Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

lundi 28 août 2017

Fanny Stevenson : entre passion et liberté ~~~~ Alexandra Lapierre



Une façon d'approcher un personnage célèbre consiste à faire la connaissance de ceux qui ont partagé sa vie. C'est ce que nous propose Alexandra Lapierre avec cette biographie romancée de la femme de l'auteur de L'île au trésor : Fanny Stevenson. Un ouvrage particulièrement fouillé et documenté. Il faut dire que la correspondance entretenue par les époux Stevenson avec leurs familles respectives et leur entourage, baignant souvent dans les milieux artistique et littéraire, a été particulièrement abondante.

Alexandra Lapierre en tire un ouvrage absolument captivant sur ce que fut la vie de cette femme hors du commun. Elle voua une dévotion passionnée à l'égard de Robert Louis Stevenson. Elle a été tout sauf une pâle figurante dans la vie de celui qu'elle avait épousé après avoir arraché le divorce à son premier mari, ce qui dans l'Amérique puritaine du 19ème siècle était déjà une prouesse en soi. Fanny Stevenson a véritablement sacrifié sa vie à celui envers qui elle nourrissait un amour démesuré, au point de se rendre jalouse de sa propre fille lorsque cette dernière empiétait sur le rôle de première lectrice des oeuvres de Stevenson.

La posture favorite de Fanny Stevenson était de se ranger du côté du plus faible. Épouser Robert Louis Stevenson restait dans cette droite ligne si l'on considère sa santé particulièrement fragile. Au point que cet aspect a commandé toute leur vie. Il leur a fait parcourir le monde à la recherche d'un climat favorable à l'apaisement des hémorragies pulmonaires dont souffrait cet homme. Optimiste de nature, il ne s'en plaignait pourtant jamais.

Stevenson terminera sa vie et sera enterré aux îles Samoa, au sommet du mont Vaea. Fanny qui n'avait émis la moindre objection à s'isoler au milieu du Pacifique, quand c'était pour son mieux aller, l'y rejoindra 20 ans plus tard. Ils avaient tous deux gagné la vénération des populations autochtones en soutenant leur combat contre la colonisation.

On ne lirait que trois pages de cette passionnante biographie romancée fort volumineuse, ce serait la lettre que Fanny Stevenson a adressée à celui qui était un de ses points d'ancrage, l'avocat Rearden, pour lui apprendre la mort de son fils, le petit Hervey (page 181 - éditions Pocket). Ce texte, à lui seul, fait comprendre combien cette femme ne vivait que pour les autres, pour les plus faibles et son exceptionnelle dignité dans le chagrin.

La vie de Fanny Stevenson a été particulièrement riche en aventures et en amour dédié aux autres. Elle est tout sauf ennuyeuse au lecteur. Alexandra Lapierre sait nous faire admirer et aimer ce personnage hors du commun, le réhabiliter aussi, même si c'est par solidarité féminine, quand d'aucuns ont pu le dénigrer. Dans ce couple singulier qu'ils ont formé tous deux, tirant souvent le diable par la queue, elle a vécu, tel que le sous-titre l'auteur, entre passion et liberté.

mardi 15 août 2017

Ode à l'homme qui fut la France et autres textes

 



"Permettez-moi, avec toute mon affection, de vous dire que vous pouvez quelques fois être assez peau de vache."

Qui fallait-il être pour envoyer cela au général De Gaulle ?

Il fallait être un homme issu de l'immigration qui avait démontré les intentions les plus pures à l'égard de sa patrie d'adoption. Il fallait avoir commencé sa carrière de nouveau français en risquant sa vie pour la France. Il fallait être un homme à l'intuition sûre pour avoir rejoint un parfait inconnu à Londres et mener avec lui le combat de la liberté. Il fallait être convaincu comme lui que la barbarie ne pouvait perdurer sur une Europe ensanglantée. Il fallait être Romain Gary.

