à l'époque de l'ouverture au Nouveau Monde, à la veille de la démocratisation de l'écrit par l'imprimerie et enfin que les Grands de ce monde l'étaient d'autant plus qu'ils s'érigeaient en mécènes.

Ce n'est pas, à mon sens, le fleuron de la bibliographie de Gilbert Sinoué. C'est comme ça que je le perçois. Mais avec cet auteur il y a toujours des richesses à glaner et cela reste d'un excellent intérêt. Ne serait-ce par l'ancrage de ces péripéties dans un contexte historique et les sujets de réflexion que cet ouvrage suscite sur le rôle de l'art dans la société et dans la vie tout simplement.

Il y a bien sûr aussi ces thèmes qui pourraient être perçus comme secondaires mais qui fondent en réalité la pensée humaniste de l'auteur. On les retrouve dans ces fameux coups de griffes à tous les promoteurs d'intolérance et d'immoralité auxquels il nous habitue dans ses ouvrages. L'esclavage est un des thèmes ciblé dans celui-ci, où les Noirs africains y sont présentés, dans la bouche d'Anselm de Veere, comme le “brouillon de Dieu” avant la création de sa grande oeuvre. On s'interroge aussi sur la place de la Femme dans ce roman très masculin, son accès difficile au devant de la scène. La mère adoptive de Jan est effet une marâtre mal aimante. Sa mère biologique ne fait qu'une apparition fugace. Elle est blâmée du crime d'abandon, même si pour son rachat, l'auteur lui fait donner sa vie pour sauver son enfant.

Quant au sujet essentiel de cet ouvrage dans la monde de l'art, on appréciera les descriptions documentées des techniques picturales, mais aussi la compréhension de ce principe du mécénat, seule chance pour un artiste d'émerger et de vivre de son art. C'était bien entendu extrêmement élitiste. Dans ce domaine, comme dans la vie en général à cette époque, seuls les plus forts avaient des chances de survivre. C'était pour l'art, en tous cas, un gage de qualité.