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samedi 20 mars 2021

La mer de la fertilité, tome 4 : L'ange en décomposition ~~~~ Yukio Mishima

 

Quatrième et dernier (?) opus de la mer de la fertilité. Il n'est que d'extraire certains passages de cet ouvrage pour comprendre que nous sommes parvenus au bout du chemin. Ce chemin n'est pas seulement celui d'une oeuvre littéraire. C'est aussi celui d'une vie. La vie de son auteur.
45 ans ! C'est l'âge de Yukio Mishima lorsqu'il met le point final à son œuvre testament. Sa jeunesse lui a filé entre les doigts. Il est plus que temps.

"Il n'y a jamais eu pour moi ce qu'on aurait pu appeler l'apogée de ma jeunesse, et par conséquent aucun moment pour l'arrêter. C'est à l'apogée qu'il faudrait s'arrêter. Je n'en ai discerné aucune. Chose étrange je n'en ai nul regret.

Mais non, il est encore temps après que la jeunesse est un peu passée. Survient l'apogée, c'est alors le moment." 25 novembre 1970, c'est alors le moment de quoi ? le regard s'est-il suffisamment appesanti sur le paysage ? le verbe l'a-t-il suffisamment célébré ?

La beauté du corps s'est dissoute dans les traits de ceux qui narguent leurs aînés de leur vigueur toute fraîche. C'est donc le moment de ne plus se compromettre dans le naufrage de la vieillesse, dans la décomposition de l'ange.

"Beauté physique infinie. Voilà le privilège particulier de ceux qui abrègent le temps. Juste avant l'apogée où il faut abréger le temps, se trouve l'apogée de la beauté physique."
Le bout du chemin est là. L'ascension est terminée. Après, c'est la déchéance. "Quelle puissance, quelle poésie, quelle félicité ! Pouvoir abréger le temps, au moment même où l'on aperçoit la blancheur étincelante de l'apogée. On en a la préscience dans la fièvre délicieuse de la montée, le décor changeant de la flore alpine, l'approche de la ligne de crête. « C’est avec lucidité et la pleine possession de ses facultés qu'il faut décider de basculer dans la lumière de l'autre monde. Le monde blanc.

"Je n'aime pas le genre de personnes, faibles ou malades, qui se suicident. Il n'y en a qu'une catégorie que je conçoive. Ce sont ceux qui se suicident pour démontrer leur personnalité."
L'oeuvre littéraire est la perpétuation de son auteur. Sa vie n'est que le segment d'une continuité. Il se retrouvera sous les traits d'une nouvelle jeunesse quelque part dans le monde.
"Même si l'on arrête le temps, la vie se réincarne. Cela aussi, je le sais."

Il n'est pas de point final pour qui croit en la transmigration des âmes. Tout au long de sa vie, Honda s'est convaincu de voir son ami Kiyoaki, pris au piège d'un amour imprévisible, se réincarner sous les traits d'Isao Iinuma d'abord, de la princesse Ying Chan ensuite, du jeune Toru enfin. Chacun porteur de la flamme fragile de la vie.

Mais le doute pernicieux s'est insinué en l'esprit de Honda. le grand âge l'a peut-être leurré. Toru a brûlé le livre des rêves laissé par Kiyoaki.

"La mémoire est comme un miroir fantôme. Il arrive qu'elle montre des choses trop lointaines pour qu'on les voie, et elle les montre parfois comme si elles étaient présentes".
Est-ce donc avec le poison du doute insinué en son esprit quant à la réincarnation que Mishima a décidé de basculer dans le monde blanc le 25 novembre 1970 ? le point final de L'Ange en décomposition était-il celui de la Mer de la fertilité, ou bien quelque part en ce monde pourrait-il s'écrire un cinquième opus ?


jeudi 25 février 2021

La mer de la fertilité, tome 3 : Le temple de l'aube ~~~~ Yukio Mishima


Comme tout un chacun, et plus que tout autre peut-être eu égard à ses intentions – n'oublions pas qu'il est avec cet ouvrage sur le troisième opus de son œuvre testament laquelle en comporte quatre – l'auteur de la Mer de la fertilité est confronté à la perpétuation de la vie. Avec lui point de quête d'éternité dans l'au-delà, de place auprès de Dieu ainsi que peuvent nous le promettre quelques religions monothéistes en perte de vitesse en ce troisième millénaire, il ne peut donc être question que de transmigration de l'âme, de réincarnation. le seul point qui accorderait peut être les différentes croyances quant au sort réservé après la mort est la vertu du comportement de la personne de son vivant. Cette vertu s'exprimant parfois non pas en dévotion ou actions charitables, mais en pureté d'intention laquelle peut fort bien comporter l'élimination d'autrui, s'il est convaincu de corruption par les vices inhérents à la nature humaine.

Nul doute que Mishima décèle dans la perpétuation qu'il applique à ses héros, une voie pour son propre avenir dont il semble avoir décrété l'échéance. Marguerite Yourcenar qui s'est intéressée à cet écrivain dans Mishima ou la vision du vide trace dans son œuvre les indices qui témoigneraient de son intention. Elle y voit un artisan en préméditation de son chef-d'œuvre : sa fin spectaculaire selon le rituel samouraï.

Isao le fervent nationaliste du tome deux de la tétralogie, Chevaux échappés, était la réincarnation de Kiyoaki, l'amoureux éperdu de Neige de printemps, le premier tome. Les dernières lignes de chacun de ces ouvrages faisant disparaître leur héros, Honda leur survivant est le témoin attesteur de leur réincarnation. Dans ce troisième opus, la transmigration des âmes ne connaissant ni frontière ni race, c'est la princesse siamoise Ying Chan qui se dit elle-même réincarnation d'Isao. Honda s'en convainc et cherche sur son corps par ses indiscrétions équivoques le signe qui confirmera le fait.

Le temple de l'aube est un ouvrage quelque peu déroutant. Autant une première partie voit son héros en quête de la réalité de la réincarnation, allant là en chercher les preuves jusqu'à Bénarès en Inde, le sanctuaire de l'hindouisme, autant la seconde plonge son héros, Honda, dans la déviance comportementale du notable respecté qu'il est, faisant de lui un voyeur des ébats sexuels de quelques couples occasionnels dont il a lui-même favorisé le rapprochement. Il s'en expliquera auprès de son épouse, Rié, qui le surprendra dans cette posture condamnable.

Il y a toujours dans le texte de Mishima cette communion avec la nature qui s'exprime par de longues tirades contemplatives, lesquelles trouvent leurs prolongements dans la poésie mise dans la bouche de l'une ou de l'autre de ses personnages. Tirades qui peuvent distraire le lecteur du fil directeur de l'ouvrage d'autant que certaines allégories sont assez poussives et terre à terre. Mais le chemin est tracé et Mishima y ramène ce dernier avec l'obsession du but à atteindre que le quatrième opus au titre annonciateur, l'Ange en décomposition, ne devrait pas manquer pas à mon sens de nous révéler.