Ode à l'homme qui fut la France est un recueil des textes les plus enflammés publiés par Romain Gary dans les presses américaine et française, à l'adresse de celui dont il tente de se consoler de la disparition en 1970 en ces termes : "Plus que jamais, il est à présent ce qu'il n'a cessé d'être pour nous depuis le début : une force morale, un courant spirituel, une foi dans l'homme, dans un ultime triomphe de l'homme, une lumière."

Cet ouvrage est un recueil des textes qui expriment le désarroi de son auteur devant le manque de compréhension, le manque d'élévation de citoyens à la mémoire courte qui n'ont pas perçu l'abnégation, le désintéressement de celui qui restera à jamais comme l'emblème de la France libre.


dimanche 13 août 2017

Archives du nord ~~~~ Marguerite Yourcenar


Archives du nord, un ouvrage quelque peu déséquilibré qui en trois parties évoque successivement la nuit des temps, puis les ascendants directs de Marguerite Yourcenar, ses grand-père et père, qu'elle n'appellera jamais autrement que par leurs prénoms respectifs. Curieuse approche filiale, plus historiographique que sentimentale.

Evocation sans concession de l'histoire d'hommes et de femmes qui ont présidé à sa venue sur terre et dont il serait vain de retenir la généalogie, sauf à se passionner pour la science qui curieusement étoffe la ramure d'un arbre familial en exhumant ses racines personnelles.

C'est encore la maestria dans la mise en œuvre de la langue qui m'a poussé à me frotter au feu roulant, quelque peu déprimant, des innombrables références culturelles dont Marguerite Yourcenar peuple ses ouvrages. Etalage qui pourrait sembler humiliant à l'égard du besogneux se glorifiant de sa maigre bibliothèque, ou complètement abscons au décrypteur d'idiomes qui a fait sa culture dans le fouillis de qu'il faut aujourd'hui appeler la toile - pour mener un combat retardateur et franciser l'expression connue plus que dans sa version d'outre atlantique.

Marguerite Yourcenar dont on connaît la fibre écologique semble avoir plus de compassion pour faune et flore que pour celui qui les martyrise depuis qu'homo sapiens a pris le pas sur tout ce qui pouvait le concurrencer sur la planète, plus d'affinité pour des personnages faits maison tant ils ont été bâtis pour servir d'ambassadeur à sa cause, tel Zénon, qu'à l'égard de ses géniteurs.

Les ouvrages de Marguerite Yourcenar, lecture plaisir pour qui s'ébahit devant la puissance conceptuelle de la phrase, la richesse documentaire, lecture déplaisir pour qui aspire aux langueurs sentimentales.


vendredi 11 août 2017

Lettre à un ami allemand~~~~Albert Camus

 


Il a seize ans et va être fusillé avec d'autres innocents pris en otages comme lui.

"Je suis ton ami" lui dit l'aumônier allemand qui l'accompagne au supplice. Il n'hésitera pourtant pas à le dénoncer dans sa tentative d'évasion. L'amitié aussi a ses tyrannies.

Nous sommes en 1943 et 1944. Albert Camus écrit à son ami allemand d'avant-guerre. Quatre lettres dans lesquelles il lui clame que ceux qui ont rêvé d'un "avenir fabuleux et ensanglanté" pour l'Europe se sont fourvoyés et seront vaincus. A cette "nuit d'Europe" succédera une aube d'autant plus radieuse que les vaincus d'hier seront sans haine contre ceux de demain. Les vaincus d'hier finiront par "détruire leur puissance sans mutiler leur âme".

Quatre lettres. Quatre cris de colère d'un sans Dieu contre ce "désastre de l'intelligence".


vendredi 28 juillet 2017

Madame Hemingway ~~~~ Paula McLain

 

Solitaire qui n'aimait pas la solitude, Ernest Hemingway eut quatre épouses. Paula McLain s'est prise de sympathie pour la première d'entre elles, Hadley Richardson. Elle en a fait la narratrice de ce bel ouvrage, Madame Hemingway. C'est l'histoire romancée d'un épisode de la vie de cette femme avec celui qui accédera à la consécration suprême de son art en recevant le prix Nobel de littérature en 1954.