Dans ma perception de lecteur peu averti des croyances religieuses qui ont cours en extrême orient, je situe ce troisième opus au creux de la vague de la tétralogie. Je l'ai trouvé déséquilibré, pénalisé par cette dichotomie comportementale chez Honda en ces deux parties de l'ouvrage. Une première tout orientée vers une quête de spiritualité, parfois absconse à mon entendement, l'autre vers la recherche de preuve physique sur le corps de la princesse qui rabaisse son protagoniste en une trivialité coupable en complète rupture avec la qualité du personnage. Mais cette perception est affaire de culture personnelle et ne me retiens pas de m'engager sur le quatrième volet de la tétralogie. Je garde à l'esprit le cheminement intellectuel mortifère que fomente son auteur. Il se donnera la mort au bout de ce chemin. Et comme Marguerite Yourcenar, je tente de comprendre cette démarche sacrificielle dans ces textes, de déceler les traces de ce poison qui lentement fait son œuvre.

samedi 30 janvier 2021

Le quatrième mur ~~~~ Sorj Chalandon


 

Il s'agissait de voler deux heures à la guerre. Avec la folle intention d'impliquer dans une représentation théâtrale des acteurs issus de chaque communauté belligérante : les Chrétiens maronites, les Phalanges chrétiennes, les Druzes, les Palestiniens, Les Chiites. Une gageure imaginée par Samuel, un metteur en scène grec, juif de confession, destinée à prouver que dans un conflit le superflu est essentiel. Et donc salutaire. La volonté insensée de donner aux adversaires une chance de se parler.

Nous sommes au Liban dans la première phase de la guerre des années 1980. Tous les clans en présence dans le pays tentaient de cohabiter depuis l'indépendance (1943) jusqu'à ce que le conflit israélo-palestinien s'invite sur le territoire. Ce fut alors l'éclatement du pays. Les pays voisins se convièrent à la curée. le point d'orgue sera le massacre de Sabra et Chatila par les Phalanges avec le blanc seing de Tsahal, l'armée israélienne.

Tombé gravement malade et condamné, Samuel fit promettre à un de ses amis, Georges un Français fervent militant de la gauche radicale, de monter à sa place la pièce choisie : Antigone de Jean Anouilh. "Le théâtre en paix. La guerre partout ailleurs" avait argumenté Samuel pour le convaincre pour faire éclore la fleur de l'espoir sur le cloaque de la guerre. Il s'agissait d'ouvrir les yeux des adversaires d'une guerre longue et terrible à la réplique d'Antigone "Je ne sais plus pourquoi je meurs."

Engagé par la promesse faite à son ami mourant, Georges va se trouver impliqué à son corps défendant dans un conflit dont il va très vite prendre la mesure de l'horreur. Sorj Chalandon ne nous en épargne rien. Il s'agit de jauger l'homme à l'aune de la haine que se vouent les parties en présence. de le jauger à l'échelle des drames qu'il engendre lui-même et dont il perd la maîtrise au point de rendre utopique toute perspective de réconciliation.

Quelques heures d'avion suffisent pour transposer un homme du confort égocentrique d'un pays en paix dans les atrocités de la guerre. C'est la façon de Sorj Chalandon de souligner la précarité de la paix. Quelques heures d'avion séparent le caprice d'une enfant choyée pour un cornet de glace du spectacle des corps démembrés de ces autres enfants dont l'innocence a été piégée par la folie de leurs aînés. le choc de l'amour et de la haine.

Le quatrième mur, ce peut-être les feux de la rampe des projecteurs que franchissent les applaudissements lorsqu'ils répondent à la générosité des acteurs. Ambiance de paix. Mais lorsque la détestation et la peur laissent la salle désespérément vide, ce quatrième mur peut devenir le mur de béton et d'acier de l'incompréhension. Ambiance de guerre.

Avec un style syncopé qui restitue le fracas des combats et le halètement de l'homme pris dans la tourmente, Sorj Chalandon nous livre un ouvrage très dur sur l'innocence martyrisée par la folie guerrière et le découragement de l'homme de paix à faire entendre sa voix. Un ouvrage que l'on peut trouver morbide et désespérant. Mais ne sont-ce pas les caractéristiques même de la guerre.


lundi 18 janvier 2021

Jardins secrets de Lisbonne ~~~~~ Manuela Gonzaga

 


Cette pérégrination dans la Lisbonne des initiés est organisée en neuf chapitres titrés jardins secrets et numérotés. A la lecture des deux premiers, j'en étais à me demander si je n'allais pas faire valoir mon droit de retrait. En le refermant, je déclare cet ouvrage en coup de coeur de cette année. Je n'en reviens pas moi-même.

Pareille construction est à l'évidence délibérée de la part de l'auteur. Une façon de mettre son lecteur à l'épreuve, de tester sa capacité à aborder un développement empreint de psychologie humaine. Un ouvrage qui enfièvre les sentiments aux antipodes de la frivolité. Des sentiments exacerbés par l'attente anxieuse d'un dénouement triomphal. Des sentiments qui commandent à la raison, échappent à la condition terrestre de qui les éprouve.

Entrer dans pareil ouvrage n'est pas de première évidence. Il faut dire que pour faire connaissance avec ses personnages, Manuela Gonsaga ne ménage pas son lecteur. Elle ne fait pas les présentations. Qui sont ces "je", 'il" ou "elle" qui font mystère de leur personnalité. Il faut traverser les premiers jardins secrets, l'esprit sur le qui-vive, pour se familiariser avec ceux dont on découvre la complexion par petites touches. Mais lorsque l'on a été admis dans l'intimité des caractères, qu'on est devenu un familier d'Alice, d'Amalia, de Brigite ou encore de Jorge, le séducteur malgré lui, on se trouve compromis dans des intrigues amoureuses qui exaltent le noble sentiment. Pour une plus grande désillusion ? L'Amour majuscule serait-il inaccessible à la pauvre nature humaine ? Inaccessible au coeur assoiffé de plénitude de la femme en butte à l'autre, homme ou femme, quand il est lâche, arrogant ou dédaigneux.

"Fuis le serpent, mais garde sa semence". C'est ce que retient Alice de l'amour qu'elle voue à Jorge. Un être dont la nature est toute de répulsion mais dont l'absence lui est insupportable. Alice ne comprend pas elle-même cette force qui la dirige vers Jorge, un homme qui n'a pourtant rien pour plaire : banal d'apparence, alcoolique, brutal en parole, mais toutefois jamais en acte, qui en outre est marié. Un homme sans attrait et pourtant indispensable. Un génie de la séduction qui parvient à l'entraîner dans tout ce qui peut terrifier une femme : les toiles d'araignée dans les cheveux, les rats entre les pieds dans les souterrains de Lisbonne, comme dans les dédales de l'âme humaine, entre attirance et répulsion. Les confins de la folie. Incompréhensible penchant. Il le déclare lui-même : "Alice, qu'est-ce que tu fais avec moi ? Je ne fais de bien à personne. Je n'apporte de bonheur à personne. de moi tu n'obtiendras rien de bon." C'est le mystère, le grand paradoxe de l'amour. Celui qui fait fi de l'apparence, du comportement et pourtant crée entre deux êtres une attraction souveraine. Amour divin et nocif à la fois.

Amalia connaît aussi son déboire sentimental. Amalia est d'une beauté rare. Elle reste pourtant dans l'attente inassouvie d'un geste, d'un simple mot, puisque de déclaration il ne peut être question, de la part de celui qu'elle aime. Pourtant elle s'est dénudée devant lui. Il a fait des photos d'elle. Des photos qui ne témoigneront cependant pas de la sensualité qui brûle son corps, ardent du désir de voir une main se poser sur sa peau. Meurtrie d'indifférence, Amalia laissera Brigite, la mère maquerelle qui a pour Amalia une attention toute maternelle, vendre sa virginité au plus offrant et faire commerce de son corps avec la même indifférence que celle qui avait été la seule réponse à son attente fébrile.

Là encore, le théâtre de ces mélodrames est autant personnage du roman que celles et ceux dont le coeur palpite sous les coups de boutoir de l'amour. Un ouvrage qui m'a fait regretter de ne pas connaître Lisbonne. La langue aussi. J'ai dû avoir recours à une portugaise de naissance pour me faire traduire un terme auquel notre langue n'offre pas d'équivalent. Un terme essentiel pour traduire le sentiment complexe qui anime ces femmes en proie au désarroi du coeur. Ce terme c'est la "saudade". Il pourrait être un autre titre à cet ouvrage pour exprimer cette oppression faite de mélancolie, de nostalgie en même temps que d'espoir.

Un coup de coeur qui au point final vous fait revenir vers le début de l'ouvrage, revisiter les premiers jardins secrets de Lisbonne avec un regard averti. Encore plus curieux. Encore plus avide de s'imprégner de la "saudade" qui répand son voile sur le coeur d'Alice et d'Amalia.

"Fuis le serpent, mais garde sa semence". Beau, beau, bel ouvrage que les Jardins secrets de Lisbonne. Vraie performance d'auteur à mon goût.

Je remercie Babelio et les éditions le poisson volant de m'avoir gratifié de pareil moment de lecture.


lundi 11 janvier 2021

Le vieux qui lisait des romans d'amour

 


Excellente entrée en matière que celle de cet ouvrage qui me permet de faire la connaissance de l'auteur chilien Luis Sepulveda récemment disparu. Cette découverte est d'autant plus singulière que nous ne sommes pas habitués à applaudir la prose d'un ancien footballeur. Convenons que la dextérité de la balle au pied va rarement de pair avec celle de l'écriture.

Il faut dire que Sepulveda a une expérience de vie riche en péripéties, jusqu'à lui faire connaître les geôles de Pinochet et l'exil. Les pérégrinations qui ont émaillé cet éloignement de sa terre natale l'ont conduit dans la forêt amazonienne où il a partagé pendant un an la vie des amérindiens Shuars, plus connus en nos contrées européennes sous le vocable de Jivaros. C'est la source de l'inspiration de ce petit ouvrage dans lequel on découvre en l'auteur un militant de la cause des minorités ethniques qui ont vu leur terres ancestrales envahies par des colons assoiffés de richesses. Et le pillage continue au grand mépris de faune et flore locales.

C'est le combat de la sagesse contre celui de l'avidité que nous propose Luis Sepulveda avec l'aventure dans laquelle le vieux Antonio José Bolivar se trouve embarqué à contre coeur. Parce que lui ce qu'il aime c'est les romans d'amour qu'il a découverts depuis qu'il sait lire. Sans doute ces livres qu'il se fait prêter, lit et relit, sont-ils pour lui une diversion au mauvais côté de la vie des hommes dont il a le spectacle pitoyable sous les yeux.

Une forme de conte qui permet à l'auteur d'aborder un thème qui lui est cher, et à moi de découvrir une belle écriture. Avec comme souvent derrière un texte qui paraît anodin une réalité lourde de sens quant à la nature humaine et son avenir.


mercredi 16 décembre 2020

La Mer de la fertilité, tome 2 : Chevaux échappés ~~~~ Yukio Mishima

 


Dans le code samouraï le courage n'est pas une vertu aveugle, ni la passion bonne conseillère de l'action. Selon les principes fondant l'éthique, la culture du zen tempère la spontanéité de ces ardeurs. Mais cette pratique martiale est aussi la plus à même d'être enfreinte par la fougue de la jeunesse.

Dans les années 30, au sortir de l'adolescence et à la lecture de la Société du Vent Divin, une brochure relatant la révolte d'une élite traditionnaliste se réclamant de l'esprit samouraï sous l'ère Meiji, Isao Iinuma a fait sienne l'éthique de la noble caste. Cette élite d'ardents patriotes condamnait l'ouverture du Japon à la culture occidentale jugée néfaste au pays. Leur mouvement fut un échec. Ils le lavèrent dans leur propre sang en se donnant la mort par le suicide rituel.

Son intention est de fonder la Société du Vent Divin de l'ère Shōwa

Depuis que Hirohito a été intronisé empereur du Japon en 1926, ouvrant l'ère Shōwa, Isao Iinuma voue un véritable culte et une loyauté indéfectible à son souverain. En son esprit, il incarne Dieu sur terre. S'inspirant du code éthique samouraï qui respecte les sept principes de droiture et sens du devoir, courage héroïque, bienveillance et compassion, politesse et respect, sincérité et vérité, honneur, devoir et loyauté, Isao jure de consacrer sa vie à la haute autorité gardienne des traditions ancestrales. Dans l'inconséquence de la jeunesse, il se donne pour mission de parachever l'intention de purification du pays qu'avaient nourrie ses anciens. le but étant d'éliminer ceux qui par adoption du système capitaliste piétinent les valeurs morales ayant prévalu dans la culture japonaise jusqu'à son ouverture à l'occident en 1854. Isao recrute à la cause quelques jeunes de sa génération, dont certains mineurs, non sans avoir évalué la sincérité de leur engagement. Son intention est de fonder la Société du Vent Divin de l'ère Shōwa. Ensemble ils échafaudent un plan de purification comportant l'élimination des sommités corrompues.

Dans l'esprit samouraï l'exaltation d'un idéal, fut-il une cause perdue, ne se conçoit pas sans le sacrifice suprême, la purification par la lame immaculée : "Être un homme, c'est ne point cesser de s'élever à force vers le sommet de la condition humaine, pour y mourir dans la blancheur neigeuse de ce sommet." Tous ceux qui resteront fidèles à la cause font ainsi vœu de se donner la mort par le suicide rituel en glorification de leur action.

élévation spirituelle qui magnifie la personne au rang de héros

Shigekuni Honda, devenu une sommité dans la magistrature japonaise, veut voir en Isao Iinuma la réincarnation de son ami Kiyoaki mort 19 ans plus tôt de son amour refoulé pour la belle Sakoto*. Outre quelques traits physiques il retrouve dans le journal de ses rêves, que lui avait confié Kiyoaki à sa mort, des présages qui lui donnent la certitude de la survivance de son âme sous les traits d'Isao. Il y retrouve aussi cette élévation spirituelle qui magnifie la personne au rang de héros. Héros de l'amour pour Kiyoaki. Héros de la pureté du sentiment national pour Isao. Un idéal promu moteur de conduite et catalysant un nationalisme qui, faisant des émules à la veille de la seconde guerre mondiale, conduira le Japon à sa perte en le livrant à l'impérialisme débridé, allant jusqu'à défier le pays devenu la plus grande puissance mondiale le 7 décembre 1941 à Pearl Harbour. Shigekuni Honda, en respect pour l'attachement qu'il vouait à son ami disparu, et selon lui réapparu sous les traits de Isao, abandonne son poste afin d'avoir les mains libres et sauver Isao de sa folle entreprise.

Les chevaux échappés : sous ce titre énigmatique qui peut figurer l'emballement de la race noble, Mishima retrace l'ascension spirituelle d'une jeunesse utopiste laquelle s'auto investit de la mission de faire rempart autour de son empereur face aux tenants de la modernité spéculative. Elle fait serment de protéger le pays de l'ingérence d'une culture occidentale jugée impure et incompatible avec les mœurs de la société japonaise.

A l'instar du théâtre Nô...

Si l'on n'est pas averti du lien sacré qui unit l'homme à la nature dans la culture japonaise, on peut souffrir des longueurs et des digressions contemplatives qui jalonnent pareil texte quand Mishima porte ses héros à s'inspirer des éléments naturels pour y puiser force et beauté. Les symboles foisonnent dans des allégories sophistiquées et les litanies évocatrices qui peuvent rebuter le lecteur réfractaire à la méditation. Cette culture peut paraître hermétique à la nôtre, laquelle a fait table de rase de ses valeurs et traditions pour se fondre dans le grand malstrom de la société de consommation, abandonnant aux poètes romantiques la célébration de la nature. A l'instar du théâtre Nô, l'écriture de Mishima peut paraître manquer de rythme à qui ne s'intéresse qu'au factuel au détriment du décorum et de l'exhortation des sentiments portés par la seule gestuelle. Mais la démarche spirituelle qui pousse un homme à se sacrifier par le suicide rituel, le seppuku, justifie ce long processus de maturation de l'esprit afin d'imprégner le lecteur de la psychologie, des rites et traditions des idolâtres du faste impérial japonais.