Journaliste, correspondant de guerre, écrivain, Ernest Hemingway n'a pas été aventurier que dans sa vie professionnelle. Celles qui ont partagé sa vie affective en ont fait les frais. Paula McLain a mis son talent d'écrivain au service de Hadley et lui fait revivre cette idylle de six années qui restera à jamais dans la mémoire de celle-ci comme l'épisode dramatique de sa vie.

Paris au lendemain de la première guerre mondiale, des expatriés américains se retrouvent au sein ce que l'une d'entre eux, Gertrude Stein, immortalisera sous l'expression de génération perdue. Une génération d'artistes et intellectuels qui tentent inconsciemment d'exorciser dans l'alcool et les fêtes le cauchemar de la grande guerre. Elle avait avalé leur jeunesse et fait tomber trop tôt sur leurs frêles épaules une maturité précoce nourrie d'angoisses. Ernest Hemingway qui a connu les affres de la guerre en Italie, dont il tirera L'adieu aux armes, se retrouve volontiers sous ce label. Il ne craint pas d'explorer l'absurdité de la condition humaine lorsqu'elle se livre aux horreurs qu'elle fomente.

Grand témoin des conflits du vingtième siècle, amateur de corridas, de courses de chevaux, de chasse, sa soif de sensationnel, de liberté s'est assouvie au détriment du bonheur de celles qui ont choisi de partager sa vie. Paula McLain nous dresse un portrait admirable de Hadley, femme simple et courageuse, d'une grande sincérité, peut-être un peu naïve, que rien ne prédestinait à quitter son Amérique natale pour s'enfoncer dans le drame avec cet homme, de six ans plus jeune qu'elle, qui trouve logique de vivre à trois quand on ne peut choisir entre deux amours. Paula McLain nous fait prendre fait et cause pour ce personnage désintéressé qu'elle sait rendre attachant lorsqu'elle partage la vie de galère du futur prix Nobel encore loin de la célébrité, dans un sordide deux pièces parisien.

Une histoire dramatique formidablement conduite par Paula McLain. Elle nous donne un autre éclairage sur la personnalité du célèbre écrivain. Il ne peut que baisser dans notre estime au sortir de ce roman, grisés que nous sommes de la notoriété qui auréole désormais sa carrière d'écrivain. La gloire de l'un n'irait donc t'elle pas sans l'avilissement d'autres restés dans l'anonymat ?

Avec son écriture souple et épurée, Paula McLain se garde bien de tomber dans l'emphase. Elle préserve ainsi l'authenticité des sentiments de cette femme restée fidèle en amour à l'égard d'un Hemingway avec qui elle correspondra jusqu'à l'ultime moment de sa vie.
On s'interroge toujours sur les raisons du choix d'un auteur pour le personnage de son roman. Beaucoup vous répondront que c'est en fait le personnage qui s'impose à l'auteur. Ce qui me fera dire que Madame Hemingway ne pouvait trouver plus belle plume pour sortir de l'anonymat. Car en donnant ce titre à son roman, elle confère une certaine exclusivité à cette union, et reconnaît sans doute en Hadley la plus légitime des épouses d'Ernest Hemingway. Celle qui n'a jamais douté du talent de son mari alors que le succès se faisait encore désirer.
Cette histoire romancée est un superbe moment de lecture.


samedi 22 juillet 2017

Le mythe de Sisyphe ~~~~ Albert Camus



 
"Il n'est pas de plus beau spectacle que l'intelligence aux prises avec une réalité qui la dépasse." Cette citation tirée de son ouvrage, le mythe de Sysiphe, s'applique à merveille à son auteur.