Deuxième opus de la Mer de la fertilité, n'oublions pas que Mishima est dans son œuvre-testament en chemin vers la blancheur neigeuse du sommet de la vie.

(*) Voir Neige de printemps, premier opus de la tétralogie La mer de la fertilité.


mardi 3 novembre 2020

La Mer de la fertilité, tome 1 : Neige de printemps ~~~~~Yukio Mishima


J'en suis averti, la tétralogie dans laquelle je m'engage en lisant Neige de printemps de Mishima est une oeuvre testament. le testament d'un homme qui n'est pourtant ni condamné par la maladie ni en âge suffisamment avancé pour envisager l'échéance ultime prochaine. Mais pourtant, ainsi que l'écrit Marguerite Yourcenar dans l'essai qu'elle a consacré à cet auteur fascinant – Mishima ou la vision du vide – c'est le testament d'un homme qui prépare son "chef-œuvre" : son suicide rituel.

Cette connaissance de l'acte irréparable est à la fois nuisible et profitable à pareille lecture. En refermant Neige de printemps, le premier tome de la mer de la fertilité, je sais déjà que j'irai au terme de cette splendide œuvre romanesque en me procurant les trois autres opus d'une tétralogie qui prend des allures de monument. Un monument érigé par celui-là même qu'il rappelle à notre souvenir.

Nuisible la connaissance de ce parcours testamentaire, parce que je sais déjà que mon esprit va inconsciemment chercher au fil des pages les indices du cheminement intellectuel vers une fin décidée. Cette quête inconsciente peut me faire reprocher un voyeurisme morbide. Mais profitable plus encore, je veux m'en défendre, sera cette lecture. D'abord parce que les deux autres ouvrages que j'ai lus de cet auteur – le Pavillon d'or, Confession d'un masque – me donnent la certitude de me confronter au talent pur, ensuite parce que ce chemin sur lequel je m'engage est celui qu'il veut faire parcourir à son lecteur dans une démarche initiatique consciente du but fixé.

Kiyoaki est jeune et beau. Satoko est jeune et belle. Ils sont les héros de Neige de printemps. Ils se savent attirés l'un vers l'autre. Mais ne savent pas encore à quel point l'un est devenu indispensable à l'autre. Ils pensent encore pouvoir jouer de leur libre arbitre et mettre leur amour à l'épreuve des codes moraux de la société aristocratique dans laquelle ils sont nés. Ils ne se rendront pas compte qu'un jour ils auront dépassé le point de non-retour.

Neige de printemps est d'une esthétique rare

Il est des fictions tellement bien apprêtées qu'on ne doute plus qu'elles aient été vécues par leur créateur. Des fictions qui mettent tous les sens du lecteur à contribution au point de lui faire vivre les événements, les personnages, au point de le gagner aux émotions de ces derniers. Neige de printemps est d'une esthétique rare. Beauté de la nature, beauté des sentiments, tout est porté par un style épuré, une écriture solennelle, débarrassée des impuretés accumulées par l'usage. Une performance d'auteur qui nous livre un distillat, un absolu de pensée.

D'aucuns pourraient éprouver certaines longueurs dans des épanchements descriptifs. Mais il n'est que de se souvenir que l'auteur est engagé sur un chemin funeste, que chaque regard est un regard d'adieu et qu'il vaut la peine de s'appesantir sur quelques merveilles de la nature quand elle est écrin d'un cœur qui souffre.

J'ai décidé de continuer le chemin avec Mishima, ce marcheur obstiné. Je vais donc me procurer les trois tomes qui pavent la fin de son parcours. Mais j'attendrai que covid veuille bien nous rendre notre liberté pour aller me procurer ces ouvrages dans ma librairie préférée. Je ne veux pas qu'elle baisse le rideau parce que j'aurais été pressé d'accompagner un auteur vers le bout de son chemin. Je ne veux pas qu'un clic de souris éteigne à jamais la vitrine d'un libraire. La vitrine de mon libraire c'est la vie dans la rue, c'est mon ouverture au monde.

jeudi 29 octobre 2020

L'auberge de la Jamaïque ~~~~ Daphné du Maurier

 




L'Auberge de la Jamaïque n'a rien d'un ouvrage racoleur qui vous happe dès les premières pages. le lecteur devra faire preuve de persévérance avant de se faire bousculer par les péripéties d'une aventure mouvementée. Aussi, avant que le récit ne s'emballe il devra se laisser porter par la qualité de l'écriture et séjourner avec fébrilité dans ce galetas sombre, humide et froid qu'est devenue l'auberge de la Jamaïque. On ne peut imaginer mieux que cet établissement isolé dans la lande de Cornouailles, déserté par la clientèle, battu par les vents sous un ciel chargé pour en faire le décor d'un drame. Ce décor établira le goût de Daphné du Maurier pour l'oppression d'un jeune caractère par un environnement hostile et lugubre.

Quand on fait la connaissance d'un(e) auteur(e) avec son ouvrage phare on craint quelque peu de se frotter au reste de son oeuvre. On craint en fait de déchoir. Avec L'Auberge de la Jamaïque on évite l'écueil. On découvre certes en germe ce qui séduira le lectorat de l'ouvrage publié deux ans plus tard. Il y a comme une prise d'élan vers ce qui aboutira à Rebecca, dont on convient qu'il est un roman plus équilibré, plus homogène. Mais il y a déjà avec L'Auberge de la Jamaïque une formidable montée en pression, comme un bouillonnement littéraire qui met son héroïne à l'épreuve de la vie, plongée dans une solitude à laquelle une enfance tranquille ne l'avait pas préparée. Une jeune fille toutefois non dénuée de force de caractère pour affronter la férocité d'un monde nouveau et malsain.

Dans la très belle biographie qu'elle a rédigée de cette auteure, Tatiana de Rosnay souligne l'affection qu'avait Daphné du Maurier pour le roman noir. Avec L'Auberge de la Jamaïque on ne peut cacher qu'au milieu du roman on ne donne pas cher de l'avenir de la pauvre Mary Yellan. Alors que sa mère se sachant perdue croyait la mettre en sécurité aux bons soins d'une soeur autrefois proche d'elle.

Roman psychologique qui livre l'innocence à la perversité, aux malversations et vices de la nature humaine, la préservant toutefois de l'outrage ultime qui pourrait être fait à son innocence toute féminine. Car Daphné du Maurier bâtit autour de la pureté un rempart qui s'il était forcé annihilerait tout espoir de recouvrance. Une forme de prudence que cette auteure entretient avec le reste de la société. Ultime sanctuaire d'honneur dans un univers de perdition.

Avec L'Auberge de la Jamaïque la montée en intensité dramatique est lente et progressive mais obstinée. Elle répond à un subtil crescendo accommodé par le talent de l'auteure. Intelligence de construction, clarté du style, détermination dans l'enchaînement des événements, voilà un roman qui se suffit à lui-même dans le talent qu'il déploie, quant à l'intérêt qu'il suscite. Il ne préjuge d'un avenir encore plus prometteur du talent de son auteure que parce qu'on en connaît l'avenir. Excellent moment de lecture.


mercredi 21 octobre 2020

Sérotonine ~~~~ Michel Houellebeq



 Je viens de terminer Sérotonine. J'inspire goulument. Je souffle. Je me palpe la région du coeur, je porte ma main au front. Je n'ai pas de fièvre. Je vis. Enfin j'ose le croire, naïvement. Pour un moment encore. le temps j'espère d'aller au bout de ma chronique.

Je m'étais retenu jusqu'à ce jour où de passage devant une librairie de Bayonne l'édition J'AI LU me toisa en vitrine. J'ai cédé, j'ai lu, Je suis foutu. Aurait dit un célèbre conquérant qui a laissé les traces de sa culture en nos contrées. Quand je parle de traces, j'évoque la marque de ses spartiates sur notre profil de combattant râleur, valeureux mais laminé quand même par ses légions.

C'est la fin des haricots. D'habitude, il - Michel pas Jules - comptait sur sa libido pour se requinquer, regonfler son moral en même temps son attribut du genre. Mais avec Sérotonine il a été mis en berne grave, comme diraient avec leur idiome à la mode ceux qui ont encore l'âge de croire que leur mâlitude sera éternelle. Solitude, déprime, la tombe se creuse au fil des pages. Y'a-t-il un espoir au fond du trou ? J'avais déjà bien entamé la descente aux enfers en ayant lu les précédents ouvrages de notre goncourisé frigorifié. Cette fois nous y sommes. Justifiez l'appellation de votre métier les hommes en noir, mordez-moi les orteils avant de visser le couvercle. On ne sait jamais. Un sursaut …

Je ne sais pas qui s'est essoufflé de nous deux, moi le lecteur, lui l'auteur. J'ai bien peur que ce ne soit le premier que je suis car pour ce qui est de la déprime, je sens bien que notre trublion de la littérature moderne en a encore sous le pied. Je crains pour le prochain ouvrage de sa main. J'ai bien peur que sauf sursaut d'optimisme inespéré il ne soit écrit d'outre tombe. Un autre y a déjà publié ses mémoires. Encore que l'essai a déjà été transformé avec La carte et le territoire, ouvrage post mortem d'un martyr de la société de consommation. Peut-être apprendrons-nous alors enfin des raisons de ne pas nous alarmer de notre trépas prochain, car pour ce qui est de la vie terrestre la grisaille s'opacifie très vite. Au fur et à mesure que les jeunes et jolies jeunes filles tournent leur regard vers d'autres que ceux qui n'ont pas encore atteint à leurs beaux yeux l'âge de la transparence.

Cet ouvrage qui nous enterre avec son narrateur a quand même quelques mérites. Il attire notre regard sur une profession malmenée par la mondialisation. Labourage et pâturage ne sont plus les mamelles de la France. La mammographie européenne a dévoilé le malaise. le lait français n'est plus bon qu'à être répandu devant les préfectures. Nos braves paysans sont trop nombreux, trop chers.

Il est toujours aussi savoureux dans son écriture cet ouvrage. Il n'envoie personne dire à la place de son auteur ce qui ne lui plaît pas chez un tel ou un autre. Il a un sens aiguisé de l'observation des moeurs de nos contemporains, le verbe caustique pour pointer du doigt les perversions de notre mode de vie moderne. Mais en fil rouge il y a quand même une histoire d'amour. Une vraie. Pas qu'une histoire de sexe. Mais c'est un raté, cette histoire. L'amour et le sexe ne feraient-ils pas bon ménage. Une faute, une erreur de parcours a tout foutu en l'air. Un seul être vous manque et… Et Camille si tu savais.

mardi 20 octobre 2020

La désobéissance ~~~~ Alberto Moravia

 



Comment survivre à l'adolescence quand le corps subit la déferlante hormonale qui le fait quitter le pays de l'enfance pour accéder à celui des êtres capables de donner la vie. Comment comprendre ce séisme qui secoue tout l'être, le fait se rebeller contre l'insouciance, renier la sécurité du giron maternel pour entrer dans l'âge adulte.

La mutation est douloureuse. Passer de l'innocence à la responsabilité est un chemin chaotique, parfois dangereux. Certains sont tentés de refuser la vie plutôt que la perpétuer. Il suffit d'un rien pour basculer.

Puis le chemin se découvre. Le jeune adolescent comprend que ce corps qui a expulsé la vie après l'avoir fait prospérer dans la chaleur de ses viscères est en fait la source. Il est temps de se mettre en danger, de se rebeller, de retrouver un corps capable de ce même miracle, capable d'héberger et faire prospérer la vie. Il est temps de retourner à cette source pour s'abreuver à la vie. Il est temps de retourner à ces entrailles pour se survivre à soi-même. Après viendra l'apaisement.

Formidable roman d'initiation vu d'un point de vue masculin. Luca est un jeune garçon qui subit la mutation de son corps. Il perçoit inconsciemment qu'obéir c'est disparaître. Il perçoit que pour exister il faut aller vers l'interdit. Se rebeller, désobéir pour naître à la vie, quand obéir c'est naître à la mort.

« La vie, c'est s'abîmer dans cette chair et en sentir l'obscurité, le ressac et le spasme comme des choses bénéfiques et vitales »


dimanche 30 août 2020

Le trestoulat ~~~~ Henri Bosco



L'édition Folio du Trestoulas d'Henri Bosco comporte en fait deux nouvelles qui tiennent leur intrigue en des temps décalés. L'habitant de Sivergues est la deuxième.

Dans un Luberon aux relents de Provence non encore devenu ce lieu de villégiature aux allures de Toscane que l'on connaît aujourd'hui, les gens vivaient au rythme des saisons et aux caprices d'une terre avare de ses faveurs.

Le Trestoulas est un plateau où seuls poussent les cailloux sous le soleil brûlant de l'été. Il retrouve tout à coup de la valeur quand le ventre de la colline ouvre ses enrailles au Clapu, son propriétaire qui était sur le point de s'en défaire. Ce solitaire taiseux y a trouvé le moyen de faire rendre gorge à ceux qui avaient décidé de changer le cours de l'eau. Dans la mentalité et la culture villageoises on ne touche pas à impunément au jet de la fontaine et au miroir du bassin de la place du village qui depuis les temps immémoriaux avaient fait la prospérité du village.

Sivergues Vaucluse

Avec l'habitant de Sivergues, il est question d'un sujet tout aussi sensible. Au creux des replis des collines appelées ici pompeusement montagne, dans la succession des disciples de Jean Valdo sont venus autrefois se réfugier ceux de la religion réformée que l'officielle de Rome poursuivait d'une vindicte jalouse de ses prérogatives. Aussi, quand une cheminée exhale à nouveau les volutes qui témoignent d'un foyer rallumé au sein du village abandonné, c'est tout le voisinage qui s'inquiète du retour de la contagion et de son cortège de malédiction.

Avec une écriture aussi claire qu'imagée, Henri Bosco nous restitue ce parler du fond de l'âme de ces gens simples qui n'avaient que leur honneur et la fierté de ceux qui vivent de leur travail pour tout bagage. Deux nouvelles qui a leur lecture font chanter à nos oreilles les sonorités de l'accent provençal et resplendir à nos yeux ce qui vaut à cette région l'engouement dont elle jouit aujourd'hui. 



jeudi 25 juin 2020

Pseudo ~~~~ Romain Gary

 



Tu t'es bien moqué de moi Émile, ou Paul, ou tant d'autres noms derrière lesquels tu brouilles les pistes tout au long de ces quelques deux cents pages. Tu t'es bien moqué de moi pour m'avoir mis sous les yeux ce galimatias de fulgurances schizophréniques.

J'ai bien cru avoir à faire avec un dingo. J'avais fait confiance à la notoriété d'un Goncourisé, un certain Ajar. J'apprends qu'Ajar n'est qu'un pseudo. Qui cache un certain Paul. Paul Pavlowitch. Qui pourrait bien être encore quelqu'un d'autre. Attention un auteur peut en cacher un autre. Ne franchissez cette limite qu'après avoir regardé de tous côtés. Vous êtes cernés par les pseudos, au point que dans le corps du texte tu enfonces le clou et te fais appeler pseudo-pseudo. Faut-il y mettre la majuscule ?