La réalité nous dépasse tous et le sens de la vie nous est étranger. Nous n'avons cependant à son égard pas tous le même rapport, la même façon de nous tirer d'affaire ou de nous y inclure.

Ceux qui croient en Dieu et ont choisi une religion pour L'honorer ont fait le choix de la facilité. Tout s'explique par Lui et en Lui. La mort n'est qu'une ouverture sur l'éternité en Son royaume. La messe est dite.

Pour ceux qui ne croient pas, le problème reste entier. Parmi eux les simples d'esprit. Ceux-là n'expriment ni tourments ni interrogations. Et au final, heureux les simples d'esprit, le royaume des cieux leur appartient. La célèbre parabole les raccroche aux précédents.

Albert Camus, ni simple d'esprit, excusez du peu, ni croyant, mais contempteur des grandes théories philosophiques qu'il connaît bien, surtout dans leur contradiction, veut une réponse humaine à son état de mortel en mal de pouvoir donner sens à la vie. Sa réponse à lui c'est l'homme absurde. C'est Sisyphe condamné à pousser son rocher vers le sommet de la montagne, et à recommencer éternellement chaque fois qu'il sera redescendu dans la vallée.

"Les grands romanciers sont des romanciers philosophes." Albert Camus nous le prouve avec le mythe de Sisyphe qu'on lira toujours trop vite et trop légèrement tant ces pages sont lourdes de réflexion.

SI je voulais dire une énormité, je dirais que la lecture de cet ouvrage est indispensable à qui se passionne pour l'homme et son oeuvre et veut en approfondir sa connaissance. Encore faut-il être prêt à arpenter un chemin difficile. Camus, romancier-philosophe ou philosophe-romancier, le mythe de Sisyphe nous oblige à la seconde formule. En tout état de cause, un homme concerné, torturé par le sens de la vie, doué de courage et de talent pour l'exprimer.

Alors la mort de Camus contre un arbre en 1960 : accident, élimination ou suite logique d'un raisonnement et conclusion de l'homme absurde. Cette lecture élargit l'éventail des possibles.


mercredi 19 juillet 2017

Clair de femme ~~~~ Romain Gary

 


Romain Gary ou la féminité fait homme. Le titre le laissait présager, Clair de femme est plus que tout autre une ode à la femme.

Lydia est cette femme dont Michel fait la connaissance et auprès de qui se réfugie sa toute nouvelle solitude. Sans même le connaître, elle a compris que sa propre personne ne pourrait être que le support d'un culte que ce dernier voue à la femme. Une sacralisation. Au point de rendre l'amour insupportable. Au point de faire disparaître la personne derrière celle qui ne serait autre chose que l'émanation de la féminité.

"Tout ce qui faisait de moi un homme était chez une femme." Plus que jamais, Romain Gary est présent dans ces pages. Perdre sa femme c'est perdre la femme. C'est perdre la raison d'exister. Perdre la raison tout court. Il y a urgence à se jeter dans les bras d'une autre. Il lui faut retrouver cette ivresse du caractère féminin. Vivre en couple c'est se fondre l'un dans l'autre. Dans un couple, "personne ne sait qui est terre, qui est soleil. C'est une autre espèce, un autre sexe, un autre pays."

Chez Romain Gary, la féminité n'est pas sexuelle, elle est génétique. Elle n'est pas sentimentale, elle est spirituelle. Ce n'est pas un fantasme, c'est un fondamental. Tout le reste est dérisoire, les convenances, la morale, les apparences.

Clair de femme. Lumière céleste, lumière de vie.


dimanche 16 juillet 2017

La chute~~~~Albert camus

 

Quel est ce compatriote interpelé par le narrateur de cet ouvrage et qui ne dit mot ? le procédé narratif choisi par Albert Camus est à n'en pas douter la composante originale de ce texte. Moi, lecteur de la Chute, suis-je cet auditeur captif d'un monologue en forme de confession, ou bien est-ce tout bonnement le miroir dans lequel se reflète son auteur ? Peu importe, celui dont on ne connaîtra que la situation soulage sa conscience et donne à Camus l'occasion de développer un thème qui lui est cher et qu'il avait abordé quelques années auparavant dans L'Étranger.

Le châtiment est légitime. le jugement est une usurpation. "La question est d'éviter le jugement. Je ne dis pas d'éviter le châtiment. Car le châtiment sans jugement est supportable". Aucun homme n'est fondé à en juger un autre, fut-ce collégialement dans un cadre légal. Tout un chacun, y compris le juge, est enfermé dans la duplicité profonde inhérente à sa propre nature, tiraillé entre le bien et le mal, entre mensonge et vérité. Juger quelqu'un doit passer par l'étape préalable de l'expiation de ses propres fautes. Et quant au jugement dernier, n'attendez rien de cette échéance. le jugement dernier se tient tous les jours, dès lors qu'un homme prononce une sentence à l'égard d'un de ses semblables, en parfaite appropriation d'un pouvoir qu'il ne saurait détenir plus qu'un autre.

Au travers des propos de son narrateur, Camus exprime la "tristesse de la condition commune et le désespoir de ne pouvoir y échapper." Un pas de plus, pour ce qui me concerne, dans la connaissance de la philosophie de "l'humaniste subversif".


vendredi 30 juin 2017

Le monde d'hier : Souvenirs d'un européen ~~~~ Stefan Zweig





Le sol s'est dérobé sous les pieds de Stefan Zweig. Tout s'est écroulé autour de lui. Cet ouvrage dont il ne connaîtra pas la publication, le Monde d'hier, est le testament d'un "citoyen du monde" devenu apatride. Pas seulement chassé de son Autriche natale, mais chassé de la culture universelle puisque désormais privé de publier dans sa langue maternelle, l'allemand.

Nous sommes en 1941. Anéanti de voir le sort qui lui est réservé, ainsi qu'à ses coreligionnaires, Stefan Zweig décide de se lancer dans l'écriture d'un ouvrage d'une longueur inhabituelle chez lui. Un ouvrage dans lequel explose sa rancœur à l'encontre de celui qui a plongé la planète dans le chaos, la haine faite homme : Hitler. Peut-être aussi la rancœur de voir la conscience collective d'un peuple se laisser manipuler et entraîner dans une entreprise funeste.

Submergé par le désespoir, il perd l'objectivité qui caractérisait son humanisme forcené. Il dresse alors un tableau idyllique de sa jeunesse, période bénie qu'il qualifie de "monde de sécurité", oubliant ainsi qu'il avait été favorisé par le destin, le faisant naître au sein d'une famille riche, auréolé d'un talent qui lui valut très tôt le succès littéraire.

Son rêve d'une "Europe unie de l'esprit" avait déjà été malmené par l'abomination du premier conflit mondial. Il ne peut supporter l'idée d'être le témoin, encore moins la victime, d'une nouvelle catastrophe de pareille ampleur, du seul fait d'une idéologie assassine.

Stefan Zweig commence son ouvrage par un avant propos qui nous fait comprendre qu'une décision est prise : "Jamais je n'ai donné à ma personne une importance telle que me séduise la perspective de faire à d'autres, le récit de ma vie." Une vie dont il ne conçoit donc désormais plus qu'elle ait une suite. C'est le cancer de la haine qui le ronge.

Ce grand humaniste sans frontière se considère comme dépossédé, non seulement de sa patrie, mais du monde entier. Ce monde, il sait déjà qu'il va le quitter. Pour où, il ne sait pas. Il n'y a pas d'avenir pour les apatrides.