Il faut être sûr de soi pour faire avaler pareille potion à un éditeur. Qui lui-même la glissera dans le gosier des tourneurs de pages crédules. Ils auront acquis cet ouvrage sur une couverture. Car en le feuilletant sur l'étal du libraire ils auront reconnu quelques formules au cynisme assassin comme ils les aiment. Comme on achète un vin sur l'étiquette. Gare au gogo ignorant des cépages et des crus, il pourrait bien avaler de la piquette.

Je m'étais régalé avec La vie devant soi, amusé d'une certaine loufoquerie avec Gros-câlin. Quand j'ai retrouvé Émile Ajar avec Pseudo, je n'ai pas hésité. J'ai bien cru y reconnaître un furieux sens de la dérision, lequel m'a rappelé un certain Romain Gary. Tu vois de qui je veux parler, un Prix Goncourt lui-aussi. Mais je me suis convaincu que tu n'aurais quand même pas osé.

Oser faire un pied de nez pareil à l'Académie, pour leur refiler un autre chef-d'oeuvre sous le manteau, subrepticement comme ça. Comme quelqu'un qui aurait le talent chevillé à l'âme aussi vrai que moi j'ai le doute. Mais Gary n'aurait jamais fait ça.

Tu t'es bien foutu de moi, mais je te pardonne. Je suis beau joueur. J'ai bien conscience que lorsqu'on est arrivé au sommet, on ne peut que redescendre. Alors forcément ça angoisse. Parce qu'un troisième prix Goncourt sous un autre pseudo, ce n'était plus possible. Tu commençais bien à te rendre compte que certains affranchis dans les milieux littéraires affichaient un sourire pincé par la suspicion. de la jalousie à n'en pas douter.

Je ne t'en veux pas parce qu'avec tout ce que tu nous avais déjà offert sous tant de masques grotesques on retrouvait toujours ce même regard insondable. On le savait scruter son intérieur obscur, en quête des mots assez forts pour nous dire à quel point ce qu'il voyait à l'extérieur lui faisait peur.


mardi 9 juin 2020

Rebecca ~~~~ Daphné du Maurier

 


Daphné du Maurier est en Egypte où elle a suivi à contre coeur son époux militaire lorsqu'elle commence ce nouveau roman qu'elle intitulera Rebecca. Dans la touffeur orientale qu'elle a du mal à supporter, elle revoit en rêve ce manoir dont elle était tombée sous le charme sur la côte anglaise. Elle en fera le théâtre de son roman et lui donnera un nom qu'elle veut agréable à son oreille. Ce sera Manderley. Elle en fait une description telle que l'on ressent la nostalgie qui l'assaille à cette pensée. Depuis la poussiéreuse Alexandrie qu'elle déteste ce décor idéalisé sera la bouffée de fraîcheur à laquelle elle aspire. Ce sera aussi celui du drame qui prend forme dans son esprit fécond et qu'elle trouve elle-même quelque peu lugubre. Ce côté sombre de ses romans est d'ailleurs un peu une marque de fabrique chez Daphné du Maurier. Elle s'en inquiétera auprès de son éditeur qui la confortera.

Car le succès est au rendez-vous, immédiat et unanime. Il dépasse même les pronostics de son éditeur, et en tout cas les espoirs de l'auteur elle-même. Il ne se tarira pas au fil des années faisant de ce roman un record d'édition. Ma lecture de cette année me fait rejoindre le concert de louanges que lui vaut son succès durable. C'est un fabuleux roman qui émane d'un talent confirmé depuis, un roman qui pour ce qui me concerne répond à tout ce que j'attends d'une fiction.

Un roman qui commence par son épilogue, c'est original. Sans toutefois rien dévoiler de son intrigue, si ce n'est la survivance de son héroïne, la narratrice. Qui n'est pas Rebecca. Celle qui a donné son nom à l'ouvrage, et dont la présence y est si accablante, est morte dans un naufrage depuis un an lorsque débute le roman. Morte, mais encore tellement vivante dans l'esprit de celles et ceux qui lui survivent. Et pour forcer le trait, Daphné du Maurier n'a même pas nommée la seconde madame de Winter, la narratrice, autrement que par son statut d'épouse. Une manière de mieux souligner son insignifiance au regard de celle qui restait dans les esprits la première et la seule madame de Winter, la souveraine de Manderley, Rebecca.

Avec un style simple et direct, sans placer son lecteur sous le couperet d'un secret à dévoiler en dénouement, Daphné du Maurier l'entretient dans une attente de quelque chose. L'attente du soulagement d'un poids qui oppresse la jeune femme, nouvelle épousée venue s'installer à Manderley, à son grand déboire tant elle est faible de caractère et indigente d'éducation pour oser rivaliser avec celle dont le souvenir prestigieux hante encore le lieu. Elle est faible, mais sincère dans ses sentiments et plus persévérante qu'on oserait l'augurer.

Roman psychologique très fort à la construction subtile et savante dans lequel on retrouve aisément les traits de caractère que Tatiana de Rosnay, dans Manderley for ever, la biographie qu'elle a dédiée à Daphné du Maurier, a soulignés de son auteure fétiche. Un certain mal-être en société, le goût de la solitude, une femme qui se ronge ses ongles dans ses moments de doute, mais aussi une femme affectée d'un amour authentique et opiniâtre, voué à un homme mûr, ténébreux, parfois lointain.

Rebecca est à mes yeux une forme d'archétype de fiction maîtrisée par son habile dosage en suspense et rebondissements, servie par une écriture fluide et efficace à laquelle la nouvelle traduction d'Anouk Neuhoff que j'ai eu sous les yeux n'est certainement pas étrangère. Une belle littérature hautement recommandable.


jeudi 30 avril 2020

Aux cinq rue Lima ~~~~ Mario Vargas Llosa

 



Décidément, ce prix Nobel de littérature me plaît bien. Après la fête au bouc, le second ouvrage de Mario Vargas Llosa que je lis de sa main, bien qu'un ton en dessous du premier, m'est resté très accessible. Et disons-le tout de suite, il est assez chaud. Euphémisme bien connu quand on veut signaler pudiquement quelques scènes pour le moins lascives. Avis aux amateurs. Mais n'en tirez pas de conclusion trop hâtive à mon égard, j'ai été le premier surpris de trouver sous la plume d'un auteur ayant reçu la consécration suprême ce genre de scènes sans équivoque. Mais soit, on n'en est pas moins homme, c'est la vie.

Pour le plus le reste, quand on lit par ailleurs que Mario Vargas Llosa a été candidat malheureux à l'élection présidentielle en son pays en 1990 contre Alberto Fujimori, on ne s'étonne plus de voir notre nobélisé avoir la dent aussi dure envers son adversaire parvenu au pouvoir. L'histoire lui donnera d'ailleurs mille fois raison. Alberto Fujimori a terminé sa carrière politique en prison, condamné ni plus ni moins pour crime contre l'humanité, corruption, etc… le carnet de chansons était chargé.
Pour avoir la dent dure, dans son ouvrage Aux cinq rues, LimaMario Vargas Llosa nous dresse le tableau qui, pour romancé qu'il soit, n'en décrit pas moins les méthodes utilisées pas ce genre de régime autoritaire pour tenir le pays sous une main de fer et mettre toute forme d'opposition dans l'incapacité de nuire à ses ambitions. Menaces, chantage, assassinats sont au menu des agissements des services de sécurité intérieure à la botte d'un président qui pour avoir été élu ne s'en comporte pas moins comme un dictateur.

L'intrigue met en scène les agissements d'un patron de presse à scandale qui se risque au chantage contre un magnat de l'industrie péruvienne, lequel s'est fait piéger par un photographe lors d'une partie fine. Et curieusement, si l'auteur dénonce avec acharnement, et à juste raison, les agissements détournés des malfaisants au service du pouvoir, il traite avec une certaine complaisance les millionnaires à la vie dorée qui s'offrent des ébats langoureux en Floride. La morale n'y trouve pas forcément son compte dans ce pays d'Amérique latine où comme dans beaucoup la juxtaposition des palais et bidonvilles est plus évidente qu'ailleurs.

Il n'en reste pas moins que l'immersion dans l'ambiance de peur et de résignation entretenue par ce genre de régime est très bien restituée et servie par une écriture efficace et sans fioriture. On ne reprochera donc pas son parti pris à notre prix Nobel quand il s'agit de dénoncer vice et injustice.    


samedi 25 avril 2020

Extension du domaine de la lutte ~~~~ Michel Houellebecq

 



Je n'aime pas ce monde. Décidément, je ne l'aime pas. La société dans laquelle je vis me dégoûte ; la publicité m'écœure ; l'informatique me fait vomir. Tout mon travail d'informaticien consiste à multiplier les références, les recoupements, les critères de décision rationnelle. Ça n'a aucun sens. Pour parler franchement, c'est même plutôt négatif ; un encombrement inutile pour les neurones. Ce monde a besoin de tout, sauf d'informations supplémentaires.


Je viens de terminer mon cinquième Houellebecq : Extension du domaine de la lutte. Je suis maintenant confronté à une question essentielle, existentielle même : est-ce que je me fous en l'air tout de suite ou bien est-ce que j'attends encore un peu ?

Je vais déjà terminer cette chronique. On verra bien après.

Car pour vous filer le bourdon, ce bouquin est sur le podium. On ne connaîtrait pas l'avenir littéraire de notre trublion de la littérature moderne, on se ferait du souci quant au lendemain du point final de cet ouvrage paru en 1994. Notre auteur controversé a confié dans cet ouvrage son mal être à un informaticien de 32 ans. Il est dans une phase d'exploration des abysses de la déprime. Il faut dire qu'il n'a pas son remède favori sous la main pour soulager ses crises. Rupture de stock : cela fait en effet deux ans qu'il n'a pas eu de relation sexuelle. Faut comprendre aussi.

la religion d'abord, la psychanalyse ensuite

Conscient quand même de la faillite qui le guette, il tente de trouver de l'aide auprès de spécialistes patentés, à contre cœur à vrai dire tant il n'a eu de cesse de les vouer l'un et l'autre aux gémonies : la religion d'abord, la psychanalyse ensuite. Cela donne lieu au passage à quelques paragraphes en forme d'exécution sommaire : "Une femme tombée entre les mains des psychanalystes devient impropre à tout usage." Que dire des hommes ? Il en fera l'expérience. Mais on ne pourra pas lui reprocher d'avoir négligé tous les expédients officiels pour tenter de s'en sortir.

Son recours à la religion se fera par le biais d'un de ses amis d'enfance devenu prêtre. Mauvaise pioche. Ce dernier est lui-même en dépression. La dernière fidèle qui fréquentait son église a été euthanasiée par le corps médical qui la jugeait en trop mauvais état pour être récupérée. Et tout le monde s'en fout.

De guerre lasse dans sa solitude il se rabat en pis-aller vers la faculté. de psy en psy, son parcours de santé remet alors son destin entre les mains d'une psychologue. Une aubaine ? Faut voir. Bien que peu avenante il juge ses charmes acceptables au regard du niveau de déconfiture qu'il a atteint. En bonne thérapeute elle tente de le faire parler. C'est son job. Il saisit l'opportunité et lui tend alors la perche – ne voyez aucune métaphore libidineuse dans cette expression – afin de lui faire entrevoir que le seul remède capable de lutter contre son mal est celui du rapprochement des corps. La praticienne des consciences qui a bien perçu le message subliminal lui fait comprendre en retour que son rôle est de prescrire, et non d'administrer. Elle cède sans plus de discours savant la place à un collègue masculin. Retour à la case départ. On n'est pas sorti du marasme.

passée l'adolescence, la vie n'est plus qu'une préparation à la mort

On retrouve avec cet ouvrage les lignes de forces qui sous-tendent les caractères dans l'ensemble de l'œuvre de MH. On connaît trop bien leur désespoir de voir le corps se flétrir et désintéresser les seules qui pourraient regonfler le sujet – pas d'allégorie licencieuse non plus - celles forcément jeunes et jolies dont ils convoitent les faveurs. Mais à 32 ans notre informaticien est précoce dans le dégoût de la vie. A ses yeux, passée l'adolescence, la vie n'est plus qu'une préparation à la mort. le sexe étant à son idée un autre système de différenciation sociale, alternatif à l'argent, mais autant générateur d'inégalités. Et dans ce domaine, il est dans la catégorie des pauvres.

Cet ouvrage, au demeurant parmi les plus courts de ceux qu'aura produits notre auteur parvenu en cette année de confinement, est aussi à mon sens l'un des plus forts dans la désillusion, la noirceur de la fresque qu'il dresse de notre société : "Je n'aime pas ce monde. Décidément, je ne l'aime pas. La société dans laquelle je vis me dégoûte", fait-il dire à son informaticien.

Il n'en reste pas moins que le talent est là. Ironie, humour caustique, éclectisme de la pensée, acuité dans l'observation du monde, se coalisent pour pointer du doigt le leurre dans lequel se fourvoient ceux qui fondent leur bonheur sur le pouvoir d'achat. J'ai beaucoup aimé ces ouvertures sur ce verbiage professionnel qui ne dit plus rien à qui que ce soit tant il a sombré dans l'abstraction. Ils peuvent divaguer en tables rondes, de toute façon c'est le solitaire sur son clavier qui fera le job et tout le monde se pliera à ce que ses algorithmes auront circonscrit dans le domaine du possible.

le doigt sur la détente

Avec Houellebecq, il n'y aucun recours. Chaque être humain est un esquif de désespoir à la dérive sur l'océan de l'indifférence. Il y a certes une échappatoire, une distraction à la spirale de la perdition, mais elle est trop dépendante de lois insidieuses qui gèrent attirance et répulsion des contraires. Et pour notre informaticien la force de répulsion le propulse hors du monde, dans le trou noir de l'amertume. Il en fait son leitmotiv, le doigt sur la détente.

vendredi 8 novembre 2019

Romilda~~~~Bénédicte Rousset

 


"Comment pouvons-nous nous sentir plus réels dans ce que nous écrivons que dans ce que nous ressentons au fond de nous ?" C'est Romilda qui s'interroge en ces mots. Elle tente de s'extirper de la réalité. Profonde blessure que sa réalité. Son mari vient de l'abandonner. Pire que cela, il est parti avec l'autre amour de sa vie : sa complice, sa confidente, sa petite sœur.

Comment imaginer que ces paroles prêtées à Romilda pourraient ne pas s'appliquer pas à son auteure, Bénédicte Rousset. Tant filtre son implication de femme sensible dans ces lignes. En particulier dans les lettres qu'elle fera écrire à son héroïne, laquelle donne son nom à ce roman, fort réussi à mon goût.

J'ai fait connaissance avec cette auteure grâce à cet ouvrage. Mais pas seulement, elle me l'a dédicacé lors d'une rencontre en librairie. Le plaisir de l'échange s'est prolongé avec la lecture de celui-ci.