Ouvrage bouleversant, indispensable pour qui se passionne pour l'œuvre de Stefan Zweig. 

vendredi 23 juin 2017

Labyrinthe du Monde - tome1 ~~~~ Marguerite Yourcenar


 

A souffrance égale tout au long de leur vie, Marguerite Yourcenar aurait-elle eu moins de compassion à l'égard des hommes que pour les animaux. Sans doute rend-elle les premiers responsables des dommages irréversibles que subit la nature pour les envelopper de cet humanisme froid qui se fige dans ses lignes. En ce début de vingtième siècle qui connaîtra l'explosion d'un tourisme de masse, aussi dévastateur pour les paysages du monde que l'est l'industrialisation, elle se confirme dans ses ouvrages comme un précurseur de l'écologie. Les passages évoquant le parcours des bovins vers l'abattoir ou encore l'origine de l'ivoire dans lequel est ciselé un crucifix sont éloquents.

Cette froideur lui fait parler d'elle à la troisième personne, en spectatrice de son enfance. "L'être que j'appelle moi vient au monde un lundi 8 juin 1903 …" Elle lui fait affirmer ne pas regretter de n'avoir pas connu sa mère. Tout au long de cet ouvrage, elle ne l'appellera jamais que par son prénom : Fernande.

On ne choisit pas sa famille comme on peut le faire des héros de ses romans. Elle déclare plus volontiers son amour, certes chaste et fraternel, à ces derniers. Quand on est écrivain de grand talent, à l'érudition culminante, on peut les modeler à son goût, les mener selon ses lubies, leur faire dire et les faire agir à dessein pour développer les thèses de sa conviction. Alors, ceux qui vous servent si bien, au premier rang desquels Zénon, peuvent se voir gratifié de préférence. Au détriment de parents de tous degrés à qui on peut reprocher d'avoir été affublés de trop de défauts, d'avoir été trop humains en somme.

Souvenir pieux est un regard rétrospectif sur cette famille nombreuse dont Marguerite Yourcenar est issue. Elle offre à tous ces êtres, qu'elle a peu ou pas connus, une nouvelle sépulture en les couchant dans ses pages. Son humanisme froid a malgré tout le souci de l'équité. Autant que tous ceux que l'histoire a conservé dans sa mémoire, en particulier depuis que l'écriture nous en rapportent leur propos, que Marguerite Yourcenar connaît mieux que quiconque, les êtres simples ont le droit de sortir de l'indifférence dans laquelle la mort les a plongés. Souvenirs pieux veut réparer cette injustice faite à ceux qui n'auront pas éclairé l'histoire, fût-elle "la très petite histoire", de leur nom. Les gens simples ont aussi leur complexité, même si elle ne s'est pas exprimée par un talent reconnu. Elle donnera cependant, sans doute par confraternité, la prime à ceux de ses antécédents qui auront noirci quelques pages de leurs traits de pensées, tel l'oncle Octave. Mais, en boulimique d'archives perfectionniste qu'elle est, elle l'apprécie toutefois plus comme témoin du passé que comme philosophe.

Marguerite Yourcenar ou la maîtrise du savoir dire. Savoir dire les choses sans faux fuyant, sans faux semblant, et surtout sans jugement. Sauf peut-être la réprobation implicite qui n'échappe pas au lecteur à l'égard de ceux qui déciment la gente animale sans nécessité de survie. Ce savoir dire, délivré du louvoiement qu'impose le plus souvent la faiblesse, a toutefois la contrepartie de la froideur quelque peu professorale de l'objectivité.

A consommer sans modération pour la qualité de cette langue qui colporte dans ses phrases une érudition à vous rendre honteux. A consommer aussi pour rejoindre les rangs de ceux qui déplorent que la prospérité de l'homme aille de pair avec la ruine de son environnement.

Page 60 édition Folio, Marguerite Yourcenar explique ce qu'est un souvenir pieux. Celui rédigé à l'adresse de sa mère défunte portait cette phrase : "il ne faut pas pleurer parce que cela n'est plus, il faut sourire parce que cela a été.
Elle a toujours essayé de faire de son mieux."

Souvenir pieux est le premier tome de Labyrinthe du monde qui en comporte trois. J'ai décidé de persister dans ma confrontation avec l'académie.