Un roman sur fonds d'enquête qui s'inscrit dans le genre policier. Étiquette que je serais tenté de contester, tant j'ai été séduit par l'autre genre qui colle à ces lignes. Dirais-je que c'est un roman d'amour qu'on l'affublerait ipso facto d'une couche de mièvrerie. Qu'il n'a pas. C'est un roman sensible dans ce qu'il touche le coeur, sensuel dans ce qu'il implique le corps. Un roman auquel il est difficile de mettre une étiquette justement. C'est un beau roman, c'est une belle histoire dit la chanson. Un roman qui restitue à l'amour ses lettres de noblesse quand il a été piétiné.

L'artifice de construction choisi par Bénédicte Rousset pour son ouvrage est très original. Il parvient à magnifier l'amour avec une étonnante force suggestive. Une force qui assujettit le lecteur. Romilda a découvert des lettres. Un paquet de lettres étiqueté "correspondance militaire". Elles datent de 1914 pour les premières. Les hommes sont partis s'engluer dans les tranchées. Les épouses, les fiancées livrées à l'attente angoissée. Des lettres pour relier les deux. Des mots simples pour se rappeler la vie ensemble. Douceur devenue souvenir et espoir d'avenir en même temps. Des lettres d'amour. Des lettres qui retracent des moments de vie. Des lettres qui figent sur le papier à l'encre bleue les confidences de gens simples. Ils se confient sous leur plume souvent beaucoup plus qu'ils ne l'ont jamais fait de vive voix. C'est la force de l'écrit que célèbre Bénédicte Rousset.

Ces lettres découvertes au hasard, Romilda se les approprie. Commence alors pour elle un sauvetage. Le sien accessoirement. Mais aussi et surtout celui de l'Amour.

Elle se les approprie au point de répondre à Félix. Il avait été mobilisé lui aussi, même s'il a échappé au cloaque des tranchées. Tant pis si elle prend la place de l'autre, la destinataire. Il y a prescription. Elle écrit des réponses aux lettres de Félix. Des lettres dans lesquelles elle se livre corps et âme, sans amertume. Avec la conviction de reconstruire quelque chose. Des lettres qui pourtant ne partiront pas, mais qu'importe. Des lettres qu'elle destine à elle-même finalement. Une correspondance audacieuse pour se dire qu'elle peut encore aimer. Des lettres pour réhabiliter l'amour. Lui redonner son statut dans la vie des hommes.

Romilda se construit ainsi un amour intouchable. Personne ne lui volera plus. Et pour cause, Félix est mort depuis longtemps. Son amie Laura se moque d'elle. Romilda n'en a cure. Les lettres de Romilda sont une évasion du gouffre de l'abandon dans lequel elle a été précipitée depuis la trahison d'Adam, son mari.

"L'écriture c'est aussi donner la parole à nos émotions et leur accorder un sens à partager". Romilda écrit ce trop-plein d'amour qui bout en elle et qui vient d'être foulé aux pieds. Ses lettres soulagent son coeur, sèchent ses larmes. Romilda les nimbe du fantasme de l'amour célébré. Ambitieux, souverain. L'amour dans l'absence ne craint pas l'usure du quotidien. L'amour au féminin, intérieur. L'amour dans lequel la sensualité n'est pas une fin mais une manifestation, une preuve. Une preuve brûlante comme la main qui effleure la peau de l'être aimé. L'amour incarné.

L'amour se réalise, enfin. Promesse d'un avenir tendre, qui dure au-delà de la vie.

Alors roman policier ? Le croirez-vous après avoir lu ces lignes ? C'est pourtant écrit sur la couverture. Oui, il y a bien une enquête. Une enquête qui n'attend pas la dernière page pour dénouer l'énigme et dénoncer l'assassin. Parce que cette enquête, elle met à jour une autre facette de la nature humaine. Un autre sauvetage. Celui d'une grandeur de la nature humaine. Une fois n'est pas coutume. C'est tout sauf compassé, c'est bien construit. J'ai aimé votre roman Bénédicte Rousset. "L'heureux moment partagé" de votre dédicace en conclusion de notre brève rencontre s'est prolongé sous mes yeux avec Romilda.

J'ai aimé votre intelligence d'écriture pour dire l'amour. J'ai aimé que le roman prenne de la hauteur avec les références culturelles que votre compétence vous autorise. J'ai aimé que ce ne soit pas un ouvrage féministe, ni un plaidoyer larmoyant en faveur de la femme abandonnée. C'est un ouvrage sur la vie des Hommes, dans ce que cela englobe des deux sexes, confrontés à leur incompréhension réciproque dans ce qui les unit et finit par les séparer. Mystère insondable de l'amour. La naissance du désir qui porte les êtres l'un vers l'autre et les met en danger dans le même temps. Le danger de l'assouvissement. L'amour peut-il survivre à son assouvissement ?

La réponse c'est vous qui la donnez. Quand on lit ces mots de vous page 45. L'amour peut s'accomplir quand il débouche sur … "La famille, ce soupirail sur un monde enchanté".


dimanche 20 octobre 2019

L'âme brisée ~~~~ Akira Mizubayashi

 



la matière sonore
Un violon a une âme. Ce n'est pas seulement cette petite pièce d'épicéa qui, placée sous le chevalet, transfert les sons de la table d'harmonie vers le fond de l'instrument. L'âme du violon c'est aussi sa sonorité. Elle caractérise sa personnalité propre. Lorsque la mèche de l'archet évolue sur les cordes et fait naître ce qu'Akira Mizubayashi désigne comme "la matière sonore", l'instrument-objet s'éveille, s'anime, prend vie. Sa sonorité stimule la sensibilité humaine. Érigée en principe d'immortalité, l'âme de l'instrument entre alors en connivence avec celle de qui perçoit la magie des vibrations sublimes.

Kurokami doit se traduire par Dieu Noir. Choisi à dessein pour sublimer le personnage, c'était le nom de cet officier qui, dans le Japon d'avant-guerre, avait ramassé le violon piétiné par son subalterne, lequel exerçait son zèle à la chasse aux sorcières pacifistes. le lieutenant Kurokami avait alors confié l'instrument mutilé à l'enfant découvert dans sa cachette. Son père venait d'être arrêté par les siens en pleine répétition. Il n'a pu sauver le père. Il a épargné l'enfant.

Suprême communion qui fera revivre l'un et l'autre, l'instrument et l'être aimé

Une fois entré dans la compréhension du malheur qui venait de le frapper, ce dernier s'est fixé pour raison de vivre de reconstruire le violon de son père. Adopté par un couple de Français, il est devenu luthier. Reconstruire le violon c'était lui redonner son âme. C'était faire renaître celui qui avait fait vibrer ses cordes : son père. Suprême communion qui fera revivre l'un et l'autre, l'instrument et l'être aimé, dans des circonstances qu'il ne faut pas dévoiler dans ces lignes mais me font saluer une nouvelle fois cet auteur qui m'avait captivé avec Petit éloge de l'errance.

Akira Mizubayashi, l'auteur à la double culture nous adresse là encore un éloquent plaidoyer contre les dérives autoritaires et son corollaire, la haine. Sentiment aveugle et nauséabond, capable de commettre l'outrage suprême, anéantir des artisans de paix : le musicien et son instrument.

Âme brisée est ouvrage d'autant plus fort que, sur un thème artistique qui conduira les uns et les autres lecteurs à s'enquérir des références musicales qu'il comporte, le texte est doux et lent. C'est une mélodie nostalgique que le violon interprète à l'oreille du lecteur subjugué. C'est un superbe roman.


Akira Mizubayashi
Akira Mizubayashi est un écrivain japonais d'expression japonaise et française, né le 5 août 1951 à Sakata au Japon